
droite relièrent pendant la nuit à la droite de Lan-
den , & furent, avant que le combat commençât,
placés au-deffus de ce ruiffeau, vis - à - vis de l’aile
gauche de cavalerie -de l’ennemi , tant pour la
contenir que pour chercher des paffag.es fur le rüif-
feau, & agir contre le flanc de l’ennemi, fi l’occa-
•fion s’en préfentoit.
Le centre, où M. de Luxembourg manquant
de front, -s’étoit pendant la nuit placé fur onze
•lignes, tant de cavalerie que d’infanterie, fut mis
on aélion par ce général entre cinq & fix heures
•du matin, par un mouvement en avant fi beau &
fi fçavant -que fa marche à l’ennemi forma fon
ordre de bataille fur deux lignes ; ce qui fut exécuté
fous le feu du canon de l’ennemi, qui avoit
commencé à tirer à quatre heures & un quart du
«matin.
L’infanterie de la gauche de la première & de
la fécondé ligne fut deftinée pour l’attaque du
village de N erwinde, &. l’aile gauche de la cavalerie
fe plaça en s’étendant vers la Gèthe devant
la droite de l’ennemi, avec ordre de pénétrer la
haie qui couvroit d’un peu loin la droite de
l’ennemi, & de charger la cavalerie de cette aile ,
.en cas qu’elle pût fe former en-dedans de la haie ,
& fuivant qu’elle verroit que l’attaque du village
-de Nerwinde profpèreroit : il auroit été impoflible
à notre cavalerie d’occuper ce terrein en-dedans
de la haie, tant que l’ennemi auroit été le maître
de ce village-.
Voilà quelle fiat la difpofition générale des
deux armées, au moment quLprécéda la bataille :
Elle fait voir que le front retranché de l’armée
«ennemie nous réduifoit à l’attaque de quelques
points de ce front, avant d’entreprendre celle du
total. Ces points étoient les villages de Nerwinde
& de Romsdorff, excédant l’un & l’autre le front
retranché qui ne pouvoit être abordé fans effrayer
en flanc le feu de ces deux villages.
11 falloit donc, avant de combattre l’ennemi
par tout fon front., lui ^voir fait abandonner les
deux villages ; & par conféquent que l’armée du
roi effuyât le feu du canon .de l’ennemi & celui
du front du retranchement, au moins jufqu’à
ce que le village de Nerwinde fut emporté, &
que l’armée pût s’avancer de front au retranchement
, pour l’attaquer en même temps.
Le combat commença vers les fix heures du
matin par l’attaque du village de Nerwinde, qui
•fut emporté en peu de temps. Mais, comme
l'ordre que M. de Luxembourg avoit donné
pour .que fa droite attaquât le centre & la gauche
de l’ennemi au moment où l’on verroit profpé-
rer l’attaque du village, ne fut point exécuté
par le général qui commandoit l’armée du roi ; les
troupes qui étoient entrées dans Nerwinde un
peu trop en défordre, & qui n’avoient pas eu la
précaution de fe placer dans tout le travers du
village du côté de l’ennemi, en furent chaffées par
{’infanterie ennemie de la .gauche , qui fe déporta
du front du retranchement pour aller faire cette'
attaque.
Ce mouvement étoit vu de toute notre droite,
& il fut propofé au général qui la commandoit
d’en profiter, en faifant fur-le-champ attaquer ce
front, qui venoit d’être dégarni en partie de l’infanterie
qui avoit marché pour reprendre Nerwinde.
Ce fut en vain que cette propofition fut faite,
quoique ce mouvement & cette attaque euffent
vraifemblablëment décidé du gain de cette bataille
dès ce moment même.
Les troupes de l’armée du roi, qui avoient été
chaffées de Nerwinde , s’étant remifes de leur
défordre, ce village fric une fécondé fois attaqué
& emporté par M. de Luxembourg : mais elles ne
purent encore s’y maintenir , parce que ceux
qu’il les commando ient ne fçurent pas'■ mieux fe
placer dans le village qu’ils l’avoient fait la première
fois , & furent chaffés une fécondé fois par
la même infanterie de la gauche des ennemis ,
qui s’étoit encore déplacée poùr marcher à cette
attaque ; ce qu’elle fit aulli impunément que la
première fois.
Par ce que j;e viens de dire il eft aifé de comprendre
que , fr le général de la droite de l’armée
du roi avoit ces deux fois exécuté les ordres de
M. de Luxembourg, & avoit fait attaquer la gauche
& le front du retranchement , lorfqu’il vit que
l ’ennemi les dégarniffoit, il eft certain que non-
feulemen.t la bataille de Nerwinde auroit duré
cinq ou fix heures de moins, mais qu’elle auroit
coûté infiniment moins d’hommes.
Dans cet état, M. de Luxembourg, qui n’étoit
pas homme à fe rebuter par ces deux attaques
malheureufes, vint lui-même prendre à fa droite
une partie de l’infanterie & la maifon du roi : avec
ces troupes fraîches, il attaqua une troifième fois
Nerwinde & l’emporta.
Les ennemis, qui deux-fois avoient impunément
dégarni leur gauche pour reprendre Nerwinde
en furent punis cette troifième fois. Le général de
la droite, ayant marché lui-même avec les troupes
que M. de Luxembourg étoit venu prendre,-je
reftai feul pour commander la droite, que je
mis d’abord en difpofition d’attaquer la gauche
de l’ennemi, dès qu’il m’en fourniroit l’occafion.
C ’eft ce qu’il ne manqua pas de faire en déplaçant
encore fon infanterie , même plutôt qu’il
n’avoit fait les deux premières fois ; parce qu’il
yoyoit que M. de Luxembourg avoit attaqué le
village avec un plus grand nombre de troupes.
Je laiffai donc marcher l’infanterie ennemie
jufqu’à ce que je la jugeai hors de portée de revenir
à fon retranchement, avant qu’il pût être
abordé par l’infanterie du roi. Je chargeai de cette
attaque le marquis de Créqui, & je me mis à la
tête de la cavalerie de la droite , que je menai à
l’endroit du front de l’ennemi qui n’étoit fermé que
par des charriots d’artillerie mis en travers.
L ’infanterie ennemie de la gauche ? qui étoit erç
marche
tftarche pour aller foutenir Nerwinde , Voyant
toute la droite de l’armée du roi en mouvement
vers le front du retranchement, & jugeant que
ï ’infanterie qui étoit reftée ne feroit pas capable
de foutenir l’effort de celle du roi, voulut revenir
à fon porte ; mais elle n’en eut pas le temps parce
qu’elle fe trouva abordée par l’infanterie que le
marquis de Créqui y avoit conduite. Ainfi cette
infanterie ennemie, qui étoit de neuf bataillons,
fe forma en bataillon- quarré , pour réfifter à la
cavalerie avec laquelle j’étois entré dans les retranchements;
Mais, dans ce moment, la dertruéHon de ces
neuf bataillons ne faifoit pas mon objet principal.
L ’endroit par où j’avois forcé le retranchement
étoit le plus élevé du camp de l’ennemi ; je voyois
au-deffous de moi que M. le prince d’Orange fai-
fbit marcher toute fa droite pour attaquer de
nouveau Nerwinde, ignorant encore que toute fa
gauche étoit forcée. .
Je mis donc la cavalerie en bataille , faifant tête
au fl%nc de M. le prince d’Orange ; pour le charger
en cas qu’il s’avançât à Nerwinde. M. de
Luxembourg, à qui j’avois fait fçavoir que toute
la droite étoit maîtreffe de la gauche du camp
des ennemis, fit en même temps faire un grand
effort à toute fa gauche & a fon centre, & fe
forma entre Nerwinde & le front de l’ennemi,
qui , fe trouvant trop refferré par un coude de
la Gèthe, fut aifément débordé par notre gauche,
& entièrement taillé en pièces.ou noyé dans la.
Gèthe : ainfi toute la droite & le centre de l’ennemi
furent entièrement battus.
La cavalerie ennemie de la ’gauche, qui n’avoit
pas eu de place fur le front de la ligne , avoit été
mife, comme je l ’ai dit, en potence, faifant tête
au ruiffeau de Landen. Dès qu’elle, vit l’infanterie
de là droite maîtreffe du retranchement, elle ne
penfa qu’à fe retirer à Loo ; ce qu’elle fit affez
paifiblement , parce qu’elle fe trouvoit éloignée
du lieu, où le fort de l’aciion venoit de fe paf-
fer ; elle ne pouvoit même faire mieux, n’ayant
point affez de terrein pour faire un mouvement
qui pût la mettre en état de charger de front les
troupes de notre droite qui avoient forcé le retranchement.
Ce fut ainfi que fe termina la bataille de Nerwinde.
Les ennemis y perdirent plus de dix - huit mille
hommes, tués ou pris, cent quaîre pièces de canon
, &. un nombre prodigieux d’officiers , de drapeaux
, & d’étendarts.
i l me paroît à propos de dire ici une, raifon
particulière , qui fut en partie caufe de ce que
l’infanterie du roi, deux fois maîtreffe de N erwinde,
ne put s’y maintenir ; c’eft que dans ce pays -là
les-habitants des villages, au lieu de haies, féparent
leurs terreins par de petits murs de terre d’environ
cinq pieds de haut & d’un pied d’épais. Il
amvoit donc que l’infanterie qui abordoit les avenues
retranchées & barricadées du village , & ces
Art militaire. Tome /.
petits murs qui fe trouvoient dans la campagne,
le refferroit fur celle qui avoit déjà chaflé l’en«
nemi des avenues retranchées, pour entrer avec
elle dans le village ; ainfi elle ne pouffoit plus
l’ennemi què par un front qui n avoit d etendue.
que la largeur de la. rue, fans faire attention qu’il
lui étoit capital , pour fe procurer un front, de
démolir ces petits murs de terre , qui auroient
pu l’être dans un moment du côté par ou on
l’avoit attaqué , & fans fonger à border d infanterie
ces petits murs, du côté par lequel le v illage
tenoit à la ligne , pour faire au moins un
front égal à celui de l’ennemi lorfqu’il reviendroit
attaquer le village. Ces réflexions étoient cependant
faciles : on voyoit toute la ligne d’infanterie
de l’ennemi placée à portée de revenir an
village; de forte qu’effe&ivement, lorfque l’ennemi
revint l’attaquer, il aborda lui - même ces
petits murs, qu’il ne trouva pas garni de troupes ,
en même temps qu’il abordoit l’avenue du village,
qu’il avoit eu foin d’ouvrir de fon -côté. Ainfi il fe
trouvoit pour fon attaque un front plus étendu que
celui que notre infanterie occupoit pour fa defenfe.
Les ennemis de la gloire de M. de Luxembourg
ont dit fort mal-à-propos que ce general
auroit pu fur le champ profiter de cette grande
viâoire plus qu’il ne le fit.
Le récit de cette mémorable journée fait voir
qp’une armée, quoique bien retranchée par fon
front & avec fes ailes couvertes , peut être attaquée
x&. battue par une armée égale ; parce que
les mouvements de l’attaquant font libres , fon
front fans embarras, & que fouvent l ’attaque n’a
pu fe donner affez de fond, & le faire occuper
par un nombre de troupes fuffifant pour réfifter,
à celui par lequel il eft attaqué.
En ce cas fes ailes couvertes l’embarraffent plus
qu’elles ne lui fervent ; elles reftent fans aélion par
le manque de terrein pour fairé leurs mouvements.
L’ennemi, retranché , n’ayant pas affez de front
pour placer toutes fes troupes fur plufieurs-lignes
affez diftantes les unes des autres pour avoir une
liberté entière dans leurs mouvements , fe trouve
obligé de mettre des troupes en potence : alors
elles lui deviennent inutiles pour fon front, dont
elles ne peuvent réparer le défordre, parce qu elles
ne peuvent préfenter un front capable de charger
avec fuccès l’ennemi , quand il a mis en défordrç
les troupes qui gardoient le front retranché.
Ainfi, dès que fon front eft ouvert & que l’ennemi
qui l’a abordé peut s’y maintenir un peu de
temps, il eft certain qu’il faut qu’il perde ae fon
terrein intérieur ; ce qui le mettant dans l’impofïï-
bilité de faire fes mouvements , il faut de nécef-
frté que le défordre de la tête fe communique au
refte de l’armée , fur laquelle fe - jette ce premier
front en défordre & fans terrein pour fe reformer ,
ou laiffer à la fécondé ligne un efpace libre pour
fe porter en avant fur l’ennemi.