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dilant en fon gafcoii, les mains jointes : Dieu , je
te prie que tu jajjes aujourd'hui pour la Hire autant
que tu voudrois que la H i r e fijl pour toi, s'il ètoit
Dieu, & que tu fajje la Hire; &. il cuidoit, ajoute
Fhifto rien j très bien prier & dire. n.
Nos anciens chevaliers mêloient tellement la
galanterie avec leur religion qu’on nous pardonnera
de ne les jamais féparer. Si leur c'hriftianifme
n’étoit qu’un amas déplorable de fuperftitions,
nous ne devons pas avoir une idée plus avantageule
de l’innocence prétendue de leurs amufements
avec les dames & les demoifellés., de leurs conver-
fations, des récits continuels qu’eux & leurs écuyers
faifoient de leurs exploits à la guerre’& dans les
combats. Quoique d’ordinaire elles partageaient
avec eux les divertifiements de la chafle, eft-il
aifé-de croire qu’elles entendiffent toujours avec le
même plaifir les difcours de fauconnerie & de vénerie
dont ils les entretenoient, & dans lefquels ils
traitoient de la nature des oiféaux, de leurs qualités
& propriétés, de la manière de les élever &
de foigner leurs maladies ? Dans ce temps-là le
mérite le plus accompli d’un chevalier confiftoit à
le montrer brave, gai, jo li, & amoureux; & ,
quand oh avoit dit de lui qu’il fçavoit également
parler d’oifeaux , de chiens , d’armes, & d’amour ,
quand on avoit fait cet éloge de fon efprit & de fes
talents, on ne pouvoit plus y rien ajouter.
On ne parloit point de l’amour, fans définir Tef-
fence , & le caraâèr.e du parfait Si. véritable amour ;
& l’on fe perdoit bientôt dans un labyrinthe de
queftions fpéculatives fur les fituations, ou les plus
défefpéràntes 5 oii les plus délicieùfes d’un coeur
tendre & fincère, fur les qualités les plus aimables
ou les plus odieufes d’une maîtrefië. Les fauffes
fubtilités' que chacun employoit pour défendre, fa
thèfe étoient appuyées, tantôt de déclamations
indécentes contre les dames, tantôt des phrafes pom-
peufes cent, fois répétées qu’on débitoit en leur
honneur. Un juge de la difpute y répondoit à ce
qu’on app.elloit prince d'amour ou prince du puy dans
les cours d’amour ; jurifdiâion établie dans quelques
contrées, pour connoître de ces importantes matières:
un juge, dis-je, prononçoit des fentences
prefque toujours équivoques, obfcurès, &. fouvent
énigmatiques, auxquelles les parties fe foumet-
toient avec une refpeélueufe docilité.
S i, pour fe délaffer des travaux du miniftère, le
cardinal' de Richelieu a fait depuis foutenir de
pareilles thèfes d’amour ; s’il a donné quelques inf-
tants de loifir à ces amufements, au moins fri- ■
voles, traitons-les avec une forte d’indulgence. Les
gens de qualité confervoient encore ce goût que
leurs pères avoient pris dans nos anciennes cours.
C e fut fans doute pour complaire à fon fondateur
que l’académie françoife traita dans fes premières
féances plufieurs fujets qui concernoient l'amour,
& l’on vit encore, dans l’hôtel de Longueville ,
les perfonnes les plus qualifiées &. les plus fpiri-
tuelles du fiécle de Louis X IV , fe difputer à qui
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Gommenteroit & rafineroit le mieux fur la délicat—
telle du coeur & des fentiments, à qui feroit fur ce
chapitre les diftinâions les plus fubtiles.
Ces amants de l’âge d’or de la galanterie, qui
femblent avoir moins puifé dans Platon que dans
l’école des Scotiftes les idées & les définitions de
l’amour, ces efpèces d’enthoufiaftes fe vantoient de
n’aimer que lès vertus, les talents, & les grâces de
leurs dames, d’y trouver Tunique fource du bonheur
de leur vie , & de n’afpirer qu’à maintenir,
qu’à exalter, & qu’à répandre en tout lieu la répû>
tation & la gloire qu’elles s’étoient acquifes. Prodigues
de louanges' exagérées, ils ne fe feroient
j amais permis d’avouer qu’il y eut une dame plus
belle que celle qu’ils fervoient. Quelques uns meme
fe vantoient de la plus violente paffion pour celles
qu’ils n’a voient jamais vues, fur le feul bruit de
leur renommée. Une infinité de détails'toujours
puérils étoit la feule expreffion des craintes, des
efpérances & de touts les fentiments dont leurs
efprits étoient agités.
Cette métaphyfique d’amour, ce vafte champ où
s’exerçoient les plus beaux efprits qui brilloient parmi
nos refpeéhieux ferviteurs des dames, n’avoit cependant
point banni de leurs entretiens les images ,
les alhrfions, & les équivoques froides & obscènes
, productions ordinaires des efprits grofliers
& licentieux. L’indécence fut poitée auffi loin
qu’elle pouvoit aller dans les écrits, & fnr-’tout
dans les poèfies de ce temps, auquel les hommes
les plus qualifiés s’exerçoient dans la fcience gaie,
c’eftrà-dire dans l art de rimer & de verfifier.
Comme il n’y avoit qu’un pas de la fuperftition
de nos dévots chevaliers à l’irréligion, ils n’eurent
auffi qu’un pas à faire de leur fanatifme en amour
aux plus grands excès du libertinage. Ils ne deman-
doient à la beauté dont ils étoient efclaves, ou
plutôt idolâtres, ils ne demandoient que la bouche,
& les mains , ( termes empruntés de la cérémonie
des hommages); c’eft-à-dire l’honneur de tenir
d’elles leur exiftence comme en fief : mais on ne
les jugera pas trop légèrement , fi Ton dit que fou-
vent ils furent peu fidèles aux chaînes qu’ils avoient
prifes. Jamais on nevit les moeurs plus corrompues
que du temps dé nos chevaliers, & jamais le règne
de la débauche ne fut plus univerfel. Elle avoit des
rues dans chaque v ille, même des quartiers ; &
Saint Louis gémifïbit de l’avoir trouvée établie
jufqu’auprès de fa tente pendant la plus fainte des
croifades. C’eft Joinville même, confident de fes
plaintes, qui nous les rapporte. L’ignominie que
ce prince vouloit faire fubir à l’un de fes chevaliers,
furpris en faute., prouve combien il étoit
néceffaire d’arrêter les fuites de la corruption générale.
Le châtiment, dont ce pieux monarque
avoit trouvé l’exemple dans , les loix. communes
du royaume , n’étoit guère moins fcandâleux que
le crime.
Aux tendres converfations de nos chevaliers &
de nos- écuyers fuccédoient plufieurs jeux , qui
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fouvent rouloient fur la galanterie , & dont quelques
uns , qui nous font demeurés, amufent à
" peine nos enfants. Un vain cérémonial de révérences
, de génuflexions, de profternations jufqu’à
terre, confumoit le refte de leur temps dans un
exercice continuel, auffi fatigant que ridicule.
Défions-nous des éloges que donne un fiècle au
fiècle qui Ta précédé. L’amour antique,fi tendre, fi
confiant, fi pur, & fi vanté , dont on fait toujours
honneur a fes devanciers , fut le modèle que les ;
cenfeurs, dans touts les âges, proposèrent à leurs
contemporains : deux ou trois cents ans avant
Marot, on avoit, comme lui & prefque dans les
memes termes, regretté letrain d’amour qui régnoit
au bon vieux temps. ■
Un autre inconvénient plus férieux de la chevalerie
militaire fut celui de manquer de refpeél
pour l’autorité royale , & d’attachement pour fa
patrie. On voit dans notre hiftoire un grand nombre
de feigneurs que la multitude de leurs vaflaux, de
leurs chevaliers, de leurs écuyers , & peut-être
meme de leurs fraternités d’armes, rendit prefqu’in-
dependants , & quelquefois rebelles. Souvent, au
de leurs caprices, de leurs paffions, ou d’un
intérêt criminel, ils vendirent leurs fervices aux
ennemis de l’état. Mais dans quelques autres parties
de l’état politique les abus de la chevalerie n’é-
toient ni moins pernicieux, ni moins criants. Les
chevaliers, qui dans leurs fiefs avoient été , pour
amfi dire, les arbitres de la juftice & de la guerre ,
abandonnèrent vers le temps de Philippe-Je-Bel,
dÇ Louis-le-Hutin , & de Philippe-le-Long , Tadmi-
niftration de la juftice. Sans celle occupés des dé- ;
meles continuels de nos rois avec les rois d’Angle- ;
terre, ils fe livrèrent uniquement aux exercices des
armes, tant a la guerre que dans les tournois. Ce
fpe&acle militaire -, prefque ^toujours défendu par
les papes, parce qu’on y répandoit le fang, & fou-
vent interdit par nos rois, à caufe des dépenfes
énormes qu’il entraînoit, & du nombre exceffif
des chevaliers que Ton y créoit ; les tournois, dis-je,
ruinèrent une grande partie des nobles qu’avoient
épargné nos croifades & nos autres guerres ; ils
dégradèrent fouvent la chevalerie, qui devint le
prix de Tadrefle, de la force, même de l’intrigue &
de l’opulence, plutôt que du courage & de la
vertu : c’eft peut-être pour cette efp.èce de chevaliers
que fut mis en vogue ce proverbe, bonne
renommee vaut bien ceinture dorée, que l’on a mal-à-
propos appliqué feulement aux dames , puifque la
ceinture ou le ceinturon d’or faifoit également partie
de l’habillement & de la parure de*s cheva-
Quoi qu’il en foit, ces chevaliers, maitres
abfolus,.en quelque forte, de la fortune des gens
de guerre qu’ils levoient & qu’ils commandoient,
les faifoient fervir à leur vengeance , dans leurs
querelles perfonnelles, & les payoient de ces fer-
vices par la liberté qu’ils leur, laifloient de commettre
à leur tour de pareilles violences. Incapables
de repos; lorfque la guerre, interrompue
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ou finie, ne leur laifloit plus cî’ennemis à combattre;
au défaut de ceux de Tétât 9 \[s en cherchèrent
dans leurs voifins , &. dans leurs concitoyens
: ils exercèrent les uns contre les autres
dés brigandages perpétuels, dont ils étoient alternativement
les victimes ; & cependant le peuple
étoit facrifié à leur avidité & à leurs fureurs.
Ceux à qui les chevaliers avoient abandonné Tad-
miniftration de la juftice ne pouvoient la défendre
contre des infracteurs qui n’âdmettoient d’autre droit
que celui de la force , & q u i, néceffaires au milieu
des.guerres & des troubles dont la France fut
fouvent défolée , étoient comme fins de l’impunité.
Les chevaliers , dont il s’étoit déjà fait de
trop fréquentes promotions dans les tournois ,
furent multipliés à l’infini dans ces funeftes guerres.
Le peuple, fous Taugufte nom q u i, dans l’origine,
n’avoit été donné qu’à fes défenfeurs & à fes
juges, vit touts les- jours accroître le nombre de
fes tyrans , & fut même quelquefois obligé de
s’armer contre eux , comme on le vit fous les
Rois Jean & Charles Y .
Plus les chevaliers pèrdoient de leur confide-
ration par leur multitude , plus ils s’efforçoient
de la regagner par la violence avec laquelle ils
ufoient d une autorité qui leur échappoit, & d’aur
tant plus jaloux de ce rang qu’ils en étoient moins
dignes, ils exercèrent en conquérants le même
pouvoir que les premiers auteurs de la chevalerie
n avoient exercés qu’-à titre de patrons & de
bienfaiteurs. S il leur arrivoit de fuccomber fous
lé poids de leurs iniquités, ce n’étoit fouvent que
pour être remplacés par un autre ordre d’hommes ,
peut-être encore plus pervers & plus corrompus.
L’ignorance profonde dans laquelle vivoient les
chevaliers , car plufieurs d’entre eux ne fçavoient
pas meme lire ; cette ignorance les forçoit d’abandonner
le foin de leurs affaires, comme ils
avoient abandonné Tadminiftration de la juftice
à des baillis- & à d’autres officiers qui étoient à
leurs gages. Entraîné par eux en des procès in-
juftes, enveloppé à deffein dans les replis d’une
piocedure qui maintes fois étoit foutenue par des
aéles de violence , un chevalier ne pouvoit fe
dérober à'la rigueur des loix que par le fecours
de ceux qui avoient été .les inftruments & les.
miniftres de fes injuftices ; &' ceux-ci le faifoient
fouvent tomber dans le piège qu’ils lui avoient
tendu , pour s’approprier les débris de fa fortune ,
& s’élever fur la ruine de leur maître. Ainft ces
odieux chevaliers, ces nouveaux tyrans du peuple ,
en trouvoient eux-mêmes de plus dangereux en
•s efpèces de clercs ou eccléfiaftiques; (-caries
officiers dont je parle étoient prefque touts de
cet ordre ) ; hommes ignorants & fans moeurs ;
ffiffi'ffits des lettres , & moins encore de
1 écriture fainte, ne connoifloient que les calculs
de la finance ,. & les fubtilités de la chicane „
a/t /avo*€n,t p o r t e s des pays ultramontains.
Maigre les défordres de ceux qui profefîbient la