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qui l’ont payé , fans ce que riens perdent du leur.
Et diètes bien au pape qu’il le leur f'affe rendre.
Car le je favoye que Je contraire fuft, il m’en
poiferoit. Et euffe ores paffée la mer , fi retour-
neroy-je par deçà ». Ainfi Bertran, ayant reçu
l’argent du faint père, emmena en Grenade lès
grandes compagnies. .
AVEUGLEMENT. Efpèce de fupplice employé
dans les temps de barbarie. Platon en a
fait mention.
On nommoit abacinati ceux qui l’éprouvoient.
Il confiftoit à faire paffer devant les yeux une
plaque d’aitain ou de fer rougie au feu. Libérius,
cité par Aulugelle , ( L. X , C. 1 7 , ) , dit que Dé-
mocrite fe priva lui-même de la vue par un
moyen à-peu-près femblable. Ilexpofa, dit ce
poète, un bouclier au foleil levant, afin que l’éclat
du métal lui ôtât l’ûfage des yeux , 6c en même
temps le fupplice de la profpérité des méchants.
D ’autres ont dit que ce fut dans la vue de donner
à fes penfées & à fes réflexions une vigueur &
«ne précifion plus capables de pénétrer les fecrets de
la nature. Plutarque dit qu’il le fer vit d’un miroir.
Le moyen âge nous fournit plufieurs exemples
du fupplice de Y aveuglement chez les peuples
d’Orient. On y condamnoit principalement „ les
généraux ennemis faits prifonniers. Au lieu de fe
fouiller de l’atroce barbarie qui les faifoit égorger,
on leur ôtoit avec la vue le pouvoir de faire la
guerre. Saffuti rapporte qu’un des généraux de
'Venife nommé Danduli fubit ce fupplice.
Guillaume de Nangis dit, dans fa Chronique,
que Henri Ier, roi d’Angleterre, ayant défait &
pris fon frère Robert, qui, au retour d’un voyage
à la terre-fainte , faifoit valoir fes droits au trône ,
le priva de la vue en lui faifant paffer devant les
yeux un fer rouge. Ce genre de fupplice n’a pas
'été inconnu en France. On li t , dans une ancienne
Chronique, que Phili'ppe-le-Hardi fit aveugler plufieurs
prifonniers anglois, & obligea le roi d’Angleterre
à ufer, malgré lui, de repréfailles. r II ne
fut alors que renoyvellé. On le trouve mis en
ufage au commencement de la fécondé race. On y
ajoutoit quelquefois l’amputation de là langue , des
pieds , ck des mains. ( Witekind. rer. Saxo&ic.
L . 111.). [J.].
AVIS. Connoiffance d’un certain nombre de
faits, d’un deffein, ou d’un projet, tranfmife par
un homme à un autre homme , ou à plufieurs.
Il arrive fou vent à la güèrre des faits dont il
eft néceffaire de donner avis. Plus ils font importants,
plus ils doivent être exprimés avec exactitude
, précifion, clarté, & rendus avec fûreté. Il
faut donc que touts les officiers acquèrent le talent
d’en donner de pareils, parce qu’il n’y en a point
qui ne fe puiffe trouver dans la néceffité d’en faire
paffer. S’ils les envoient verbalement, ils choifi-
ronf l’homme le plus capable de les rendre auffi
précis, auffi clairs qu’il les aura reçus, & avec
autant de célérité que de fûreté. Lorfqu’ils pré-
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voient que celui qui les porte peut être arrêté,
ils doivent en faire partir plufieurs par différents
chemins.
Il eft quelquefois difficile , & même impoffible ,
de les faire porter par des hommes : alors il faut
ufer de reffource 6c de ftratagème. Dans la guerre
des Grecs contre Xercès, Thémiftocles, général
de la flotte grecque, fit écrire fur des pierres
Y avis fuivant ,dans un lieu oh il prévoyoit que les
vaiffeaux ioniens dévoient s’arrêter. « Ioniens,
vous n’agiffez point avec juftice en combattant
contre vos pères , & en contribuant à rendre
efclave la Grèce. Embraffez plutôt notre défenfe.
Si vous ne le pouvez, du moins ne combattez
pas, & priez lésCariens de s’en abftenir auffi. Si
une néceffité plus puiffante vous enchaîne & vous
interdit ces deux voies , combattez foiblement,
quand nous en ferons aux mains, vous rappellant
que vous defeendez de nous , 6c que vous êtes
l’origine des inimitiés qui exiftent- entre nous &
les barbares». Il eft vraifemblable que Thémif-
tocle avoit une double intention. Il efpéroit que
cet avis pourra engager les Ioniens à fe détacher
du parti des Perfes, ou que, s’il tomboit
aux mains du roi, il lui rendroit les Ioniens fuf-
peéis, 6c l’empêchetoit de les employer dans le
combat. Ceux-ci furent les premiers qui trouvèrent
Yavis, & quelques - uns de leurs vaiffeaux
combattirent en effet avec négligence. ( Herodot.
L. V III, §."22, & 8 5.).
- Les anciens fe fervoient quelquefois de flèches,
pour faire paffer des avis. Le général perfe Arta-
baze, affiégeant Potidée, s’étoit ménagé une intelligence
dans la ville avec un magiftrat feionéen,
nommé Timoxène. Lorfqu’ils vouloient fe communiquer
l’un à l’autre quelque a-vis, ils l’atiaehoient
à une flèche, qu’ils lançoient à un endroit dont ils
étoient convenus. ( Herodot. L. VIII, §..128. ). Le
cavalier gaulois envoyé par Cæfar à Cicéron, que
les Nerviens tenoient affiégé dans fon camp, attacha
la lettre de fon général à un javelot', qu’il
lança dans le camp romain. Ce fut fans doute de
nuit. Le javelot s’attacha par hafard à une tour, &
ne fut apperçu que deux jours après par un foldat,
qui le porta auffi-tôt à Cicéron avec-la lettre.
Cæfar l’avoit écrite en cara&ères grecs, afin que
fes deffeins ne fuffènt pas. connus des ennemis, fi
elle tomboit en leurs mains. ( Bell. Gall. L. V ,
§ .48. ).
On en faifoit auffi paffer fur dès balles de
plomb. Lorfque Sylla affiégeoit le Pyrée, deux
athéniens favorifant le parti des Romains , dans
l’efperance d’obtenir un traitement plus favorable,
s’ils prenoient la place , éçrivoient fur des balles
de plomb tout ce que les affiégés projëttoient ÿ
6c les jettoient aux Romains avec des frondes.
( Appian. Bell. Mithrid. pag. 191. Henr. Steph. A. ).
11 fut jetté des remparts d’Âtéga, affiégée par C~-
far, une balle de plomb fur laquelle on lïfoi't que
la garmfon -mettroit les armes bas, dès que les
Romains
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Romains attaqueroient la place.- ( Bell. Hifpan.
C .X U l. ).
Cæfar & Hirtius, allant au fecours de Décimus
Brutds, affiégé par Antoine dans Mutine, tentèrent
de lui apprendre leur arrivée par des fignaux
donnes avec des flambeaux du haut des arbres les
plus elevés : mais , Brutus ne les comprenant
pas, ils gravèrent quelques mots fur une plaque
de plomb très mince, & l’ayant roulée comme
un papier, ils chargèrent un plongeur de la porter
dans la place. Brutus, inftruit par ce moyen
de leur préfence, répondit de la même manière,
oc ils continuèrent . de fe communiquer ainfi
leurs deffeins. ( Dio. L. XLV1 , pag. 338. D. E.
Hen. Steph.
Ceux que l’on charge de porter des avis doivent
être des hommes sûrs, & du pays oh l’on
è ft, afin qu’ils foient moins fufpe&s. Ce fut un
gaulois que Cicéron envoya vers Cæfar , pour
lui donner avis de fa détreffe. {Bell. Gall. L . V9
§•; 45. ) '
La rufe doit être employée, lorfqu’on eft ob-
ferve. Conon, affiégé dans Mitilène par terre &.
par mer, manquoit de vivres , & vouloit informer
les Athéniens de l ’extrémité oh .il fe trou-
voit. Mais il lui étoit difficile de faire paffer
1avis' Le général lacédémonien , Callicratides,
3e faifoit oblèrver avec beaucoup de foin. Conon
choifit parmi fes vaiffeaux les deux meilleurs
voiliers, les fit mettre à l’eau, prit les meilleurs
de fes rameurs , en plus grand nombre qu’il n’y en
avoit. ordinairement fur ces vaiffeaux , & les y fit
entrer, avec des foldats qui fe cachèrent au fond
des navires. Ces préparatifs étant faits , il attendit
avec patience l’occafion la. plus favorable. Lorf-
qu il etoit nuit, il faifoit mettre l’équipage à terre ,
afin que les ennemis ne viffent point ce qu’il faifoit.
Le cinquième jour , il fit prendre à fês gens la
quantité neceffaire de vivres ; 6c, jugeant que les
fpeculateurs lacédémoniens dévoient obferver plus
négligemment ces deux vaiffeaux qu’ils voyoient à
la mer depuis quatre jours, fçaehant que l’heure
ordinaire de leur repos, ou de leur repas, étoit
celle de midi , & penfant qu’ils feroient moins
défiants & moins attentifs pendant le jour, il fit
partir fes deux vaiffeaux, dont l’un gagna au large, j
jk 1 autre fit voile vers l’Hellefpont. Dès qu’ils !
furent apperçus par les gardes., ennemies , qui
dînoient alors à terre, celles-ci fe lèvent à la hâte.; !
les uns coupent les cables des ancres, les autres
courent aux navires, aux cordages, aux voiles,
aux rames , & pourfuivent les Athéniens. Le vaille
au qui avoit gagné la pleine mer, fut joint & .
pris vers le foir : l’autre, qui faifoit route vers
I Hellefpont , échappa , & porta dans Athènes
i avis de fon général. ( Xenoph. Hiflor. L. I tp. 445.
B . C. D . Lutet. 1625 , jL
Le déguifement peut favdrifer ceux qui fe chargent
de porter un avis. Tibérius Sempronius Gra-
chus marchoit à grandes journées pour délivrer
Art militaire Tome I,
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Carabîs , ville alliée des Romains, affiégée par Ic's
Celtibères. Mais, comme ils l’avoient circonvallée ,
le général romain ne fçavoit par quel moyen
informer les affiégés de fon arrivée Un chef de
turme, nommé Cominius , prit l’habit efpagnoi,
fe mêla aux fourrageurs des ennemis, entra comme
.efpagnoi dans leur camp, & d e - là courant à la
ville y annonça le fecours. ( Appian. Bell. Hifpanm
pag. 278. D . ).
Lorfqu’on envoie un avis par écrit, il eft bon
de fe fervir de caractères inconnus de l’ennemi,
ou même d’employer une langue qu’il ignore. On
peut auffi faire ufage de caraétères connus, mais
employés dans un ordre différent de l’ordre ordinaire
, &. convenu avec celui auquel on écrit.
Cæfar employoit les caraétères grecs , ou la langue
grecque , ou les lettres romaines , en mettant pour
celle qu’il vouloit écrire la quatrième fuivante dans
l’ordre ufité de l’alphabet. Par exemple ; pour les
voyelles, au lieu de l’A , qu’il vouloit écrire, il met-
toit l’O ; & pour les confonnes , l’S au lieu du P.
( Dio. L. X I , pag. 139. B. C. Aul. Gell. L. X V IL
C. 9. Cicer. ad Fam. L. XVI. Ep. 11. Sueton. Coef. ).
On peut imaginer pour écrire une infinité d’alphabets
occultes. Quoi qu’il foitpoffible, & même
affez facile de les déchiffrer, fi on en a quelque
habitude, on n’en a pas toujours les moyens dans
une armée, & avant qu’on ait pris connoiffance
de Y avis, le moment d’en faire ufage eft déjà loin.
L ’alphabet qui paffe pour le plus difficile à découvrir
eft celui que l’on tire d’un livre imprimé ,
dont celui qui écrit, & celui à qui il écrit, ont
la même édition. Chaque lettre eft défignée par
trois chiffres : l’un marque la page, l’autre la ligne,
le troifième le rang de la lettre dans cette ligne.
Cette manière d’écrire eft indéchiffrable, parce
que la même lettre n’y eft jamais défignée par
les mêmes chiffres. On multipliera encore les difficultés
, fi on combine enfemble ces moyens ; par
exemple, fi on emploie dans cette dernière manière
d’écrirejun livre imprimé en caractères inconnus
vraifemblablement de ceux à qui l’on
veut dérober la connoiffance de Y avis , ou fi on
fait ufage d’un alphabet inconnu de l’ennemi, à la
manière de Cæfar.
On fe fert auffi d’un papier découpé, qui
étant appliqué fur celui ou l’on veut écrire, n’en
laiffe à découvert que certaines parties, très distantes
entre elles. On écrit fur celle-ci Y avis
qu’on veut faire paffer. Enfuite , levant le papier
découpé , on a fur l’autre des mots 6c des lettres
éparfes, entre lefquels on écrit des chofes indif-
! férentes. Celui qui reçoit Y avis a un papier découpé
tout femblable, qui, étant appliqué fur la
lettre, ne lui laiffe voir que Y avis qu’on a voulu
lui tranfmettre.
La fcytale lacédémonienne avoit quelque reffem-
blance avec cette efpèce de chiffre. Lorfque les
J • Ephores envoyoient un général en expédition ils
I faifoient préparer deux morceaux de • bois, de
B b