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de grands ouvrages, qu’il y auroit trop de confiance
à ne pas compter fur des augmentations.
Quant au parallèle de nos chauffées à celles des
Romains | on ne peut tirer de celles-ci aucun motif
de nous en confeiller l’imitation ; encore ^moins un
prétexte de nous reprocher que les nôtres font
trop légères. L’expérience & le raifonnement font
fentir qu’une folidité fuperflue en ce genre eft d’autant
plus vaine quelle ne peut fe paffer d’un entretien
continuel ; &, en fuppofant a nos chauffées
ce moyen de confervation, elles font affez fortes
pour braver les injures du temps.'La raifon veut
d’ailleurs que tout peuple, comme .tout particulier
, proportionne l’étendue de fes entreprifes aux
facultés qu’il a” de les exécuter. D’après ces confi-
dérations , je demande a tout juge impartial à quoi
iï fervoit aux Romains de donner à leurs chauffées !
une épaifTeur exceffive , formée de plufieurs |
couches de pierres, dè mortier a ciment, de cail- \
loux & de gravier. S’ils n’avoient pas deffein de j
les entretenir ; cette épaifTeur, eût-elle été double , '
n’àuroit pas fauvé de Timprefiion des roues la fuperficie
de ce maffif, fi leurs voitures avoient été auffi
lourdes & auffi chargées que les nôtres. Or c’eft de la
fuperficie , & non du cube , que dépendent la
douceur & la facilité du roulage.’ Si, au contraire ,
ils vouloient mettre leurs chauffées à l’entretien, la
dépenfe do tant d’appareil,le temps, & la peine
inexprimable des peuples & des troupes qu’ils y
employoient, étoient autant de perdu, ôc confe—
quemment Un fujet d’imputation bien fondée dune
prodigalité tout-à-la-fois folle & barbare, que leurs
foldats leur reprochoient jugement. Nous fommes
plus judicieux & plus humains ; fi notre population
etoit auffi abondante que celle de ces conquérants
d’une partie du monde, au lieu doccuper inutilement
trop d’hommes à la réparation des chemins ,
nous formerions du fuperflu des colonies fruc-
tueufes dont le travail nous fourniroit du fucre, de
f indigo, &c. précieux befoins , puifqu’ils contribuent
fi puiffamment aux forces de cet empire.
Comme il s’en faut bien que cette heureufe abondance
de fujets nous foit propre, nous ufons modérément
de notre médiocrité.
Mais j’y reviens ; nos chauffées font affez folides,
fi noiuT fçavons bien les entretenir, & que nous
rendions ce travail fi doux au peuple qu il s accoutume
à le regarder comme une charge auffi efferi-
tiellè à fon intérêt que celle de labourer i pour
moiffonner , & qu’il eh tire réellement la récolte
par la diminution des impôts, fuite neceffaire de
l’augmentation du commerce. On peut prouver
cette fuffifance de folidité * fans craindre d’être
démènti par celle des chauffées du Languedoc,
quoiqu’elles foient les plus renommées de touts les
pays d’états. Il faut bien que cette province penfe
comme moi, puifqu’elle a réclamé les fecours du
miniftère, pour avoir des hommes experts dans la
méthode de conftm&ion qu’on pratique pour les
généralités, & qu’en effet elle s;eft mife fous la
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direction d’un infpe&eur général des ponts &
chauffées. Ce qui peut avoir infpiré une autre opinion
, c’eft qu’on aura vraifemblabiementjuge.de nos
chauffées, par le premier état oh on les voit quand
on commence d’y rouler. Mais on ne peut pas
penfer qu’il foit poffible de faire des chemins fans
remuer des terres* : il faut attendre que les voitures
ayeut broyé -& maftiqué lesJ cailloux de la
fuperficie, que les terres fraîches &. mobiles fe
foient affaiffées & affermies ; & on fera récom-
penfé de' cette patience. Il ferôit infenfé de vouloir
que les fruits du printemps fuffent à leur maturité
: il ne feroit pas fage çfé renoncer à planter des
arbres dans notre vieilleffe, parce que nous ne
jouirons ni de leur ombrage, ni de leur fécondité.
Quant aux reproches concernant la mauvaue
qualité des arbres, & à leur multiplicité , le premier
me paroît jufte, Sc le fécond peu fondé; non-
feulement parce que la propagation de toutes fortes
d’arbres eft utile en foi ; mais encore en ce que
toutes les efpèces ne viennent pas dàns toutes
fortes de terreins, & qu’il eft difficile d’argumenter
avec fuccès contre les difpofitions de la nature.
C’eft la raifon pour laquelle l’arrêt du 3 mai 1720 ,
en renouvellant à cet égard celles des anciennes
ordonnances, a prèfcrit « la plantation des ormes ,
hêtres, châtaigners , arbres fruitiers , ou autres
arbres, fuivant la nature du terrein. •>.11 eft vrai
que l’ordonnance de Henri II, du 18 janvier 15 5
ne prefcrivoit que la plantation des ormes ; mais
elle en explique la raifon ; c’eft qué cette efpèce
d’arbres devenoit très rare pour les affûts & remontages
de l’artillerie. Si j’ofois dire mon fenti-
ment lur le vice général de la plantation, par rapport
à la qualité des arbres, je l’attribuerois à l’erreur
du principe qui a fait établir des pepinieres
royales, & encore plus à leur mauvaife adminif-
tratîon , dans laquelle il n’y a genre d’infi^lite
qu’on n’ait jufqu’ici fait éprouver à l’état ! Cet efprit
de rapine eft devenu fi commun dans les claffes^ des
fujets à qui de bons préjugés n’ont pas appris a fe
refpe&er ; qu’à peine y a-t-il un genre de manutention
oh le point capital de la politique du gouvernement
ne foit de fe garantir de la tromperie : & il
doit être certain qu’il n’en fournira jamais une feule
occafion dont quelqu’un ne profite. 11 à paffé en
proverbe que c’eft pain béni de voler le roi ; &
cette doéfrine h’a frayé que trop de chemins a la
ruine de ce peuple ftupide qui l’a canonifée ; comme
fi voler le roi n’étoit pas voler l’état, & que les
rapines ne tombaffent pas dire&ement fur tout le
corps de la fociété.
• Rien n’étoit plus naturel que d’en prévoir les
effets fur l’entretien des pépinières, ni plus facile
que de l’éviter. Au lieu de rendre le roi cultivateur,
ce qui eft la plus mauvaife des pratiques
pour tout propriétaire qui ne laboure pas, & à plus
forte raifoA pour le fouverain ; étoit-il donc, &
feroit-il enCore fi mal-aifé de former dans toutes les
provinces du royaume, despopulateurs d’arbres, &
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de les exciter à cette culture, tant par le profit-
qu’ils y trouveroiént, en les rendant au roi & aux
particuliers, que par des modérations fur les impôts
proportionnées aux productions qu ils f°ur-
niroient, &. même, s’il étoit neceffaire, par de
petites gratifications ? La certitude qu ils auroient
de débiter à bon prix, touts les arbres neceffaires a
la plantation des chemins , laquelle ne peut qu augmenter,
animeroit ces cultivateurs au travail, &.
rendroit bientôt cette fourniture auffi commune
par-tout proportionnément, qu’elle 1 eft dans la
généralité de .Paris, oh je fuis perfuade que les
arbres coûtent infiniment moins que fi on les tiroit
des pépinières royales, & font dix fois plus beaux
& meilleurs. Le reproche de l’abus que je combats
ne doit donc pas tomber fur la direéfion des
ponts & chauffées, tout-à-fait diftin&e de celle des
arbres. '
J’ai tâché de prouver ailleurs, ( V. d ift. de ju r if.
article Corvées.). non-feulement l’indifpenfable ,
mais la jufte néceffité du travail des corvées, réglé
par une contribution égale, & modérée par l’humanité.
Je reugirois qu’on pût me reprocher d’avoir
parlé de moi dans Un efprit de vanité : j’ef-
père qu’on, ne m’imputera point d’être tombé dans
ce cas, fi j’bfe dire que j’ai le coeur compatiffant
pour le pauvre , & que je fuis bien éloigné de
vouloir aggraver fon joug : que d’un autre côté , à
l’exemple de l’auteur immortel de l’efprit des loi*',-
dont la foirmiffi.on.à leur autorité, & la vertu pure,
peuvent fervir de modèle à tout homme d’honneur,
je bénis le ciel de m’avoir fait naître fous
le gouvernement ou je vis. Mais, plus ces fçnti-
ments font profondément gravés dans mon coeur,
avec celui d’une obéiffance fans bornes., plus je
çroirois manquer aux facrés devoirs qu’ils m’im-
pofent, fi je ravorifois la moindre idée qui tendît
au defpotifmé. Je fuis donc bien oppofé à toute
dçxftrme qui prêcheront d’un côté Fe'lclavage , &
de l’autre F an é antiffe ment desloix» Je demande au
contraire que, fi pour le bien de la fociété il nous
en faut de nouvelles, l’autorité légitime veuille
bien y pourvoir, & que les magiftrats , qui en font
les dépofitaires, fe faffent honneur & -gloire d’y
concourir. C’eft fur ce point que je dirige mes
veilles & mes voeux, fans .aucun intérêt perfon-
nel; proteftant que le feul qui m’y porte eft le
defir de contribuer au foulagément du peuple , en
indiquant les moyens d’alléger fon fardeau , &
peut-être de le lui rendre fi léger qu’il aille au-
devant.
Des opération,s qui précèdent la conflrutfion des
chemins.
La première opération dé l’art qui conduit à la
confection d’une nouvelle route, ou à la réparation
d un ancien chemin 3 eft celle d’en lever un plan
exa&, & de tirer les niveaux des pentes fur lesquelles
la nature & la difpofition. du terrein per-
Àrt militaire. Tome L
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mettront qu’on les mette. Mais, fi, par la con-
noiffance qu’on a ,, ou qu’on prend de cet ancien
chemin , on voit qu’il en coûter oit plus de le
réparer que d’en ( faire un nouveau ; il faut étudier
avec foin toutes les raifons de convenance qui
peuvent déterminer à le faire plutôt paffer à droiie
qu’à gauche. L’intérêt du commerce doit être le
premier motif de la détermination générale , relativement
aux villes & bourgs par lef quels on parfera
, & qui formeront autant de points capitaux
auxquels il faudra s’affujettir pour la diftribution
des parties. Il pourroit néanmoins arriver que les
obftacles qui contrediiroient la meilleure de ces
convenances fuffent tels qu’ils, forçaffent à y renoncer.
S’il y avoit plufieurs rivières affez con-
fidérables pour exiger des ponts difpendîeux, des
montagnes inacceffibles aux voitures, dont l’adou-
ciffement dût ooeafionner des travaux exceffifs ;
des qualités de terrein impraticables. , telles’que
des marais.; ou une fi grande rareté de matériaux
qu’on fut obligé de les tirer de trop loin ; en ce
cas il faudroit prendre un autre parti, &. chercher
à dédommager le commerce des pertes qu’il feroit
d’un côté par les avantages qu’il trouveroit ou
qu’on pourroit lui procurer de l’autre. La connoif-
fance de la longueur des deux trajets eft indifi-
penfablement néceffaire pour cette comparaifon ;
parce qu’une route , qui préfente au premier afpeéè
des obftacles rebutants , peut tellement abréger
qu’en cette feule confidération la préférence lui loit
due, par le gain vifible qu’on trouveroit dans la
diminution des frais du tranfport dés marchandifes
& des denrées. Quoique j’aye dit qu’il en eft d’un
état comme d’un particulier , qu’on doit toujours
proportionner fes dépenfes à fes facultés , & que
cette maxime foit exaâement vraie, l’application
en eft fouvent très différente. Ici le particulier fujet
à la mort ne peut fonder le fuccès de fes entreprifes
que fur fa propre économie & fur un terme
mefuré à fon âge. L’état ne mourant point ne doit
ledéfifterde pourfuivre fes avantages, ni par égard
à la viciffitude des chofes Humaines , ni par rapport
à la durée du temps qu’exigera l’exécution. Il y a
longtemps que le Louvre perfeéfionné feroit un
Objet d’admiration ,. fi , depuis la mort du grand
Colbert , on avoit feulement employé un million
par an à finir fon magnifique & utile projet, par
lequel le roi pourroit revendre les'matériaux &
l’emplacement du Palais ou y faire une place pu*
blique digne de Paris & de la ftatue de Fleuri IV,
en faifant tout-à-la-fois de cette vafte enceinte du
Louvre, le temple de la’ juftice , le portique des
fciences , & l’académie des beaux arts. Et, f i
parvalicet componere magnis ; la route d’Orléans,
•impraticable en 1727, n’a été mife à neuf & toute
én pavé quarré , que par un travail non interrompu
de douze années , compris en un feul marché. II
eft donc certain que le plus fûr & le plus louable
moyen d’avancer le bien public dans la partie que
je traite ; c’eft de former de grands projets &. de
II