
parce que la gauche de notre armée fe fehoit dans
ce même temps trouvée à hauteur de Condé.
Il faut donc convenir que ce fut une fort grande
faute de ne pas faire ce mouvement falutaire pour
fauver Mons.
Pour faire connoître enfuite qu après la jonction
de notre gauche & notre marche, à Malplaquet,
nous avons perdu pendant le 9 ôc le .10 le moment
favorable d’accabler M. le prince Eugène dans fon
camp de Sippli par notre grande fupériorité fur
lui pendant ces deux jours ; il fautfe rappeller que
l’ennemi avoit laiffé trente-fix bataillons ôc quelque
cavaleriè fous Tournai , en quittant cette place;
& que , quoique ces troupes ayent marché avec
une diligence extrême, elles ne purent cependant
joindre leur armée que le matin du 11 , quelques
heures feulement avant le combat.
Ces deux réflexions fuffiront pour faire connoître
quelle a été l’irréfolution confiante du Maréchal
de Villars, entre les moyens de fauver-Mons
ou par des mouvements ou par un combat.
Je dis plus ; avec toutes ces démonflrations du
defir de combattre pour fauver Mons , ce defir
lui a paffé , dès qu’il a vu la tête des ennemis devant
la trouée , & il s’efl de lui-même réduit à recevoir
la bataille dans une fort mauvaife difpofition.
S ’il avoit voulu combattre , il devoit dès le 9 , en
arrivant s’avancer dans la trouée avec tout ce
qu’il auroit pu y faire entrer de troupes , pénétrer
le bois de la droite , & de la gauche avec le relie
de fon infanterie, & faire foutenir fon front d’infanterie
par fon artillerie & plufleurs lignes de
cavalerie.
Par ce combat qu’il auroit donné avec une fupériorité
entière , il auroit fait abandonner aux ennemis
le débouché de la . trouée il auroit trouvé
fon camp au-delà, vers la tête des petits ruiffeaux
qui fortent de ces bois , & qui deviennent plus
confidérables à mefure qu’ils s’approchent de la
Trouille. Par cet avantage, aifé à fe procurer alors,
il auroit mis tout au moins dès ce premier jour M.
le prince Eugène dans l’impoffibilité de refier entre
la Trouille & notre armée , fuppofé même que
ce combat n’eût pas été affez avantageux , pour y
trouver la ruine entière deT’armée ennemie, fort,
inférieure à la nôtre par le manque du corps d’infanterie
dont j’ai parlé ci-deflus.
Ce parti devoit être pris par le maréchal de
"Villars , feulement fur ce qu’il voyoit de fes yeux
dans ce premier moment : ce qu’il auroit vu. ,
dès qu’il ■ auroit été à la tête de la trouée , lui
auroit bien mieux fait fentir la conféquence de
commencer d’abord à entrer en aâion ; Ôc c’efl ici
où je parlerai de la fituation où étoit M. le prince
Eugène : elle ne devoit point être ignorée, puif-
qu’elle dépendoit de la conflitution du pays.
C e prince avoit fa droite à la Haifne , fa gauche
à la Trouille, près de Gévries, fon centre fur
Sippli, la Trouille & Mons derrière lui. Son camp
étoit coupé par les petits ruiffeaux dont j’ai parlé.
On voit que, fl le maréchal de Villars s’étoit dès'
le 9 porté au-delà de la trouée, il auroit été fort
difficile à M. le prince Eugène de communiquer
le front de la ligne de fon armée,, parce qu’il ne
l’auroit pu faire, qu’en chargeant de ponts les ruiffeaux
devant la tête de fes deux lignes ; ce qui
auroit toujours obligé à faire défiler les troupes
de l’entre-deux d’un de ces ruiffeaux à l’entre-deux
de l’autre. Aufîi M. le prince Eugène ne voulut-
il pas attendre notre armée à la tête de fon camp ;
ôc , quoique par le manque du corps laiflé fous
Tournai, ôc qui ne pouvoit pas le joindre de deux
jours , il fut eft'eâivement fort inférieur à nous en
infanterie , il marcha fur nous , ôc nous préfènta
devant la troué^ ce qu’il avoit de troupes ôc de
canon.
Cette démonflràtion de vouloir nous combattre
a la fortie de la trouée, étoit ce qui devoit nous
engager à y entrer, dans la difpofition où j’ai dit
ci-deffus que nous devions nous mettre, pour nous
en rendre les maîtres ôc la paffer ; parce que nous
pouvions fçavoir que ces ruiffeaux, que nous aurions
pris à leur fource , nous donneroient une grande
facilité pour étendre notre front, devant l’ennemi ,
fans qu’il pût répondre à nos mouvements avec la
même facilité que nous, par l’embarras des ruiffeaux
, plus forts & plus difficiles à paffer , à
mefure qu’ils approchoient de la Trouille ; ainfi
nos grands efforts fe feroient portés fans difficulté
contre la partie de l’armée ennemie qu’il nous
auroit paru la .plus facile d’accabler.
Nous pouvions même , par les grands chemins
qui traverfoient les bois , ôc à la faveur de notre
infanterie, qui n’auroît pu être contenue dans la
trouée , faire paffer notre cavalerie au-delà des
bois , & la former fur un plus grand front que
celle de l’ennemi , toujours gériée par les ruiffeaux
; ôc enfuite rejoindre tout le front de notre
armée, après avoir éloigné l’ennemi de devant le
front de la trouée.
Mais on ne fe mit point en difpofition de donner
un combat. Au contraire-on ne s’occupa pendant
le 9 & le 10 qu’à fie placer , comme je l’ai dit
ci-rdeffùs , pour recevoir un combat qu’on avoit
d’abord paru vouloir donner pour fauver Mons;
ôc on laiffa le prince Eugène maître de la tête des.
ruiffeaux ,-ôc d’un front plus étendu que le nôtre ,
que nous avions ainfi refferré mal-à-propos.
Ce que je viens dé dire fuffira pour faire connoître
touts les défauts de cette première difpofition.
Mais,, avant de rapporter ce que fit M. le prince
Eugène pour en profiter , je crois à propos de
parler «d’une autre difpofition que l’on pouvoit
prendre , pour recevoir le combat avec avantage ;
puifque je crois avoir fuffifamment fait connoître
que le maréchal avoit perdu l ’envie de le-donner ,
dès qu’il vit les ennemis s’avancer le 9 à la tête
de la trouée. '
Cette fécondé difpofition où l’armée du. roi
auroit du être mife pour recevoir un combat
puifqu’on n’avoit pas voulu le donner, étoit d’abandonner
entièrement la trouée, de former la première
ligne affez en dehors pour fe conferver un
front plus étendu que celui que l’ennemi pouvoit
prendre en y entrant, ÔC même de recourber nos
deux ailes de cavalerie vers les bois, en les fou-
tenant par les corps d’infanterie placés dans les
bois.
Dans cette difpofition, dont une partie auroit
été cachée à l’ennemi, il n’auroit jamais ofé s’avancer
dans la trouée pour venir attaquer un front
préparé, plus étendu que le fien, & dont il auroit
ignoré la difpofition au-delà de ce qu’il en voyoit.
Revenons à ce que fit l’ennemi pendant le 9
& le 10, pour fe difpofer à nous combattre le 11.
Le prince Eugène, ayant fenti que le premier mouvement
en avant qu’il avjoit fait pour fe montrer
à la trouée lui avoit réuffi, jugea que nous n’étions
pas dans la volonté déterminée de l’aller chercher ,
pour le combattre ; que , puifque nous nous retranchions
, les troupes qu’il avoit laiffées fous
Tournai auroient le temps d’arriver à fon armée ,
Ôc qu'il feroit enfuite en état de fe conduire librement
fuivant ce qui lui conviendroit. ,
J’ai dit pourquoi notre difpofition étoit mauvaife
, par rapport au terrein que nous occupions:
il faut examiner à préfent pourquoi elle étoit vi-
cieufé par rapport à celui qui étoit occupé par
nos ennemis.
Nous leur avions laiffé prendre un front plus
étendu que le nôtre , & par conféquent ils pou-
voient en nous attaquant déborder notre front ôc
l ’embraffen
. Les bois de Blangies ne font pas fi unis du côté
■ où étoient les ennemis qu’ils n’avancent plufieurs
langues dans la plaine ; par conféquent, les mouvements
que l’ennemi pouvoit faire au-delà de la
langue des bois où nous avions porté notre gauche
xi’étoient vus d’aucune partie de notre armée.
Nous nous étions même fi mal placés à cette
extrémité de la langue des bois que nous ne la
tenions pas par le travers ôc par le flanc gauche;
de manière que nos abattis faits précifément du
côté de la trouée , ne préfentoient à l’ennemi
aucun obflacle qui pût l’empêcher de nous attaquer
par notre flanc gauche Ôc par le derrière de notre
gauche, en pénétrant le bois à la faveur de la
langue qui étoit au-delà de celle que nous avions
occupée , fans que ce mouvement pût nous être
connu parce que nous n’avions point porté notre
attention au-dela de cette langue , qui faifoit l’extrémité
de notre gauche.
Les bois de Sars , qui étoient à notre droite,
étoient prefque difpofés comme ceux de la gauche,
excepté qu’il n’y avoit pas de langues de bois fi marquées
: mais , au moins , comme le bois alloit en
tournant, il efl certain que l’ennemi pouvoit encore
faire des mouvements pour s’approcher de notre
flanc droit , fans que les troupes qui y étoient
placées les puffent voir.
Notre front n’étoit pas meilleur. Il y avoit par
fon milieu 6c au-devant de la trouée une ferme ,
6c une petite futaie auprès de la ferme. Nous avions
laiffé occuper ce pofle par l’ennemi ; de forte qu’il
voyoit toute notre difpofition fans que nous vidions
la fienne , même fur le front. Il y avoit ençore fur
ce même front, Ôc en approchant de notre gauche,
des chemins creux qui en approchoient de fort près ;
à la fayeur defquels l’ennemi, fans être vu , pouvoit
s’approcher de notre gauche du côté du bois , & de
notre droite au centre de la trouée.
Par la defcription exaéle de ces deux terreins
occupés par les armées , il efl aifé de connoître
que l’avantage pour attaquer étoit entièrement dix
côté de l’ennemi ; puifqu’il pouvoit aborder tout
notre front, par ,un front plus étendu , ÔC fans que
nous eufîions aucune connoiffance de fa difpofition
6c de fes mouvements.
Ce fut d’après la confidération de touts ces avantages
que M. le prince Eugène forma fa difpofition *
elle étoit telle qu’il n’engage oit point une aclioti
générale ,xlors même qu’il nous engageoit par-tout,
6c qu’il pouvoit nous battre , fans courir rifque
d’être battu, par l’impoflibilité où nous nous étions
mis, quelques avantages que nouseullions pu avoir
par notre défenfe opiniâtrée fur tout notre front,
de nous porter en avant, pour profiter de notre
avantage par un front plus étendu que celui que
nous avions laiffé à l’ennemi.
Sur la fin du 10 feptembre, M. de Villars parut
fentir la mauvaife difpofition où il étoit, 6c fit tracer
un retranchement derrière lui , en abandonnant
toute la trouée, à peu près tel qu’il auroit dû
l’avoir fait dès le 9 en arrivant, fuppofé qu’il eût
perdu l’envie de chercher à combattre l’ennemi.
Oh commença même à travailler, à ce nouveau
retranchement la nuit du 10 au 11 : mais il fe trouva
fi peu avancé le 11 au matin, lorfqu’on vit l’ennemi
fe mettre en mouvement pour nous attaquer,
que l’on fit promptement abandonner ce-travail,
pour fonger à foutenir fes efforts.
M. le prince, Eugène fe préfènta d’abord devant
tout notre front, plutôt par plufieurs colonnes que
par un front étendu : ce qui devoit nous faire juger
que fes, efforts ne feroient pas en même temps
égaux par-tout ; qu’il les feroit fuccéder l’un à l’autre,
ôc qu’il ies conduiroit de manière à les augmenter
fuivant le fuccès qu’ils auroient, plutôt contre une
partie de notre front que contre l’autre.
Cette difpofition d’attaque, qui commençoit à
fe faire' connoître , devoit nous fairevfaire quelque
changement dans la nôtre pour la défenfe , ôc nous
aurions dû tout au moins faire approcher de notre
front de première ligne les bataillons inutiles que
nous avions derrière les bois de la droite 6c de la
gauche, foit pour marcher en avant au front op-
pofé à celui de notre centre, 6c que l’on voyoit
fort dégarni à caufe de la quantité d’infanterie eu
colonne qui étoit occupée à l’attaque de notie
gauche placée dans les bois, depuis la trouée juf