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vide oncques plus vaillamment affaillir Tes ennemis
, ne fon corps défendre ; ni me trouvai oncques
en bataille ou je ville qui me donnât tant d’affaires
corps à corps, que vous avez hui fait. Si
vous en donne le prix , &. aufli fur touts les chevaliers dè ma cour par droite fentence. Adonc
prit le roi l'on chapelet qu’il portait fur fon chef,
qui étoit bon & riche, &. le mit fur le chef de monfeigncur Eujlace , &. dit : Monfeigneur Euflace,
je vous donne ce chapelet pour le mieux combattant
de la journée de ceux de dedans & de dehors ; &l vous prie que vous le portiez cette année pour
l’amour de moi. Je fçais bien que vous êtes gai &
amoureux , & que voulentiers vous vous trouverez
entre dames & demoifelles. Si dites partout
là où vous irez que je le vous ai donné , li
vous quitte votre prifon, & vous en pouvez partir
demain, s’il vous plait. ».
Les chevaliers n’étoient pas touts de même rang :
Brunon, écrivain de l’onzième fiècle , fait mention
des chevaliers du fécond & du troifième ordre ;
ce qui fuppofe qu’il y en avoit d’un premier ordre.
( De Bell.Saxon, p. 133.). L’ancien cérémonial cité
ci-delïus marque expreffément deux ordres. Le chevalier, y eft-il dit, payera aux rois des héraults
un -marc d’argent , fe il eft bacheler* ; , fe il
eft baron , le double ; & , fe il eft comte ou de
plus, le double.
Suivant ces deux anciens auteurs on peut partager
les chevaliers de ce temps-là en deux ou en
trois ordres. Le premier des hauts chevaliers ; le
fécond des- bas chevaliers. Les hauts chevaliers
étoient de dèux fortes'; les uns titrés, c’eft-à-dire,
qui avoient le titre dé duc , de comte , ou de baron
, ainfi qu’il eft marqué dans le cérémonial ;
les autres qui n’étoient pas titrés, mais qui avoient
la qualité de banneret : qualité qui leur étoit commune
avec les chevaliers titrés ; lesquels d’ordinaire,
dès qu’ils étoient en âge, levoient bannière. Les chevaliers du fécond rang, ou du troifième , fi l’on
en veut donner un particulier aux fimples banne-
rets , étoient les bas chevaliers, que l’on appelloit bacheliers..
Mathieu Paris appelle le bachelier minor miles ;
& , dans l’hiftoire de Guillaume le conquérant par
l’archidiacre de Lifieux, ces bacheliers font ap-
pellés milites medïcz nobilitatis. Ces chevaliers ou
bas chevaliers étoient ceux qui ne pouvoient lever
bannière , faute d’un affez grand nombre de vaf-
faux , ou qui, étant affez riches, n’avoient point
encore obtenu ce privilège. Il eft louvent fait mention
dans nos anciens hiftoriens de ces bacheliers
ou chevaliers non riches. On lit dans l’hiftoire de
France manufcrite de Philippe Moutke ;
A un chevalier hacelçr ,
K i par pauvreté vot aller
Droit en pulle-à Robert Wifcard.
Dans la chronique de Flandres ( chap. iS. ) ,
« ils remarièrent cele Marguerite à un vaillant
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bachelier des marches de Bourgogne, qui fut appelle
Guillaume de Dampierre , & n'étoit mie
riche. ».
Et dans le voyage d’outremer manufcrit , de
Guillaume comte de Ponthieu « hoirs fu de la
comté de S. Paul, mais poyre bacelers étoit, tant
c’ont fes oncles vefqui. ».
Touts ces chevaliers avec leur fuite faifoient la
force des armées françoifes, ôt^fur-tout les ban-
nerets. Des chevaliers bannerets.
Il n’eft pas fait mention des chevaliers bannerets
dans nos hiftoriens avant le temps de Philippe-
Augufte : mais les auteurs de ce temps-là en parlent
comme d’une chofe qui n’étoit pas nouvelle.
Nous avons parmi les colle étions de Duchefne ,
les noms des chevaliers bannerets du temps de ce
prince, dillingués par provinces , & c’étoienu peut-
être ceux qui fe trouvèrent à la bataille de Bouvines
: on y voit jointe une autre lifte qui contient
les noms des plus confidérables prifonniers faits
par les François en cette bataille.
Ces chevaliers s'appelaient bannerets , parce
qu’ils avoient levé bannière , ainfi qu’on parloit
alors.
Il falloir, pour avoir cette prérogative , être
non-feulement gentilhomme de nom &. d’armes,
mais riche en terres , & -avoir pour vaffaux plu-
lieurs gentilshommes qui fuiviiïent la bannière à
l’armée fous le commandement du banneret. Ri-
gord dit qu’après la bat^lle de Bouvines, on fit
paroître devant le roi les feigneurs qui avoient été
faits prifonniers, & ajoute que parmi eux il y avoit
cinq comtes, &. vingt-cinq autres d’une fi haute
nobleffe qu’ils avoient le droit de bannière. ( Pag.
2,2,2. édit. Pithean. ).
Et du Cange dit que ces chevaliers à bannière
étoient appèllés dans le royaume'd’Arragon , riccos humbres , c’eft-à-dire, riches hommes. ( Différé
9. fur Joinv. ). -
Un ancien cérémonial manufcrit marque la manière
dont fe faifoit le chevalier banneret , & le
nombre d’hommes qu’il devoit avoir a fa fuite.
« Quand un bachelier, dit ce cérémonial » a grandement
fervi & fuivi la guerre, & que il a terre
affez, & qu’il puiffe avoir gentilhommes pour fes
hommes, & pour accompagner fa bannière, il peut
licitement lever bannière , & non autrement : car
nul homme ne doit lever bannière en bataille ,
s’il n’a du moins cinquante hommes d armes, touts
fes hommes, & les archiers & les arbaleftriers qui
y appartiennent. E t, s’il les a , il doit, a la première
bataille où il fe trouvera, apporter un pen-
non de fes armes , & doit venir au conneftable
ou aux marefchaux , ctù à celui qui fera lieutenant
de l’oft , pour le prince requérir qu’il porte bannière
, & , s’ils lui o&rôyent , doit fommer les
hérauts pour témoignage,, & doivent, couper la
queue du pennon. », (./eft delà qu’eft venu l’aiv*
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cien proverbe : faire de pennon bannière , pour
dire paffer d’une dignité à une/ autre plus relevée.
On voit par-là premièrement que le banneret
devoit avoir un grand nombre de gentilshommes
& d’autres perfonries à fa fuite : mais le même
nombre ne fut pas toujours requis, ainfi que le
témoignent d’autres anciens monuments. Olivier
de la Marche dit qu’il falloit que le pennon du
banneret fût accompagné au moins de vingt-cinq
hommes d’armes; ce qui faifoit foixante & quinze
cavaliers : car chaque homme d’armes avoit deux
hommes de cheval avec lui. Froiffart dit que vingt
mille hommes d’armes faifoient foixante mille
hommes.'
Un autre cérémonial demande feulement qu’un chevalier ou écuyer qui veut être fait banneret foit
accompagné au moins de quatre ou cinq nobles
hommes, & continuellement de douze ou feize
chevaux.
Mais il y avoit des bannerets puiffants en terres ,
qui avoient une bien plus grande fuite. Thomas
de Saint-Valois avoit à la bataille de Bouvines ,
outre cinquante chevaliers, deux mille hommes de '
pied qu’il p. avoit amenés de fes terres. ( Risord. 221.).
Quand les chevaliers ou écuyers qui fuivoient le
banneret armoient deux troupes dans le combat,
il y en avoit toujours une partie qui demeuroit avec
lui pour fa garde & celle de la banière. « Le banneret,
dit le cérémonial déjà cité, doit avoir cinquante
lances, & les gens de trait qui y appartiennent
; c eft a fçavoir les vingt-cinq pour com-
battre , & les autres vingt-cinq pour lui & la bannière
garder ».
On voit encore par le même cérémonial que la
bannière du banneret étoit quarrée, au lieu que le
pennon ou guidon des. chevaliers non bannerets ,
qui etoient fous lui, etoit en pointe, & que, pour en
faire une bannière , il n’y avoit qu'à couper cette
pointé ou queue.
eric°re plus expreffément marqué par
Olivier de la Marche ; lorfqu’il raconte comment
meilire Louis de la Vieuville releva bannière avec
la permiffion du duc de Bourgogne. Le roi d’armes
de la toifon d’or dit au duc : « il vous préfente
ion pennon armoyé fuffifamment, accompagné de
pt C^ q k°mmes d’armes pour le moins, comme
elt 1 ancienne coutume. Le duc lui répondit que
tien ut-il venu ,& que voulentiers le feroit. Si
Bailla le roi d’armes un couteau au duc; & prit le
pennon en fes mains ; & le bon duc, fans ôter le |
gantelet de fa main feneftre ,.fit un tour autour de j
la main de la queue du pennon, & de l’autre main
coupa ledit pennon; & demeura quarré , & la bannière
faite ».
Ceft de-là qu’eft venu le privilège de quelques
bannerets de Bretagne, de Poitou , & de quelques
autres provinces, de porter leurs armes en quarré.
« 1 put leigneur , dit la coutume de Poitou, qui a
comte,vicomté,ou baronie.peut en guerre ou arrnoi- ■drt militaire. Tome 1.
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ries porter fes armes en quarré ; ce que ne peut le
fèigneur châtelain, lequel les peut feulementporter
en forme d’écuffon. ». C ’eft que les banières avoient
été attachées à ces terres titrées,où il y avoit quan-
j tité de gentilshommes vaffaux du feigneur ; ce oui
ne fe trouvoit pas dans la terre du ftmple châtelain.
Le titre de banneret & le droit de porter bannière
fe perpétuoient quelquefois dans les familles,
: & palïoient aux defcendants de celui qui en avoit
été honore, au moins en certains pays. On en
trouve les preuves dans l'hiftoire de Bretagne,
(Zrv. 17 6* 18.), aux aéles par lefquels les feigneurs
deSevigné, de Grand-Bois, de Guémenée, François
du Chaftel, de la Muce, Tanneguy-du-Chaf-
teL, & quelques autres , font créés bannerets par
les ducs de Bretagne, & où il eft marqué expreffément
que ces avantages pafferoient à leurs fuc-
ceffeurs, avec la haute-]uftice & juftice patibulaire
à quatre pofts.
, . Mais la qualité de ch evalier n’étoit point héréditaire
comme celle de bannière : il y falloit un certain
âge, un certain fervice , & certaines cérémonies,
avant lefquellés le fils du ch evalier banneret.
ne portoit que la qualité d’écuyer, à laquelle il
joignoit çelle de banneret. Il y en a un exemple
dans 1 hiftoire de Bretagne : on y voit à une montre
de gendarmerie Lancellot-Goyon, écuyer ban/
neret, commander, cent hommes d’armes, l ’an
14 19 , fous Charles, régent d e ‘France, & depuis
Charles VII.
On en trouve plufieurs autres exemples dans
un compte de Guillaume Charrier, fous le règne
du meme prince, l’an 1424; o ù , faifant l’énumération
des gages donnés aux chevaliers & aux
ecuyers , il dit : « Chevalier banneret , 66 liv.
chevalier bachelier & écuyer banneret, 30 liv!
chacun ; autre écuyer 15 liv. & chacun archer
7 livres 10 fols par mois. On voit ici le ch evalier
bachelier avec la même folde que l’écuyer ban-
■ "?ret> & les autres écuyers à la moitié moins.
Ces écuyers bannerets, avant que d’avoir été faits"
ch evalier s, cédbient le pas aux chevaliers bacheliers
n’avoient point le titre de meffire ou de monfeigneur
, qu’on ue donnoit qu'aux ch e v a lie r s , &
etoient aux gages & au fervice des chevaliers dans
les armées.
De-là encore une différence dans la manière
dont s’expriment les-auteurs de ce temps-là: quand
ils parlent d’un écuyer banneret, ou héritier d’une
terre à bannière, ils difent qu’il développoit, qu’il
| déployoit, qu’il relevoit, qu’il mettoit, qu’il bou-
| fô;1 hors fa bannière: mais, pour celui à qui le
1 prince donnoit le titre de banneret, & qui ne
l’avoit point hérité de fes ancêtres, on difoit qu’il
levoit bannière, qu’il entroit en bannière.
Ce que j'ai dit de la différence du pennon ou
guidon des fimples chevaliers ou écuyers, d’avec
la bannière du banneret, montre que les fimples
chevaliers & les écuyers avoient aufli leurs éten-
darts à la tête de leurs vaffaux, quoiqu’ils fuffent
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