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dès qu’on y admettra d’autre divifion que celle
qui découle de la fource primitive, celle du jufte
& de l’injufte que tout homme porte dans fa conscience.
Les traités $ alliance entre Souverains font
bien affujettis à la même loi que les conventions
particulières : mais celles-ci font jugées par un tribunal
fiiprême, dont le pouvoir oblige les deux
parties à les tenir, à moins qu’il n’y ait dol & léfion
manifefte de l’une des deux ; au lieu qu’il n’en eft
pas ainfi des conventions publiques entre Souverains
; & c’eft pour n’avoir pas Sait d’attention
a cette différence, que l’exa&e vérité me paroît
avoir échappé à Grotius & à Puffendorf. Si, comme
ils l’ont prétendu, certaines allia n c es étoient héréditaires
; fi le fucceffeur étoit obligé de refpe&er
toutes les difpofitions de Son prédécefleur, il n’y
auroit aucune a lliance qui ne fût perpétuelle : c’eft
ce qu’on ne peut eSpérer d’aucune tranfa&ion humaine.
Dans les conventions entre Souverains, je
ne vois d’autre tribunal que leur conScience. Quant
a l’héritier du trône , c’eft lui que la nature du
gouvernement conftitue juge Suprême, tuteur, dé-
fenSeur des intérêts du peuple. S’il croit voir évidemment
qu’une a llia n c e , contrariée par Son pré-
décefteur, eft contraire à Ses intérêts ; non-Seùle- \
ment il peut, mais il doit ne pas la garder, lorsqu’il
eft poflible de le faire d’une manière plus
utile à l’état que cette allian c e ne lui eft nuiSible.
Juge Suprême dans cette partie, il n’y a aucune
obligation qui l’affujétiffe, que celle de la raiSon
& de Sa conScience* Il doit, après avoir examiné
toutes les circonftances & combinaisons politiques
avec l’attention la plus ScrupuleuSe, faire le plus
grand bien, o u , s’il y eft forcé, le moindre mal
de Son peuple, puis de Son allié. La conduite générale
des princes & des nations montre qu’ils ont
touts donné leur affentiment à ce principe ; c’eft
d’après lui qu’on me paroît avoir établi l’ufage de
re'nouveller, à la mort d’un prince , les alliances
qu’il avoit faites.
Après la mort de Romulus, de Tullus Hoftilius,
d’Ancus Martius, de Tarquin l’ancien, de.Servius
Tullius, nous voyons que les Fidénates, IesToS-
cans, les Sabins , Se croient dégagés de leur alliance
avec Rome ; Sans doute parce qu’ils croyoient
que cette a llia n c e étoit oppoSée à leurs intérêts,
& que , la force Supérieure, ou le puiftant lien
de la crainte, qui les enchaînoit ne fubfiftant plus,
Y alliance étoit détruite. Qu’ils aient bien ou mal
jugé de leurs yrais intérêts, s’ils étoient de bonne
f o i, ils avoient le droit d’agir d’après leur raifon
& leur conScience. Après la mort de Jovien,
Sapor ne regarda point comme héréditaire Vailla
n c e qu’il ayoit faite avec cet empereur ; il entra
*en Arménie ; & Sans doute il avoit lé droit d’attaquer
les Romains , ennemis de toute la terre,
La loi du Souverain eft de faire lé bonheur de Sa
nation ; & de plus la loi naturelle, d’accord avec
la loi politique qui n’en eft qu’une branche, l’oblige h faire ^ autant qu’il le peut 9 le bonheur de les I
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alliés : mais le Souverain Seul eft l’interprète de cette
loi. Et fi, lorSqu’un prince a contra&é une a llia n c e ,
les circonftances viennent à changer ; s’il reconnoît
qu’il s’eft trompé au préjudice de Son peuple,
qu’il a été trompé , que Son allié eft infidèle,
inexact dans Ses engagements , & autres chofes
Semblables ; il doit Sans doute employer les moyens
les plus sûrs , les plus Sages, les plus doux, les
moins onéreux, ou même les plus avantageux à
Ses alliés, fuffent-ils infidèles. Il eft digne, d’un
monarque de vaincre par la magnanimité, 6c de
rappeller à leur devoir, par l’exemple des grandes
vertus , les princes qui s’en écartent.
Mais, fi tout roi a le droit de renoncer à une
a llia n c e qu’il a contra&ée , à plus forte raiSon celui
qui Succède a le même droit. L’exemple du con-
fûl romain que Grotius rapporte ne fait rien à
cette queftion. Sous le confulat de Publius Vale-
rius, le peuple romain jura de s’afTembler, quand
il feroit convoqué par le conful. Valerius étant
mort, on mit à fa place Titus Quintius Cincinnatus,
ôc quelques tribuns Soutinrent que le peuple n’étoit
plus tenu de Son Serment. Il eft évident que ceci
n’étoit qu’un miférable Subterfuge, & que le
peuple, en faifant ce Serment, défignoit le conful
en général, & non le conful Valerius.
Quant à la diftin&ion entre la monarchie & la
république , d'après laquelle Grotius & Puffendorf
décident que toute allian c e avec une république
eft réelle ; elle n’eft fondée que fur l’idée imaginaire
de la perpétuité du Souverain dans l’état
républicain. Un Sénat, un corps de nobles, ou de
citoyens opulents , n 'a -t-il pas des vues perfon-
nelles ; S i les corps d’adminiftrateurs, ou même
un peuple entier, s’il Se gouvernoit, ne meurent-
ils pas comme un roi ?
Grotius demande enfuite fi Yalliance qu’a con-
traélée un prince qui vient à être exclus du trône
par Ses propres Sujets fubfifte, & s’il eft en droit
d’exiger du Secours de Ses alliés. Il décide que
dans ce cas Vaillance fubfifte dans toute fa force,
parce que ce roi conferve toujours Son droit à la
couronne , quoiqu’il n’en Soit plus en poffefïion.
Ce sas-ci me paroît encore .une dépendance de
la propofition générale, 6c devoir être réfolu par
la loi Suprême du prince , le bonheur de Son,
peuple 6c celui du peuple allié. Je vois ici le
roi 8c l’état Séparés , l’un compté pour tout 6c
l’autre pour rien. Ce n’eft pas avec-le roi exilé
Seul que l’autre a contra&é : ce n’eft pas à lui Seul
qu’il a promis des Secours ; il y a toute apparence,
comme l’obServe Puffendorf , que l’évènement
n’a pas été prévu, ôc que les Secours n’ont été
ftipulés que contre-les ennemis étrangers ; j’ajouterai
les ennemis de l’état. Ainfi le prince allié
n’en doit pas alors en vertu de Vaillance. Ce que
Puffendorf ajoute me paroît trop général. Il dit,
que , Si dans le traité d'alliance il y a une claufe
expreffe qui porte qu’on le fait pour la défenfe de
la perfenne pleine du roi ou de Sa famille , on
doit
doit Sans contredit lui aider à recouvrer Son
royaume. Mais cet objet perfonnel à un Seul
homme peiit - il être celui d’un traité entre des
nations ? Un prince peut en Servir un autre de
ce qui lui appartient. Peut - il de même employer
les biens ôc les vies de Ses Sujets, pour l’intérêt
d’un fèul homme devenu odieux à Son peuplé ? Il
peut le recevoir dans Ses états, l’accueillir, le
traiter en roi ; c’eft une a&ion humaine , grande ,
ôc généreufe, fi les motifs qui l’éloignent du trône
Sont moins des vices qui lui Soient propres, que
des opinions nationales. Au - delà c’eft à lui de
juger ce qu’il peut ôc doit faire , Suivant Sa grande
loi, le bonheur des peuples. Plus il Sent que Sa
conScience eft Son juge unique , plus il la doit
craindre.
... Si, contre la volonté de Ses Sujets, le prince
' allié cède à la >£orce d’un- ufurpateur , toutes les
loix du droit naturel ôc du droit politique -obligent
le Souverain qui a contraâé a lliance avec
lui, de le Secourir, de faire tout ce qu’il peut,
pour rendre au prince légitime Son trône, aux
lu jets leur monarque ôc leur liberté. De même
un roi allié d’une république doit l’afîifter contre
les entreprises d’un citoyen ambitieux qui tente
, de l’affujettir ; c’eft défendre l’humanité contre
l’injuftice ôc la violence.
i’1. Il ne Seroit peut-être pas inutile de prendre
l’inverfe de la queftion de Grotius, ôc de demander
fi, lorSqu’un.prince eft détrôné par Son"
peuple, celui, qui a fait a lliance avec ce peuple
par l’intervention du roi exilé , doit la .garder. 11
eft certain qu’il l’a co'ntra&ée pour l’intérêt de
Son peuple avec ce prince confidéré comrne chef
d’un autre peuple , ôc que ce Sont les intérêts des
deux peuples, ôc non personnellement ceux du
monarque qu’il a voulu balancer. Il me paroît
donc qu’à moins que des circonftances très particulières
ne l’ordonnent, autrement , le prince
allié doit garder Sa convention. Mais le peuple
qui , ayant été Sous Son roi dans une efpèce de
minorité , n’a eu qu’une part indjre.âe à Vaillance,
doit décider Suivant Sa raiSon ÔC Sa conScience Si
Vaillance Verdi continuée. Il a ce droit, tant qu’il
retient ôc exerce la fbuyeraineté.
Un autre cas fe préfente. Je fuppofe une a lliance
dans laquelle il eft ftipulé des Secours mutuels
contre les ennemis des deux princes contractants..
L’un tyrannife une partie d.e Ses Sujets , donne
atteinte aux conventions qu’il a faite? avec eu x ,
ôc les contraint par Son injuftice à s’armer pour
défendre leurs droits. S’il appelle à Son aide la
puiffance alliée pour Soumettre ces Sujets qu’il
traite de rébelles, celle - ci eft - elle tenue de le
Secourir ? Non fans doute. La première loi eft la
juftice. Les Secours n’ont pu être ftipulés que dans
cas d une guerre jufte, 6c .dans celui-ci ce ne Sont
pas les Sujets qui Sont ennemis de-Jèur prince, c’eft
lui-même qui eft agreffeür.
J e me bornerai dans cet ouvrage à des principes
A r t militaire, Tome /,
généraux ôc à quelques notions fuccintes Sur les
principales différences qui cara&érifent les allia n c es ,
ôc Sur les divifioris qu’elles ont introduites dans
le langage de la politique. On y. diftingue deux
efpèces $ a llia n c e s , les. égales ÔC les inégales. On
nomme égales celles dsans lefquelles on prononce
de part ôc d’autre des chofes égales , ou absolument
ou proportionnellement aux forces de chaque
allié., mais de manière qu’aucune des parties ne
fe reconnoît inférieur^ à l’autre en quoi que ce
Soit. On ftipule , par exemple, que chaque allié
Fournira un Secours égal de troupes, de vaiffeaux ,
d’argent , de munitions , ôc autres chofes Semblables
, Scfit dans toutes fortes de guerres Sans
exceptiontant offenftve que défenfive, envers ôc
contre touts, excepté les alliés de part Ôc d’autre ,
Soit dans une certaine guerre, ôc contré certains
ennemis ; c’eft ce que les anciens appellent av o ir
mêmes amis & mêmes ennemis. On établit encore
l’égalité en s’engageant à n’avoir point de place
forte fur les frontières l’un de l’autre, ou à n’en
avoir qu’un même nombre ; à n’accorder ni pro-
teâion ni retraite aux Sujets de Son allié , ôc réciproquement,
à rendre ceux qui .pafîeroient dans
Son pays ; à ne point donner paffage aux ennemis
l’un de l’antre, Ôte.
Dans les allianc es inégales on promet des
fecours inégaux , & ce peut être fans' aucun
rapport à la puiffance ; l’intériorité des chofes fti-
pulées fe trouve quelquefois du côté de l’allié qui a
le .plus .de forces , quelquefois du côté de l’inférieur.
Lès allia n c es égales ou in ég a le s , les plus sûres
& les plus durables , font celles dont l’objet eft
un intérêt commun, qui, foit par l’éloignement
,foit par la différence des gouvernements , ne
peut pas être altéré par d'autres intérêts op-
• pofés : o n . les nomme naturelles. Si les deux
puiffances alliées s’y donnent des fecours mutuels
, fans avoir rien à craindre l’une d'é l’autre ■
leur union n’eft jamais troublée. Telles peuvent
être la Suède , la France, & la Turquie. Mais quand
les puiffances ont de grandes forces, & qu’elles
font voifines , que leurs intérêts font compliqués,
& tantôt communs , tantôt opp.ofés, du moins en
apparence; (car l’union & la concorde formeront
toujours le plus grand & le véritable intérêt) ;
il eft beaucoup plus difficile de les maintenir contré
la violence des pallions humaines.
-Quant à celles des grands princes avec les petits
fouverains , elles font peu sûres. Ceux - ci font
fujets à changer, ou pour un intérêt plus grand ,
ou par crainte. S’ils perfiftent conftamment , ik
courent rifque d’être écrafés par les grandes puiffances
ennemies de leurs alliés, comme le fut le
duc de Holftein par la Ruflie & le Dannemarck
lorfqu’il embratfa Xalliance de la Suède. Leur neutralité
eft fouvent plus utile que leur alliance.
Il y en a aufli que l’intérêt du moment fait naître,
quoiqu’en général les vues politiques y foient