celui qu’on appelloit le vceu du paon ou du fai-
fan. Ces noblesoifeaux, ( car on les’qüalifioit ainfi),
repréfentoierit par l’éclat & la variété de leurs couleurs
, la majefté des rois & les fuperbes habillements
doqt ces monarques étoient parés , pour
tenir ce que l’on nommoit tinel, ou cour plénière.
La chair du paon ou du faifan étpit, fi l’on
en croit nos vieux romanciers , la- nourriture particulière
des preux & des amoureux. Leur plumage
avoit été regardé par les dames de Provence .,
comme le plus riche ornement dont elles puffent
décorer les troubadours. Elles en avôient tiffù les
couronnes qu’elles donnoient , comme la récom-
penfe des talents poétiques, confacrés alors à célébrer
la valeur & la galanterie. Enfin, félon Mathieu
Paris , une figure de paon fervoit de but aux
chevaliers qui s’exerçoient à la courfe des chevaux ,
& au maniement de la lance. Le jour que l’on devoir
prendre l’engagement folemnel, un paon ou
bien un faifan , quelquefois rô t i, mais toujours
paré de fes plus belles plumes , étoit apporté ma-
jeflueufement par des dames ou par des demoi-
felles, dans un grand baffin d’or ou d’argent, au
milieu de la nombreufç aflemblée des- chevaliers
convoqués. On le préfentoit à chacun d’eux, &
chacun faifoit fon voeu fur l’oifeau : enfuite on
le portoit fur une table , pour être diftribué à
touts les affiliants. L’habileté de celui qui tranchoir
confiftoit à le partager de manière que touts puffent
en avoir. L’auteur-de l’ouvrage intitulé , les voeux
du paon , qui, tout romancier qu’il e f l , n’av-ance
rien en cela que de vraifemblable, nous apprend
que les dames ou demoifelles choififfoient un des
plus braves de Faffemblée pour aller avec elles
porter le paon au chevalier qu’il eflimoit le plus
preux. Le chevalier choifi par les dames mettoit
le plat devant celui qu’il croyoit mériter la préférence
, coupoit l ’oifeau & le diflribuoit fous
fes yeux. Une diftin&ion fi glorieufe , attachée à
la plus éminente valeur, ne devoit s’accepter qu’a-
près une longue & modefte réfiftançe. Le chevalier
à qui l’on déféroit l’honneur d’être reconnu
pour le plus valeureux paroiflbit toujours croire
qu’il l’étoit moins que perfonne.
On faifoit plus de chevaliers pendant la guerre
que pendant la paix ; mais en temps de guerre , la
chevalerie fe conféroit d’une manière plus expéditive
& plus militaire. On préfentoit fon épée
par la croix ou la garde , au prince ou au généra1
de qui on vouloit recevoir lacolade : c’étoit tout
le cérémonial. Peut-être même n’exigeoit-on fouvent
d’autres titres que les titres perfonnels d’une valeur
reconnue ; peut-être auffi cette efpèce de chevalerie
ne donnoit-elle que des droits & des privilèges
attachés à la perfonne , & qui ne paffoient
point des pères aux enfants; & , fans doute, elle
n’impofoit point l'obligation de prêter ferment.
Il n’arrivoit point à la guerre d’événements de
quelque .importance , qui ne fut ou précédé ou
fuivi d’une promotion de chevaliers. L’entrée ou
le débarquement des armées & des flottes dans
le pays ennemi, les marches, les retraites, les
partis envoyés en a v a n t l e pâffage des ponts &L
dés rivières , l’attaque ôt la défenfe des places ,
de leurs fauxbourgs , des paliffades, des barrières 9
des châteaux, des donjons ; les forties, les em-
bufcades, les chocs, les rencontres ou les batailles ,
tant fur terre que fur mer ; toutes ces çirconftances
de la guerre fufçitoient continuellement à l’état de
nouveaux défenfeurs , fous lé titre de chevalier ,
qùi leùr étoit accordé comme un gagé du de,fur
qu’ils avoient de répandre leur fang pour la patrie >
ou comme le pri^de celui qu’ils avoient répandu.
Les avantages fenfibles qu’on retiroit des promotions
les rendirent très fréquentes & très nombreu-
fes. Plufieurs centaines de chevaliers furent créés du
temps de Charles V I au fiège d’une feule place „
& le règne de Charles V I I , règne fécond en événements
, fit naître un peuple de chevaliers. C ’eft:
à la chevalerie que nous fumes redevables du recouvrement
de nos provinces ’..jamais elle ne fut
plus en honneur parmi nous ; jamais auffi la gloire
du nom françois ne fut portée à un plus haut degré.
La France & l’Angleterre , fi longtemps ennemies
, virent fouvent alors, même dans les temps
de trêve ou de paix, leurs champions prendre les
armes les uns contre les autres, non pour défendre
& attaquer des villes & des provinces, mais pour
un intérêt qui leur étoit encore plus fenfible , pour
foutenir la prééminence de valeur fans ceffe disputée
entre les deux nations. On vit des duels ou
des combats particuliers , à nombre égal de plufieurs
chevaliers & écuyers françois contre des
Anglois ou des Portugais , q u i, abufant du prétexte
de combattre pour l’honneur des dames ,
pfenoient parti dans la querelle de ceux-ci. Ces
défis furent fouvent terminés à notre avantage ;
mais toujours de part & d’autre à l’honneur de la
chevalerie.
La gloire que notre nation s’efl acquife dans
ces combats fut celle de quelques champions particuliers
: il faut voir dans l’hiftoire les communs
efforts que fit le corps entier de cette milice pour
l’honneur & la défenfe de l’état. Il y paroît couvert
de gloire , non feulement au temps heureux
de fes fuccès & de fa plus grande fplendeur, mais
en cés temps malheureux , où nos ennemis iroient
eux-mêmes choifirles preuves les plus triomphantes
pour décider de la fupériorité de leurs armes fur
les nôtres , c’eft-à-dire pendant les règnes du roi
Jean, & de fes trois fucceffeurs.
Comme la chevalerie s’étoit toujours étudiée à
préfenter dans les tournois un tableau fidèle des
travaux & des périls de la guerre , elle avoit
confervé, dans la guerre même, une image de
la courtoifie & de la galanterie qui règnoit dans
ces ieux. Le defir de plaire à fa dame , & de
paroitre digne d’elle, étoit pour un chevalier, dans
les véritables combats comme dans les combats fi-
mulés, un autre motif qui lè portoit aux actions,
héroïques, & mettoit le comble à fon intrépidité.
Combien de fois ne vit-on pas à la guerre des
chevaliers prendre les noms de pourfuivants d’amour
, & d’autres titres pareils, fe parer du portrait,
de la devife, & de la livrée de leurs maî-
treffes, aller férieufement dans les fièges, dans les
efcarmouches, & dans les batailles, offrir le combat
à l’ennemi, pour lui difputer l’avantage d’avoir une
dame plus belle & plus vertueufe que la fienne,
& de l’aimer avec plus de paffion. Prouver la fupériorité
de fa valeur, c’étoit alors prouver l’excellence
& ,1a beauté de la dame qu’on fervoit, & de
qui l’on étoit aimé! On fuppolbit que la plus belle
de toutes les dames ne pouvoit aimer que le plus
brave de touts les chevaliers ; & le parti du vainqueur
trouvoit toujours fon avantage dans cette
heureufe fuppofition. Mais le pôurroit-on croire,
fi l’on n’avoit pas le témoignage des hiftoriens &
des romanciers ; pourroit-on fe perfuader que des
affiégeants & des affiégés, au fort de Faction, ayent
fufpendu leurs hoftilités , pour faiffer un champ libre
à des écuyers qui vouloient immortalifer la beauté de
leurs dames en combattant pour elles ? C ’ëft ce
qu’on vit au fiège du château de Touri en Beauce ,
luivant Froilfart. Imaginera-t-on aifément que :
dans le feu d’une guerre très vive des efcadrons
de chevaliers & d’écuyers françois & anglois , qui
s’étoient rencontrés près de Cherbourg en 1379 ,
ayant mis pied à terre pour combattre avec plus
d’acharnement , arrêtèrent les tranfports de leur
fureur, pour donner à l’un d’entre eux , qui feul étbit
refté à cheval, le loifir de défier celui des ennemis
qui feroit le plus amoureux ? Un pareil défi ne
manquoit jamais d’être accepté. Les efcadrons demeurèrent
fpeâateurs immobiles des coups que fe
portoient les deux amants ; & l’on n’en vint aux
mains qu’après avoir vu l’un d’eux payer de fa vie
le titre de ferviteur , qu’il avoit peut-être obtenu
de fa dame. Ce combat fingulier fut fuivi d’une
aétion des plus fanglantes ; & Froiffart, pour donner
plus de poids à fon récit, ajoute : ain(i allaf cejle
befogne, comme je fu adonc informé.
L’efprit de galanterie, l’ame de ces combats,
dont l’hiftoire nous fournit des exemples fans
nombre , ne s’étoit point encore perdu dans les
guerres d Henri IV & de Louis XIV. On y faifoit '
quelquefois le coup de piftolèt pour l’amoür &
pour Fhonneur des dames : au fiège d’une place
on vit un officier, ble.ffé à mort , écrire fur un
gabion le nom de fa maîtreffe, en rendant le dernier
foupir.
Outre le prix que l’on décernoit au plus brave
chevalier du jour , quelquefois au fortir d’un combat
, d’un affaut, ou d’une autre aélion , on don-
noit aux autres guerriers qui s’étoient fignalés dés
chaînes d’or qu’ils pendoient à leur co l, & dont
les chaînons étoient multipliés à proportion de leur
mérité. Louis XI donna une lignification allégorique
à ce préfent dans l’occafion fuivante. Par La
payuedieu, dit-il en préfentant une chaîne d’or de
| cinq cents écus au brave Raoul de Launoi ypar la
paquedieu , mon ami , vous êtes trop furieux en un
combat : il vous faut enchaîner ; car je ne veux point
vous perdre , dejîrant me Jervir de vous plus d’une
1 . C’eft: ainfi que la politique romaine avoit diver-
fifié les bracelets, les couronnes, les colliers , Sc
les autres diftinétions militaires , fuivant les différentes
efpèces de fervices rendus à la patrie , & les
différents degrés de valeur.
Celles que Fon accordoit à nos chevaliers, peut
être , d’après les Romains, dont il femble que l ’on
avoit emprunté plufieurs ufages , étoient d’autant
plus flatteufes , qu’ordinairement elles fe diftri-
buoient fur le champ de bataille : en de telles cir-
conftances elles ne pouvoient être données à la
faveur, à l’intrigue, & à l’importunité. Un mouvement
fubit cFeftime 6c d’admiration , à la vue des
aérions éclatantes ; eft une forte d’infpiration infaillible
contre laquelle l ’envie n’ofe réclamer.
Si la politique fçavoit habilement mettre en
oeuvre & l’amour de la gloire, & celui des dames ,
pour entretenir des fentiments d’honneur & de
bravoure dans l’ordre des chevaliers ; elle fçavoit
auffi que le lien de l’amitié, fi utile à touts les
hommes , étoit néceffaire pour unir tant de héros,
entre lefquels une double rivalité pouvoit devenir
une fource de divifions préjudiciables à l’intérêt
commun. Cet inconvénient, trop fouvent fatal aux
1 états, avoit été prévenu par les fociétés ou fraternités
d’armes , formées entre les enfants de la
chevalerie. Je crois avoir entrevu que ceux qui
Fâvoient conférée étoient regardés comme autant
de pères de familles ; les confeillers ou affiliants ,
comme les parrains des nouveaux chevaliers , &
ceux-ci comme les enfants d’un même père. Mais
on voit des affociations plus marquées entre des
chevaliers qui devenoient frères ou compagnons
d’armes, comme on parloit alôrs. L’eftime ou la
confiance mutuelle donnoient la naiffance à ces
engagements. Des chevaliers qui s’étoient fouvent
trouvés aux mêmes expéditions , concevoient l’un
pour l’autre cette inclination dont un coeur vertueux
ne manque guère d’être prévenu, quand il
trouve des vertus femblables aux fiennes. Dans le
defir de fortifier des tiens fi naturels, ils s’affocioient
pour quelque haute entreprife qui devoit avoir un
terme fixe , ou même pour toutes celles qu’ils pour-
roient jamais faire ; ils fe juroient d’en partager
également les travaux & la gloire, les dangers &
le profit, & de ne fe point abandonner tant qu’ils
auroient befoin l’un de l’autre. ( Voyez A rmes ,
F rate rn it é d’ ).
Il n’y avoit point de contrée où la chevalerie
ne travaillât utilement pour le public ou pour les
particuliers. Rien n’étoit ni petit ni méprifable aux
yeux d’un chevalier, lorfqù’il s’agiffoit de faire le
bien. A voit-il dans fes voyages ou dans fes expéditions
reçu Fhofpice ou quelque affiftance de
l’homme de la plus vile condition , la reconnoi£-