
de la droite entra dans le retranchement par la
partie oh il n’y avoit que des charriots d’artillerie
pour en fermer l’entrée 3 foit parce qu’on n’avoit
pas eu le temps d’y élever un retranchement , foit
parce que M. le prince d’Orange avoit voulu le
ménager cette ouverture allez étendue , pour faire
fortir fa cavalerie fur l’infanterie françoife , lorf-
qu’elle auroit été mife en défordre par le grand
feu de fon artillerie, Ôc de fon infanterie placée
dans Nerwinden & fur le front retranché. En
même - temps l’infanterie de la droite de l’armée
du roi attaqua le village de Romfdorff Ôc le front
de la gauche , Ôc dès-lors la confufion Ôc le défordre
fe mirent tellement par tout le front de
l’ennemi, faute de fond comme je l’ai d it , qu’il
ne fut pas polïible à M. le prince d’Orange de
faire charger les troupes du r o i , au moins avec
un corps allez confidérable pour les renverfer.
Ainfi ce prince fut obligé de fuir avec tout ce
qui lui reftoit de cavalerie qui n’avoit point combattu
, Ôc qui étoit en potence à fa gauche. Quant
à celle de la droite, qui comme je l’ai d it , étoit
fur plufieurs lignes fort ferrées , elle périt prefque
entièrement dans la Gèthe , où elle fut renverfée
par la cavalerie de l’aile gauche : ainfi toute l’infanterie
ennemie de la première ligne fut ou tuée
ou prife.
Cet exemple fait voir qu’il ne fuffit pas pour la
bonté Ôc la fureté du camp 3 principalement lorsqu'on
veut y attendre un ennemi qui cherche à
combattre , que ce camp foit bon & retranché par
le front, Ôc qu’il ait même fes ailes couvertes &
protégées ; qu’il faut aufli qu’il ait fuffifamment de
fond, pour y faire fans embarras, & avec une
aifance .entière , touts les mouvements convenables
pour la prote&ion du frontretranché que l’on veut
défendre. Il faut même s’être réfervé intérieurement
un champ de bataille , & un terrein capable
de faire marcher toute la ligne de front, pour
charger l’ennemi, qui ne peut avoir forcé le retranchement
, fans être un peu en défordre ; afin
qu’il n’ait pas le temps de fe former en dedans
du front forcé , Ôc que ce terrein intérieur foit
fuffifant pour y rallier & former les troupes ,
qui auront été forcées d’abandonner le retranchement.
M. le duc d’Orléans m’a fait voir le plan d’un
camp qu’il a pris en Catalogne. A la première
infpeÊtion il m’a paru fort hafardeux Ôc contre
toutes les bonnes règles ; mais je l’ai trouvé fçavant
êc judicieux, quand il m’en a expliqué les raifons.
C e prince étoit obligé de tirer fon pain de Ba-
lagucjr , avec la contrainte de ne pouvoir s’en
éloigner hors de la portée de faire fes convois en
un jour, par le manque d’équipages pour les vivres.
Il falloit aufli qu’il ménageât allez de fubfiftances
à fa cavalerie, pour demeurer dans cette Situation
plus longtemps que l’ennemi ne pouvoit relier près
de lui. M. de Staremberg étoit campé fur le Scio ,
à trois lieues au - defïùs du camp que M. le duc
d’Orléans avoit réfolu de prendre, pour les deux
raifons dont je viens de parler.
Il étoit donc quefiion d’avoir les eaux du S cm
pour l’armée , Ôc les fourrages des deux côtés de
cette petite rivière ou ruifleau , oc de protéger les
convois de Balaguer.
Pour fe donner touts ces avantages, M. le duc
d’Orléans imagina de mettre le cours du Scio entre
fes deux lignes , Ôc de faire tête aux deux plaines,
d’un côté pour la commodité de fes convois, Ôc
de l’autre pour celle de fes fourrages. Il porta, pour
cet effet, la droite de la première ligne à un village
qui étoit fur une petite hauteur , Ôc fit retrancher
ce village. Il y mit une brigade d’infanterie
, ôc la gauche de la fécondé ligne vis-à-vis
du village, où il y avoit un polit de pierres. Au
refie , il fit faire tout le long du ruifleau deux
ponts par bataillon Sc autant par efcadron , pour
que réciproquement les deux lignes puflent fe
communiquer par les derrières de leur cainp.
Dans cette pofition l’armée ne paroifloit pré-
fenter à l’ennemi que le flanc droit de fa première
ligne , & le flanc gauche de la fécondé.
Si M. le duc d’Orléans avoit été obligé de recevoir
l’ennemi dans cette difpofition , fans la
pouvoir changer 3 elle auroit été très mauvaife;
mais il remédia fagement à cet inconvénient par
le champ de bataille qu’il fe procura également des
deux côtés du ruifleau.
Il fit du village de la droite comme le point de
fa droite ÔC de fa gauche , Ôc trouva dans la difpofition
du pays , 6c par les communications qu’il fe
procura , le moyen de faire de ce village la droite
du front de fon armée , en cas que l’ennemi marchât
à lui par un côté de la petite rivière , ou la
gauche du même front de l’armée , en cas qu’il
vint par l’autre côté.
A in fi, les deux flancs de la droite 6c de la gauche
de la première 6c de la fécondé ligne étant éga-
j lement couverts 6c aflùrés , il étoit évidemment
vrai que ce prince ne pourroit manquer de temps
pour prendre fon champ de bataille par une efpèce
de quart de converfion des extrémités éloignées de
ce village, qui en faifoit le point central.
Ce camp efl pourtant fi bizarre que, pour en
prendre un pareil, il faut avoir toutes les raifons
que M. le duc d’Orléans avoit pour camper ainfi
fon armée, Sc trouver même d’ailleurs un pays
fufceptible de l’avantage de pouvoir porter les
troupes à ce champ de bataille , par un mouvement
aufli grand que paroît devoir être celui de cette
efpèce de quart de converfion du front entier d’une
armée. Cependant il faut convenir que l’avantage
bien reconnu de ce camp bizarre marque en ce
prince beaucoup de lumières pour la guerre , ôt
un jugement folide.
En l’année 1709 les camps pris en Flandres par
M. le maréchal de Villars ont été fort judicieux ,
jufqu’à celui de Malplaquet, où i} a été forcé de
I combattre.
Je bornerai mes réflexions fur les camps retranchés
à ceux que j’ai vus , ôc dont aucun p’a été
attaqué', fi ce n’efl celui de Schaleinberg fous
Donawert : je vais en dire la raifon.
Nous tenons des Turcs l’ufage des camps retranchés
fous les places. La conftruélion des nôtres efl
à la vérité bien différente de celle de leur palanques.
Mais c’efl parce qu’ils font la guerre différemment
de nous.
Leur maxime efl de ne s’attacher qu’à la con-
fervation d’une feule grofie place dans une tête du
.pays , ôc de ne munir abondamment que cette
place. Comme ils ont pourtant befoin, pour leurs
guerres de campagne , du couvert qu’ils trouvent
dans les autres villes, qu’ils ne veulent point garder,
afin d’avoir leurs armées plus nombreufes ; ils fè
font prefque toujours contentés de les conferver
par des palanques ou forts, entourés de bons foffés,
avec des parapets palifiadés , mais fouvent fans
flanc , ôc lans attention fur la régularité de la fortification.
Nous avons trouvé que cet ufage étoit bon , 6c
nous y avons ajouté la régularité dans leur confi-
truâion , au moins autant qu’on l’a pu faire , fans
une trop grande augmentation de dépenfè.
M. le maréchal de Vauban en a propofé l’ufage
ÔL la conftruélion pour la proteélion de plufieurs
places ; peut-être en a-t-il même trop propofé ,
pour qu’ils puflent être utiles : je voudrais être
réfervé fur cette efpèce de fortification , & autant
que je la crois excellente dans certains cas, autant
luis je perfuadé qu’elle feroit pernicieufe , fi elle
étoit multipliée.
La raifon en eft évidente. C ’efl qu’un camp retranché
s’il n’eft fuffifamment gardé, eft plus préjudiciable
a la place qu’il doit protéger qu’il n’eft
profitable 3 6c que, fi l’on fait plufieurs camps retranchés
, qui foient fuffifamment pourvus , on n’a
plus d’armée en campagne.
Le premier camp retranché que j’aye vu a été
celui que M. de Luxembourg fit faire en fannée
1672 , pour couvrir le fauxbourg d’Utrecht du
cote de la Hollande. Ce général avoit une nom-
breufe cavalerie , à laquelle il ne pouvoit donner le
couvert dans la ville , 6c la failon n’éioit pas encore
affez avancée pour lui faire prendre des quartiers
d’hiver. Il fit retrancher tout le fauxbourg , 6c mit
avec la cavalerie quelques bataillons pour la garde 3
ce qui le rendit fûr.
En 1677 , on fit un camp retranché fous Brifack
dans une île du Rhin, que depuis on a nommée
la ville de Paille. Ce camp n’avoit de retranchement
que du côté de l’Alface, 6c la fortification
n etoit qu un parapet qui régnoit le long du Rhin 3
parce que 3 quand le fleuve étoit dans Ion lit ordinaire
, il n y avoit que fort'peu.d’eau dans ce bras,
, , tlu^1, 1 *ans Parapet le camp retranché auroit
été infultable dans le temps des baffes eaux.
Il avoit été fait pour deux ufages : l’un , pour
y placer un plus gros corps de troupes que celui
qui auroit pu être contenu dans les logements 6c
dans les caferhes de la place , aufli long temps qu’il
pourroit être avantageux d’avoir un corps confidérable
à Brifack : l’autre pour la commodité des convois
de vivres , dont les chevaux 6c les chariots fe
tenoient dans ce camp , lorfque l’armée du roi
etoit en deçà du Rhin , ôc qu’il çonvenoit de tirer
le pain de Brifack : ce qui n’auroit pu fe faire com-
modément, ôc fans interrompre l’ufage du pont,
s’il avoit été embarraffé par des charriots.
Ce camp a toujours été fûr avec ce fimple parapet
le long du bas Rhin-, parce qu’il étoit du côté par
lequel il ne pouvoit être abordé par l’ennemi ,
à moins qu’il n’eût été en-deçà^du Rhin avec toute
] fon armée.
Le troifième camp retranché que j’ai vu efl celui
de Liège , conftruit par les ordres du roi d ’Angleterre
Guillaume de NafTau , pour protéger cette
grande ville , qui n’auroit pu être fortifiée fans des
dépenfes immenfes , ôc pour couvrir fa petite citadelle
, qui eft du côté du Brabant.
Ce camp placé fur la hauteur , au-devant de !a
citadelle , étoit bon. Ses foffés étoient larges ôc profonds
, 6c les parapets à l’épreuve. J’y ai vu jufqu’à
quarante bataillons 6c autant d’efcadrons.
M. de Luxembourg s’approcha de ce camp en
ÏÔ93 , faifant toutes les démonftrations de le vouloir
attaquer 5 mais ce n’étoit que pour engager
l’ennemi à y faire encore entrer de nouvelles
troupes : ce qui réuffit , 6c donna occafion à la
bataille de Nerwinde.
Ainfi ce camp n’a point été attaqué. S’il l’avoit
été , 6c qu’il eût été emporté , il eft certain que la
perte de Liège auroit fuivi fur le champ la perte
du camp retranché 3 ce qui eft toujours un grand
défaut dans cette efpèce de fortification , d’en faire
le capital, 6c de ne le pas difpofer, de forte que
la facilité de la défenfe de la ville qu’il couvre ou
protège en foit l’effet néceffaire.
Le quatrième camp retranché que j’ai vu eft celui
que les Efpagnols avoient commencé à la tête du
château de Namur, ÔC que nous avons négligé de
mettre à fa perfeélion, après avoir pris cette place
en 1692. " v; •
La fituatibn de ce camp eft fort avantageufe , Ôc
il ne peut être incommodé du canon de l’ennemi
que fort difficilement. Son flanc droit étoit protégé
en partie par la v ille , 6c par les ouvrages extérieurs
du çhâteau qui font du côté de la fambre ÔC
au-dedans de ce camp. Le flanc gauche va jufqu’au
haut de la montagne, dont le revers eft impraticable
, pour peu qu’on y voulût travailler 3 6c la
tête en feroit excellente , fi on achevoit fon folle ,
6c fi on étendoit fur ce front quelques redoutes à
l’épreuve 6c garnies de canon.
Comme on n’avoit pris aucune de ces précautions,
lorfqu’en 1695 Namur fut attaqué par nos
ennemis , 6c défendu par M. le maréchal de Bouf