
jeunes gens choifis dont la légèreté s’accommodoit
avec la vîteffe des chevaux.
Végèce nous parle de vélites à cheval ; mais il
ne faut pas les confondre avec ceux-ci , qui étoient
certainement des fantaffins $ on ne peut en douter
d’après un paffage de Valère Maxime, où cet
auteur dit que l’invention de cette efpèce de mélange
Hit employé dans la guerre où Flavius
Flaccus alîiégea Capoue. La cavalerie romaine ne
pouvant réfifter aux petits combats continuels de
celle des Campaniens ; Q . Névius, centurion , imagina
de choifir les foldats les plus leftes de l’infanterie
, de les armer d’un bouclier léger, & de fept,
javelots légers 6c fort courts. Il leur apprit à
fauter adroitement en croupe derrière les cavaliers,
& à defcendre de cheval avec la même agilité ,
afin que , quand les efcadrons viendroient à fe
charger., ils puffent plus facilement avec leurs
javelots incommoder les gens de pied, lés cavaliers
& leurs chevaux. La nouveauté de ce genre
de combat incommoda beaucoup les Campaniens ,
& les avantages que les Romains eurent fur eux
furent attribues au ftiatagême de Névius.
Végèce parle enfuite des réferves. « C ’eft- une
méthode excellente ,• dit - il , & qui contribue
beaucoup au fuccès des aérions , d’avoir des corps
d’é lite , commandés par les généraux qui ne font
point employés en ligne. On en forme des réserves
que l’on place derrière le centre & les
ailes ; elles font deftinées à fe porter vivement aux
endroits où l’ennemi fait les efforts les plus puif-
fants, à empêcher qu’il n’enfonce l’armée^ dans
aucun endroit ; à foutenir les parties qui foibliflent,
à réprimer par-tout l’impétuofité de l’ennemi.
L ’invention des réferves eft attribuée aux Lacédémoniens.
Les Carthaginois l’imitèrent ; les
Romains l’adoptèrent enfuite , & l’employèrent
toujours. En effet, il n’y a point de meilleure
difpofition. Le corps de bataille devant avoir pour
unique objet de foutenir l’effort de l’ennemi ou
de l’ènfoncer ; s’il eft néceffaire au fuccès de l’action
de donner certaines formes à quelques corps,
comme celle du coin., delà tenaille, ou de la fcie,
ce font les troupes de réferve qu’il faut y employer ;
parce que, fï dans ces cas on fe fert des troupes
de ligne, on y jette la confufion. De même, fi
une troupe détachée des ennemis fe jettant fur
quelque partie de l’armée, on n’en a point de
femblables à lui oppofer qu’il faille en tirer du
corps de bataille ; il arrivera qu’en voulant fecoùrir
une partie de la ligne , on en dégarnira une autre ;
ce qui fera encore plus dangereux. Il faut même,
fi l’on n’a qu’une armée peu nombreufe , facrifier
■ l’étendue de fon. front, pour fe ménager une réferve
confidérable, & avoir toujours vers le centre
de fon armée une troupe d’infanterie d’élite &
bien armée , dont on puiffe former un coin pour
cmoncer vivement l’ennemi ; & , vers les ailes ,
des corps de cavalerie pefante , foutenus de pelctons
d’infanterie légère , afin de tourner l’ennemi,
6c envelopper fes ailes ».
Végèce continuant d’expofer fes principes généraux
lur les batailles, afligne des poftes aux généraux.
« Le chef de l’armée, dit-il, fe place ordinairement
entre la cavalerie 6c l’infanterie de l’aile
droite. C’eft delà qu’il peut aifément commander
à toute fon armée , & d’où il peutie plus facilement
le porter par-tcut. Il fe place entre ces deux
armes afin de pouvoir leur -donner fes ordres
pendant l’aélion & les animer par fa prélénce. Il
doit avoir pour objet de tourner, 6c , s’il eft pof-
fible , de prendre en queue l’aile gauche des ennemis
qui lui eft oppofée , avec une troupe formée
des cavaliers furnuméraires , & d'infanterie
légère.
Le - général en fécond fe place au centre de
l'infanterie pour l’encourager & la foutenir. Il doit
avoir près de lui une troupe d’infanterie compôfée
de ce qu’il y a de plus brave & de mieux armé
dans les furnuméraires , pour en former un coin
qui puiffe rompre l’armée ennemie à fon centre,
ou une tenaille qu’il oppoferoit au coin , fi
les ennemis prenoient les premiers cette difpo-
fition.
Le troifième doit être à l’aile gauche ; il faut
quil foit brave & prudent, parce que cette partie
eft plus difficile à conduire 6c plus foible que la
droite. Il aura une bonne troupe de cavaliers
furnuméraires, & des plus légers de l’infanterie,
avec laquelle il augmentera'l’étendue de l’aile qu’il
commande, afin de n’être point tourné par l’ennemi.
On ne doit jetter le cri du combat qu’au moment
où les deux armées s’abordent. C ’eft une
marque d’inexpérience ou de’peu de valeur, que
de crier de loin. D ’ailleurs l’ennemi s’effraye davantage,
lorsqu’il eft en même temps frappé .par
les coups des armes 6c par l’horreur du cri-.
11 eft toujours avantageux d’être en bataille le
premier. Alors on eft en état de faire fans obstacle
les difpofitions que l’on juge utiles : la confiance
de l’armée augmente, 6c célle de l’ennemi
diminue. On préfiime toujours que ceux qui pré-
fentent réfolument le combat font les plus forts ;
on commence à s’intimider lorfqu’on voit une ligne
s’ébranler & marcher avec fermeté. Il en réfulte
d’ailleurs un avantage confidérable ; c’eft qu’étant
le premier prêt à combattre , on peut tombef fur
l’ennemi avant qu’il foit formé 6c pendant les
mouvements qu’il eft obligé de faire ; ce qui jette
le trouble & la confufion dans fes troupes. En
un mot, c’eft avoir fait un-grand pas vers la victoire
, que^ d’avoir, même avant de combattre
femé la terreur 6c le défordre dans les lignes
ennemies ».
La place que Végèce vient d’affigner au général
en chef pouvoir lui convenir plus qu’une autre
en certaines cirxônftances ; mais cet auteur n’auroit
pas dû en faire une règle abfolue.
Le général en chef, après avoir fait fes difpofitions
6c donné fes inftruéfions aux généraux qui
font à fes ordres, ne doit plus avoir de place
dans l’armée , mais fe porter où l’appellent les
circonftances.
Sçipion difoit que dans une àérion, le devoir
d’un général n’étoit pas d’être vu de tout le mondé, ,
& de ne rien voir lui-même. L ’empereur Léon ,
après avoir dit que le général doit parcourir fes
lignes avant la bataille , ajoute, qu’il doit fe retirer
à la réferve, non pour combattre , mais pour
y -donner les ordres relativement aux événements.
Notre auteur continue ainfi : « je ne parlerai
point de ces coups de .main dont un général expérimenté
ne néglige point de faifir- les occafions.
Il eft certain que l’on combat toujours avec avantage
un ennemi fatigué d’une marche , divifé au
paffage d’une rivière, engagé en des marais ,
occupé à gravir contre des rochers, négligemment
difperfé dans la campagne , dormant avec fécurité
dans fon camp ; enfin , à touts les moments où ,
diftrait des foins de fa fureté , il peut être furpris
& plutôt détruit que préparé a' fe défendre. Mais
il n’en eft pas. ainfi lorique l’ennemi eft fur fés
gardes , & que fes précautions ne laiffent aucun
lieu aux furprifes. A lors' il faut le combattre à
force ouverte , lui livrer bataille*; 6c c’eft dans
ces aélions éclatantes, que la fcience de la guerre
eft auffi avantageufe que la rule & la fineffé le font
dans les furprifes.
Une des principales attentions qu’il faut avoir,
c’eft de ne pas fe laiffer envelopper à fon aile
gauche ; ce qui eft affez ordinaire ; ni à fon aile
droite ; ce qui eft plus rare. Si cela arrivoit ,
le feul remède eft de replier & . d’arrondir l’aile
environnée , de manière que , faifant face , elle '
préferve la ligne d’être prifè à revers. On obfer-
vera de placer aux angles que l’on eft forcé de faire
dans cette converfion rétrograde, les plus braves 6c
les plus vigoureufes troupes ; parce que c’eft à ces
endroits que l’effort de l’ennemi eft le plus violent.
Si l’ennemi formoit"un coin , il y a des moyens
de s’oppofer à fon effet.
On appelle coin une troupe ferrée , fort étroite
a fon front, & qui s’élargit à mefiire que fa hauteur
augmente. Son ufage eft de rompre la ligne
qu’elle attaque ; parce que, réunifiant un grand
nombre de combattants , cette troupe peut lancer
une multitude de traits fur un point de cette ligne :
les foldats appellent cet ordre tête de porc.
On oppofe à cette difpofition celle que l’on
appelle tenaille. On choifit les meilleurs loldats,
& on en compofe une troupe qui a la forme de
la lettre V. Elle reçoit le coin , ( qui a celle de
la lettre A , ) ? & l’embraffe de toutes parts : ainfi
il ne peut rompre la ligne ».
L’ordonnance que l’on nomme fcie eft en ligne
droite , & compofée des plus braves. On l’oppofe
à l’ennemi devant le front de la ligne , quand on 1
veut en réparer le défordre.
a On nomme pelotons des corps féparcs qui
harcèlent l’ennemi, tantôt d’un côté , tantôt de
l’autre j 6c on leur en oppofe d’autres de même
efpèce,-mais plus forts ou plus nombreux.
On ne doit jamais faire de changement à fon
ordre, de bataille, ni faire paffer des corps d une
place à l’autre , au moment où le combat s’engage
: la confufion naîtroit auffitqt, & l’ennemi
lailiroit cet inftant de défordre pour attaquer avec
avantage ». (J. ).
Depuis Végèce , Maurice, & Léon , qui avoîent
copié les anciens , ceux qui écrivirent fur d’art
militaire ajoutèrent peu de chofc à ce qu’avoient
dit ces trois. auteurs' : ils furent fuivis pas à pas
par Machiavel ; celui-ci par du Bellay & plufieûrs
autres. Le premier qui écrivit avec une-fcience qui
lui étoit propre fut Henri duc de Rohan.
Il reçut des anciens les premières leçons fut
l’art militaire , fe forma par l’expérience fous
Maurice prince d’Orange ; Spinola, & Lefdiguières,
6c dans le feizième fièclé commanda les armées de
France avec des fuccès dignes de fes maîtres.
Il écrivit pour fon inftruéfion un abrégé des
commentaires de Cæfar , avec des notes remplies
de vues profondes & d’excellentes inftruérions.
Il compolà auffi un traité fur l’art de la guerre,
6c ces deux ouvrages furent publies après la mort.
On lit dans fon traité ce qui fuit fur-les batailles.
« De toutes les aérions de la 'guerre, la plus
giorieufe 6c là plus importante eft de donner bataille.
Le gain d’une ou de deux acquiert ou bou-
leverfe les empires entiers. Anciennement toutes
guerres fe décidoient par les batailles ; c’eft ce qui
caufoit les conquêtes fi promptes. Maintenant on
fait la guerre plus en renard qu’en lion ; elle eft
plutôt fondée fur les fiéges que fur les combats*
Néanmoins II y a encore aujourd’hui diverfes nations
qui décident la plupart de leurs guerres par
les batailles , comme les Turcs & les Perfes; &
même , parmi les Chrétiens, nous avons vu depuis
peu donner diverfes batailles en Allemagne , dont
une feule avoit comme affervi touts les princes
proteftants. Une armée bien dilciplinée , 6c qui ne
craint point la bataille, a un merveilleux avantage
dans touts fes deffeins , contre celle qui la
craint. C ’eft pourquoi, encore que la manière de
guerre d’aujourd’hui ne foit fi fréquente a hafar-
der les batailles que par le paffe , il ne faut pas
pourtant en. négliger la fcience. Un général d’armée
ne fe peut dire bon capitaine , qu’il ne fçache
touts les avantages qu’en jour de bataille on peut
prendre , 6c touts les défavantages qu’on doit éviter
afin de s’en bien démêler. Je ne parlerai de la
pouflière , du foleil, & de la pluie, dont on remarque
que plufieurs capitaines fe font fervis, la
mettant au nez de leur ennemi , en prenant le
deffus du vent ; pour ce que ce fonr chofes ca-
fuelles, qui peuvent changer en un moment, &
qui par conféquent viennent plutôt par hafard , que
par deffein ; mais je parlerai de chofes plus folides.
F f ij