
légèrement en colonne, avec une arrière-garde
qui puiffe retarder l’ennemi ; & ne-point mettre des
troupes en bataille qu’on n’y ioit forcé par la né-
ceflite de combattre. ».
Pafl'ons maintenant aux préceptes que nous a
laiflés le marquis de Feuquières. il monta par touts
les grades, depuis celui de volontaire dans.le régiment
du R o i, julqu’à celui de lieutenant-général.
Elève de Luxembourg & de Catinat;doué d’un
el'prit obfervateur Ôc méditatif, il tira d’excellentes
inftru&ions des grandes aéfions & des fautes des
généraux fous lefquels il'fu t employé. Un-jugement
lolide, qu’un exercice continuel avoir rendu
sûr, lui découvroit'les entrepriles qu'il pouvoit
former avec efpoir du luccès. Un profond fecret,
une grande a&ivité, une précifion fmgulière dans
fes mefures, un génie fécond en refiources,- en
affurèrent toujours la réuffite, Ôc le rendirent auffi
chervaux troupes qu’il commandoit que redoutable
à fes ennemis. La jaloufte & l’envie , blefiées par
l’éclat de l'es talents, tentèrent de les transformer
en vices. La connoiflancè profonde qu’il prenoit
de fes adverfajres & de leurs moyens, lui iàifoit
fbuvent tenter des coups, qui , pour iembler
hafardeux , n’en étoient pas moins .certains : on
l ’accufa de témérité. Ses réflexions & ion expérience
lui avoient prouvé qu’une dilcipline févère
étoit la bafe de-fon a r t. fon exa&itude fut nommée
dureté. Franc, lincère, zélé pour le bien de
l ’état ; il ne pouvoit diffimuler ni les belles actions,
ni les fautes qu’il voyoit faire ; Ôc l’envie, Menée
dans fes deux plaies les plus fenfibles~, lui reprocha
d ’être infociable. Cependant il étoit d’un commerce
doux ÔC aifé , attentif à procurer à 'fes
troupes les commodités permifes par les circonf- -
tances, à leur épargner Ja fatigue. & le danger,
quelquefois aux dépens de fon repos & de fa. vie
même : mais il blâmoit hautement les généraux
qui tenoient une conduite oppofée , Ôc augmente ît
les fureurs de la jaloufie , en ne daignant même pas
fe juftifier de fes reproches. Il partagea l’inimitié
de Louvois avec Luxembourg, fon parent , fon
ami, & fon 'maître. Auffi propre à fervir l’état
qu’éloigné de l’efprit d’intrigue & de flatterie ,
qui élève trop fouvent aux premiers rangs un
courtifan.fans mérite, il ne fut pas employé dans
un temps où les talents fupérieurs qu’il avoir montrés
auroient été le plus utiles, parce qa’ils étoient
devenus rares : on l’oublia pendant la malheureufe
guerre de 1701 , Ôc le duc de Savoie difoit .-qu’il
étoit furpris qu’on ne le fît pas fervir, mais qu’il
n’en étoit pas fâché. Ce fut dans cette retraite,
que ne-pouvant fe rendre utile par fes exemples,
il voulut l’être par fes écrits.
« Les batailles, dit-il, étant des aâions générales
d’une armée contre une autre, Ôc décidant fouvent
du fuccès de toute la guerre, au moins, & prefque
toujours de la. campagne; elles ne doivent être
données qu’avec/ néceflhé , Ôç pour des jraifors
importantes. ( Voye^ A c t io n .).
La réfolution de combattre étant prife, il faut
palier aux.moyens de l'exécuter avec fuccès.
De ces moyens, les uns font de prévoyance t
pour les autres, on ne, les trouve que le jour dû
combat, & ce font pourtant ceux qui décident
préique toujours du luccès.
Les moyens de vaincre, 8c qui fpnt de prévoyance
, lont de faire Ion ordre de bataille, fui-
vant la quantité ou la qualité des troupes dont
l’armée elt cpmpofce , 8c le pays oh l’on préfume
de trouver l’ennemi ; de diftribuer des polies aux
otheiers-généraux ; de donner des copies de cet
ordre de •bataille, , à touts ceux qui doivent nécef-
lairement en avoir » pour le faire obferver ; d’avoir
toutes fes troupes bien armées, 6c même,
des armes de relais au parc de l ’artillerie, pour
les pouvoir diftribuer, ioit avant le combat, s'il
en manque , 6c qu’on ait des foldats défarmés.;
foit après le combat , où il s’en perd beaucoup ; 8c
dans les cas où Faélion ne feroit pas promptement
décidée, d’avoir abondance de munitions
de guerre diftribuées fur des charrettes compofées,
pour les trouver à propos derrière les troupes qui
auront un plus long feu à faire, ou à l'outenir ; de
faire diftribuer avant le combat un nombre fufîi-
fant de coups à tirer; que l’armée ait eu le temps
démanger, 6c de prendre quelqué repos, s’il èil
poflible , avant le combat ; d’avoir plus de. médicaments
6c de chirurgiens qu’on ne préfume en
avoir befoin ; d’être abfolument débarraffé des
gros bagages, 6c avoir même placé les mêmes
bagages en lieu sur 6c diftant d,es lignés1; de
ne point, n égligeras avantages du. foie il 6c de la
pouffière ; d’inlpirer à .l’armée l’envie de combattre,
la certitude de la viéioire, le defir du
butin, 6c de bons quartiers aux foldats, celui de
la gloire, 6c les récompenfes aux officiers. Les
moyens de vaincre , qui ne fe présentent que
le jour du combat, font touts les avantages du
terrein ; l’obfervation de l’ordre de bataille qui
aura été donné ; fon changement»., s’il y en a
nécefîité, fait à propos, 6c après avoir averti
ceux qui le doivent fçavoir ; la diftribution
de l’artillerie fuivant le ' terrein. ;, les attentions
fur les avantages qui fe peuvent prendre , foit
en étendant les ailés , pour envelopper l’ennemi
, fi on le peut, foit en les couvrant, 8c en
les affurant afin de pouvoir les dégarnir , pour
faire un plus grand effort, où l ’ennemi paroîtra
le plus foible ; de donner le mot de ralliement,
6c de reconnoiffance , avant que de marcher à
l’ennemi , en cas que la marche ait commencé
de nuit, ou que l’on puiffe préfumer que Faction
ne puiffe finir avant la nuit ; de faire bien
obferver fa droite 6c la gauche, Ôc la .diftance
entre les lignes, fi Fon marche de front ; de
faire de fréquentes haltes, pour donner le temps
à la ligne de fe redreffer -, 6c à l ’artillerie de
tirer 6c de recharger ; de défendre fur toutes
chofes aux foldats de tirer, d’effuyer conftammenj:
le
le feu de fon ennemi , 6c de ne le charger qu’après 1
fon feu.
Si l ’armée qui veut combattre part de trop
loin , pour qu’elle puiffe arriver fur le terrein où
eft l’ennemi, en marchant de front, ou fi elle ne j>
le peut .à caùfe dés lieux par-où il faudroit pafi-
fer , 6c qui ne feroient pas affez ouverts; il faut j
qu’elle s’approche de îon ennemi fur affez de J
colonnes pour pouvoir fe trouver en bataille r.
hors de diftance d’être chargée, tandis qu’elle '
eft en colon-nes. ' ' ’ « !
Il faut auffi que les officiers généraux qui
conduiront lés colonnes s’obfervent foigneufe- |
ment-les uns les autres-, pour qu’au moins , leurs
têtes faffent un front; 6c-que, lOrfqü’ils feront arrivés
fur le terrein où l’armée peut fé déployer,
ce mouvement fé fafle avec diligence-8c précau- 1
tion , & hors de portée d’être chargé par Fen- ;
nemi , avant que toute l’armée foit mife en j
bataille. Le généraL doit fe placer dans le lieu, le |
plus commode , pour voir l’effet de la première )
charge, afin de pouvoir envoyer- fes ordres, foit :
pour faire fouténir les troupes qui auront battu ,
foit pour remplacer celles qui l’auront été. Il doit
pour cela fe fervir de troupes qu’il aura placées
entre les deux lignes,-au cas qu’il Fait jugé convenable,
ou de celles de la réferve , fuivant qu’il
le jugera à propos. Touts les officiers généraux
doivent être à leurs poftes, tant pour mener au
combat les troupes qui'leur font cotnmifes , que
pour remédier aux inconvénients qui peuvent
arriver dans l’étendue de leur commandement.
Le combat s’opiniâtrant, 6c le fuccès en devenant
partagé, le-général doit faire fon principal
effort contre le lieu où l’ennemi fait le plus de
réfiftance : 6c, en ce cas, il doit s’y porter lui-
même, afin d’animer les troupes par fa préfence ,
6c de les faire charger avec plus de vigueur.
Si fon bonheur eft ’ égal par toute la première
ligne, êc qu’elle ait renverfé celle des ennemis ; la
principale attention des officiers généraux 6c particuliers
doit être dé contenir les troupes, d’empêcher
que les corps ne fe débandent, de ne faire
fuivre les fuyards que par des gens détachés des bataillons
6c des efeadrons , de marcher lentement
avec toute cette première ligne , ôc de charger
dè front 6c en ordre la fécondé ligne des ennemis.
L ’artillerie doit toujours accompagner ïa première
ligne,, dans l ’ordre où elle a été d’abord
diftribuée, en cas que le terrein le permette-; ôc le
refte de Farmée doit fuivre ce mouvement, en
obfervant toujours la diftance entre les deux
lignes, telle qu’elle aura été preferite dans l’ordre
de bataille, afin qu’il n’y arrive point de confu-
fion. Si la viéfoire continue de fe déclarer ôc qu’on
renverfe encore la fécondé ligne » le général doit,
avec plus d’attention, empêcher que fes troupes
ne fe débandent, de peur qu’elles ne foient chargées
j 6c mifes en défôrdre par la première ligne
des ennemis, qui pourroit s’être ralliée derrière
Art militaire. Tome 1.
la fécondé. I f doit pouffer les troupes battues ,
toujours en corps ? 6c en ligne , jufqu à ce que
leur défôrdre foit général ; après quoi il faut aug-
'menter le nombre des corps détachés , 6c ne pas
fouffrir que jamais perfonne ne quitte les drapeaux
6c étendarts , fans avoir été commande.
• C ’eft dans ce moment: qu’il: d.oit fe fervir de
fa réfer ve , 6c des-corps qui n’ont point combattu,,
pour fuivre les ennemis , les empecher de le rallier,
6c faire des prifonniers , dont il ne doit jamais
fouffrir que les troupes fe chargent pendant le
combat, ni qu’elles regardent feulement le butin
du champ de bataille, jufqu’ à ce que la viéfoire
foit abfolument àffurée , Ôc l’ennemi tellement en
défôrdre 6c éloigné , qu’on n’ait plus heu de
craindre qu’il puiffe revenir fur le corps qui aura
été détache, pour le fuivre. dans fa fuite ; apres
quoi, pour le refte de la journée , il peut laitier
recueillir aux troupes le butin du champ de
bataille.
S i , en fuivant l’ennemi battu , on tombe fur fes
bagages , il ne faut point laiffer débander pour le
pillage le corps deftiné pour fuivre l’ennemi , ÔC
achever de l’accabler dans fa retraite. Il faut , avec
une extrême attention ôc fé vérité', porter ce^ corps
au-delà defdits bagages , ne s’attacher qua détruire
ou prendre les hommes, ÔC laiffer le pillage
des bagages à Farinée. .
Les premiers foins du général, apres le gain de
la bataille., ( le feigneur des viâoires remercié) ,
doivent être de faire panfer les bleffés, d’en aller voir
les principaux', ou d’y envoyer de fa:part s il n en
a pas le -temps ; de fe faire rendre compte des
belles aâions qu’il n’aura pu voir , ÔC de donner
en général des louanges à toute fon armee ; de
louer en particulier ceux qui le méritent ; de taire
raffembler les marques de fa viéfoire , qui font
les prifonniers , les drapeaux ôc étendarts, les
timbales , Ôc l’artillerie^ ennemie ; de donner .de
cette viâoire la première nouvelle à fon prince ;
de la faire fuivre d’une ample relation de toutes
fes circonftances, en lui envoyant les drapeaux
6c étendarts ; les timbales reftant, fuivant 1 ufage ,
aux corps qui les ont prifes.
Après avoir déblayé fon camp de fes bleffes ,
de ceux des ennemis , des prifonniers , de leur
artillerie , 6c de tout.ee qui lui feroit luperflu ,
6c avoir laiffé prendre du repos a fon armee ; il
doit s’appliquer à tirer de fa viâoire touts les avan-
tâges que les circonftances des temps, 6c des lieux ;
lui fourniront., en exécution du projet qui aura ete
concerté 6c réfolu. Je ne parle pas du temps que
l’on doit employer à ce déblai; il doit etre le
plus court qu’il eft poffible ; c’eft tout ce que Fon
en peut dire.
Mais , comme le fort des armes eft journalier
, 6c qu’après toutes les fages précautions
prifes pour vaincre, on ne laiffe pas quelquefois
d’être vaincu ; l’application entière du général, en
’ ce cas funefte, Ôc les foins de fes inferieurs , ne
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