
Cliabrîas, général athénien, étant près de commencer
le combat, la foudre tomba fur fon vaif-
feau. Cet accident épouvantoit fes foldats : mais
Chabrias les raffura bientôt, en leur dilant d’un
ton hardi & plein de confiance , que c’étoit un
ligne favorable , 5c que Jupiter fe déclaroit pour
eux. Lorfque l’empereur Julien faifoit la guerre en
Orient, fon bouclier fe divifa de forte qu’il ne
lui en refta au bras & dans la main qùe les anfes.
Ne craigneç point-, dit - il ; je conferve. ce que je
tenois.
Guillaume le Conquérant, abordant en Angle-s
terre , tomba en fortant de fa chaloupe. Comme
il craignit que fes foldats n’en tirafTent un mauvais
augure ; il étendit les bras fur. la terre , en difànt :
voilà mon royaume ; je le tiens entre mes bras.
La même chofe étoit arrivée à Publius Cor-
nellius Scipion , 6c enfuite à Cæfar,. lorfqu’ils
débarquèrent en Afrique. Le premier dit, « voyeç ,
foldats, entende£ , je tiens l ’Afrique. Et le fécond :
6 Afrique je te tiens v.
Mais, fi l’interprétation favorable que vous
donnez à un accident, n’eft pas~ capable de dif-
fiper la crainte fuperftitigufe dont vos foldats font
frappés, il y auroit beaucoup à rifquer en les
menant alors au combat.
Si, au contraire, l’événement qui furvient eft
d’un pré.fage favorable, faites le remarquer à votre
armée, lors même qu’elle n’y.fait aucune attention.
Un peu avant la bataille, que les Ifraélites gagnèrent
contre les Madianités , Gédéon chef
d’ifrael , ranima beaucoup le . courage rde fes
foldats en leur rapportant l’entretien de deux
Madianités qui étoient venus pour reconnoître fon
camp : l’un raepntoit à , l’autre un fonge d’un
homme de leur nation qui préfageoit la, défaite
de l’armée de Madian.
Alfonfe VIII, roi de Caftille ^immédiatement
avant la bataille de Las Navas de Tolofa, ap-
pèrçut dans le ciel deux nuées rouges qui formolent
une croix : il la fit auffitôt remarquer à fes foldats ,
en leur difant que ce figne les appelloit à vaincre
plutôt qu’à combattre ; 6c elles gagnèrent la bataille.
Germaniçus, marchant aux Germains, voit trois
aigles qui entroient dans le bois oii étoit l’armée
ennemie. Il fe tourne vers lès Romains : amis,
leur dit-il; fuivons ces oifeaux qui font nos en-
feignes, n,os guides, nos dieux tutélaires.
^Quelques généraux , fans attendre que le hafard
leur fournît quelque préfage, ont feint de faux
événements pour animer leurs foldats 6c leur faire
croire qu’ils étoient affiliés d’une proteélion fur-
naturelle.
L’empereur Léon leconfeille , « vous infpirerez,
dit-il , à vos foldats l’ardeur de combattre ; f i ,
le matin du jour de la bataille, vous faites répandre
qu’une divinité vous eft.apparue en fonge
pour vous ordonner d’attaquer les ennemis, 6e
vous a promis fon fecours.
Alexandre, pour encourager fes troupes à l’aflaut
de Tyr, leur fit croire qu’Hercule lui étoit apparu
, 6c l’avoit pris par la main pour le conduire
dans la place. Lorfque le même Alexandre crut
néceffaire quelque ftratagême pour réfoudre fon
armée à palier le Granique, il engagea le grand
prêtre Ariftandre à écrire fecrétement 6c en fens
inv.erfe dans la pomme de fa main quelques mots
par lefquéls un heureux fuccès fut annoncé aux
Macédoniens. Le grand prêtre , ayant facrifié ,
prit avec cette main les entrailles de la viélime
ôc les caractères 'y demeurèrent imprimés dans
le fens- direéï. L’événement fut divulgué, 6c les
Macédoniens perfuadés du fecours des dieux.
En citant le confeil de l’empereur Léon 6c
l’exemple d^Alexandre , je ne prétends autorifer
ni le menfonge, ni ces fourberies qui pourroient
tenir du crime : encore 'moins prétends-je accréditer
ces fuperftitieufës obfervations du vulgaire
que vous devez méprifer; parce-qu’il n’y a point
d’art fur la terre qui puifle nous apprendre à lire
dans les livres du deftin.
Il arrive rarement qu’à la veille d’une bataille
ou durant le combat , un chef 6c un corps de
troupes paflent chez l’ennemi. Cependant nous en
avons un exemple dans la perfonne de dom Orpas
à Guadalefte, où le roi dom Rodrigue perdit la
vie , & l’hiftoire nous en préfente quelques
autres.
Dans ce cas , répandez le bruit que ces troupes
font paffées chez les ennemis par votre ordre , afin
de fe joindre à vous pour les attaquer pendant
le combat , & mettre lé défordre dans leur .armée.
Si les ennemis le croient, ils n’emploiront pas
i ces troupes; 6c , s’ils en font ufage , ce bruit que
vous avez répandu fera marcher vos foldats au
combat avec plus d’ardeur 6c plus de confiance»
Datame , tyran de Cappadoce , apprenant que
Métrobarzane , fon beau père , s’étoit enfui avec
quelques troupes chez les Perfes , marcha aufïi-tôt
avec le* refte de fon armée , 6c fit courir le bruit
que c’étoit pour le mieux fervir que Métrobor-
zane paftbit aux ennemis. On découvroit déjà, de
l’armée perfe les troupes de Datame , lorque
Métrobarzane y arriva : le bruit qui s’étoit répandu
6c cette marche accélérée jettèrent la défiance
parmi les Perfes : ils repoufsèrent le traître
6c donnèrent ainfi à Datame la facilité de le
punir.
H A R A N G U E S .
Après avoir fait toutes les difpofitions que
vous aurez jugé le plus, convenables, parlez aux
troupes immédiatement avant le combat , afin
qu’elles confervent une vive impreftion de ce que
vous leur avez dit.
Comme il n’eft pas poflible de fe faire entendre
d’une feule voix à- toute une armée ,,pariez à vos
principaux
principaux officiers, qui répéteront les mêmes
chofes à leurs corps ; ou bien dites à chaque corps
ce qui vous paroîtra le plus utile ; lorfque vous
paflerez devant lui en infpeélant vos lignes , 6c
examinant fi votre ordre de bataille a été bien pris.
Rappeliez, à vos foldats le fouvenir de leurs
viéloires, 6c principalement de celles qu’ils ont
remportées contre la nation qu’ils vont combattre ;
afin que remplis de. cé'tte idée flatteufe, ils marchent
au combat avec cette confiance qui fait
vaincre.
Avant la bataille d’Arbelle Alexandre rappella
à fes troupes le fouvenir de leurs fuccèsau paf-
iage du Granique , aux montagnes de Çilicie , en
Syrie , 6c en Egypte ; aujourd’hui, leur-difoit-il,
ce font tes mêmes Perfes qui. font devant vous ÿ ce
font dès fuyards que vous ave%_ à combattre.
Le conful Publius - Scipion , avant la bataille du
Téfin, rappelloit à fes foldats que les Carthaginois
avoient été'.vaincus par^euxen Sicile , faits
tributaires, du peuple romain, 6c que la cavalerie
de Carthage avoit été battue près du Rhône par
celle de Rome-
A Cannes , Annibal difoit à fes troupes , qui
veaoient de gagner lés batailles du T éfin , de
laTrébie , 6ç de Trafimène : après trois viEloires
ccnfécutives , quel difcours, quelles paroles 3 peuvent
plus vous animer que vos propres allions.
T. .Q. Flaminiüs, ayant deflein d’attaquer les
Macédoniens poftés fur une montagne , repré-
fentoit aux légions que c-es Macédoniens étoient
les mêmes ennemis qui, malgré l’avantagé du
terrein avoient été défaits par les Romains, fur les
montagnes prefque inaccelfibles de l’Epire.
Si à pareil jour, ou fur le même terrein où vous
allez combattre , vos troupes ont été précédemment
viélorieufes des mêmes ennemis ou de quelques
autres , n’oubliez pas cette circonftance.
Arminius, prêt à combattre contre les troupes
romaines' commandées par Cæcina , qu’il avoit
défait peu auparavant prefque dans le même lieu ,
lorfqu’elles étoient fous les ordres de Varus , crioit
à fes foldats ;. voilà Varus & fes légions.
Tacite ajoute que les troupes romaines étoient
intimidées par le fouvenir de leur défaite précédente
, que ce malheureux terrein leur reprochoit.
Si le terrein où-votre armée doit combattre-eft
avantageux, faites qu’elle le'remarque. C’eft ce
que fit Jugurtha, lorfqu’il attaqua Métellus.
Si, par des prifonniers faits auparavant, vous
fçavez qu.e les troupes, les armes, ôc les chevaux
des ennemis ne font pas en fort bon état,
inftruifez-en vos foldats.
Alexandre, voulant avant ,1a bataille d’Arbelle
iufpirer à fes troupes du mépris pour celles de
Darius, leur reprélentoit que parmi les ennemis
plufieurs n’avoient que des dards 6c d’autres des
frondes. Germaniçus , que les Germains , commandés
,par Armmius , n’étoient armés que de
iongs bâtons.
Art militaire, tome h
Publius Scipion , fur le Téfin \ difoit à fes
légions que la plupart des foldats 6c des chevaux
carthaginois avoient été eftropiés dans les combats
précédents, 6c que les maladies 6c les fatigues
fouffertes par les autres au paflage des Alpes les
avoient mis prefque hors d’état de fervir.
Lorfque les ennemis font commandés par des
généraux peu habiles , ou lorfque leurs troupes ne
font pas aguerries , faites que les vôtres ne l’ignorent
pas. C’eft: ce que Titus repréfentoit aux Romains
avant la bataille de Tarichée.
Il fera bon de rappeller à vos foldats toutes les
occafions où l’armée ennemie a- fait paroître du
découragement ou de la défiance de fes forces, foit
qu’elle ait combattu contre vous , pu contre une
autre nation.
Totila, marchant vers l’armée de Rome, faifoit
reffouvenir fes Goths combien les Romains
s’étoient peu auparavant montrés' lâches à Vérone.
Scipion l’Afriquain, fe difpofant à la bataille
de Zama, difoit à fes troupes que les Carthaginois
c.onnpifloient enfin qu’ils ne pouvoient plus réfifter
aux Romains puifque Carthage venoit de faire
■ demander la paix.
Le conful M. Attilius Glabrion , pour animer
fes foldats contre l’armée d’Antiochus , qui s’éto t
fortifiée au paffage des Thermopiles , leur repréfentoit
, que la crainte de leurs ennemis étoit
bien évidente, puifqu’ils n’ofoient camper que
dans un terrein avantageux , où ils ne fe croyoient
même pas en fureté derrière des retranchements.
Le marquis Ambroife Spinola , voulant per-
! fuader à fes troupes que‘l’armée du comte
; Maurice de Naffau leur étoit inférieure , faifoit
î obferver que jufqu’à ce jour Maurice avoit évité
d’en venir à une bataille 6c toujours mis entre
elles 6c lui des digues 6c des rivières.
Si les ennemis, pour ôter la fubfiftance à votre!
armée, pour s’enrichir par le pillage, ou parce
que leurs troupes font mal difciplinçes, ont fac-
cagé 6c brûlé le pays, faites comprendre à vos
foldats, qu’en agiflant ainfi les ennemis l’ont regardé
comme ne devant pas leur appartenir longtemps;
puifque, s’ils s’étoient flattés dé le conferver,
ils l'auraient préfervé du ravage, afin d’en tirer
plus d’avantage 6c d’utilité., C’eft une des repre-
fentations qu’Àlexandre fit à fes troupes avant la
bataille d’Arbelle.
Si votre armée eft fupérieure en nombre à celle
. des ennemis, faites _ fentir à vos foldats l’avantage
que vous avez , de pouvoir remplacer par des,
troupes fraîches , celles qui feront fatiguées à la
première ligne, 6c la facilité avec laquelle vous
pouvez envelopper les aile? de l’armé,e ennemie :
mais fur- tout faites leur fentir quelle honte ce
feroit pour eux de fe failler vaincre par un petit
nombre.
Annibal, avant de combattre Scipion en Afrique,
difoit à les foldats de faire attention au petit nombre
fies .troupes romaines, 6c de fe r.e(fouvenir des