fan ce ne le lui faifoit plus regarder que comme un
noble & généreux bienfaiteur : il le déclaroit à
jamais l'on chevalier, Se juroit de renoncer à tout
ce que la gloire lui pourroit offrir de plus brillant,
pour s’acquitter de cette dette , pour le protéger ,
le défendre, 8c le fecourir au befoin. Ce ferment,
étoit regardé comme inviolable , du moins fommes-
nous fondés à le croire fur la foi des romans. Combien
d’nfages de l’antiquité nous paroiffent fuffifam-
ment prouvés par le feul témoignage des poëtes ?
Pourquoi nos romanciers n’auroient-ils pas le même
privilège ?
On a v u , dans touts les temps & dans toutes les
proférions, des hommes affez vertueux pour regarder
comme une récompenfe fuffifante la pratique
de la vertu , & la fatisfaéfion d’avoir rempli
les devoirs de leur état : je ne doute point qu’il ne
fe trouvât des chevaliers pour qui le plaifir d’être
Utile aux autres hommes, & le témoignage intérieur
qu’une ame généreufe fe rend à elle-même,
ne fûfient beaucoup plus flatteurs que les applau-
diffements & les cris tumultueux des officiers
d’armes dans les tournois & dans les combats.
Néanmoins des motifs fi épurés n’étoient pas
de nature à faire affez d’impreffion fur la plupart de
ceux même qui fe glorifioient de penfer autrement
que le vulgaire. Une fage politique vouloit multiplier
les chevaliers : il fallut donc attacher à cette
profeffion des avantages extérieurs , en rehauffer
l’éclat par des prérogatives honorables , 8c donner
à ceux qui l’exerçoient une prééminence marquée'
fur touts les écuyers & fur tout le refie de la no-
bleffe. Je commencerai par les diftfnélions de l’armure
& de l’habillement : elles m’obligeront d’entrer
en des détails qui paroîtront peut - être frivoles à
quelques le&eurs ; mais on ceffera de les regarder
comme tels, fi l’on confidère que toute diftinélion
devient importante quand elle efl le prix de la
vertu.
Une lance forte & difficile à rompre , un haubert
pu haubergeon, c’eft-à-dire une double cotte de
mailles , tiffues de f e r à l’épreuve de l’épée >
étoient les armes affignées aux chevaliers exclufi-
vement. La cotte d’armes, faite d’une funple étoffe
armoriée, étoit l’enfeigne de leur prééminence
fur les autres ordres de l’état. Les écuyers même
n’avoient pas la permiffion d’en venir aux mains
avec eux ; 8c , quand un écuyer l’auroit eue , couvert
de fa cuiraffe foible & légère , armé feulement
de l’épé£ fit de l’écu , comment eût-il pu fe défendre
d’un adverfaire prefque invulnérable ? Le
peuple ne portoit en v oy ag e , 8c peut-être même
dans les combats, qu’une efpèce de couteau qui
pendoit le long de la cuiffe.
Si les armes des chevaliers &. des écuyers étoient
enrichies d’ornçments précieux , le plus pur de
touts les métaux étoit réfervé pour celles des chevaliers
, pour leurs éperons 3 pour les houffes 8c
les harnois de leurs chevaux. Travaillé en étoffe,
enrichiffoit leurs robes, leurs manteaux , toutes
les parties de leurs vêtements & de leurs éq u ipages;
il fervoit, dans les affemblées, à taire re-
connoître , à diftinguer leur perfonne 8c celle de
leurs femmes, comme on les diflinguoit dans les
difeours 8c dans les aétes ou autres écrits, par les
titres de don 3Jîre 3 mejjire, monseigneur, 8c par ceux
de dame, de madame 8c autres. L’argent deftiné
pour les écuyers , que l’on qualifioit de monjieur
ÔL de damoifeau , & pour leurs femmes, à qui l’on
donnoit le titre de demoifelles, marquoit auffi la
différence qu’on devoit mettre entre eux &. les
perfonnes d’un rang inférieur , qui ne portoient
que des étoffes de laine, ou du moins fans or ni
argent. Les feuls chevaliers avoient droit de porter
particulièrement, pour doubler leurs manteaux, le
vair , l’hermine 3 8c le petit gris ; d’autres fourrures
moins précieufes étoient pour les écuyers »
& les moindres pour le peuple.
On avoit interdit la foie aux bourgeois & aux
gens du commun : 8c même elle étoit difpenfée
entre les chevaliers 8c les écuyers avec un fage
ménagement. L’attention à ne rien confondre alloit
fi loin que , dans les cérémonies, lorfqu’on voit' les
chevaliers vêtus de draps de Damas, les écuyers
ne le font que de fatins ; ou fi les derniers ont des
habits de damas, les premiers font habillés de
velours. Enfin , l’écarlate, ou toute autre couleur
rouge, étoit appropriée aux chevaliers, à caufe
de Ion éclat & de ion excellence. Elle s’eff con-
fervée dans l’habillement des magiffrats fupérieurs
& des doéleurs. Les chevaliers, à l’égard de leur
habillement, avoient une autre prérogative qui
ne s’étendoit point aux écuyers. On regardoit dans
ces temps-là comme clerc quiconque , ayant reçu
la tonfure , ne s’étoit marié qu’une fois, ou n’avoit
point époufé de veuves 9 conformément à ce qui
fe pratique encore aujourd’hui dans l’ordre de Saint-
Lazare. En général tout clerc marié perdoit le privilège
ordinaire d’être traduit devant le juge ecclé-
fiaftique , s’il étoit arrêté fous des habits feculiers ;
mais, s’il étoit chevalier, s’il portoit l’habit de chevalier
au lieu de celui de clerc, il jouiffoit de toutes
les immunités de la cléricature. On portoit à ces
deux états un refpeét prefque égal ; & 3 fuivant les
idées de l’auteur du jouvencel 3 peuYen fallut que
l’on ne les confondît.
Une autre particularité diftinélive des chevaliers,
c’efl qu’ils fe rafoient le devant de la tête, foit de
crainte d’être faifis par les cheveux, s’ils perdoient
leur cafque dans le combat, foit qu’il les trouvaf-
fent incommodes fous la coëffe de fe r , & fous le
heaume dont ils étoient continuellement armés.
Cependant ces ufages ne furent pas toujours
uniformes,8c rien n’a plus varié, fuivant les temps
& les circonftances, que les réglements de la chevalerie
, fur - tout par rapport aux armes 8c aux
vêtements.
Les chevaliers étoient diftingués entre eux par
les armoiries particulières dont ils chargeoient leur
écu , leur çotte d’armes, le pennon de leur lance ,
la banderolle qui fe portoit quelque-fois au
fommet du cafque. Comme c’étoit ordinairement
des princes fouverains, ou des feigneurs fuzerains ,
que les premiers chevaliers tenoientle titre 8c l’épée
dont ils étoient décorés ; ils s’étoient fait un devoir
8c un honneur d’adopter à leur réception les armoiries
de ceux qui les avoient reçus dans l’ordre de la
chevalerie, ou de prendre au moins quelques pièces
de leurs blafons pour l’ajouter à celui de leur propre
famille. Dans la fuite, lorfque ces chevaliers en
créèrent d’autres, ils tranfinirent à ceux-ci les armoiries
qu’eux-mêmes avoient adoptées ; ainfi,
certains émaux ou métaux ont dû naturellement
dominer dans les anciennes armoiries des provinces
foumifes à des feigneurs particuliers ; c’eft - à - dire
qu on doit les y trouver plus communément qu’en
d’autres. Cette remarque affure celle de Saint-
Julien de Balleure^ qui prétend que les plus anciennes
maifons de Bourgogne blafonnent de gueules
& celle de Bretagne d’hermines, à l’exemple des
ducs de ces deux provinces. D ’autres chevaliers ,
par une ambition encore plus délicate & plus élevée,
ne vouloient point prendre de nom 3 de cri ou de
dévife , ni d’armoiries, avant de les avoir mérités
par leurs propres exploits : fi leur écu étoit peint
du blafon de leur famille, ils le tenoient enveloppé
d’une houffe , jufqu’à ce qu’ils fe fuffent
trouvés en des tournois ou en des combats. Les
coups d’épée ou de lance dévoient en coupant &
déchirant ce voile , manifefter de quelle face , ces
chevalier^ etoient iffus , 8c faire voir en même
temps qu’ils étoient dignes d’en porter le nom &
les armes. Souvent ils fe contentoient d’un écu
blanc ou d’une feule couleur , en attendant que les
circonftances les déterminaffent fur le choix des
pièces-de leur blafon, auquel le nom 8c le cri
darmes, quifervoient de ligne pour fe reconnoître
dans les combats , dévoient faire ailufion autant
qu il ejoit poffible. La croix prife contre les infidèles
, une lance , une épée ? tout autre arme
enlevee dans un tournois ou dans un combat, une
~ t0UJr un cffatea u , 8c même les créneaux 8c les
paliffades de quelque rempart forcé ou défendu,
une infinité d’autres exploits de cette nature ont
donne ! origine aux différentes pièces des écus ; 8c
elles y ont été répétées autant de fois que les
memes exploits^ ont été renouvellés par le même
chevalier : de là vient que quelques-uns les ont
pnfes fans nombre, comme dans les armoiries de
France, dont les fers de lance , que nous appelions
aujourd hui fleurs - de - lys , étoient ordinairement
fans nombre fur touts les écus.
L impofiîbilite d’en faire tenir plus de trois dans
le petit fceau, ou fce.au fecret, fut la raifon qui détermina
depuis a les réduire à ce nombre , lorfque
io n eut commencé à perdre de vue les anciens
principes de la chevalerie. Mais les pièces étoient
auili changées , diminuées /ou même retranchées
dans la fuite, fi-le chevalier venoit à commettre
quelque faute.
"La chevalerie avoit déjà tracé l’idée de cette politique
judicieufe, dont le fiècle dernier nous fournit
un exemple mémorable. Quelques-uns de nos régiments
de dragons , ayant enlevé des timbales
à des régiments de cavalerie , ' Louis XIV leur
accorda le privilège de porter des timbales avec
leurs tambours, à la tête de leurs efeadrons. De
même les chevaliers, pour avoir remporté en des
tournois 8c en des combats, une ou plufieurs épées
ou d’autres armes, avoient reçu le droit d’en décorer
leurs écus , 8c de les y placer comme des
monuments de leur valeur. Mais fi , dérogeant à
leurs premiers exploits en d’autres rencontres, ils
perdoient les mêmes armes , elles étoient pareillement
retranchées de leur blafon. Une partie de
la gloire des chevaliers ne pouvoit s’éclipfer fans
faire auffi difparoître la portion de leurs armoiries
qu’ils avoient pris pour en conferver le fouvenir.
Mais ces diftinétions n’étoient qu’une décoration
extérieure : paffons à d’autres avantages plus réels
qui furent le prix des dangers 8c des-travaux continuels
/auxquels les chevaliers avoient confacré
leur vie.
Dans les premiers temps, la plus îlluftre naiP
fance ne donnoit aux nobles aucun rang perfonnel , à
moins qu’ils n’y euffent ajouté le titre ou legrade de'
chevalier. Jufqu’alors on ne les confidéroit point
comme membres de l’état, puilqu’ils n’en étoient
point encore les foutiens & les défenfeurs. Les
écuyers appartenoient à la maifon du maître qu’ils
fervoienf en cette qualité ; ceux qui ne l’étoient pas
encore n’appartenoient qu’à la mère de famille dont
ils avoient reçu la naiffance 8c la première éducation.
Les uns 8c les autres, n’ofant arborer les armoiries
de leur père, n’avoient point, de fceau ; 8c 3
s’ils intervenoient dans quelque acte , comme partie
contraélante , ils étoient obligés, pour le fceller ,
d’emprunter le fceau de leur mère , de leur tuteur,
d’un ami, d’un parent, ou de la cour de juftice dans
laquelle l’aéle étoitpaffé. Lesmonuments hiftoriques
nous en fourniffent des preuves, même à l’égard
des feigneurs du çlus haut rang ; & c’eft fur ce
principe‘que les regents du royaume ont autrefois
fcellé de leurs propres fceaux, & non de celui du
roi mineur. De quel droit celui qui n’avoit point
reçu le gage de la chevalerie fe feroit-il fait repré-
fenter dans l’empreinte d’un fceau avec l’armure
d’un chevalier, le cafque en tête , monté fur un
cheval de bataille , tenant d’une main le bouclier ,
8c de l’autre l’épée haute , dans l’attitude d’un
homme qui combat ? Ce droit étoit légitimement
acquis au chevalier , dès qu’il avoit reçu l’épée 8c
l’écu deftiné à la défenfe de l’églife 8c de la nation.
Avec cette parure guerrière , il prenait place
parmi les hommes ,■ à qui la gloire 8c l’adminif-.
tration de l’état étoient confiés, 8c qui faifoient
l’appui du trône. Par une conféquence raifonnable ,
il étoit dès-lors émancipé , quelque jeune qu’il pût
être : plufieurs fils de fouverain ont été faits anciennement
chevaliers dès le berceau ; plufieui»