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Quant a ceux dont la fortune eft le feul titre,
& 1 intrigue le feul mérite, il n’eft pas néceffaire
d*en parler. Qui ne fçait que les grades militaires
ne doivent pas être une marchandife que l’on acquière
avec de l ’o r , ou que l’on obtienne parla
faveur ? Et quel eft le vieux militaire qui ne fenti-
roit pas fon zèle & fon courage un peu abaiffés, en
fe voyant précédé par un jeune homme, qui ne
connoît aes combats que ce qu’il en a lu dans la
gazette , ou entendu dire dans les bureaux de la
guerre ; qui n’a fervi que des grands, n’a obéi qu’à
des femmes, & n’a commandé qu’à des valets ?
Je conclus que Xavancement n’eft dû qu’aux plus
'longs fervices ; & que, fi l’on peut oppofer quelques
concurrents aux guerriers qui ont blanchi fous les
armes , ce ne peut-être que ces hommes privilégiés
qui apportent en naiffant un génie fupérieur, &
' des qualités éminentes tant pour la paix que pour
la guerre ; mais la ' difficulté de reconnoître ces
hommes extraordinaires fait que l’on doit s’en
tenir à n’accorder l'avancement qu’aux longs fervices.,
parce qu’ils font feuls un titre inconteftable.
A ces mots , le militaire ênorgueilli-des honneurs
qu’ont mérité.fes aïeux fe lè v e , & , applaudiffant
à ce que le vieux capitaine a dit contre les bleflures,
les aétions de courage , le fçavoir , la fortune , &
1 intrigue, fait l’apologie des droits d’une ancienne
origine. Qui voudra , dit-il. entrer au fervice du
r o i, fi les pères ne tranfmettent pas à leurs enfants
leur rang avec leur nom ? Si mes ancêtres avoient
préféré la richeffe à la gloire, me contefteroit - on
l’héritage qu’ils m’auroient laiffé ? Mais, parce qu’ils
ont préféré les lauriers à l’or y on-me dépouillera
de mes droits à Cette injuftice eft frappante, &
même nuiftble dans tin! état monarchique : il fe
peut qu’il foit.utile dans une petite république de
n’accorder qu’à l’ancienneté-des fervices, ou au
mérite .perfonnel, les places éminentes ; mais, il
n’en eft pps de même dans la monarchie ; les enfants
y ont des droits acquis'aux titres de leurs pères , &
ce n’eft pas fans raifon. Ces droits font l’effet, non
, d’une uiur.pation injufte , mais d’une conceflion
utile. Si :1: on. coniumoit fon printemps dans les
humbles fondions de foldat, ou de bas officier, j
ion été dans les devoirs d’officier fubalterne, on I
•ai’arriveroit au grade d’officier fupérieur que dans
l ’automne de fa vie ; on ne parviendroit au rang
<d’officier général qu’à l?entrée de fon hiver ; &
la décrépitude , aux mains foibles & tremblantes ,
recevroit& porteroit feule le bâton de général.. Que
pourroitron en attendre ? D ’ailleurs , un efprit renfermé
trop long-temps dans les détails fe rétrécit
au point de ne pouvoir plus embraffer les grands
-objets. Les enfants des grands font élevés avec
plus de foin que ceux du refte des citoyens : ils
font inftruits , formés pour les grandes places ; les
exemples de leurs ancêtres réveillent , animent ,
enflamment leur courage, excitent, foutiennent
leur aôivité : ils font plutôt capables de bien commander.
Qu’ils font fages , ces indiens, qui fe
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J font divifés en différentes caftes , & ne permettent
j jamais le paffage de l’une à l’autre ! Si cette fage
J inftitution avoit lieu en France , combien de géné-
j raux, de grands hommes, de héros n’auroit pas
produit la cafte des nobles, & comoien d’hommes
fupérieurs dans leur état les autres caftes n’auroient-
elles pas fourni ? Voyez les Chinois ; dès qu’on
a voulu les conquérir, on y a réuffi. Pourquoi ?
Parce que, chez eux , les pas quelles pères ont
faits font perdus pour les enfants. Je ne prétends
cependant point que l’on doive imiter à la rigueur
l’exemple des indiens , & placer une barrière éternelle
entre les divers grades de l’armée françoife.
Je confens que le foldat puiffe devenir officier
fubalterne, &. même officier fupérieur ; l’officier
fubalterne officier fupérieur«, & même général ;
mais il faut que cela foit rare : il faut que les
militaires des deux claffes fe contentent de parvenir
à la tête de leurs égaux, & laiffent aux gens de qualité
les places éminentes. Le militaire qui a fervi
-pendant longues années eft le feul qui puiffe faire
des réclamations avec une .apparence de juftice ;
mais , fi on lui àccordoit ce qu’il demande, on
éteindroit toute émulation ; les jeunes gens, affurés
de ne parvenir aux grades élevés qu’après"avoir
croupi long-temps en quelques emplois obfcurs , &
d’y parvenir néanmoins, quelque conduite qu’ils
euffent tenue , tourneroient leur aélivité vers
des objets qui feroient au moins inutiles au fer-
vice du roi. Je le répète : on doit accorder l'avancement
& les grades -à la naiffancè- : le génie
.militaire , bien reconnu , & accompagné de la
fageffe, de l’étude , & de toutes les vertus guerrières
, eft le feul qui puiffe marcher fon égal.
Le militaire au front fillonné par les bleflures
defend fa caufe à fon tour. On vient de prouver,
dit-il, que les grades élevés n’appartiennent ni aux
allions éclatantes , ni aux anciens fervices, ni à la •
naiffance , quelque illuftre qu’elle foit : je dois
donc.me borner à faire voir que les guerriers dont
les cicatrices atteftenf la valeur. & le zèle méritent
un avancement rapide, & que les récom-
penfes pécuniaires font un prix indigne d’eux.
Si l’elpoir d’amaffer de l’or engageoit les militaires
à fe dévouer pour la patrie , on devroit
placer de l’or au bout de la carrière. Mais la gloire
& les honneurs font leur objet ; ce qu’il faut leur
offrir, ce font les honneurs & la gloire. Les récom-
penfes pécuniaires font que les vertus utiles à l’état
fous un afpeéf lui font onéreufes fous l’autre ; elles
infpirent l’amour des richeffes, du fafte , de l’opulence
: cet amour éteint l’enthoufiafme , &/ fans
enthoufiafme, eft-il des guerriers ?
Mais , fuppofons que les récompenses pécuniaires
ne produifent point un effet auffi funefte ;
elles éloignent du moins les citoyens du parti des
armes. Quand .j’aurai perdu un bras, pèuvent-ils fe
dire , l’état militaire ne m’offrira qu’un foible dédommagement,
au lieu que le commerce me prodiguera
les richeffes, & -ne m’expofera qu’à des
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périls légers, incertains , ou peu durables. Coni- J
ment ne donlieroient-ils pas la préférence à ce der- j
nier Pour conduire lès hommes aux fentiers de la
gloire, offrons leur des récompenfes que l’imagi-
tion puiffe embellir de touts fes ornements. Tels
font les titres & les diftin&ions. Joignons-y, pour
le citoyen dont le fang coule pour la patrie, Y avancement
y qui eft un bien effectif, plus réel que les
diftin&ipns, & qui eft en même-temps un bien
d’imagination. Il appartient au militaire couvert
d’honorables cicatrices. Le feul rival qu’on pour-
roit lui oppofer feroit l’homme de génie qui réu-
niroit les vertus aux talents ; mais cet homme eft
très difficile à trouver & à diftinguer. On peut
le confondre avec ceux qui n’ont que l’apparence
du mérite ; tenons nous en donc uniquement à ceux
qui portent des marques non équivoques de leur
valeur.
Le militaire qui s’eft diftingué par une aâion éclatante
parle à fon tour. Il approuve tout ce qu’a dit le
guerrier couvert de bleflures, & pour vaincre lé
leul concurrent qu’il croit avoir à combattre , il
répète tout ce qu’on a dit fur le hafard & le bonheur.
Le militaire inftruit par l’étude , peu empreffé :
de parler, parcé qu’il connoît la difficulté des
fonélions de juge , garde un fflence modefte , qu’il
rompt cependant quand il eft prié de le faire. Il
s’éloigne également de la fatyre & de l’adulation ; il
cherche à détruire l’opinion injufte que l’on a voulu
faire concevoir de ceux qui préfèrent lés plaifirs
purs, folides , & utiles , qu’offrent l’étudé & le travail
, aux plaifirs inquiets, frivoles, & nuifibles que
l’oiftveté & la volupté préfentent. Il fait voir fans
peine que l’étude , qui peut amollir le courage dans
les autres citoyens , n’a pas ?ce pouvoir fur. les
militaires ftudieux ; que le guerrier qui s’y livre •
peut avoir autant de valeur & plus de courage que
le refte des militaires ( voye^ moeurs ) ; qu’il doit
être plus fenfibfo qu’eux aux charmes de la gloire ,
parce qu’il eft fans ceffe occupé d’elle ; & qu’il
doit être efclave de fes’ devoirs., parce que les
hommes illuftres , les héros , les fages , dont il a
formé fà fociété la plus chère , lui donnent continuellement
de cette vertu des leçons & des exemples.
Ne croyez pas, cependant, ajoute-tdl, que je
prétende mériter feul, ni mériter plus que vous',
d’obtenir l’avancement. On ne doit à l’amour de
l’étude, & des c.onnoiffances, que des égards, de
la çonffdcration, & des encouragements. Les longs
fervices! doivent obtenir une marque diftin&ive ,
des places honorables, dont le revenu puiffe donner '
une vie douce & tranquille. Mais ils ne doivent
former aucun titre pour obtenir l’autorité. La no-
bleffe a des droits à- nos refpeâs, en faveur des
vertus & des fervices de fes pères ; mais elle n’en
doit conférer aucun à leurs places militaires. Les
bleflures méritent des diftinâ.ions qui les faffent
reconnoître , & des récompenfes pécuniaires qui en
dédommagent. Les allions éclatantes ont des droits
aux diftinaions glôrieufes ( V, récompenses ) ;
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mais le vrai talent , accompagné du zèle , des
vertus militaires , & des qualités focialcs, mérite
feul l’avancement. Sans cette heureufe réunion ,
l’homme de guerre n’eft ni capable ni digne des
grades élevés. Cet homméTune fois reconnu , ne
doit trouver aucun obftacle dans fa carrière : il
poffède la vertu , la valeur, & l’inftruéHon, fources*
propres & fécondes d’un luftre éclatant; célui de
l’origine eft emprunté. -Il rend d’éminents fervices ,
qu’il faut pefer & non pas compter. Je ne prétends
pas cependant qu’une longue fuite de travaux, une
ancienne origine , des bleflures , ou des aéfions
éclatantes, ne doivent point accélérer la marche
du génie vers les grades élevés ; chacun de ces
titres doit la rendre plus rapide ; aucun d’eux ,
féparé des autres, ne doit ouvrir cette carrière."
L’opinion que je propofe eft conforme à l’opinion
générale , puifque touts les militaires s’accordent
à donner lé fécond rang au genre de mérite
auquel fai donné le premier' : il me refte donc
feulement à faire voir combien il eft aifé de diftinguer
la vertu de l’hypocrifie, la valeur de la témérité
, l’inftruélion de la fuffifance , & les talents de
leur vaine apparence.
Pour reconnoître l’inftru&ion , nous' pouvons
employer les examens publies , le moyen plus
sûr & plus facile des converfations fixées fur des
objets importants';’ celui des mémoires demandés
fur les différentes parties de l’art militaire ; célui
des camps de paix , où l’on -peut obferver les
officiers , & juger de leurs connoiffances ; celui
des a&ions de guerre particulières, qui décèlent
le talent ; enfin, celui de la renommée générale L
qu’on devroit confulter plus - qu’on ne le fait. La
valeur fe fait promptement connoître ; le courage
eft plus- difficile à juger. Cependant on a pour cet
objet un grand nombre de fecours. L’homme que
l’on verra toujours calme , toujours exaéi , toujours
jufte, aura certainement le courage indifpenfable
dans les hommes de guerre; Quant aux autres
vertus militaires , & aux qualités fociales, il eft:
facile de les reconnoître. La politeffe & l’honnêteté
en font l’indice ; de bonnes moeurs en font
la marque ; les refpe&s des inférieurs , l’amitié
des égaux, & l’eftime des fupérieurs en font la
preuve. Des notes faites deux fois.par an , avec
impartialité , & avec appareil, accompagnées d’un
livre des punitions, tenu avèc foin, dans lè
plus grand détail, (V. bas officier ) , peuvènt
donner cette connoiffance. Enfin les demandes
des corps , U'vdix du' public , le-réfültat dés revues
fréquentes & longues que poürroient faire les inspecteurs
, répandroient fur le mérite une lumière
capable de le faire diftinguer. Alo rs ,- n’étant plus
arrêtés par la crainte d’accorder l’avancement à des
hommes qui en feroient indignes , nous pourrions
avec âffuranCe, fur la-marque diftin&ive de chaque
grade militaire , faire écrire ces mots ; au plus
^ A V A N ^ - CHEMIN-COUVERT. ( Fortifie. ).
A a ij