
l ’efpérance de-'faire retraite jufqu’à des pays auflî
éloignés que l’étoient l’Efpagne & Carthage. ^
Comme les troupes pourroient etre irritées
contre vous , de ce qu’en leur otant toute forte
de retraite , & en leur impofant la neceflite de
vaincre j vous donnez- a connoitre que vous vous
défiez de leur valeur ; faites enforte qu’elles attribuent
ce défaut de retraite à un effet du hafard ;
répandez le bruit que les ponts ont été rompus
par les eaux ; que les ennemis fe font emparés
de tel défilé ; que les gouverneurs des places voi-
ffnes ont protefté qu’ils n’ouvriroient pas les portes
aux fuyards, parce qu’on y manque de provifions
de bouche ; ou que les provinces qui font derrière
vous prendront les armes contre votre armee , fi
elle eft battue.
Lorfque Cortès ,, craignant que fes foldats 9
fatigués de la guerre, ne l’obligeaffent un jour a
fe retirer dans l’ile de Cuba , eut pris la réfolution
de détruire fes vaiffeaux ; afin-qu’on pénétrât moins
fon motif, il engagea les matelots a publier que
la mauvaife qualité du port de la Vera-crux , ou
fa flotte avoit mouillé pendant quelque temps ,
l ’avoit mife entièrement hors d’état de lervir. Cortès
fit lemblant de le croire, & donna ordre de porter
à terre les cordages, les voiles, & les autres agrêts ;
il fit mettre le feu à fes vaiffeaux, & les abandonna
au gré des flots & des vents. Par cette réfolution ,
à laquelle on le crut forcé, il fit paroître autant
de fageffe & de prudence qu’il ié feroit attiré
de blâme & de haine, fi on l’avoit attribuée à
un effet de fon caprice & de fon choix.
On peut également porter les troupes à combattre
avec courage & avec confiance , ou en
leur ôtant réellement la retraite , ou- en leur per-
fuadant feulement qu’elles n’en ont point à efperer.
Préférez ce dernier expédient au premier, lorfque
’ vous pourrez y réullir quelque mauvaife que foit
une retraite , il y aura toujours quelques pelo-
' tons de troupes , quelques régiments, ou quelques
brigades , qui en profiteront. Beyerlinck, en rapportant
les difpofitions de Charles Martel dans la
bataille contre Abdérame , ne dit pas que Charles
eut ôté à fes troupes laretraite vers Tours ; mais
feulement qu’il leur fit entendre quelles ne dévoient
pas compter fur cette retraite.
P R É S E N C E D U P R I N C E .
Lorfque le fouverain fe trouve à l’aâion , il
faut pour fa garde un certain nombre des troupes
qui feroient quelquefois très utiles dans une partie
des lignes : c’eft ce qu’on éprouva dans la dernière
guerre de la ligue contre les deux couronnes,
la prifon du fouverain, on eft encore expofé â
de plus grands malheurs^, de la part dè ceux qui
gouvernent durant cette efpèce d’interrègne ; 8c
on peut dire que la défaite de l’armée n’eft pas
pour un état une perte aufli confidérable quê le
prince fait prifonnier. »
Lorfque David voulut fe mettre à la tête de fes
troupes pour combattre Abfalon , fes foldats l’en
empêchèrent , en lui difant : « vous ne fortirez
point ; le peuple fouffrira peu fi nous fommes
mis en fuite , ou qu’une partie de nous périffent ;
mais vous feul valez dix mille hommes : il eft
donc plus à propos que vous demeuriez dans la
ville. ». Le roi leur répondit je ferai tout ce qui
vous femblera bon. .
Quand le prince a lieu de craindre que, s’il vient
à perdre la bataille, il ne puiffe cohferver ni fon
armée, ni fes états ; il doit le montrer dans le
combat à la tête de fes troupes, & les y animer
par fes dïfcours & par fon exemple. Lorfque l’Empire
à la bataille de Luzara.
Si le prince eft fait prifonnier , l’état, pour le
racheter, fera forcé de faire une paix très avan-
tageufe pour le vainqueur. Nous en avons un
exemple dans François Ier. fait prifonnier a la ba- .
taille de Pavfe. S i on continue la guerre pendant i
& les provinces font en danger , dit Tacite ,
le prince doit être au combat. Rien n’eft plus
capable d’infpirer le courage aux troupes que la^
vue du fouverain. Quinte-Curce , parlant de la
valeur avec laquelle les armées d’Alexandre & de
Darius avoient combattu à la bataille d’Arbelle ,
nous apprend que chaque foldat regardentcomme
glorieux de mourir aux yeux de fon roi. Philippe V
fè mit à la tête de fes troupes à la bataille de
Villaviciofa ; prévoyant que, s’il la perdoit, fa
couronne étoit en un très-grand danger.
Lorfque l’événement du combat doit décider
un grand intérêt, tirez les garnifons des places,
pour renforcer votre armée. C ’eft ce que fit Amilcar,
| qui commandoit l’armée de Carthage, & Mathon ,
chef dès tkmpes révoltées ; lorfque les uns & les
autres , n’étant plus en état de foutenir la guerre ,
voulurent la terminer par une bataille. Alprs , dit
Polybe, ils appelèrent de part & d’autre au combat
tous ceux de leur parti , & tirèrent les garnifons
de toutes leurs places ; parce qu’il s’agifloit d’une
aélion qui devoit décider leur fort.
Quand je dis qu’il faut tirer des places les garnifons
, je fuppofe que les habitants de ces places
font fidèles & affez forts pour fe défendre contre
quelque coup de main : autrement, les ennemis, au
lieu d’en venir à une bataille, iroient prendre ces
places.
D I S P O S I T I O N
d e s T r o u p e s et d e s G é n é r a u x .
Si vous mettez votre armée en bataille , avant
que celle des ennemis approche, vous aurez le
temps, fans rien précipiter , de diftribuer vos
troupes, de reûifier dans l’ordonnance générale
quelques erreurs commifes par des corps qui au-
roient mal entendu vos premiers ordres , & d’exhorter
vos foldats à combattre avec valeur.
Un motif encore plus puiffant, qui doit vous
bâter pour mettre votre armée en bataille, eft le
danger de faire quelque mouvement confidérable,
à la vue des ennemis. L’armée des deux couronnes
courut le rifque d’être battue - a Luzara 9
parce qu’on ne commença de la mettre en bataille,
que lorfque celle des Impériaux étoit déjà proche.
Une des principales caufes. de la défaite de Philippe
de Valois, à la bataille de Créer, fut'que -ce
Prince voulut, en préfencé des ennemis, faire
paffer à fa première ligne un corps confidérable
de troupes qui * félon fa première difpdfition, occu-
poit un autre pofte. i A
La maxime que je viens d’établir paroit renfermer
un inconvénient , puifquen rangeant de
bonne heure votre armée pour le combat, vous
donnez plus de temps à l’ennemi pour connoitre
votre ordre de bataille, & plus de facilite pour
mettre à profit cette connoiffance & fe former de
le manière qu’il jugera la plus convenable. Il fera
aifé de remédier à cet inconvénient, & meme d en
tirer avantage ; fi vous réfervez jqfqu’a un certain
temps quelque chofe d’important,facile a changer,
qui oblige le général ennemi de prendre en votre
préfence d’autres mefures que celles qu’il avoit
prifes, fur le premier avis que fes efpions lui
avoient donné de votre ordre de bataille.
Guillaume de Naffau confeille de former les
troupes de manière que les ennemis fe voient
forcés de changer, à votre vu e , quelque chofe
dans leur ordre de bataille, afin de les charger pendant
ce mouvement.
Un changement important &,facile feroit, par
exemple, de mettre dès le commencement, comme
en troifième ligne, les régiments qui doivent en-
fuite être poftés ailleurs, & peuvent en un inftant
aller occuper les poftes qui leur font deftinés.
On objeâera peut-être qu’en mettant de fi bonne
heure l’armée en bataille, elle fera fatiguée enreftant
trop long-temps fous les armes ; comme celle de
Louis II, roi de Hongrie , à la bataille de Mohatz ,
qu’il perdit contre Soliman II. Les Hongrois , qui
dès le point du jour avoient été mis en ordre de
bataille, étoient excédés , lorfque Soliman , qui ne
fortit de .fon retranchement qu’à trois heures après-
midi, vint les attaquer.
Je demande feulement qu’on mette de bonne-
heure les troupes en bataille ; qu’enfuite on. les
laiffe manger & boire ; & , s’il y a-encore du temps
de r.efte, qu’on leur permette de s’affeoir, ou de
demeurer couchées auprès de leurs armes. On peut
même, par différents partis, tenir en allarme les
ennemis la nuit précédente , afin qu’ils ne prennent
pas le repos néceffaire : .c’eft ce que fit P. Quintius
contre les Eques & les Volfques;
Il fe peut encore que les ennemis, apprenant
que votre armée, eft déjà en bataille, fe perfuadent
qu’ils n’ont pas le temps de manger, & encore
moins de réparer par le fommeil la veille de la
-nuit précédente : fi vous les attaquez dans cet état,
vous pouvez efpérer un heureux fuccès*
Une armée auroit un grand avantage*, fi fon
ordre de bataille différoit peu de celui dans lequel
elle a déjà c om b a t tu & fi cette même difpofition
obligeoit les ennemis de prendre une ordonnance à
laquelle ils ne font pas accoutumés.
Achille Tarducci donne le même confeil.
Quinte-Curce , parlant de la manière dont les Indiens
commencèrent à combattre contre les
troupes d’Alexandre , dit que ce nouveau genre
de combat épouvanta les Macédoniens , qui n’y
étoient pas accoutumés.
L’ufage ordinaire eft que les officiers généraux
d’un même rang ont leur pofte dans chaque ligne*
félon leur ancienneté 4 c’eft-à-dire que le plus ancien
a la droite , le fécond la gauche , le troifième
eft plus vers le centre que le premier, le quatrième
plus vers le centre que le fécond, &. ainfi fucceffi-
vement.
La même chofe s’obferve à l’égard des brigades
d’infanterie, de cavalerie, & de dragons, avec
quelque différence relativement à chacun de ces
trois corps : la cavalerie a la droite des deux
lignes-, ou la droite &. la gauche de la première
ligne, ou la droite de la première & la gauche
de la fécondé ; mais elle conferve toujours le premier
pofte , quoiqu’il y ait des régiments de dragons
plus anciens. Les dragons occupent les ailes
que la cavalerie laiffe libres, & l’infanterie fe di-
vife en droite, gauche, & centre. On place au
centre les brigades les plus nouvelles ; & chaque
brigade, foit d’infanterie, de cavalerie, ou de
dragons, prend le nom du plus ancien des régiments
qui la compofent.
Quoique ce foit l’ufage ordinaire , on ne fe.fera
point une loi inviolable de l’obferver ; lorfque
le terrein d’une aile eft fort par fa nature , 61 que
celui de l’autre aile & du centre n^ font pas avantageux;
on mettra les meilleures brigades & les
généraux les plus expérimentés dans les poftes où
il y a le plus à craindre , & où l’on aura deffiein de
faire fon principal effort.
A la bataille de Pharfale, Pompée fe mit à la
gauche avec fes meilleures troupes ; parce que la
droite , qui étoit couverte par un ruiffeau difficile à
paffer , étoit plus en fureté.
On ne s’attachera pas toujours fcrupuleufement à
l’ancienneté des généraux ; & , luivant les opérations
, on préférera /quelquefois ceux qui ont fervi
dans l’infanterie , ou dans la cavalerie ; parce que
celui, par exemple , qui n’a fervi que dans la cavalerie
, fe trouvera fort embarraffé pour faire
manoeuvrer l’infanterie. Il faut dire la même chofe
de celui qui n’aura fervi que dans l’infanterie ,
lorfqu’il commandera la cavalerie. Cependant , en
plufieurs occafions , &. fur-tout dans les détachements
, il eft néceffaire que le commandant fçachê
j comment on doit conduire & faire agir l’une &
’ l’autre arme ; & je ne comprends pas par quel
motif, en avançant les officiers, on ne les fait
point paffer de l’infanterie aux emplois de la