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renfermé dans la tour du Louvre; alors déployant
une grandeur dame fupérieure à la fortune , elle
ranima le courage de fes partifans. On. la vit parcourant
les villes qui étoient pour elle, tenant
dans fes bras fon fils âgé de trois ans, l’efpérançe de
fa maifon, l’héritier de fes droits, l’une des caufes
de fon ambition & de fon courage : elle retint tout
fon parti , autant par les fentiments de la tendreffe,
que par ceux de l’admiration, & par l’exemple de
fa fermeté. .
Après la reddition de Rennes, Charles de Blois
vint mettre le liège devant Hennebon où la comteffe
s’étoit renfermée : elle en conduifit la défenfe.
Armée comme un chevalier, elle donnoit fes '
ordres, vifitoit les polies , difpofoit les troupes
pour foutenir les attaques, exhortoit les foldats,
cpmbattoit même à leur tête. Pendant un affaut
très vif elle monta au fommet du fort, & vit que la 5
plus grande partie des aiîiégeants étoit employée à
l’attaque. Elle defcend, monte à cheval, prend
cinq cents hommes d’armes , fort par une porte
éloignée, & le fer & le feu en main fond fur le
camp des ennemis. Ceux-ci, appercevant l’incendie
, abandonnent l’affaut. La comteffe veut rentrer
dans la place : mais elle trouva le paffage fermé
par l’ennemi, &. s’alla jetter dans Aurai. Cinq
jours après, elle revint à la tête de fa troupe,
força un quartier des afîiégeants, & rentra dans
Hennebon.
Lorfque la fureur du duc de Bourgogne, après
avoir dévaflé la Picardie , vint menacer la ville
de Beauvais ; les femmes, conduites par Jeanne
Hachette, foutinrent l’affaut avec les habitants &
les troupes, jettèrent courageufement fur les ennemis
pierres, feux grégeois, & plomb fondu en
refîne bouillante , en précipitèrent plufieurs de
leurs échelles, qu’elles renversèrent : la courageufe
Jeanne arracha un étendart des mains de l’un d’eux, j
& l’emporta dans la ville. Louis XI récompenfa
leur vaillance, &. en perpétua la mémoire, en ordonnant
que , dans une proceflion qui fe fait touts _
les ans en cette ville le 12 juillet, jour auquel
Charlesleva le liège, les femmesmarcheroient avant
les hommes, & que les bourgeoifes pourroient à
cette cérémonie & en toute autre occafion, porter
étoffes de foie, fourrures, & ceintures d’o r , ornements
réfervés alors aux dames & demoifelles. Il
honora particulièrement Jeanne Hachette ou Four-
quet, & fon mari, par une exemption de touts
impôts. On voit encore à l’hôtel-de-ville de Beauvais
la ftatue de cette vaillante femme, tenant une
épée à la main.
Pendant le fameux fiège d’Orléans , plufieurs
femmes fe diffinguèrçnt par leur courage. « Elles
apportoient aux aflïégés, dit une ancienne chronique
, tout ce qui à la. défenfe pouvoir fervir,
& pour les rafraîchir du grand travail, pain, v in,
yiandes, fruits, vinaigre , & touailles blanches leur
bailloient. Aucunes furent vues durant l’affaut,
qui Anglois repouffoient à coups de lances des
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entrées du boulevard, & ez foffés les abattoient »;
Mais le plus étonnant phénomène de ce genre fut
la célèbre Jeanne d’A rc. Sa figure étoit belle ,
noble , & impofante , fon maintien grave & affuré,
fon regard plein de feu , fon éloquence fimple,
véhémente, quelquefois fublime, fa perfuafionintime
& inébranlable. Son enthoufiafme paffa dans
toutes les âmes ; & le peuple, ainfi qu’elle-même,
4e regarda comme un don du ciel. Un étendard à
la main elle conduifoit les François à toutes les attaques
; & , ce que fon courage avoit de plus admirable
, c’efl que, femblable au vertueux Mornay,
Elle affrontait la mort & ne la donnoit pas.
Jeanne d’A rc marchoit toujours la première aux
attaques, la dernière dans les retraites : elle rame-
noit fouvent les troupes au combat. Ce fut en
leur donnant l’exemple de la confiance & de l’opi-
niatrete, qu’elle fut bleffée au fiège de Paris, à
1 affaut de la porte Saint-Honoré, & qu’elle leur
fit emporter Saint-Pierre-le-Moutier. La joie des
Anglois fut exceffive, quand ils l’eurent en leur
puiffance. Je me tais fur le procès qu’ils lui firent ;
d’autres en parleront.
On a voulu regarder comme fabuleux les: effets
de fon enthoufiafme. Mais l’excès du doute éloigne
du vrai comme la crédulité. On fe tromperoit
prefque toujours en jugeant d’un temps par un
autre. Si on fe tranfporte dans celui de Jeanne
d’A rc , on n’y trouvera qu’elle d’extraordinaire. Le
peuple efl avide du merveilleux dans touts les
temps, fur-tout lorfqu’il fe trouve dans une femme.
Ce n’efl pas fans un fentiment fecret donné par la
nature, que les Germains reconnoiffoient quelque
chofe de iaint, de furnaturel dans les femmes,
qu’ils ne méprifoient ni leurs confeils ni leurs ré-
ponfes, que celles de leurs villes qui donnoient
des filles en otage étoient plus fidelles, qu’Aurinia
& Velléda ont eu fur eux tant d’autorité, enfin
que les prières, les pleurs, le fein découvert de
leurs mères & de leurs femmes , ont fouvent ramené
leurs armées au combat &, à la viéloire. C ’efl
que les fentiments tendres & les pallions douces
& plaintives ont infiniment plus de puiffance dans
la bouche des femmes qu’en celle des hommes ,
& que les peuples dont la raifon efl moins cultivée
font plus fous, l’empire des pallions. C e fut
d’après la connoiffance du coeur humain & de l’efpr it
des Romains, que Marius reçut dans fon camp une
Syrienne appellee Marthe, que les foldats croyoient
infpir.ée. Il l’entoura de tout l’appareil qui fécondé
la fùperflition. Elle étoit portée dans une litière;
on n’offroit de facrifices que par fon avis ; elle y
afîifloit vêtue de pourpre , & tenantune halle ornée
de fleurs & de bandelettes. C ’efl par le même fentiment
que les femmes qui montrent du courage
dans les combats ajoutent beaucoup à celui des
hommes.
On vit au.fiège.de Compiègne, fous Charles V I I ,
les habitants de la v ille, tant hommes que femmes,
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conduits par Xaintrailles, repouffer les affailîants ;
en Efpagne, les femmes d’Alfuro affailli par les
Anglois T fermer les barrières, & les armes en main
fe préfènter fur les remparts. Le capitaine Anglois
Trivet dit à fes gens : « voilà braves femmes ; 'retournons
arrière ; nous n’avons rien fait ».
Les peuples modernes du feptentrion eurent aufïi
leurs héroïnes. A lv id e , fille de Sivard, roi des
Goths, fut chef de pirates, profeflionhonorable dans
les fiècîes de barbarie. Sivard , roi de Suède , ayant
conquis la Norvège, y exerça les plus coupables
violences envers les femmes des principaux de ce
royaume. C eux -c i ayant obtenu le fecours de
Régner, roi de Dannemarck, un grand nombre de
femmes norvégiennes s’armèrent, fe joignirent aux
Danois, eurent une grande part à la viéloire, &
prirent elles-mêmes leur tyran qu’elles firent mourir.
Au fort deDunamunde, attaqué par Flemming,
général d’Augufle , roi de Pologne, les femmes
combattirent avec les troupes, & une d’elles fut
bleffée. En.Italie , Marie de Pouzzole, exercée
dès fon enfance à manier les armes, commanda les
troupes, & fut viélorieufe en fëpt combats. Or-
fina Torella repouffa les Vénitiens, qui étoient
venus attaquer fon château dans l’abfence du comte
de Guaflalle, fon mari, & en tua plufieurs de fa
propre main. Orietta, femme du duc Doria, défendit
avec beaucoup de valeur le fort de Moliago
i afliégé par Amurat : elle fit plufieurs forties à la
^ tête de la cavalerie, & contraignit l’ennemi à lever
le fiége. Bonne de Lombardie, que l’exercice de
la chaffe, pris dès fa jeuneffe, conduifit à celui de la
guerre, époufa Brunore de Parme, guerrier célèbre,
à condition qu’elle ne le quitteroit jamais : elle
l’accompagna donc à la guerre, & combattit toujours
à Tes côtés. Lorfque François Ier. afliégea
Coni, plufieurs femmes prirent des habits d’homme,
& fe mêlèrent aux foldats dans les forties. Les
femmes de Famagofle fe joignirent aux hommes
pour défendre cette place contre les Turcs ; &.
quarante-fix d’entre elles y perdirent la vi,e. Celles
d’Alexandrie délia paglia montrèrent le plus grand
courage au fiége de cette place , en 1657. Pendant
les cinq premiers jours , elles coururent dans toute
la ville , animant, excitant les troupes & les habitants
contre les François. Les commandants de
la garnifon voulurent leur perfuader de fe retirer
dans leurs maifons, afin d’éviter le défordre &
le danger. Loin de fuivre ce confeil, elles allèrent
jufques dans les couvents , &. difoient aux Religieux
; « prenez un habit court, mes pères , allez
à l’arfenal prendre chacun un moufquet & de la
poudre, & venez contribuer avec nous à la défenfe
de la patrie. La comteffe T ro tti, femme
du gouverneur, fe mit à leur tête. Elle en raffem-
bla trois cents des plus déterminées, les.divifa en fix
compagnies , & y nomma des capitaines ; elles
portoient des robes courtes & fans ornement ,
Iepee au cote,-prefque toutes le moufquet, quelques
unes des hallebardes. Quelques officiers de
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la garnifon leur apprirent à fe fervir de ces armes.
Elles fécondèrent & foulagèrent beaucoup la garnifon
, en faifant faélion fur les remparts. On les
employa même avec les troupes dans les forties.
Les Hollandoifes ne fe font pas moins diflin-
guées pour la défenfe de leur patrie contre les efforts
de l’Efpagne. Soit les armes à la main, foit en
d’autres travaux , elles fécondèrent les hommes
au fiége d’Anvers, d’Oflende , de l ’Eclufe , de
Bréda, d’Alckmâr, de Harlem, de Le id e, & de
plufieurs autres villes. Il n’y a nation ni pays où
l’on ne trouve de ces exemples. De nos jours il
y a toujours dans nos troupes quelques femmes
dont le fexe efl ignoré tant qu’elles y fervent.
On en connoît plufieurs qui ont fait long-temps
le métier de foldat, & on dit qu’à Fontenoi ,
lorfqu’on dépouilla les morts , il le trouva dans
le nombre quelques femmes fur le champ de ba-~
taille. Les Romains en avoient trouvé de même
parmi les morts , après une viéloire qu’ils remportèrent
fur les Ruffes au temps de l’empereur
Zimifce.
Ces exemples font beaux fans doute; ils méritent
d’être imités, même par les hommes, en certaines
circonflances. S’il m’étoit permis de juger entre les
Amazones anciennes & les modernes , je ne balan-
cerois pas & donnerois à celles-ci la prééminence.
Celles-là n’ont pris les armes que par orgueil &
par ambition ; celles-ci que par amour pour la
patrie. Les anciennes ont violé la nature ; les
modernes lui ont obéi. S’il y eut en effet un peuple,
de femmes guerrières , ce fut un monflre fur la
terre. Le genre de conquêtes que la nature accorde
aux femmes n’efl pas celui que l’hifloire attribue
aux Gorgones & aux Amazones. Qu’elles confervent
chèrement l’heureux avantage de ne prendre aucune
part à la guerre & à (es horreurs, fi ce n’eff
dans les rares circonflances qui exigent d’elles
l’effort d’une vertu fublime. C ’efl déjà trop que
la moitié du genre humain fe détruife par le fer
.& le feu : que l’autre au moins offre des modèles
de paix, de douceur, & d’humanité.
^AMENDE. Foyer pein es.
A M N I S T I E . C ’efl un oubli général que le
fouverain flipule dans un traité de paix, pour les
dommages reçus par fes fujets pendant la guerre,
de la part de ceux d’un autre prince : c’efl aufli
un pardon général que le fouverain accorde, par
un édit, à la totalité ou bien à une partie de fes
fujets, pour certains crimes & délits, tels que la
révolte, la défertion, l’abandon de la patrie.
On flipule ordinairement dans les traités de paix
une amniflie générale ; mais , quand cette claufe
n y feroit pas comprife, on doit préfumer que l’on
n a voulu, ni de part ni d’autre, donner aélion
pour caufe des dommages foufferts pendant la
guerre. Car., dans un doute, ceux qui traitent de
la paix font cenfésle faire, de manière que rien
ne fait fuppofer les parties, belligérantes coupables
d injuffice ; & cela doit s’entendre suffi des