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doivent regarder que les moyens d’empêcher une
déroute entière.
C ’efl à cela ferai qu’il doit penfer. Son expérience
& fa capacité lui doivent faire connoitre le moment
qui précède la-perte de la bataille j.afin de prendre
toutes les précautions.néeeffaires pour diminuer le
défordre d’une faite ; foitçar un effort confidérable
qu’il fera avec les troupes qui ne font point ébranlées
, pour donner le temps à celles qui le font de
fe rallier, defe remettre enfemble, &aflurer ainfi
la retraite *, foit en fe faififfant en arrière d’un polie
où il puiffe fe retirer en fureté, ou d’un défilé derrière
lequel il puiffe fe raffembler.
Comme l’abandon & la perte de fon champ de
bataille entraîne fouvent celle de fes bagages , s’il
en a avec lui, & prefque toujours celle de Ion artillerie
; il ne doit relier dans ce premier lieu , où il
fe fera retiré &. mis en furete, qu autant de temps
qu’il lui en faut pour rafTembler les débris de fon
armée ; après quoi il la doit mener dans un camp
fu r , où il puiffe réparer fes pertes, tant par le
canon & les armes qu’il fera venir des places ,
pour en donner à ceux qui les auront perdues, que
par les fecours dont il pourra être renforcé.
Si fa perte ell fi confidésable, qu’elle puiffe entraîner
celle de quelque place, il y doit jetter la
meilleure &. la plus fure infanterie qui lui refie,
& tâcher enfuite de tenir toujours la campagne
avec fa cavalerie -, pour incommoder l’ennemi, en
cas qu’il s’attache à un fiège t ou pour le contenir,
& l’empêcher de fe féparer en plufieurs corps, fi
fon deffein n’eft que de pénétrer dans le pays ,
& de le défoler.
Si le viftorieux, par les pertes qu’il aura faites le
jour de la bataille , fe trouve trop affoibli en infanterie
pour s’ attacher à un gros fiège, ou qu’il ne
foit pas en état de l’entreprendre faute de groffe
artillerie , & de munitions de guerre , & enfin qu’il
ne puiffe retirer d’autre fruit de fa' viéloire, que
celui ou d’avoir déconcerté les projets de fon ennemi
, ou de refter maître du plat-pays pendant le
refle de la-campagne , ou de procurer à fon armée
des quartiers d’hiver dans le pays ennemi ; il faut
que le vaincu , sen s’éloignant du viftorieux , fe
place en lieu fur, près des.greffes villes , d’où il
puiffé tirer lescommodités'que la perte delà bataille
a ôtées à fon armée , tant pour les fabfiftances &
médicaments pour les bleffes, que pour la réparation
des bagages perdus ; qu’il raffure fes troupes ,
& ne fe montre en corps à l’ennemi qu’apres qu’il
aura réparé fes pertes , foit par la jon&ion de nouvelles
troupes, foit en ayant fait donner des armes
à ceux qui en ont perdu , rétabli fon artillerie , &
fes vivres , fait guérir les bleffés , & qu’enfin il fe
foit remis en état de s’oppofer au progrès de l’ennemi
, & à fon établiffement dans des quartiers
d’hiver avantageux.
Entrons maintenant dans les détails avec le marquis
de Santa-Cruz. Je ne changerai rien ni au
contenu ni à l’ordre de -fes. préceptes , & ne
ferai que re&ifier la traduction françoife fur l'o-
riginal.
D E S D I S P O S I T I O N S
A V A N T U N S B A T A I L L E -
R E C O N N O I S S A N C E .
Non-feulement le commandant de l’armée , mais
encore les autres généraux, & les brigadiers meme ,
doivent, autant que les ennemis le permettent,
reconnoître le terrein où fe doit donner le combat,
afin que , durant la bataille, il ne fe rencontre,
aucun obftacle qui rende inutile votre premier
projet , & vous oblige à faire quelque gouvernent
confidérable, toujours dangereux à la vue de 1 armée
ennemie.
Un foffé que M. de Nemours ne reconnut qu’a-
près que la bataille de Cerignole eirt été commencée
, fut caufe de la déroute de l’armée françoife.
Il faut aufli reconnoître, fi à certaine diftance
de l’endroit où vous avez deffein de former votre
réferve & vos ailes, il n’y a point quelques troupes
des ennemis en embufeade , qui puiffe venir vous
charger lorfque l’aélion fera engagée.
Minutius , maître de la cavalerie romaine , fut
battu pour n’avoir pas pris cette précaution. An-
nibal ayant caché la nuit dix mille hommes dans
les gorges d’une montagne, & dans les bois voi-
fins, préfenta le lendemain le combat a fon adver-
faire. Celui-ci l’ayant accepté , fans avoir reconnu
les environs du champ de bataille, fe vit attaque
par l’endroit où il s’y attendoit le moins.
Il eft important d’avoir reconnu , quelques jours
avant le combat, touts les chemins ôc les fentiers
que vous avez à votre t ê t e 'fu r vos derrières ,
& à vos flancs , afin de pouvoir prendre de juftes
mefures, foit pour fuivre l’ennemi vaincu, loit pour
faire votre retraite. Alors ce n’eft pas allez d avoir un
grand nombre de guides,; parce que plufieurs font
tués dans le combat ; que les uns s’épouvantent, &
ne fçavent plps ce qu’ils font les autres prennent
la fuite , ou ne connoiffent pas quel avantage , ou
quel inconvénient il y a de prendre un chemin plutôt
qu’un autre.
Il y a deux manières de corriger ce qu’un terrein
a de défavantageux. La première eft d abattre les
murailles & les haies des jardins , &. d’applanir ce
* terrein ; de couper une partie du bois , oi^ de la
brouffaille ; de jetter des ponts fur les foffes ; en
un mot, d’ôter touts les obftacles qui peuvent
empêcher la communication de vos lignes, & de
chacune de vos troupes , fuivant le plan que vous
vous êtes fait pour l’ordre de bataille de votre
armée.
La fécondé manière de tirer.avantage de ce que
le terrein paroît avoir de défavantageux , eft de
ranger en bataille fur une montagne , dans un bois ,
dans la plaine, ou en rafe campagne, les efpèces
de troupes , q u i, par la qualité de leurs armes.,
par leur nombre , par la manière de fe battre , ou
par quelques autres circonftances , peuvent etre
propres pour ces différents terreins.
Il faudra‘ prévenir les efpions que vous avez
parmi les ennemis de vous donner aufli promptement
qu’ils le pourront la connoiffance de l’ordre
de bataille de l’armée ennemie , afin que vous i
puifliez ranger la vôtre de la manière la plus convenable
, relativement au terrein , à~ la qualité , a
l’efpèce , & au nombre de vos troupes , en tâchant
toujours de difpofer vos bataillons &. vos-efea-
drons, de forte que les ennemis fe voient forces
de changer l’ordre de bataille qui pourroit leur
être le plus avantageux.
Cæfar voulut fçavoir dans quel ordre Vercin-
gentorix avoit rangé fon armée, avant que. d’en
venir à un combat contre lui. D ’après cette connoif- !
fance il forma fes troupes , &. Vercingentorix fut
défait.
Hannon, & Amilcar, généraux de l’armée navale
de Carthage , deftinée pour l’Afrique , ayant
obfervé que les vaiffeaux romains s’étoient rangés
d’une manière fort avantageufe , firent faire aux
leurs un mouvement, qui força, les Romains, de
changer leur premier ordre de bataille en un fécond
moins avantageux. -
Ne donnez nullement à connoître que vous êtes
inflruit de l’ordre de bataille projetté par les ennemis
; parce que , s’ils changé oient leur difpofition ,
vous ne pourriez efpérer aucun bon fuccès des
mefures que vous aurez prifes fur la foi de ce premier
avis.
Germanicus fçavoit que les Germains avoient
-mis une partie de leur cavalerie en embufeade pour
charger pendant la bataille la dernière ligne des
Romains ; mais il feignit de l’ignorer, & rangea
Ibn armée de manière que , loin d’être incommodé
par l’embufcade, il • défit l’armée des Germains.
Si vous allez reconnoître par vous-même la difpofition
de l’armée ennemie1, pendant qu’elle marche
ou qu’elle eft rangée en bataille , vous aurez l’avantage
d’obferver le changement qu’on pourroit y
avoir fait depuis l’avis de votre efpion , ou ce
que cet efpion n’auroit pas été capable de eon-
noître & de comprendre ; parce que les ennemis
cacheront p4eut - être , jufqu’à l’extrémité , l’ordre
dans lequel ils ont réfolu de fe battre. Vous ne
devez pourtant pas tenter d’aller reconnoître vous-
même leur armée , fi vous courez rifque d’être fait
prifonnier ; & , fi pour vous tirer de quelque mauvais
pas , où les partis ennemis pourroient vous
jetter , il eft à craindre que vous ne fufliez obligé
de faire avancer plus de troupes , & d’engager in-
fenftblement votre armée à foutenir un combat
général dans un terrein défavantageux, ou lorfque
toutes vos troupes ne font pas dans une difpofition
propre à le recevoir.
Lorfque Scipion combattit Afdrubal, il changea
l’ordre dans lequel il avoit d’abord montré fon
armée , & gagna la bataille.
Les. confuls M. Claudius Marcellus, & T . Quin-
tius C.nfpinus., étant allés avec une petite troupe
reconnoître le camp d’Ânnibai, furent furpris &c
défaits, & Marcellus y fut tué. Polybe , qui rapporte
ce fait, blâme extrêmement ces deux confuls
de s’ètre fi fort expofés,
Annibal, ( je parle de celui que les Carthaginois
firent mourir fur une croix , parce qu’il avoit perdu
fur mer plufieurs batailles , ) , réfolut d’aller reconnoître
lui-même la difpofition de l’armée navale
des Romains. Il fortit de Palerme avec cinquante
vaiffeaux ; & , rencontrant la flotte ennemie plus
près qu’il ne penfoit, & en ordre de bataille, il
eut beaucoup de peine à s’échapper , & perdit,
la plupart de fes vaiffeaux.
On voit dans l’hiftoire de Flandre , par le
Cardinal Bentivoglio , qu’Henri IV alloit toujours,
lui-même reconnoître les ennemis, lorfqu’il. efpé-
roit pouvoir les combattre : & l’hiftorien blâme
beaucoup ce prirîce d’avoir trop expofé fa per-
fonne. Solis , qui fait le même reproche à Cortès ,
dit qu’une telle hardieffe dans les généraux d’armée
n’eft pas digne d’imitation ; que s’exp.ofer
ainfir, .c’eft expofer toute l’armée , & qu’en pareille
occafion, la valeur eft mieux placée dans un.
autre coeur.; ,
Le milieu qu’il faut prendre alors eft de s’appro-.
cher avec une bonne efeorte , jufqu’à certain lieu
où il n’y ait à craindre ni embufeade , ni engagement
avec, les-partis ennemis. L à , du haut de
quelque colline , d’une tour , ou d’un clocher
vous pourrez à loifir ., avec de bonnes lunettes
d?approche , diftinguer à plus de deux lieues la
difpofition des lignes; ennemies , les troupes placées
hors de fes lignes, l’infanterie, la cavalerie,
les trains.de chevaux, de mulets, ou de boeufs,
pour les canons, & même la couleur de l’habillement
des régiments ; fur-tout, fi du terrein où
font les ennemis, il ne s’élève pas beaucoup de
pduffière. D ’après l’ob.fervation de ces circonftances
, vous, pourrez prendre vos mefures pour
l’étendue de vos lignes, pour vos ailes , pour le
pofte de chaque corps de votre infanterie, & de votre
cavalerie , fuivant les règles que j’établirai dans la
fuite.
C O N S E I L . O R D R E S .
La veille , ou le jour de la bataille ,. vous communiquerez
à vos généraux les moyens que vous
avez réfolu de mettre en oeuvre. Après avoir pris
leur avis, & retranché de votre projet ce qui vous
aura paru défeélueux, ou ajouté ce' que vous aurez
jugé convenable, vous donnerez par écrit à chaque
général les ordres qu’ils doivent remplir & faire
exécuter , afin qu’ils agiffent touts de concert, 8t
ne foient pas étonnée de certains .mouvements
qui pçurroient peut-être les farprendre & eau.fer
de la confufion, s’ils n’en étoieut pas prévenus,
G- g ij