
des dames ces confédérations, ÔC ces égards refpec-
tueux , qui, n’ayant jamais été effacés de l’eiprit
des François , ont toujours fait, un des caractères
'diftincfifs de notre nation. ( On pourroit retrouver,
ces moeurs plus anciennement dans les Germains ,
mais, indépendamment de ceux qui nous ont.précédé
, il eft dans la nature éclairée par la raifon
que le plus fort protège le plus, foible. ). Les inf-
truftions que ces jeunes gens recevoient, par rapport
à la décence, aux moeurs, & à la vertu,
étoient continuellement, foutenues par les. exemples
des dames ôc des chevaliers ; qu’ils fervoient. Ils
avoient en eux des modèles pour les grâces extérieures
, fi néceffaires dans le commerce du. monde,
& dont le monde peut feul donner des leçons. Les
foins généreux des leigneurs , pour élever cette
multitude de jeunes gens nés dans l’indigence ,
tournoient à l’avantage de ces mêmes feigneurs.
Outre qu’ils employoient utilement la jeune no-
bleffé au fervice de leur perfonne , leurs propres
enfants y trouvoient des émules pour les exciter
à l’amour de leurs devoirs,, ou des maîtres qui
leur rendoient l’éducation qu’ils avoient reçue. Les
liaifons qu’une longue & ancienne habitude de vivre
enfemb.e ne poiivoit manquer de former entre les
uns ôc les autres, étant refferrées par le double
noeud du bienfait & de la reconnoiffance, deve-
noient indiffolubies. Les enfants étoient toujours
dans la difpofition d’ajouter de nouveaux bienfaits
à ceux de leur pète.'; ôc les autres, toujours prêts
à les reconnoître par des fervices plus importants,
fecondoient dans toutes- fes entreprifes leur bienfaiteur
, ou celui qui le repréfentoit ; & , fe. facri-
fiant pour lui dans tout le cours de leur vie.,. ils
croyoient ne pouvoir jamais s’acquitter. Mais ce'
qu’il étoit. le plus important d’apprendre au jeune
élève , & qu’en effet on lui. apprenoit le mieux,
e’étoit à refpeéler le caraâère augufte de la chevalerie
, à révérer dans les chevaliers les vertus qui
les avoient élevés à ce rang. Par-là,Je fervice
qu’il leur rendoit,. s’annobliffoit encore à fes yeux ;
les fervir, étoit fervir tout le corps de la chevalerie.
Les jeux même, qui faifoient partie de l’amufement
des élèves, contribuoient à leur inftruêiion. Le goût
naturel à leur âge les portoit à lancer commè eux
la pierre ou le dard , à défendre un paffage que
d’autres efîayoient de forcer ; ôc , faifant de leurs
chaperons des cafques ou des bacinets, ils fe dif-
pu.toient la prife de quelque place :. ils faifoient
un effai des différentes efpèces de tournois , ôc
commençoient à fe former aux nobles exercices
des écuyers & des chevaliers. Enfin l’émulation ,
fi néceffaire dans touts. les âges Ôc dans touts les
états , s’accroiffoit de jour en jour , foit par l’ambition
de paffer au fervice de quçlqu’autre feigneur
d’une plus éminente dignité, ou d’une plus grande
réputation, foit par le défir de s’élever au grade
d’écuyer dans la maifon de la dame ou du feigneur
qu’ils fervoient ; c’étoit fouvent le dernier degré
qui conduifoit à la chevalerie.
Mais , aVant de paffer de l’état de page à-celui
d’écuyer, la religion avoit introduit une efpèce
de. cérémonie, dont le but étoit cVapprendre aux
jeunes gens l’ufage qu’ils dévoient faire de l’épée ,
qui pour la première fois leur étoit remife entre
les mains. Le jeune gentilhomme , nouvellement
forti hors de page , étoit prélenté à l’autel par fon
père & fa mère, qui, chacun un cierge à la main ,
alloient à l’offrande. Le prêtre célébrant prenoit
fur l’autel une épée ôc une ceinture, les beniffoit
plufieurs fois, oc les attachent au côté du jeune
gentilhomme , qui alors commençoit à. les porter.
C ’eft peut-être à cette cérémonie , 6c non à celles
de la chevalerie , qu’on doit rapporter ce qui fe
lit dans nos hiftoriens. de la première, ôc de la fécondé
race i au fujet des premières armes que les
rois ôc. les princes remettoient avec folemnite aux
jeunes princes leurs enfans : quelques auteurs en
ont fait l’application à la chevalerie , dont ils ont,
par ce moyen, fait remonter l’inftitution beaucoup
plus haut qu’ils n’auroient du. .
Les cours ôc les châteaux étoient d’excellentes
écoles de courtoifie , de politeffe , ôc des autres
vertus, non feulement pour les pages ôc les écuyers,
mais encore pour les jeunes demoifelles. Elles y
étoient inftruites de bonne heure des devoirs les
plus effentiels qu’elles auroient à remplir. On y
cultivoit, on y perfeélionnoit ces grâces naïves
ôc ces fentiments tendres pour lefquels, la nature
femble les avoir formées.. Elles prévenoient de
civilité lés'chevaliers qui arrivoient dans les châteaux
: fuivant nos romanciers , elles les défar-
moient au retour des tournois ôc des expéditions
de guerre, leur donnoient de nouveaux habits,
Ôc les fervoient à table. Ces exemples en font
trop fouvent ôc trop uniformément répétés, pour
nous permettre de révoquer en doute la réalité
de ces ufages : nous n’y voyons lien d’ailleurs qui
ne foit conforme à l’efprit ôc aux fentiments répandus
alors prefque univerfellement parmi les
dames ; ôc l’on ne peut y méconnoître le caraêrèrq
d’utilité qui fut en tout le fceau de notre cheva-
lerie. Ces demoifelles, deftinées à prendre pour
maris ces mêmes chevaliers qui abordoient dans
lesmaifons où elles étoient élevées, nepouvoient
manquer, de .fe les attacher par les prévenances ,
les foins , ôc les fervices qu’elles leur prodiguoient.
Quelle union ne dévoient point former des alliances
établies fur de pareils fondements I Les
jeunes perfonnes apprenoient à rendre un jour à
leur mari touts les fervices qu’un guerrier diflfingué
par fa valeur peut attendre d’une femme tendrç
ôc généreufe, ,ôc leur préparoient la plus fenfible
récompenfe, ôc le plus doux délaffement de leurs
travaux. L’affe&ion leur infpiroit le defir d’être les
premières à laver la pouflière ôc lp fang dont ils
s’étoient couverts pour une gloire 'qui leur appar-
tenoit à elles-mêmes. J’en crois donc volontiers nçs
romanciers , lorfqu’ils difent que les demoifelles
ôc les dames fçavoient donner même aux bleffés. les
fe cours
fecours ordinaires, habituels, ôc aflidus qu’une main
adroite ôc compatiffante eft capable de leur procurer.
Je reviens au jeune écuyer.
Pour donner une idée précife de ce qui le d.if-
tinguoit du chevalier, j’obferverai feulement l’ufage
métaphorique que l’on fait du mot écuyer en notre
langue : nous l’a vons tranfporté dans l ’agriculture ,
pour fignifier le rejeton qui pouffe au pied d’un
fep de vigne; ce.rejeton étoit; un emblème très
jufte pour figurer cette nouvelle race deftinée. à
repréfenter .la tige précieufe dont elle fortoit, à
l ’égaler un jou r , à reproduire , à multiplier Vefpèce.
Les écuyers étoient divifés en plufieurs claffes
différentes , fuivant les emplois auxquels on les
appliquoit ; fçavoir, l’écuyer du corps,. c’eft-à-dire
de la perfonne, foit de la dame , foit du feigneur ;
( le premier de ces fervices étoit un. degré pour
parvenir au fécond ) ; l’écuyer de la chambre, ou
le chambellan , l’écuyer tranchant, l’écuver d’écurie,
l’écuyer d’échanfonnerie, l’écuyer de pan-
neterie , ôcc. Le plus honorable de touts ces emplois
etoit celui d’écuyer du corps , appellé auffi écuyer
d’honneur , par cette raifon. Il l'eroit affez difficile
de les diftingüer exaftement, ôc de dire quel rang
ils tenoiènt entre eux : peut-être étoient-ils fouvent
confondus dans les cours , ôc dans les maifons moins
opulentes. & moins nombreufes : un écuyer pouvoit
y. réunir en lui feul plufieurs offices différents.
Dans ce nouvel état d’écuyer, où l’on parvenoit
d’ordinaire à l’âge de quatorze ans, les jeunes élèves
approchant de plus près la perfonne de leurs feigneurs
Ôc de leurs dames , admis avec plus de confiance
& de familiarité dans leurs entretiens Ôc dans
leurs affemblées, pouvoient encore mieux imiter
les modèles fur lefquels ils dévoient fe former ; ils
apportoient plus d’application à les étudier , à cultiver
l’affeâion de ;leùrs maîtres, à chercher les
moyens de plaire aux nobles étrangers , ôc aux
autres perfonnes dont la cour où ils commençoient
a fervir étoit compofée ; à faire aux chevaliers ôc aux
ecuyers de touts les pays qui la venoient vifiter ,
ce qu’on appelloit proprement les honneurs , façon
de parler que nous Confervons encore. Enfin ils
s’efforçoient de paroître avec touts les avantages
que peuvent donner les grâces de la perfonne ,
1 accueil prévenant, la politeffe du langage , la
modeftie , la fageffe Ôc la retenue dans les conventions
, accompagnées d’une liberté d’expreffion
noble ôc ailée. Le jeune écuyer apprenoit longtemps
dans le filence cet art de bien parler , lorf-
qu’en qualité d’écuyer tranchant, il étoit debout
dans, les repas ôc dans les feftïns, occupé à couper
les viandes avec la propreté , l’adrefl'e ôc l’élégance
convenables, ôc à les faire diftribuer aux nobles
convives dont il ;étoit environné. Joinville, dans
fil jeuneffe , avoit rempli à la cour de St. Louis-
cet office , qui, dans les maifons des fouveraîns ,
etoit quelquefois exercé par leurs propres enfants :
le jeune comte de Foix tranchait à la table de
Art militaire. Tome I,
Gaftott de Foix fon père, fui vant Froiffart, qui nous
a confervé l’hiftoire de la fin tragique de ce jeune
prince. D ’autres écuyers avoient le foin de préparer
la table , Ôc de donner à laver ; ils apportoient les
mets de chaque fervice, veilloient à la panneterie
ôc à l’éehanfonnerie ; ils avoient une attention continuelle
, afin que rien ne manquât aux affiliants ;
. ils donnoient encore à laver aux-convives après
le repas , relevoient les tables , ôc difpofoient tout
ce qui étoit néceffaire pour l’affemblée qui le fui-
v o it , pour les bals ôc les autre« amulements , auxquels
ils prenoient part eux-mêmes avec les demoifelles
de la fuite des dames de haut état : puis
ils fervoient les épices , ou dragées ôc confitures,
: le clairet, le piment, le vin cuit, l’hipocrâs, ôc
i les autres boiffbns qui terminoient toujours les
, feftins, ôc que l’on'prenoit encore en fe mettant
} au lit ; c’eft ce qu’on appelloit le vin du coucher.
Les écuyers aecotnpagnoient jufques-là les étran-
gecs dans les chambres qui leur avoient été defti-
nées , ôc qu’ils leur avoient préparées eux-mêmes.
Froiffart, qui a mieux réufti qu’aucun de nos
hiftoriens à peindre les moeurs, de fon fiècle, nous
a donné , dans le troifième livre de fon hiftoire ,
un tableau naïf ôc fidèle de la cour du comte de
F o ix , qu’il avoit fréquentée : .après avoir fait là
i defcription des repas de ce Seigneur , « brièvement
tout confidéré ôc avifé , dit-il ,* avant que je vinffe
à fa cour , j’avoîs'eté en moult de cours de rois ,
de ducs > de princës , de comtes-, ôc de hautes
. dames : mais je ne fus oncques en nulle qui mieux
me pleuft, ni ne vis aucuns qui foffent fur le fait
d’armes réjouis plus que celui comte de Foix étoit.
On voyoit en la faille , en la chambre , en la cour ,
chevaliers ôc écuyers d’honneur aller Ôc marcher ,
ôc les oyoit-on parler d’armes ôc d’amour ; tout
honneur étoit là-dedans trouvé ; toute nouvelle,
de quelque pays ne de quelque royaume que ce
fuft, là-dedans on y apprenoit ; car de tout pays ,
pour la vaillance du feigneur , elles y venoient ».
De ce fervice., que je crois n’avoir été que l’in-
troduélion à ùn autre qui demandoit plus de force ,
d’habileté , ôc de talents, on devoit paffer à celui de
l’écurie. Il confiftoit au foin des chevaux, ôcne pou-
vôit être que noble dans les mains d’une nobleffe
guerrière qui ne combattoit qu’à cheval. Des
écuyers habiles les dreffoient à touts les ufages de
la guerre, Ôc avoient fous eux d’autres écuyers
plus jeunes, auxquels ils faifoient faire l’appren-
tiftàge de cet exercice. Bayard fut remis par le duc
de Savoie entre les mains d’un écuyer de con-
: fiance, chargé de veifler à- fa conduite ôc à fon
inftruélion. D ’autres écuyers tenoient les armes de
leurs maîtres toujours propres ôc luifantes ; &
toutes ces différentes efpèces de fervices.domel-
tiques étoient mêlées du fervice militaire, te l, à-
I peu-près, qu’il fe fait dans les places de guerre. Uù
! écuyer alloit à minuit faire la ronde dans toutes les
i chambres ôc les cours du château,
i Si.le maître montoit à cheval, des écuyers s’erïi-
Hh h h