
ffjf AR T
taillis , & on y tient quelque temps. Si l’arrière-
garde a de l’avantage , quelqu’il puiffe être , il feroit
li imprudent de chercher à le fuivre, qu’ileft prefque
inutile d’en faire l’obfervation.
A R T D E L A GUERRE. C ’eft l’art d’employer
hoftilement ' toutes les forces d’une nation contre
une nation ennemie. Foyer Gu er r e .
A R T MILITAIRE. C e ft l’art de .préparer &
d’employer hoftilement toutes les forces d’une
nation contre une nation ennemie.
Ces forces confiftent dans les arts : ce font eux
qui multiplient les richeffes & les Hommes. L’état
de fociéte que nous appelions fauvage , & dans
lequel quelques familles éparfes mènent une vie
errante , n’admet que les arts groifiers , de première
nécefîité. La recherche des moyens de vivre
y confume la vie de l’homme. La nature lui prélente
en vain touts fes tréfors ; il en ignore l’ufage.
Sollicité par touts les befoins qui appartiennent à
l’humanité , il ne peut répondre qu’à ceux qui font
néceflaires à la confervation de fon être : ceux
qui en feroient le, bonheur , s’ils étoient fatisfaits ,
font perdus pour lui. Dans cet état, une nation
divifée en petites peuplades indépendantes , eft
dans fon plus grand état de foiblefl®. N’ayant, pour
tainû dire , ni hommes , ni armes , ni loix , ni arts ,
ni richeffes , Yart militaire y eft nul , & la guerre
s’y fait à la manière des animaux.
L’agreffeur ne cherche qu’à furprendre fa proie
au gîte. Une habitation eft entourée de nuit : on
y met le feu ; on maflacre ceux qui s’échappent :
les plus barbares les font prîfonniers , pour les
tuer enfuite les manger : l ’habitation eft détruite
, & la guerre finie. T e l eft l’état des peuples
de toute l’Amérique.
Lorfqu’une nation , plus réunie , a des demeures
[fixes 3 des villes ou des bourgs, & par conféquent des
arts qui lui feurniffent quelques armes offenfives &
défenftves, fes armées deviennent plus nombreufes :
on commence à y découvrir quelques notions de
Y art militaire; on-y obferve quelque difcipline ;
quelque ordre dans la difpofition des troupes 3 &
des attaques. C ’eft ce que l’hiftoire nous montre
dans les peuples demi barbares, tels que les Scythes,
les Germains, les Cimbres , & ceux d’Afrique qui
nous font connus.
Lorfque les arts & les fciences s’élèvent au fein
des villes agrandies , & multipliées , Y art militaire
s ’étend & le perfectionne ; la compofition des
troupes Revient régulière _, les principes de l’attaque
& de la défenl'e fe découvrent Refont mis en ufage :
on les trouve chez toutes les^ nations civilifées , en
Afrique > chez les Egyptiens ; en A fie , chez les
Chinois, les Mèdes , les Perles, les 'Tartares. Nous
voyons enfuite Y art militaire paffer de l’Afie en
Europe , par 'la Grèce ; fuivre dans ce pays fes
progrès naturels, fe tranfporter en Italie, le perfectionner
dans Rome avec les.arts & les fciences ,
décheoir enfuite avec eux fous l’empire des
•peuples barbares du nord , & reparoitre dans
A R T
les fiècles qui fuivirent la renaiffance des arts.
Cette marche eft évidente dans toute l’hiftoire ;
mais les caufes des progrès très différents, que les
différentes nations ont faits dans Y art militaire ,
font plus difficiles à découvrir. Pourquoi cet art
n’a-t-il eu de grands progrès qu’en Europe ? Pourquoi
les grandes nations d’Afie n’y font-elles pas
plus fçavantes qu’aux temps de Séfoftris & de
Sémirami? ?
Cette différence ne viendroit-elle pas de celle
des gouvernements ? Le defpotifme eft établi de
temps immémorial dans l ’Afie. Son elprit eft de
foumettre les intérêts de touts à celui d’un le u l,
& d’employer, pour faire cet unique intérêt, toutes
les forces particulières. Mais , comme c’eft une
ufurpation, il eft dans la nature que ces forces
particulières fe refufent, le plus qu’elles peuvent,
à l’emploi que la force dominatrice en veut faire.
Dès-lors il n’y a point d’harmonie entre elles. Le
fouverain veut défendre fes poffeflions*, ou les
augmenter ; les fujets, n’y prenant que peu d’intérêt,
ne penient qu’à augmenter leurs jouiffances
du moment, ci. ne fe portent à la guerre qu’àutant
qu’elle eft pour eux un fujet de rapine. Ce n’eft
la défenfe vni du territoire , ni des loix , ni de
l’état, qui arme principalement les Turcs ; c’eft;
l’efpérance du pillage : fi le fuccés ne répond point
à leur attente, s’ils ne s’ouvrent pas du premier
abord le pays ennemi, ils fe débandent : une
partie des troupes fe retire dans les provinces.
Sont-elles fur les terres de leurs alliés ? elles les
traitent ordinairement comme terres ennemies. Il
ne peut donc fe trouver.en ces armées ni l’accord ,
ni la difcipline , ni l’obéiffance , qui font la bafe
de Y art militaire. Les hommes & les armes deviennent
inutiles , lorfqu’il n’y a point de loi qui
les lie , & en raffemble l’effort: Alors l’expérience
n’inftruit ni les foldats , ni les chefs.
Mais la théorie n’étant tiflùe qu’avec lès obfer-
vations faites d’après l’expérience , ne peut pas
, exifter où celle-ci eft nulle. L’intelligence refte au
même degré : aucune partie ne fe perfeélionne :
ce qu’on a fa it, on le fait fans ceffe ; on retombe
toujours dans les mêmes fautes ; on n’a de fuccès
que par celles de fes ennemis , & il faut qu’elles
foient énormes : on a des armes excellentes,, de
l’infanterie très brave , une cavalerie redoutable ;
tout cela fe trouve chez les Turcs , & n’empêche
point qu’ils ne foient battus, par des forces très
\ inférieures. On les a même vus enfoncer en plu-
fieurs endroits l’armée ennemie, & faute de concert
dans les troupes, & d’intelligence dans les chefs ,
ne fçavoir que faire ,- & fe retirer comme s’ils
enflent été battus. Ce n’eft donc pas les forces qui
leur manquent ; ils ont les hommes , les armes, les
arts ; c’eft le premier des arts qui leur manque :
celui du gouvernement. Ajoutons que dans les
états ainfi conftitués, les arts de luxe & de volupté
font plus cultivés que les arts feulement utiles,
& que les fciences , fur-tout celles qui font exaéles ;
ÔC
A R T
& ce font des arts & ces fciences qui font'principalement
la bafe de Y art m ilitaire, doit rrécef-
fairement refter à fes premiers degrés chez une
nation qui a ce gouvernement, quoiqu’elle foit
riche , forte , brave, & belliqueufe.
Paffons maintenant à Uautre extrême, & confi-
dérons lè gouvernement républicain relativement
à Y art militaire. Ici chaque citoyen eft membre du .
confeil public : il a part aux délibérations aux
projets, aux réfolutions, aux entreprifes de l’etat:
il eft défenfeur-né de fes intérêts, comme juge &
comme militaire. 11 æpart à fes acquêts , foit qu ils
viennent par les progrès des arts & des fciences
ou par la voie des armes ; & celle-ci n eft pas la
part précaire d’un brigandage paffager, mais une
portion légitime de la gloire & des richeffes publiques.
Il jouit de cette portion comme individu ;
phyfique : mais en idée, cette richefle & cette
gloire font toutes à lui, & lajouiffançe d’imagination
n’eft pas la moindre de celles qui font
accordées à l’humanité. Dé-là cet enthoufiafmé
tout-puiffant, pour ainft dire, cette vertu toujours
ferme, ce facrifice éternel de l’intérêt particulier
à l’intérêt général, cette exaltation prefque divine
que les hommes placés en d’autres circonfiances
conçoivent à peine. Le républicain eft miniftre &.
roi, peut-être autant qu’un homme peut & doit
l’être. Il étudie avec ardeur l’art politique par
lequel l’intérieur de l’état eft mis dans l’ordre qui
fait le plus grand bonheur public & particulier :
il approfondit Y art m ilita ir e , par qui la conftitu-
tion doit être défendue contre les invafions des
barbares. Et ce ne font ni les hafards de la fuc-
ceflion des temps , ni de petites lumières partielles
, qui brillant fùccéflivement à. de longs
intervalles, & luttant contre les ténèbres, perfectionnent
ces deux arts ; la réunion fubite des .
lumières en forme une univerfelle. La vérité brille
à touts les yeux ; la vertu eft adorée ; la fageffe &
l’équité régnent; les meilleures loix s’établiffent ;
les deux bafes du bonheur public ; l’art politique & Xart militaire ne connoiffent point d’enfance. ' Et j
comme l’aveuglement d’un petit orgueil national
ne peut entrer en des âmes faifies - du fu-
blime enthoufiafme de l’amour pour la patrie ,
celui-ci, qui veille toujours , accroît enèdre fes
lumières de celles des autres nations. Dès qu’il
qu’il y voit des.ufages meilleurs que les liens ,
il en fait fon bien , conferve ainfi la fupés- 'riorité de fa puiffance. Ce concours univerfel ;
forme une fuite - continue d’excellents- fo ld a ts :
d’officiers habiles, de grands généraux, & parmi j
les 'foldats même, on trouveroit des Xantippes i
qui enfeigneroient à des Carthaginois Y art de la
viéloire.
C’eft dans les gouvernements républicains de
l’Europe, dans Athènes, dans Sparte, &. dans
Rome, que Y art m ilitaire s’eft perfectionné: Quoique
çes états fuflent loin d’être des républiques parfaites,
ils acquirent, malgré touts leurs- défauts ,
A r t militaire. Tome 7.
A R T 1 7 7
une fiapériorité qui tiendroit du prodige,. fi la
caufe en étoit ignorée. Touts les faits qui le
prouvent font trop préfents à la mémoire des
hommes., pour que j’aye befoin de rappeiler ici
Marathon, lesThermopyles, Agéfilas, Alexandre»
&.Rome dominant en fouveraine dans l’Europe ,
l’Afrique & l’Afie. Aucun état monarchique n;a
jamais fait de fi grandes xhofes. Les républiques
ont dû à Y art & au génie la gloire de réfifter à
des forces énormes avec un petit nombre de foldats,
comme les Hollandais ont contenu l’océan ,
ou d’affujettir plufieurs royaumes par les progrès
lents d’une guerre continue. Les états defpotiques ,
femblables à une mer qui déborde, ont opéré de
grandes, invafions par le nombre & quelquefois le
courage.. Les monarchiques tiennent le milieu
entre ces deux extrêmes, h’art militaire y fait des
progrès, mais.avec, lenteur. Dix-fept fiècles fe font
écoulés, depuis fa décadence chez les Romains ,
avant qu’il fût parvenu, au degré où nous le
voyons. Dans cette efpèce de conftitution, le
foldat n’ayant ni influence dans le choix des
généraux, & les entreprifes militaires., ni efpé-
rance d’avancement, ni part aux fuccès, ni crainte
des revers, n’eft qu’un mercenaire qui porte les
armes pour aflùrer fa fubfiftance.. C’eft un métier
qu’il fait par néceflité, comme il exercerait un
; art méchanique, 11 n’acquiert donc jamais dans
! Y art militaire que la connoiflance exigée par le
rang où la néceflité l’a placé, & ce n’eft encore
qu’au degré où une autorité fupérieure, & toujours
agiffante, le contraint de parvenir. Dès
qu’elle fe rélâche i il fe néglige. Il n’eft pas fournis
par devoir , mais comme un reffort à la force qui
le preffe. Il y a toute apparence que parmi touts
les foldats de l’Europe, on ne trouveroit pas aujourd’hui
un Xantippe, & il fe peut même qu’on
n’en trouvât point parmi les officiers inferieurs.
Ceux - ci n’ont à efpérer qu’un avancement
borné, parce que les emplois lùpérieurs font en
général pour la naiflance & la fortune. O r, il eft
naturel qu’un homme n’entreprenne point des travaux
dont il eft moralement fûr de ne retirer
aucun fruit. L’officier fubalterne , fatisfait d exécuter
avec exaéiitude tout ce qui lui eft preferit
par les ordonnances, 61 de fe prefenter au danger
avec courage quand l’occafion le demande, ne
cherche rien au-delà. Comme il n’étudie point les
|
grandes parties de Y art m ilita ir e , parce qu’il ne les
; exercera j amais, il n’y fait aucun progrès, & ne leur
en fait pas faire. Quelques-uns cependant,,qu un
, talent naturel entraîne, lifent nos traités de Yart
, m ilita ir e , y puifent quelques lumières, y ap-
' prennent à s’acquitter avec plus d’intelligence des
emplois dont ils font chargés : ils refie chiffe nt fur
: lès parties de détail ; ils y ajoutent peu-a-peu
quelques degré? de perfeftion , & ces, travaux ,
! quoique très bornés, avancent \art .infenfible-
'fnent. Ce font eux qui, en recueillant & ran-
J géant dans uî> ordre méthodique les préceptes