
2.0 6 B A I
fions de charger avec les armes d’efcrime, il me
paroît que l’épée feroit une arme plus avantageufe
contre l’intanterie ,;qiæ le fufil .armé de la baionette.
Une arme d’efcrime*rop longue eft très foible ;
la pique des Grecs étoit fort inférieure à l’épée
romaine 5 le fufll armé de la baionette..feroit fupé-
rieur à la pique ; & une épée forte & roide , entre
dçs mains formées à la manier, vaùdroit mieux
que la baionette au bout du fufil.
Notre baionette a environ dix - fcpt pouces de
longueur , en y comprenait la douilleï Quelques
officiers ont penfé qu’il'feroit avantageux de l’aT-
longer. L’expérience a prouvé que ,, fion perfifte
à vouloir qu’elle ioit toujours au bout du fufil,
ce poids ajouté rend l’aclion de mettre on joue
très incommode & même impoffible. M. le maréchal
de Saxe a propofé d’armer le foldat de
fufils longs de cinq pieds & du calibre de douze
à la liv re , avec une baionette à mapche de deux
pieds & demi de longueur. Il me femble qu’une
pareille arme réuniroit l’inconvénient de la baionette
à manche à l’incommodité d’une grande pefanteur.
M. le maréchal regarde, il eft v ra i, comme un
avantage ce que je nomme inconvénient. La
baionette à manche eft félon lui préférable à l’autre,
parce qu’elle rend maître du feu. « Il ne faut pas ,
dit - i l , vouloir deux çhofes à la fois , charger &
combattre de pied ferme. Dans l’un de ces cas il
faut tirer, & dans l’autre point ». Quoique ces
mots foient d’un grand général, fexpérience eft
encore un plus grand maître. Quand on adopta
la baionette pour toute l’infanterie françoife, l’ufage
du fufil étoit beaucoup moins perfectionné qu’il
né l’a été depuis. Cette arme étoit donc moins
dangereufe , & permettent plus qu’aujourd’hui de
charger avec les armes d’efcrime. Cependant, loin
de conférver cet avantage prétendu de la baionette
à manche, on chercha le moyen de fe conferver
tout l’avantage du feu ; fans doute, parce qu’on
en fentoit déjà toute la fupériorité.
Quant à l’incommodité du poids , le maréchal
affure qu’on ne doit pas craindre de trop charger
les foldats par les armes, parce qu’une infanterie
accoutumée à ce régime eft plus folide. Il donne
pour exemple les foldats romains qui portaient
beaucoup , & qui étoient punis de mort, s’ils
abandonnoient leurs armes. Mais,' comme le remarque
très bien M. Jabro , ( DïEl. mil. MM. art.
armes. ) , l’éducation qui précédoit l’entrée dans
la milice , bien différente de la nôtre , permettoit
de les charger ainfi ; au lieu qu’avec toute la volonté
poflible, nos foldats périroient avant de s’y
habituer. J’ajouterai que la comparaifon manque
•de jufteffe par un autre côté. 11 ne s’agit point
ici du poids que le foldat romain , décrit par
Josèphe, portoit en marche , mais de celui des
armes qu’il employoit au combat. Celui-ci, très
grand en lui-même, étoit égalemént réparti fur
tout le corps , & on fçait que de cette manière
l’homme peut porter un poids énorme, Celui du
B A I
bouclier étoit rapproché du corps & toujours
tenu à -'peu - près dans la même pofition : celui
d’une épée très courte n’avoit rien d’embarraffant.
Il n en eft pas ainfi du fufil qu-’il faut placer ,
tourner, retourner en plufieurs fens pour le charger
& le tirer. Il me paroît ivraifemblable que le maniement
du fufil qu’a propofé le maréchal exigeroit
une plus grande quantité de forces mécaniques que
celui du bouclier & de l’épée des Romains. N’au-
roit-il point de plus à fon extrémité , avec cette
longue baionette , un excès de poids qui rendroit
impoffible dans la pratique , ou du moins très
difficile , l’aâion de le mettre en joue ? C ’eft ce
que l’expérience peut feule apprendre.
D ’après les opinions & les différentes idées que
plufieurs militaires ont eues fur les proportions
l’emploi de la baionette , on peut propofer lés
problèmes fuivants :
I. L’infanterie françoife doit-elle avoir toujours
la baionette au bout du canon, ou ne doitr-elle l'y
placer quà l ’infant ou-elle veut s’en fervir ?.
II. Notre baionette a-t-elle la forme 6* les proportions
les plus convenables à l’emploi auquel elle
ejl deflinée ?
III. Ne de vroit - on pas donner aux dragons la
baionette propofée pour l ’infanterie ,6 » -armer. la
cavalerie avec le fufil & la même baionette ?
IV . L infanterie françoife ne devroit-eîh pas être
pourvue d’une arme de main , propre <z combattre
L’ennemi corps, à corps?.
T E M P S D E P A I X .
F a c t i o n .
[ I. Dans une fociété dont tous les membres
feroient fournis aux loix , le foldat en faéfion ,
pendant la paix, pourroit indifféremment porter
la baionette au bout du canon où dans le fourreau :
on pourroit même fe paffer de faélionnaire. Mais a
comme il y a dans chaque fociété des hommes qui
s’abandonnent aux pallions les plus féditieufes , il
faut que les citoyens deftinés à maintenir le bon
ordre foient à l’abri de leurs violences. Suppofons
.quelques mal-intentionnés ; qui, fçaehant qu’une
fentinelle les empêcheroit d’exécuter leurs deffeins
pervers, ont réfolu de s’en défaire. La nuit eft
obfcure : un d’entre eux approche du pofte à petit
bruit, & faifit le faélionnaire. A quoi fert.alors
au foldat d’avoir la baionette au bout du canon ?
Il ne peut en faire ufage : s’il l’avoit eue dans, le
fourreau , il y auroit porté la main ; & , fe fervant
de cette arme comme d’un poignard , il auroit fait
fubir au fcélérat la peine du crime prémédité. C’eft
raifonner d’après un abus , dira-t-on ; une fentinelle
ne doit jamais felaiffer affez approcher pour qu’on
puiffe la faifir. Elle le doit, il eft vrai : cependant,
malgré fes foins & fa vigilance , il feroit fouvent
très facile de la furprendre. Elle eft pofée dans une
rue étroite ; je porte du feu ; je réponds au qui
B A I
vive; elle m’ordonne de paffer du côté oppofé à
celui fur lequel elle fe promène ; j’obéis ; mon
obéiffance endort fa vigilance ; je profite de fa
fécurité, & à l’inftant où je la croife , je m’élance
fur e lle , fans qu’elle ait le temps de s’en apper-
cevoir ; je m’empare de fes armes , & je difpofe
d’elle à mon gré. Aurois-je tenté une pareille entre-
prife , fi le taâionaire avoit eu une arme propre
à me combattre corps à corps ?
' Suppofons que la fentinelle apperçoive mon
mouvement, & qu’elle ait le temps de préfenter
la baionette , en refte-t - elle, moins , à ma merci ?
J’écarte fon fufil avec la main gauche , je ta perce
de la droite , fans qu’elle, puifte m’en empêcher ,
parce qu’il lui faut les deux mains pour foutenir
ôl manier fon fufil.
Il y a d’autres circonftances où il eft encore plus
aifé de furprendre les fentinelles. Le vent, la.pluie,
le froid les obligent de refter dans leurs guérites ,
comme elles n’entendent alors que difficilement ce
qui fe paffe autour d’elles, comme elles ne peuvent
fe fervir ni de leur feu , ni de leur arme d’efcrime ,
dans l’efpace étroit où elles font renfermées ; on
les approche fans crainte ; on les attaque avec con-
. fiance &. on s’en rend maître fans peine.
Nos vieux foldats font tellement convaincus de
cette vérité, que lorfqu’ils font en faction, &
craignent d’être inful tés, ils ont toujours la baionette
à Ja main, ou dans le fourreau. Qui leur a dicté
.cette-fage précaution ? C ’eft l’expérience^ qui doit
être notre guide en tout.
Une fentinelle veuripendant le jour empêcher
la populace de pénétrer dans un endroit qu’elle
garde. Il femble que, dans cette circonftance, la
baionette doive être placée au bout du canon :
mais, en y réfléchiffant, on voit qu’elle y eft encore
inutile. Si le peuple eft foulevé ; un homme feul,
de quelque manière qu’il foit armé , eft un foible
obftaclé. S’il n’eft que mutiné , un coup dt baionette
donné au plus audacieux pourra contenir les autres;
mais l’état perd un de fes membres ; perte irréparable
, quand elle he tourne pas au profit de touts.
Qui nous répondra d’ailleurs que ce fang verfé ne
produira pas une émeute, qui pourra en faire couler
beaucoup davantage. Une bourrade auroit produit
peut-être le même effet, fans expoferaux mêmes
inconvénients. Mais la fentinelle eft fur le point
d’être forcée : que fera-t-elle alors ? Deux pas en
arrière , en mettant la baionette au bout du canon,
& la préfentant aux féditieux. Le peuple , peu
accoutumé à voir briller cette arme reculera
d’effroi ; au lieu que de nos jours il regarde la
baionette avec indifférence, parce que fes. yeux
l'ont familiarifés avec l’éclat de cette arme.
I N C E N D I E .
On crie au feu: le toeftn fonne ; la.garde vole
àl’incendie. Elle veut mettre l’ordre dans les fecours
que les foldats ÔC les citoyens s’empreffent de porter.
B A I 207
Le tumulte qui accompagne ces malheureux événements
empêche que le foldat puiffe fe faire entendre
; il doit cependant être obéi ; il veut l’être ;
il préfente la baionette 9 & bleffe peut-être un
citoyen , que fon zèle avoit fait voler au fecours
des infortunés.
La baionette peut encore être dangereufe -, par
la précipitation avec laquelle les troupes courent
au fecours des*malheureux. Le pavé eft gliffant ;
le foldat tombe ; la pointe de fa baionette va bleffer
ceux de fes camarades qui le précédent ou qui le
fui vent ; & , quand le foldat ne tomberoit pas, fa
baionette peut encore être dangereufe. En courant
il porte l’arme au bras ; un mouvement mécha-
nique & involontaire fait qu’il lève un peu le coude
gauche ; fon arme vacile , fait la bafcule, & bleffe
ceux qui le fuivent.
P O L I C E .
Le v in , les femmes, ou le jeu , ont excité une
querelle ; la1 garde court, à deffein de rétablir
l’ordre & la paix. Dans cette circonftance, aux
dangers dont nous avons parlé dans l’article précédent
, il s’en joint quelques-uns d’un autre genre*
Le foldat françois eft v if , impétueux , & fur-tout
très vain. Il eft flatté de l’occafion d’exercer l’empire
qu’il croit avoir fur fes concitoyens. Animé
d’ailleurs par la courfe rapide qu’il a faite, il eft
tenté d’en venir, dès le premier inftant, aux dernières
extrémités. Il a la baionette au bout du
canon ; il la préfente machinalement, & frappe
fans réflexion j. d’auroit - il fait , s’il avoit eu la
baionette dans le fourreau ? Non ; le temps qu’il
lui., faudroit pour la placer au bout du canon lui
laifferoit celui de réfléchir, & réfroidiroit fon a£ri-
vité trop fougueufe.
Dira-t-on que les perturbateurs , voyant la garde
dépourvue de fon arme la plus redoutable , fefou-
mettront moins facilement ? Mais on ne voit pas
des révoltés plus fréquentesvcontre les gardes de
cavalerie, que contre les gardes d’infanterie : le
nom feul de garde en impofe aux plus déterminés.
Quant aux mutins qui, étant arrêtés par la garde,
tenteroient de lui échapper , la baionette au bout
du canon ne les en empêchera pas : celui qui voudra
s’enfuir, fera hors de la portée de cette arme avant
que le foldat puiffe en faire ufage.
On objeélera peut - être qu’il y a moins d’inconvénients
à fe fervir de la baionette qu’ à laiffer
tirer une troupe qui fe verroit fur le point d’être
forcée ; que les perfonnes bleflees par l’arme d’efcrime
font fûrement coupables ; au lieu que les
coups de fufil peuvent atteindre l’officier ou le
magiftrat venu pour rétablir l’ordre. Mais en demandant
que la baionette refte dans fon fourreau
je n’ai pas prétendu que les gardes duffent dès le
premier abord faire ufage de leur feu ; au contraire
j’ai voulu rendre plus rare le befoin de s’en fervir.
En effet, la garde paroiffant d’abord fans ba'ionettes9