
Lorfque vous êtes obligé, faute de vivres ou
pair quelqu’autre raifon, de paffer un défilé en
retraite , ou de vous rembarquer devant l’ennemi,
vous pouvez craindre que votre arrière-garde ne
puiffe pas être fecourue & ne foit totalement
défaite : fi vous avez de grandes efpérances de
perdre moins par une aékon, cherchez à combattre.
Dorimaque ayant ravagé la Meffénie, &
voyant l’armée açhéenne fi près de lu i, qu’il ne
pourroit conduire fon butin à Rhium, fans danger &
fans combat, y engagea Aratus qu’il connoiffoit
plus capable d’admijiiftrer un état que de conduire
une armée.
Attirer ou retenir des alliés ; fauver une place, une
province.
Cherchez le combat, lorfque la défaite de l’ennemi
peut déterminer fes alliés à l’abandonner,
ou les puiflances neutres à fe déclarer en votre
faveur ; lorfque vous êtes certain qu’une aérion
d’éclat retiendra des puiflances vdifines dans votre
alliance , ou pourra les y faire entrer ; lorfqü’ayant
occupé un camp qui protège votre pays , la
difette , les maladies & divers autres accidents
vous forceroient de le quitter : combattez avant
que l’épidémie ou la faim vous ait affoiblis. Combattez
, lorfque le liège eft devant une place qu’il
vous importe de conlerver ; lorfque le feul pays
d’où vous pouvez tirer vos vivres eft couvert par
iar-mée ennemie ; lorlqu’elle-s’approch^ d’une province
déjà révoltée ou prêle à fe révolter, &
que vous ne pouvez contenir que par une yi&oire.
Saijîfun avantage prefque certain.
Combattez, lorfqu’il eft probable que vous le '
ferez avec avantage : les ' occafions qui peuvent
s’en pféfenter font en grand nombre. Si l’ennemi
arrive dans un pays ou dans'un camp qu’il ne
connoiffe pas , ne lui donnez pas le temps de le
reconnoître, de s’y retrancher, & d’y établir - les
communications néceflaires. Attaquez-le ,lorfqu’un
pillage toléré, une défertion fréquente 3 un long
liège, une épidémie, une fuite continue de petites
pertes, une longue & pénible marche ont-affoibli
fon armée, délabré fes armes, épuifé fon infanterie,
eftropié , énervé fes chevaux ;• lorfqu’un
général habile eft abfent ou fans commandement,
ëc remplacé par un ignorant préfomptueux, tel
que le collègue de Paul Emile ou celui de Fabius.
Ne différez pas le combat, lorfqu’il y a jaloufle
& diffention parmi les généraux ennemis; lorfqu’ils
corrompent vos troupes & vous enlèvent un grand
nombre d’hommes ; lorfque faifant un fiège ils
n’ont pas eu le temps de fe retrancher, ou qu’après
l’avoir long-temps continué, ils ont fait de grandes,
pertes &. que leurs troupes font excédées dé fatigue.
Saififfez le moment d’une fédition , comme;
Antoine , fous Vefpafien. Celui-ci étant xnaître de.
la Dalmatie, &, de la Pannonie , Lucilius Baflùs îuf
concilia la flotte de Vitellius. «.A cette nouvelle
Cæcina, général de l’empereur, aflemble les principaux
centurions & quelques foldats, les conduit
à la partie du camp la plus refpeétée, après
avoir difperfé les autres aux différentes fondions,
militaires. L à , il vante les vertus de Vefpafien
& les forces de fon parti, annonce la défedion
de la flotte des ennemis, qui, femblable à une.
citadelle, renfermoit leurs vivres ; les Gaules &
l’Efpagne contraires à Vitellius, tout fufped pour
lui dans Rome, & fa fortune déclinant fans ceffe ;
àufli-tQt les complices de Cæcina ayant commencé,
les autres, étonnés d’un évènement nouveau, prêtèrent
ferment à Velpaflen. En même temps les
images de Vitellius font arrachées, & Antoine
averti de la défedion..
Mais, lorfque tout le camp eut appris la trahifort,'
& que le foldat, revenant au fanduaire de fes.
enfeignes , y vit infcrit le nom de Vefpafien f k
les images de Vitellius jettées à terre , il fe fit
d’abord un vafte filence ; puis tout éclata foudain :
C’efl ici qu’efi tombée la gloire de l’armée germa-
manique ; fans combat, fans blejfure, elle tend fes.
mains enchaînées & livre fes armes. Qiie.ll.es. troupes:
lui oppofe-t-on ? Des légions •vaincues ; elles ri ont
pas avec elles l ’unique force de l ’armée d’Othon ,
la première & la quatorzième > que cependant nous
avons vaincues & mifes en fuite dans ces champs
ci même. Etoit-ce pour que tant de milliers de foldats
fujj'ent livrés , comme une troupe d’ efclav'es, à un-
exilé tel qu Antoine ? Faut-il donc que huit lèg'ons.
fuivent le parti d’une feule flotte î II plaît à JSaJfus
& à Cæcina , qui ont enlevé au prince des maifons r
des jardins & des trèfors 3 de lui enlever fon armée
encore pleine de force,. non teinte de fang } avilie
même aux yeux du parti de Vefpafien. Que répondront
ils , s’il leur efl demandé raifon.de leurs fuccgs
heureux ou contraires ? A in fi, chacun à , part &
touts enfemble élevant la voix. , fuivent Tim-
pulfion de la douleur. La cinquième légion commence
; les images de Vitellius font replacées ;
Cæcina eft mis aux- fers. Ils' élifent pour chef
Fabius Fabulus, lieutenant de la cinquième légion ,
& Cafïius Longus , préfet, des camps. Les foldats
de trois petits navires ignorant ce qui fe paffe
& non coupables, s’offrent à eux p$r hafard 3,
ils font égorgés. Le camp eft abandonné, le pont
rompu : ils reviennent à Héftilia, & de là vont
à Crémone pour fç joindre à la première Italique.
& à la vingt-unième., furnommée Rapace, envoyées
devant par Cæcina avec partie de la cavalerie
pour occuper cette ville.
Antoine, informé de l’événement, réfolut d’attaquer
ces troupes où regnoit la difcorde &. dont
les forces étoient divifées, avant que l’autorité
des c h e f s l ’obéiffance du foldat, & la confiance
des légions fuffent rétablies. Il penfoit que Fabius
Valens , ayant appris la trahifop de Cæcina, ferÔit
parti de Rome fe hâteroit. Fabius, fidèle à
YfielliVlâ
Vitellius, n’étoit pas farts çonnpiffan ce de l’art de
la guerre. En même temps on craignoit du côté
de la Rhætie une armée nombreufe de Germains,
&. l’empereur avoit mandé des fecours de la Bretagne,
des Gaules, & de l’Efpagne : immenfe contagion
de guerre ; fi Antoine , qui la redoutoit ,
n’euts en hâtant le combat, faifi la viéiôire. Il
vint avec, toute l’armée , de Vérone à Bédriac, en
deux camps. Le; lendemain, retenant les légiows-
pour fe retrancher, il envoya les cohortes auxiliaires
dans les campagnes de Crémone, afin q u e ,
fous prétexte de raflembler des fubfiftances, le
foldat s’inftruisît au pillage de la patrie. E t , pour
qu’il s’y livrât avec plus de licence , il s’avança
lui-même jufqu’à huit milles de Bédriac , fuivi de
quatre mille chevaux. Les coureurs rempliffoient
plus loin leurs fondions fuivant l’ufage. Vers la .
cinquième heure du jour, (onze heures du matin ) ,
un cavalier, courant à bride abattue, annonça que
les ennemis arrivoient ; qu’un petit nombre précédât
, & qu’on entendoit au loin le mouvement
& le frémiffementde la troupe.
Tandis qu’Antoine réfléchit à ce qu’il doit faire ,
Arrius Varus , impatient de fe diftinguer, s’élancé
avec les plus braves, & pouffe les Vitelliens ,
mais leur tait éprouver peu de perte. Ils accourent
en plus grand nombre. ; la fortune change , &
les plus ardents à pourfuivre font les derniers dans
la fuite. On ne s’étoit pas hâté par l’ordre d’Antoine,
& il prévoyoit ce qui arriva. Ayant exhorté les
liens à combattre avec courage , & développé les
turmes par fes flancs , il laifla au milieu un paffage
vuide, pour Varus & fes cavaliers. Les légions
eurent ordre de prendre les armes ; un fignal fut
donné dans la campagne , pour que chacun, laif-
fant le butin, revînt promptement au combat.
Cependant Varus épouvanté fe mêle au gros de
la troupe, & y jette l’effroi. Les cavaliers bleffés,
ëc non blefles , poufles enfemble , étoient combattus
par leur propre crainte êc par les difficultés
des routes ferrées. Dans ce trouble, Antoine n’ob-
mit aucun devoir d’un général ferme , ou du foldat
le plus brave. Il court au-devant des cavaliers
effrayés , retient ceux qui plient. Préfent où le
danger eft le plus grand , &. l’efpoir moins douteux ;
remarquable a l’ennemi par le confeil , le gefte ,
la voix ; vifible aux fiens , il fe livre enfin à tant
d ardeur , qu’il perce d’un coup de hafte un vexil-
laire qui fuit, & faififfant l’enfeigne , le porte vers
1 ennemi. La honte n’arrêta pas plus de cent cavaliers
; mais le terrein fut fecourable. Le chemin
,etoit refferre dans' cet endroit ; le pont rompu ;
le ruifleau qui couloit au-deffous fur un lit fca-
breux , entre des bords efcarpés , empêchoit la
fuite. Cette néceflité ou cette fortune raffermit l’efr
perance déjà chancelante. S’étant raflùrés.les uns les
autres 3 & ferrant leurs rangs, ils reçoivent les
1 vitelliens qui s’étoient débandés: témérairement
i° nî, renver^ s* Antoine prefle les plus
.eiftayes, culbute ceux qu’il rencontre. Les antres,
Art Militaire. Tome /, ‘ 1
fuivant chacun fon penchant, dépouillent, prennent
des armes, emmènent des chevaux. Rappelles par
les cris, de joie , ceux qui fuyoient, difperfés dans
la campagne , viennent fe mêler aux vainqueurs.
A quatre mille de Crémone , on vit briller,
lés aigles de la'Rapace & de l’Italique. Le combat
de leur cavalerie , heureux dans fes commencements
, les avoit fait s’avancer. Mais , dans ce moment
dè. fortuné adverfe.j elles n’ouvrirent point
leurs rangs, -n’y reçurent point leurs turmes eir
défordre | né marchèrent point, ne vinrent point
d’elles-mêmes attaquer l’ennemi fatigué d’avoir
parcouru tant d’éfpace eii courant & combattant.
Déjà vaincues , elles fentoient dans l’adverfité le
manque de chef, qu’elles n’avoient peut-être pas
autant defiré dans la profpérité. La cavalerie vic-
torieufe, court à cette, ligne chancelante-, & le
tribun Vipfanius Meflala les joint avec les auxiliaires
de Moefie , que la gloire, militaiie égaloit
aux légionaires, quoiqu’ils ’euflent été iévés à la
hâte. Cette cavalerie & cette infanterie , attaquant
enfemble, rompirent les légions : plus elles voyoient
un refuge voifin dans les murs de Crémone , moins
leur réfiftance étoit courageufe. Antoine, fe rap-
pellant la fatigue & les bleflùres que le fort incertain
du combat, quoique le fuccès en fut heureux,
avoit fait éprouver aux hommes & chevaux, ne
pourfuivit pas les vaincus ». ( Tacit, hifl. L, IJI+
Jufi. L ip f 40. pag. %ç)8. )
Votre ennemi a-t-il des troupes nouvelles , ou
qui depuis longtemps n’ont pas fait la guerre, 8ç
n’obfervent aucune difcipline : vous pouvez efpé-
rer la vi&oire , fur-tout'fi les vôtres font aguerries
& foumifes.
Si le général ennemi commande en chef pour la
première fois , s’il a peu de réputation , s’il n’eft
connu par aucune aâion brillante ; il doit vous
paroître moins à craindre. S’il a fait un gros
détachement , qui doive tellement s’éloigner
qu’il ne puiffe rejoindre pour le combat; gardez-
vous de le différer. Le roi de Suède Waldemàr ,
ayant marché contre fon frère Magnus , duc de
Sudermanie, & le croyant encore éloigné, envova
en avant une partie de fon armée , & s’arrêta
en un lieu, de la Gothie occidentale , nomme
Ramunda-Boda , pour s’y repofer, & s’y livrer
à fon ordinaire à touts les plaifirs. C e gros de
troupes traverfa une <£orêt nommée Tiwed., &
alla camper près d’H o fv a , fans ordre & fans
précaution. Le duc Magnus étoit plus proche qu’on
ne le croyoit. Il attaqua fubitement cette multitude
fans chef', la défit & la mit en fuite comme
un vil troupeau. Il auroit fin-pris le Roi qui dormoit
alors, & la reine Sophie jouant aux échecs , fi
un cavalier bleffé ne les eut pas avertis. Forefti,
Puffèndorf & Santacrux difent que Waldemar
envoya un gros détachement pour reconnoître
le camp de fon frère. Ils font beaucoup trop
d’honneur à ce,roi entièrement deffitué de rintel-
Jigençe dç l’ju* de guerre. Il avoit , difent les
H