
l’Euphrate. ( Canaux navig. par Linguet. Des canaux
par La Lande. Jungend. marium fluvior. q. molimina.
a. J. J. Oberlino. ). ( K. ).
C anal d ’a r r o s em e n t et de desséche-
c h em e n t , Nous avons parlé des canaux relativement
à leur utilité pour le commerce, la navigation
& le tranfport des marchandifes : confidérons-
les un moment du côté des avantages qu’on en
retireroit pour l’amélioration des terres & de
l’agriculture , en parcourant ceux qu’on a proposés
ou exécutés fous ce point de vue.
Les Egyptiens font les plus anciens peuples que
l’on connçiffe, qui ayent fait ufage des canaux
pour fertilifer les campagnes & pour répandre le
Nil fur les terres. Lorfqu’il s’en eft rencontré de
trop élevées pour que les eaux puffent les baigner,
ils ont employé des machines pour les y porter ,
principalement la vis d’Archimède : on prétend
que ce grand homme l’imagina dans un voyage
qu’il fit en Egypte. Le N i l, dont les eaux font fi
propres à fertilifer les terres par le précieux limon
qu’elles y dépofent, prend fa fource dans le
royaume de Goyame en Abyflinie. Ses accroiffe-
ments viennent de ce que, traverfant l’Ethiopie, :
où il pleut annuellement depuis le mois d’avril
jufqu?à la fin d’aout, ce fleuve, qui reçoit les eaux
de cette région, les apporte en Egypte, ou il ne
pleut prefque point. 11 commence à croître depuis
la fin de juin, & ccajtinue jufqu’à la fin de fep-
tembre. Alors il celle de grofîir, & va toujours
en diminuant pendant les mois d’o&obre & de novembre
: enfuite il rentre dans fon lit, & reprend
Ion cours ordinaire. Pendant les quatre mois
qui fuivent celui de juin, les vents de nord-eft
loufflent régulièrement, & repouffent l’eau du Nil,
qui s’écoujeroit trop vite à la mer. Les voyageurs
modernes ont trouvé toutes ces obfervations affez
conformes à ce que les anciens auteurs en ont écrit.
Dès que le Nil eft retiré le laboureur rie fait que
retourner la. terre en y mêlant un peu de fable
pour en diminuer la force. Enfuite il l’enfemence,
& deux mois après elle eft couverte de grains ôc
de légumes ; de forte que, dans le cours de l ’année,
la terre porte quatre efpèces de fruits différents.
Comme la chaleur du foleil eft extrême en Egypte,
l’humidité que le Nil a dépofée dans la terre feroit
bientôt évaporée fans le feçdiirs des canaux & des
réfervoirs dont le pays eft rempli j parce que les
faignées que l’on a foin d’y faire fourniffent abondamment
à l’arrofage des campagnes. Par-là on a
trouvé le moyen de faire d’un terrein naturellement
fec & fabloneux un des plus gras & des plus fertiles.
On lit dans les Mémoires des Sçavants étran-
ers, (tom. I , pag. 8 fa qu’Augufte, étant parvenu à
empire,fit nettoyer les anciens canaux d’Egypte,
& rendit ainfi aux terres leur ancienne fertilité.
Après Augufte , les Romains , qui regardoient
l’Egypte comme le grenier de l’Italie, furent fort
attentifs à faire nettoyer les canaux d’arrofemçnt :
mais les Mahométans ayant négligé d’entretenir
ces ouvrages, on n’a plus enfemencé que les campagnes
voifines du N il ; qui, au lieu de cent pour
un, comme l’atteftoit Pline pour fon temps, ne
rapportent plus que douze pour un.
Si les Chinois font, comme plufieurs fçavants le
prétendent, une colonie d’Egyptiens, ils ont du
emporter dans leur pays la connoiffance de l’amélioration
de l’agriculture par le moyen des canaux
d arrofage : auffi cet art s’eft-il perfeélionné chez
eux au point que leur pays eft devenu le plus
riche, le plus fertile, 8/ le plus peuplé de toute la
terre.La Chine eft coupée de beaucoup de rivières,
& fes habitants ingénieux font parvenus, par un
travail immenfe, à ouvrir dans toutes les campagnes
des canaux navigables aux petits bateaux.
Des éclufes diftribuées fur ces canaux facilitent
1 arrofement général, & l’on fait à volonté rentrer
ces eaux dans leur lit. Les cultivateurs éloignés
des rivières &. canaux, &. qui habitent les mon-,
tagnes, pratiquent par-tout, de diftance en diftance,
& à différentes élévations, de grands réfervoirs
pour y conduire l’eau de pluie & celle qui coule
des montagnes , afin de la diftribuer également
dans leurs plantations de riz. Ils n’y épargnent ni
foins ni fatigues, foit en laiffant couler l’eau par fa
pente naturelle, des réfervoirs fupérieurs dans les
plantations les plus baffes ,foit en la faifant monter
des réfervoirs inférieurs & d’étage en etage
jufqu’aux plus élevées. Ils entendent fi bien l’agriculture
& la diftribution des eaux que la culture
du riz , cette nourriture fi faine & fi abondante , &
"la multitude des canaux, ne les expofent jamais
aux maladies qu’ont éprouvées ceux qui ont e£-
fayé de les imiter en Europe. Ce dernier motif a
fait défendre la culture du riz en France. Au moyen
de l’arrofement des terres, l’agriculture eft portée
au dernier degré de perfe&ion en Chine & au
Japon ; il n’y a pas un arpent de terre qui ne
foit fertile & cultivé. Ces peuples ont les meilleures
loix poffiblc-s, & celles qui regardent l’agriculture
font admirables. Ompeut juger des autres
par celle-ci : Celui qui laijjera pajj'er une année,
[ans cultiver [on champ, perdra [on droit de propriété.
Les Babyloniens , & les peuples voifins du
Tigre & de l’Euphrate , tiroient jufqu’à cinquante
& cent pour un de leurs terres, parce qu’ils avoient
l’art de dériver l’eau de ces fleuves par des rigoles
& de la conduire dans leurs champs enfemen-
cés, par le moyen des aqueducs. On a confervé
la même coutume en Perfe &. en Babylonie. En
Perfe la charge de furintendant des eaux eft une
des plus confidérables, à caufe de la féchereffe du
pays, & de la difficulté de l’arrofer fuflifammenf &
également. ( Voye£ Fontenelle , Eloge de Guglia-
mini. Mém. des Sçav. etrang. tom. 1 ,pag. Hérodote
{liv. I , çh. / o j) , & Théophrafte, ( Hiftoire
plant, liv. VI 11, ch. 7 ) , portent jufqu’à deux &
trois cents pour un le produit des terres en Babylonie
; chofe prefque incroyable , fi on la compare
au produit de nos meilleures terres, qui n’eft au
plus que de huit à dix pour un ; nous n’avons donc
aucune idée des effets étonnants de l’irrigation.
. Les Romains, à l’imitation des Egyptiens, acquirent
beaucoup d’induftrie dans l’arrofage des
terres. Selon Caton & touts les anciens, la plus
riche de toutes les poffeftions eft un champ qu’on
peut arrofer par les eaux , [olum irriguum : Cicéron
( 7. Ojjic. ch. 1 4, ) , regarde l’irrigation des
champs comme la caufe première de leur fertilité ,
&. il la recommande avec, foin : Adde duttus aqua-
rum, derivationes fluminum, agrorum irrigationes.
On peut voir cette matière traitée avec étendue
dans Vitruve. Après la deftruéiion de l’empire,
les Italiens conlervèrent l’ulage d’arrofer leurs
campagnes, fur - tout celles qui font voifines des
montagnes ; parce qu’elles fourniffent des lources
abondantes, dont il ne faut que ménagerie cours
des eaux, en les foutenant à une hauteur convenable
au chemin qu’on veut qu’elles tiennent.
Les Suifles, ce peuple fi lenfé, qui a toujours
fçu fie conferver la liberté & la paix, tandis que
l’efclavage &L les guerres affligent fans celle les
autres nations, qui fçait fe procurer l’abondance
dans le pays le plus ingrat de l’Europe , les Suifles,
d is - je , ont fçu fe faire une fource inépuifable de
richefles par la diftribution des eaux fur leur fol
arride. Si on veut voir un beau tableau de ce que
peut leur induftrie à cet égard, qu’on lilè le traité
de l’irrigation des prés, par M. Bertrand, à l’article
A griculture de l’Encyclopédie.
La fertilité de la Flandre & des Pays-Bas eft due
à la multiplicité des canaux dont ces pays font
coupés & arrofés. En France , les habitants du
Dauphiné , ceux de Provence & du Rouflillon,
ont auffi acquis beaucoup d’induftrie & de connoiffance
pour bien ménager les eaux & les diftribuer
à propos.
Il y a peu de pays qui n’ait befoin d’être ar-
rofé, quelle qu’en loit la fituation, parce que les
pluies viennent quelquefois trop tôt, quelquefois
trop tard, & le plus louvent m3l-à-propos. Il en
réfulte beaucoup de dommage pour les biens de
la campagne, &. quelquefois la ruine de tout un
pays. On ne peut remédier au premier de ces
inconvénients, mais on corrige le fécond par le
moyen des canaux d’arrrofage.
Il n’y a guère de pays en France plus'froid &
plus fujet à l’humidité que le haut Dauphiné, parce
qu’il eft rempli de montagnes chargées de neige
prefque toute l’année , contre lefquelles les nuées
viennent fe rompre, &. où l’hiver , avec toutes fes
rigueurs, dure au moins fept mois. Cependant il
n’y a point d’endroit où l’on arrofe les terres avec
plus de foin, &. dont on retire plus d’avantages.
De même dans les Pays - Bas, où les eaux font
en grande abondance, on n’eft pas moins attentif
à remédier au tort que peuvent caùfer les grandes
fécher elles, en rempliffant d’eau les foliés ou water-
gans dont les campagnes font coupées , afin de les
rèffraichir par la traufpiration»
Si en des climats fi différents on a befoin de
canaux d’arrofage, on peut conclure qu’il y en a
peu où ils ne l'oient abfolument néceffaires. En
effet, eft-il rien de plus avantageux que de pouvoir
convertir les terres labourables en prés, en-
fuite les prés en terres labourables ?Quand on peut
changer en prairie une pièce de terre fatiguée
de porter du bled , elle en devient bien meilleure
quelques années après, pourvu qu’on la
puifle arioier. De même , quand la terre d’un pré
vient à fe mouffer, ( ce qui eft un ftgne certain
qu’elle fe laffe ) , en la remettant en labour pendant
quatre ou cinq ans , elle produit enfuite du
bled en abondance. D ’autre part, cette mutation
donne lieu d’entretenir & d’élever beaucoup de
beftiaux, dont on connoît affez la néceflïté.
Rien ne prouve mieux l’utilité que l’on peut
tirer des canaux d*arrofage, que l’exemple qu’offre
la plaine de la Crau en Provence , entre Arles &
Salon. Cette plaine forme une étendue de fept à
huit lieues de long fur trois ou quatre de large :
elle a pour capitale Salon , & confine au territoire
d’Arles, dont elle fait partie. Les anciens l’appel-
loient Campus lapideus, parce qu’elle eft tellement
couverte de prairies, qu’on n’y voit prefque point
de terre. Peyrelc, cet homme célèbre qui encouragea
touts les arts & qui réufîit dans toutes les
fciences, eroyoit que la quantité de pierres qu’on
voit dans la Crau d’Arles veffoit de ce que cette
plaine avoif été autrefois inondée pendant longtemps
par la Du*ance ou par le Rhône , qui y
avoit dépofé un germe pierreux, dont toutes ces
pierres s’étoient formées en fe coagulant à la
longue. Il eft plus vraifemblable que la mer, ayant
formé un 'golphe dans cet endroit, y a dépol'é la
grande quantité de pierres arrondies qu’on y
trouve. Ce qui paroît confirmèr cette opinion,
c’eft lê grand nombre d’étangs falés qui font dans
cette plaine. ( Strab. Geog. liv. IV. ).
Quoi qu’il en foit , la Crau d’Arles ne doit fa
fertilité aéluelle qu’au canal ou vallat deCraponne,
ainfi appelle du nom dé fon auteur ; & la plus
grande partie de cette plaine a entièrement changé
de face.
Adam de Craponne . nommé très improprement
Vallat de Craponne au mot Salon, ( vallat
figmfie en provençal, fojfé, petit canal,'), con-
temporain de Noftradamus & né dans la même
ville , fe diftingua fous Henri II par fes connoif-
fances dans la méchanique hydraulique, & fut un
des plus habiles ingénieurs de fou temps. Il fit
écouler les eaux croupiflfantes de Fréjus ; ce qui
rendit l’air de cette ville plus fain. 11 avoit entrepris
de joindre les deux mers par le centre du
royaume, & Henri II le préféroit à touts les ingénieurs
que Catherine de Médicis avoit amenés
d’Italie ; préférence qui lui fut fatale par la jaloufie
des Italiens ; ils fempoifonnèrent à l’âge de quarante
ans. Cet ingénieur, ayant reconnu par des
nivellements, que la Durance, près du village de