
iix cents chevaux, pour aller porter la guerre en
Etrurie , en difant : « j’aime mieux les ramener
riches que d’emmener beaucoup de foldats ».
( L iv .L . io .) . Agéfilas demanda cinquante fpar-
tiates, trois mille affranchis, & fix mille alliés,
pour paffer en Aile Ôc faire la paix avec le roi de
Perfe , ou, fi le barbare vouloit la guerre, pour l’occuper
de forte qu’il ne fût pas tenté de la porter
dans la Grèce. ( Xenopk, ).
Les Lombards, peuple peu nombreux, entouré
en Germanie de plufieurs nations belliqueufes,
s*y maintenoit en fûreté , non par l’obéiffance St la
ioumiffion, mais par fon courage St fa viâoire.
( Tarit. Germ. ). Timur-bec répétoit fouvent ce
paffage du Coran ; « combien d'armées peu nombre
u{'es ont-elles vaincu avec l ’aide de D ieu , dés
armées compoféès d’un nombre infini de foldats » ?
Le courage St l’habileté augmente le nombre, St
le défaut de cés qualités militaires le diminue. Ce
n’eft pas la multitude qui fait la force, même dans
les peuples belliqueux ; c’eft l’art St la valeur. Dans
les petites armées l’ordre eft facile , St les fecours ,
prompts : celles qui font nombreufes, font plus
incommodées d’elles - mêmes que par l’ennemi.
( Jofeph. de Bell.jud. L. 111. ).
Ce n’eft pas le nombre, dit Végece, qui donne
la vi&oire. Ces peuples innombrables armés par les
rois d’Afie fe font écoulés , pour ainft dire, comme :
des torrents. Ils ont moins fuccombé -fous l’art St ’
la valeur de leurs ennemis, que fous le poids de :
leur nombre. En effet, une -grande armée réunit |
beaucoup d’embarras. Ses marches font lentes ; fes j
longues colonnes font harcelées par un petit nombre
d’ennemis ; fes bagages toujours nombreux font
expofés aux paffages des rivières St des défilés.
Agéfilas revenant d’A fie , fit en moins d’un mois la
même route que Xercès avoit fait dans une année.
Il eft difficile de trouver affez de fourrages pour
une fi grande multitude de chevaux 8t de bêtes de
charge , affez de vivres St d’eau pour un fi grand
nombre d’hommes, témoin celle de Xerxès, qui
defféchoit, dit - on, les rivières, 8t fon général
Mardonius , qui fut contraint de ravager les terres
des Thébains fes alliés, non par vengeance ni
haine,mais par la difette, qu’il eft fi effentiel d’éviter
dans toute expédition.
La terreur fe communique plus rapidement dans
une armée trop nombreufe ; le défordre y eft irréparable,
les aéfions de, valeur moins connues, celles
de lâcheté plus cachées, la fuite plus longue, la dif-
perfion infiniment plus étendue,le carnage pour ainfi
dire fans borne, ainfi que touts les avantages de Y armée
viéforieufe. Les anciens, inftrüits par l’expérience,
fource unique de nos lumières, vouloient
des armées, non pas nombreufes, mais rendues ro-
buftes par l’exercice & la difcipline. Dans les guerres
moins confidérables , les Romains employaient dix
mille hommes de pied & fix cents chevaux ; falloit-
il combattre un ennemi puiffant ? ils envoyoient
vingt mille fantaffins Ôc douze cents cavaliers, En !
des cas plus preffants deux armées marchoient, St
il étoit ordonné que chacun des généraux, ou touts
deux enfemble veillaffent à ce que la république
ne reçût aucun dommage. Quoiqu’elle eut touts
les ans de nouvelles guerres en-différents pays,
elle avoit toujours des troupes fuffifantes pour
attaquer, ou pour fe défendre ; parce qu’elle for-
moit des armées peu nombreufes, mais exercées ÔC
aguerries.
Nos écrivains militaires ont touts approuvé ces
maximes des anciens. Un des plus célèbres a dit :
u les mauvais généraux cherchent toujours à réparer
par le nombre le défaut de courage ôc d’intelligence.
Ils n’ont jamais affez de troupes : ils
épuifent toutes les garnirons ôc touts les vivres ,
pour grolfir Ôc faire fubfifter leur armée. Les grands
capitaines au contraire, font des prodiges avec peu
de troupes. Nous voyons Marcellus, à la tête
d’une petite troupe de cavalerie, défaire une
armée gauloife très nombreufe ; nous voyons Ser-
torius , avec cinq ou fix mille hommes, fe foutenir
dans fes montagnes "contre Pompée, ôc plus de
cent vingt mille hommes; ôc en des temps plus
voifins de nous, Henri I V , toujours vainqueur
avec des forces inférieures ; du Guefclin délivrant
des Anglois la France , quoiqu’il eut peu de
| troupes ; toujours plus foible que fes adverfaires,
: quant au nombre, & toujours iupérieur, quant aux
fuites de fes mouvements. Quels efforts ne fit-on
pas, quelles prodigieufes forces ne mit-on pas en
campagne, pour réduire Zifca , ce grand capitaine ,
qui, avec vingt ou vingt-cinq mille hommes-, eut
le courage d’en attaquer cent mille, & la gloire de
les difliper ?
Tout fe réduit au petit dans la décifion des
batailles entre deux grandes armées , parce qu’il fe
trouve rarement des plaines capables de contenir
des forces fi prodigieufes. Dans une aéfion, la
plus grande partie demeure inutile, pendant que
le petit nombre décide de tout dans le terrein qu'il
peut remplir de part & d’autre. Si on m’objé&è
que chacun des deux partis peut combattre fur
plufieurs lignes redoublées, qui fe fuccéderont
les unes, aux autres dans le. -combat, c’eft fup-
pofer une chofe qui n’arrive prefquë jamais, &
dont nous n’avons même aucun exemple dans les
anciens : on peut bien s’imaginer que les modernes
n’en fourniront pas non plus. Deux lignes peuvent
bien fe fuccéder, c’eft-à-dire la fécondé à la première
qui n’aura pu réfifter au choc de celle qui
lui eft oppofée ; comme cela s’eft vu à la bataille
de Lens, (iV*. ôc dans plufieurs des Romains.).
C ’eft un de ces phénomènes militaires qu’il n’appartient
qu’au grand Condé de faire paroître : car
fa première ligne fut totalement défaite. Je paffe
une ligne renverfée Ôc battue , ôc le mal réparé
par la fécondé ; mais une troifième , une quatrième
, & une cinquième , qui racommode tou t,
& qui remporte la viftoire après la déroute des
quatre autres; voilà ce que nous n’avons jamais
vu ni oui dire. Les Romains nous fourniffent
quelques exemples des haftaires ôc des princes
battus,mais non pas totalementils fe remettent de
leur défordre à la vue des triaires. Les modernes
ne nous en fourniffent aucun ; la raifon en eft évidente
: c’eft qu’il s’en faut bien que nos loix militaires
ne foient auffi parfaites que celles des Romains.
C ’eft tout ce qu’on peut demander de la
difcipline la plus exaéle, du courage Ôc de l’expérience
du foldat. Il faut de tout cela pour le rendre
capable de femblables manoeuvres. Quelle conduite
, quel fens-froid dans l’aélion, ôc quelle capacité
ne faut-il pas dans un général qui fçait combattre
de la forte !
Quoique nous nous fuflions rangés fur cinq ou
fix lignes en-deçà de la trouée de Malplaquet, ôc
que nous en euflions formé tout autant à notre
gauche , vis-à-vis ôc le long du bois ; il n’y a qui
que ce foit de ceux qui s’y font trouvés comme
moi , qui ofe me foutenir qu’elles ont toutes combattu.
Il y eut beaucoup de.fpeâateurs d’une très
grande volonté , ôc peu de ceux qui la- fatisfirent.
La maifoii du roi fe fit prefque toute affommer, Ôc
chargea toujours, fans ceffe & fans relâche, fans
qu’on pensât à faire fuccéder de nouvelles lignes à
cette première , qui foutint touts les efforts &
toutes les charges des corps ennemis , après que
l’infanterie qui bordoit le retranchement de la
trouée d’entre les deux bois , eut quitté partie fans
trop grand fujet, ou pour mieux dire, fans aucun ;
ailleurs l’infanterie, fi on en excepte deux,ou
trois corps de la gauche, donna toutes les marques
du courage le plus intrépide, fans qu’on s’apperçût
qu’on fît combattre le corps tour-à-tour. On oublia
auffi les dragons.
Les ennemis formèrent plus de douze lignes
redoublées dans la trouée, après nous avoir chaffés
du 'bois où nous avions notre gauche, par la
fupériorfté de leur nombre , ôc la.faute de quelques
régiments, qui lâchèrent le pied. Celui qui prétendra
que ces lignes fe font fuccédées les unes aux
autres, ne s’eft pas trouvé à cette bataille., ou s’y
eft trouvé fans la voir.
On pourroit prouver par un bon nombre
d’exemples, tirés de la guerre de 1701, où l’on vit
des armées formidables de part & d’autre, que ,
dans prefque toutes les aétions qui fe font paffées ,
ce n’eft pas le grand nombre qui a remporté la
viâoire. A-t-on remarqué que le combat ait volé
d’une aile à l’autre, ôc fur tout le front d’une
ligne ? Combien de corps d’infanterie ôc de cavalerie
font reftés les bras croifés à Hochftedt, à
Ramillies, à Oudenarde, & prefque p a r -to u t,
. cpmme à Malplaquet? La France a-t-elle jamais
mis fur pied de plus grandes' armées que celles qui
ont paru fous le règne de Louis-le-Grand, ôc en
particulier dans la dernière guerre qui a fermé fon
règne ? Les alliés contre la France ont-ils fait de
moindres -efforts%Ils en ont même fait de plus
grands. Les victoires ou les défaites ont-elles dépendu
du grand nombre ? Remontons deux, trois ,
quatre fiècles plus haut : pouffons, fi l’on v e u t,
jufqu’aux plus reculés; on verra la même chofe ,
ou peu s’en faut ».
Turenne difoit qu’une armée qui paffoit cinquante
mille hommes, devenoit incommode au
général qui la commandoit, & aux troupes qui la
compofoient. Si l’autorité de ce grand homme pou-
voit fouffrir quelque contradiéHon, ce feroit par
l’opinion du généraL, qui mit le comble à fa gloire
en balançant fes fuccès.
a Les plus grands capitaines, dit Montécuculli,
ont toujours eu de grandes armées , quand ils ont
voulu faire de grandes chofes , parce que les moyens
doivent être proportionnés à la' fin. Alexandre fe
mit en campagne avec cent vingt mille combattants
pour la guerre des Indes. Les confuls romains
en avoient quatre-vingt-fept mille à Cannes. G o -
defroi de Bouillon mena contre les Sarafins trois
cents mille hommes de pied, ôc cent mille chevaux.
L’an 1532, Üempereur Charles V eut une
armée de quatre-vingt-dix mille hommes de pied ,
ôc de trente mille chevaux, ôc l’an 15 66 , l’empereur
Maximilien II fe mit en campagne avec vingt-
cinq mille chevaux, Ôc quatre-vingt mille hommes
de pied ; & il avoit outre cela un grand nombre de
, barques fur le Danube. Charles V affiégea Metz
avec quatre-vingt mille hommes. La Noue demande
pour la guerre du Turc quatre-vingt mille
chevaux , cinquante mille fantaflïns , dix mille
pionniers, ôc dans un autre endroit il veut cent
vingt mille combattants. Quelles puiffantes armées
nous avons vues de notre temps, fous les en feignes
de l’empereur dans le Holftein, l’an 1638 , ôc en
Bourgogne l’an 1637, contre des ennemis bien
moins puiffants, ôc moins fiers que le Turc ? Se-
roit-il infpoflible de faire ce qui s’eft fait autrefois
? De l’aéte à la puiffance, la conféquence eft
infaillible.
Le premier ôc le principal avantage du Turc eft
le nombre exorbitant de fes troupes : car, fup-
pofé que chaque partie agiffe, & ne demeure pas
inutile ; il ne fe peut faire qu’en multipliant les
agens , on ne multiplie les efforts, ôc par confé-
quent les effets.
Soliman entra en Hongrie , en 1526, avec trois
cents mille hommes, trois cents pièces de canon,
comme on l’apprit par un transfuge qui le fçavoit
en détail.1 Le même Soliman s’avança jufqu’à Vienne,
en 1529, avec cent cinquante mille combattants,
ôc cent foixante vaiffeaux fur le Danube , fans
compter les petites barques. L’an 159 4, Sinan ,
Bacha, avec cent vingt-cinq mille combattants ,
ôc quatre-vingt pièces de canon , mit en défordre
le camp de l’Archiduc Mathias , ôc prit Javarin :
ôc , deux ans après , Mahomet III , avec une armée
de deux cents mille hommes , attaqua Agria , à
la vue du camp des Chrétiens, ÔC la prit.
Cette multitude eft juftement ce que nous appelions
puiffance, parce que le plus grand nombre
o ij