
Voila , ce me femble T touts les ufages différents
qu on peut (aire des camps retranchés : ils font touts^
iort utiles ; mais il ne faut pas en avoir trop : il
doit fuffire d’en avoir un bon fous une place, principale
fur une frontière ; parce que leur garde oc-
cuperoit trop d’hommes, qui feroient de moins
au corps de l’armée.
E X E M P L E S .
Le premier camp hafardeux , dit M. de Feu*
quieres , que j’ai vu prendre aux ennemis du roi , ;
prefomptueux de leur fupériorité, eft celui de Senef. j
M. le prince fçut les en châtier lorfqu’ils le quit- •
terent ; ce châtiment changea la conftitution de j
la guerre en Flandres à l’avantage du roi.
i l faut faire une diftinçhon de ce camp aux autres
mauvais que j’ai vu prendre, & qui letoient par
la fituation naturelle du terrein choifi pour les
placer. C ’eft que ce ne fut pas le terrein occupé
par l’armée ennemie qui rendît ce camp mauvais ,.
mais fa fortie par la droite pour prendre fa marche
en prêtant le flanc à un ennemi attentif, capable
& à portée d’entreprendre. Il faut toujours qu’un
camp ioit placé de manière que l’armée y trouve de
la liberté dans touts fes mouvements ; fans quoi il
peut être fujet à de grands inconvénients , principalement
lorfqu’il a été pris à portée de l’ennemi.
Dans cette même année 1674, je trouve à faire
la comparaifon de ce camp de Senef avec celui de
M. le maréchal de Turenne à Marie.
Ce ‘ général étoit très inférieur en nombre à
M. l’élecreur de Brandebourg , qui vouloit le
forcer d’abandonner l’Alface , ou de combattre
avec défavantage. M. le maréchal de Turenne ne
youloit ni l’un ni l’autre de ces deux partis.
Sa grande capacité lui foggéra le moyen de chicaner
dans l’All'ace par des démonftrations hardies,
qui ne le commettoient pourtant pas. Il fe plaça
toujours de manière qu’ayant fa retraite affurée
pour aller prendre un nouveau pofte, fans crainte
d’être attaqué dans fa marche , il fe tenoit avec tant
de Eardieffe à portée apparente de combattre ce
jour-là que M. de Brandebourg remettoit au lendemain
à entrer en adion , lorfqu’il fe treuvoit
près de notre armée.
C'étoit ce temps-là que M. le maréchal de Turenne
vouloit lui faire perdre , & dont il fe fervoit
pour fe retirer dès qu’il étoit nuit , & pour aller
prendre un autre pofte avantageux.
Ainfi il n’abandonna jamais à M. de Brandebourg
qu’un pays confommé ; & par cette manière
de lui difputer le plat - pays de l’Alface , quoique
fort inférieur, il gagna le temps qui lui étoit né-
ceffaire pour mettre M. de Brandebourg dans'
l’impoflibilité d’entreprendre fur les places du
foi.C
e prince n’y auroit point manqué fl M. le maréchal
de Turenne ne Tavoit pas amufé, comme
il le fçut faire , & ne lui avoit fait perdre le
J temps dun refte1 de campagne dont il auroit pu
profiter.
Cet exemple prouve qu’un général habile fçait
profiter des heures & des moments que lui donne
Ion ennemi inférieur en capacité , & qu’à la longue
ces heures & ces moments raffemblés lui procurent
un temps dont il tire un grand profit pour le fer-
vice de fon maître.
Le ^fécond camp qui paroiffoit hafardeux eft celui
que j’ai vu prendre à M. le maréchal de Turenne
en 1675.
Ce général étoit campé près de la Renchen, qui
le féparoit de l’armée ennemie commandée par
Montecuculi ; & il vouloit forcer l’ennemi d’abandonner
le pays qui eft entre le Rhin & les monta-
ghes du W irtemberg. Il ne le pouvoit faire par un
combat, vu la manière dont l’ennemi étoit placé :
il falloit trouver le moyen de lui faire quitter le
camp avantageux où il étoit.
Si Turenne avoit tenté ce déplacement, en re-
' montant la Renchen avec toute fon armée , il
aüroit été côtoyé par Montécuculi, qui étoit trop
près pour ignorer ce mouvement. Ainfi cette
marche, en remontant la Renchen , n’auroit rien
opéré pour l’exécution de fon projet. Il falloit donc
furprendre à Montécuculi une marche qui le
mit au moins durant quelque temps dans l’incertitude
fur ce mouvement. Voici ce que fit
Turenne.
Il détacha le comte du Pleflis avec toute la
fécondé ligne, pour aller au travers des marais
quibordent la Renchen , pafler cette petite rivière
i au-deflùs du front qu’occupoit l’armée ennemie ,
& fe camper à fa gauche.
Ce mouvement parut tout - à - fait hafardeux à
toute l’armée , & il l’auroit été en effet, fl T urenne
, dont le camp étoit à la yue de l’ennemi,
ne s’y étoit tenu, pour empêcher que la marche
de la fécondé ligne ne fût connue. L’arrivée de
cette ligne au -d e là de la Renchen fut d’abord
prife par Montécuculi pour un gros parti forti de
l’armée , de laquelle ü voyoit toutes les tentes
tendues.
Mais, comme Turenne jugeoit bien aufli que
l’incertitude où ce mouvement mettroit d’abord
Montécuculi ne dureroit que quelques heures ;
après lefquelles cette fécondé ligne couroit rifque
d’être accablée par toute l’armée ennemie' j cet
habile général marcha lu i-même, dès que l’approche
de la nuit put ôter à l’ennemi la connoifl
fance du décampement de toute fa première ligne ,
qu’il joignit à la fécondé avec tant de jufteffe
pour le temps de fa marche , que ce fécond mouvement
fut encore ignoré de l’ennemi, & qu’il fe
trouva à la queue du camp de M. le comte' du
Pleflis , au moment où M. de Lorraine ,a v e c une
partie de l’armée ennemie , commençôit d’attaquec
les grandes gardes. De forte que , dès le commencement
du combat, ce prince, ayant fçu par des
prifonniers que Turenne étoit arrivé avec le refte
de fon -armée , ne fongea qu’à fe retirer ; ce qu’il
ne put faire qu’avec perte.
Cet exemple fait connoître que les camps qui
A x yeux du commun paroiffent le plus harfardeu-
fement pris peuvent devenir fûrs , par la fage prévoyance
&. la capacité du général qui les prend ,
meme avec une partie de fon armée ; parce qu’il
aura bien jugé du temps.qui lui eft néceffaire pour
y arriver avec le refte de fes troupes, & de celui
pendant lequel fon fécond mouvement peut rai-
ionnablement demeurer ignoré de fon ennemi.
En l’année 1692, M. l’adminiftrateur de Wurtemberg
crut pouvoir fe tenir à portée de notre
armee qui étoit à Phortzheim. Ce prince avoit
mene un corps de cinq mille chevaux pour couvrir
le Wirtemberg il étoit campé à la gauche &
près d’Entzwahinghen ^ fon front couvert d’un
ruiffeaù affez marécageux , fa droite appuyée à
un village fermé , qûi étoit fur le ruifleau , & dans
lequel il avoit mis quelques dragons.
Il fe croyoit ainfi en fureté-; ou fe flattoit tout
au moins qu’il auroit le temps de lever fon camp
& de fe retirer fur Heilbron ou de paffer l’Entz,
en cas que toute l’armée du roi marchât à lui. Il
fut pourtant battu dans ce camp, "parce que le
ruifleau fe trouvapratiquable au-deflùs de fa droite ;
ce qui donna le moyen à notre cavalerie de le
prendre en flanc.
Ce fait eft rapporté pour faire connoître à touts
les officiers qui feront chargés avec un corps de
cavalerie d’obferver de près une armée ennemie ,
qu’il ne faut jamais qu’ils faffent tendre un camp,
vu le temps qu’il faut employer à le le v e r , lorl- '
qu’une armée ftipérieüre marche à ce corps pour
le combattre, & qu’ils doivent fe tenir toujours
en état de lever le piquet, lorfqu’un corps fupé-
rieur marche à eux ; parce que , quelque fûr que
l’on croie le front d’un pofte , pour peu qu’il puiffe ]
etre débordé, on le tourne, on le prend en flanc , l
& il devient impoflible de fonger à une retraite
honorable : il ne refte de parti à prendre que celui
d’une fuite honteufe.
En 1693, M. le prince d’Orange, étant venu
camper à Nerwinden, crut ce pofte fl bon qu’il
y attendit M. de Luxembourg : voici quel étoit ce
pofte.
La Gèthe en formoit la droite, le ruifleau de
Landen ,1a gauche ; le front de la droite étoit couvert
d’une groffe haie , qui prenoit fort près de la
Gèthe &. continuoit jufqu’au village de Nerwinden,
qui étoit au centre du front de ce camp.
Derrière le village étoit une hauteur qui alloit
en s’abaiffant jufqu’au village de Romfdorff, fltué
au bord du ruifleau de Landen : il y avoit même
une efpèce de ravine ou chemin creux , qui s’éten-
doit de cette hauteur au village de Romfdorff.
M. le prince d’Orange crut que ce front pouvoit
aifément etre rendu inattaquable. Pour cela il fit ,
pendant la nuit qui précéda la bataille, retrancher
le village de Nerwinden, & y plaça beaucoup
d’infanterie. Il mit beaucoup de canon fur la hauteur
qui dominoit le village &. la gauche de fon
armée , 6c plaça le refte de fa première ligne d’infanterie
derrière & le long de cette ravine, qui
alloit de la hauteur à Romfdorff ; il mit aufli de
l’infanterie dans ce village.
La pefanteur de la marche de l’infanterie de
l’armée du roi , qui partoit d’auprès de Liège ,
fit préfumer à M. le prince d’Orange que M. de
Luxembourg, après l’arrivée de fon infanterie,
n’oferoit attaquer un front ainfi préparé.
La prudence ne vouloit pas que ce prince ,
dépourvu du corps de troupes qu’il avoit envoyé
en Flandres fous les ordres de M. le duc de W ir-
temberg, & de celui qu’il avoit détaché de fon
armée, pour renforcer le camp retranché de Liège,
s’expofât à une affaire générale ; mais la fureté
apparente de ce pofte l’emporta fur la prudence.
M. le prince d’Orange ne voulut pas fe fervir d’un
temps plus que fuffilant pour pafler la Gèthe derrière
fon camp, & fe mettre ainfi hors de la portée
d’un engagement général. Il fe flatta de faire périr
toute l’infanterie de M. de Luxembourg dans l’attaque
du village de Nerwinden & de fon front
retranché. Il fut pourtant forcé après une longue
réflftance , & cette aéfion lui coûta une grande
partie de fon infanterie , beaucoup de cavalerie,
& toute fon artillerie.
Le camp de Nerwinden étoit tel que je viens
de dire par le front, & parut bon à ce général qui
crut que la fureté du front & des ailes étoit plus
que fuffifante , pour lui procurer l’avantage de détruire
l’infanterie de fon ennemi dans l’attaque
de ce front : mais voici quels étoient les- défauts
de fon pofte.
Il manquoit tellement de fond , à caufe d’un
marais qui bordoit un recoude que faifoit la Gèthe
derrière le camp, que la cavalerie de la droite y
étoit en bataille fur quatre ou cinq lignes fl
ferrées qu’elles ne fe trouvèrent pas allez de terrein
entre elles pour faire leurs mouvements.
Ces lignes de cavalerie ne furent ni placées
affez près de cette haie qui alloit de la Gèthe au
village de Nerwinden , ni protégées de quelque
infanterie placée le long de la haie, pour empêcher
la cavalerie de l’armée du roi de s’en approcher
& de s’y faire des paffages.
Comme le centre n’avoit pas plus de fond que
la droite , on n’avoit pu y placer une ligne, de
cavalerie , pour foutenir l’infanterie , au cas qu’elle
fut chaffée du village de Nerwinden & du front
retranché.
L’aile gauche de cavalerie, qui n’avoit pas de
front pour s’étendre, ni de fond pour fe mettre
en ligne derrière l’infanterie , avoit été mife
en potence , faifant inutilement tête au ruifleau
de Landen , 6c ne tenant à l’infanterie que par fon
flanc droit.
L’infanterie de l’armée du roi fe rendit maîtreffe
du village de Nerwinden, & la cavalerie légère