
être défendue fous des peines très graves : il eft
fouvent plus avantageux de faire prifonnier un habile
général, fur - tout en un jour de bataille , que
de conquérir une province.
Plufieurs laiffent aller les prifonniers fur leur
parole: ceci ne devroit pas être permis pendant
l’aélion ; parce que ces prifonniers s’excufent en-
fuite fur ce qu’un de leurs partis les a obligés de
revenir à leur troupe ; ôc , fur le moindre, prétexte ,
ils y combattent jufqu’à la fin. Pour moi, je ne
voudrois pas faire dépendre ma fureté du caprice
de mon ennemi. On ne doit pas négliger la précaution
ordinaire d’ôter aux prifonniers leurs armes,
leurs éperons, ôc leurs bons chevaux, afin qu’il
faille moins de monde pour les conduire, 6c pour
les garder jufqu’à la fin de l’aélion.
Lorfqu’il n’eft plus à craindre que les ennemis
difputent la viétoire, les officiers ne doivent pas
permettre qu’on tue, qu’on bleffe,ni même qu’on
infulte ceux qui fe rendent. L’honneur, le chrif-
tianifme, l’intérêt, la véritable politique, tout
exige beaucoup de douceur, 6c un traitement humain
à l’égard des prifonniers.
J’ai dit quelles précautions on pouvoit prendre
pour éviter que les troupes n’abandonnent le combat
par la crainte du danger, ou que les foldats,
par le defir du pillage, ne fe débandent avant le
temps. Si, malgré ces précautions ôc vos défenfes ,
quelques foldats tombent dans ce défordre, faites-
îes tuer fur le champ , de crainte qu’il ne vous foit
enfuite impoffible de punir, à caufe du trop grand
nombre de coupables -, qui augmenteroit fans ceffe,
tant que vous diffimulerez leur faute fans y remédier.
A «la prife de Brefcia, don Gafton de Foix fit
tuer le premier foldat qui fe débanda pour piller,
avant qu’on fe fût rendu entièrement maître
«le la place.
R essources dans les désavantages.
J’ai fait voir comment un général d’armée doit
agir , lorfque la bataille lui paroît à demi gagnée :
voyons comment il doit fe conduire, quand elle
lui paroît à demi perdue. Mais auparavant examinons
par quels moyens il peut être inftruit
promptement de tout ce qui fe paffe.
J’ai déjà parlé du poffe que vous devez choifir
pour votre perfonne, afin de pouvoir découvrir
dans votre armée tout ce qui fe paffe durant la bataille*
La fumée 6c la pouffièr e ne vous en empêchent
fas entièrement j parce que , fi elles s’élèvent vers
arrière, c’eft une preuve que les ennemis ont
gagné du terrein fur vous *, fi au contraire elles
s’élèvent plus avant vers les ennemis , c’eft un
ligne que vos troupes les font reculer. Il faut'
avoir égard au lieu d’où elles commencent à
s’élever ; parce que un vent un peu fort les pouffe
bientôt loin delà. Cependant il eft difficile qu’un,
géncial ptuffe de fon pofte découvrir les deux
ailes de fon armée, fi elle efi: grande ; 6c quelquefois
même, lorfqu’elle eft petite , parce que
la fumée 6c la pouffière des troupes les plus
proches l’empêchent de voir les plus éloignées.
Il faut donc néceffairement recourir aux avis, qui
doivent vous être portés promptement. J’ai déjà
dit quelles perfonnes vous devez y deftiner. J’ai
dit auifi de quelle manière tout commandant de
troupes doit vous faire part de ce qui lui fur-
vient de nouveau. J’ajouterai feulement que ,
lorfque ces commandants vous font porter quelque
mauvaife nouvelle, ils doivent avertir celui qui
en eft le porteur de ne la communiquer qu’à
vous feul; afin de ne pas intimider les troupes
qui l’ignorent encore.
Pendant la bataille que les Athéniens livrèrent
aux peuples d’Abyde , Alcibiadè , général des
troupes d’Athènes , vit un homme qui , tout
troublé , venoit vers lui précipitamment. Il lui.
ordonna de ne rien dire tout haut ; 6c , apprenant
en fecret de cet homme que Pharnabafe ÔC
les Perfes combattoient aéluellement l’autre armée
■d’Athènes , il cacha cette nouvelle jufqu’après la
bataille contre ceux d’Abyde , ôc marcha enfuite
au fecours des fiens contre les Perfes.
Le commandant d’une troupe battue doit vous
donner avis du parti qu’il prend , ôc du lieu qu’il,
choifit pour y faire fa retraite ou pour fe rallier ;
afin qu’inftruit de toutes chofes-, vous puiffiez
; prendre les mefures les plus convenables.
Si les ennemis mettent en déroute une de vos-
ailes , faites que l’autre aile ôc votre centre, redoublent
leur effort dans l’attaque ,. ôc foient viélo-
rieux avant que la connoiffance du danger leur parvienne,
ôc que les ennemis puiffent.pronter affez de:
leur avantage pour remporter une viéfoire com-
plette. Lorfque c’eft votre centre que les. ennemis*
ont rompu , hâtez-vous de faire agir, vigoureufe?-
ment vos ailes.
Dès qù’Alexandre Bala, roi de Syrie.> apprit:
que fon aile droite-avoit été mife en déroute, par
la gauche du roi Démétrius ,. il attaqua fi vive?--
ment avec fa gauche la droite de fon ennemi, qu’il,
la mit en fuite, ôc rétablit le combat.
A la bataille entre, les Sabins ôc les Romains,
près du Téverone , lès. Sabins enfoncèrent le.
centre de l’armée ennemie ; mais ceux-ci avec,
leurs ailes chargèrent fi impétueufement celles des •
Sabins, qu’ils furent pliés ôc contraints de céder la,
viéfoire à Tarquin..
Quelques généraux de l’antiquité ne pouvant:
réfifter à l'effort que les ennemis faifoient contre
leur centre , leur ouvroient un paffage ; ôc lorf-
qu’ils s’y étoient- avancés, inconüdérément, quelques
rangs de la ligne enfoncée revenoient à la.
charge , ôc enfermoient. l’ennemi entre les deux
lignes , tandis- que lés autres rangs* foutenoient le:1
combat de front contre les troupes qui leur étoient:
oggofées* Une des maximes de guerre de l’envoereur
Léon , eft exprimée en ces termes : « fi
quelques corps pendant le combat veulent enfoncer
votre ligne, ouvrez leur un paffage ; &, lorfquüs
auront paffé l’ouverture , attaquez-les par derrière ,
comme fi c’étoient des fuyards; vous les dererez
facilement n. ■ • . T.
; Une troupe de Romains chargeâ mes Voliques
avec tant de force & d’impétuofité que , ne pouvant
en foutenir le choc, ils furent contraints de lui
laiffer un paffage libre. Les Romains n eurent pas
plutôt franchi la ligne que les Volfques la refermèrent
& battirent leurs ennemis. Ce fut aulh de
cette manière que les Romains perdirent la bataille
de Cannes.' . , , . , ,
Les anciens , qui fe formotent fur feize de hauteur
, quelquefois fur un plus grand nombre , 5<
dont la moindre profondeur étoit de huit, pou-
voient prendre le parti dont je viens de parler ;
parce que leur infanterie avoit affez de rangs pour
combattre de front contre le gros de 1 armee ennemie
, quoique quelques rangs euffent fait un
demi tour à. droite pour charger la troupe qui
avoit enfoncé la première ligne : mais il eft impoffible
aujourd’hui qu’une ligne combatte fur
deux fronts.
Si le chef de la troupe qui enfonce votre ligne
a quelque habileté , au lieu de pénétrer fort avant
par la brèche qu’il s’eft ouverte , il fera. faire un
mouvement de converfion a droite & a gauche
pour charger en flanc vos autres troupes , qui
n’ont pas encore été battues.. Si elles veulent
convertir leur flanc en front, ce ne fçauroit etre
qu’en un foible front de trois ou quatre hommes :
au lieu que les anciens formés fur feize ôc plus
de hauteur, pouvoient préfenter par le flanc un
front capable de réfiftance. |
Dans ce moment de crife, lés troupes deta-
' chées entre les lignes doivent donner une très
grande efpérance de rétablir le combat a la première
ligne mife en défordre ôc meme en de-
route. H M
r e t r a i t e .
Il fe' peut encore que, dans la retraité * des ef-
fieux Ôc des roues fe rompent, on que les boulets
des ennemis ayent fracafle vos affûts. Enfin, il eft
poffible que vos charretiers, Ôc les autres hommes
deftinésau charroi de l’artillerie, fe foient échappés
parce que les troupes qui les ^ardoient ont elles-
mêmes pris la fuite ou ont ete battues.^ Il eft ne-
ceffaire dans tous ces cas que vos canonniers ayent
de bons couteaux afin de pouvoir dans un inftant
couper les cordes , dételer ôc retirer les chevaux ,
parce qu’alors, quoique les ennemis prennent les
canons , ils ne pourront peut-être pas les enlever
faute de chevaux. Ce fut ce qui arriva au maréchal
Dès que vos batteries ont fait leur dernière
décharge à peu de diftance, les officiers d’artil-
ierie doivent tout préparer pour retirer les canons.
Si les ennemis ne pourfuivent pas votre première
ligne avec beaucoup de vivacité, votre artillerie
peut s’arrêter ôc faire une nouvelle décharge. Elle
continuera enfuite fa retraite. S’il arrivoit que la
première ligne A foutenue par les troupes deta-
chées , repouffât les ennemis , votre artillerie doit
revenir à fes premiers poftes.
Il fe peut que les ennemis, en venant vous
préfenter la bataille , ne vous ayent pas donne le
temps d’applanir les communications directes de
votre première ligne à la fécondé. Alors., fi votre
première ligne eft battue , les ennemis, qui la
pourfuivent directement , pourront atteindre vos
canons, qu’on eft obligé de retirer par des circuits.
de Virtemberg , à la bataille de Villa-
Viciofà. Il ne put pas retirer fon artillerie , parce
que les. troupes du roi d’Efpagne lui avoientpris
fes chevaux d’artillerie.
C’eft pour ces malheureufes occurrences que les
commifï'aires ou les canonniers doivent porter des
marteaux affez forts , ôc des clous d’une groffeur
proportionnée à l’ouverture de la lumière des
pièces, afin d’enclouer les canons, lorfqu’ils vont
être pris par les ennemis. Gn fçait, que le clou
doit être d’acier trempé, dentelé jufqu’en haut,
ÔC plus long que l’épaiffeur de la pièce. Il doit
être trempé, afin d’en pouvoir rompre plus facilement
la partie fupérieure qui n’eft pas entrée
dans la lumière, ôc qu’on ne puiffe pas facilement
repercer la lumière. Il doit etre dentele , afin
qu’il ne puiffe pas être chaffé dehors par l’effort
de la poudre que l’on met dans le canon , ôc a
laquelle on donne feu par la bouche de la piece.
Il doit être affez long afin que la partie qui refte
au-deffus de la fuperficie du canon puiffe^fe rompre
; par un coup de marteau donné de côté. Si le
clou ne fe rompt pas précifément au niveau de la
lumière, il faut achever de le chaffer^ dedans par
des coups de marteau réitérés ôc donnés à plomb,,
pour ne laiffer aucune prife à la tenaille , ou à
tout autre -infiniment femblable, avec lequel les
ennemis pourroient tenter de 1 arracher. ^
Si, après avoir pris les précautions dont j ai
parlé, les ennemis rompent entièrement toute
votre première ligne , il y aura aulli quelque
dérangement dans la leur ; ôc, fi les troupes détachées
ont fait leur devoir, les ennemis auront
été forcés de faire combattre leur fécondé ligne ,
ou du moins quelque partie de cette ligne. Dans
cette fuppofition, il y a lieu defperer que votre
•fécondé ligne toute fraîche, qui eft en bon ordre ,
où il n’y a encore eu ni morts ni bleffés , vu la
grande diftance qu’il y avoit entr’elle Ôc ceux qui
ont déjà combattu ; il y a, dis-je, lieu d’efpérer
que votre fécondé ligne renverfera les ennemis j
qui, ayant eu à fe battre contre votre première
ligne & vos troupes détachées , s’avancent diminués
, fatigués , en confufion , ôc prefentent
par-tout des vuides. Il eft vrai que les ennemis
pourront avoir recours à leur corps de referve,
qui attaquera votre fécondé ligne , lorfqu elle aura
N n ij