
inftants ; mais veillons avec plus de foin encore
fur leurs jours, lorfque nous avons quitté le champ
de bataille , que fur ce théâtre du tumulte & de
l’horreur. Si nous perdons ici leur vie , leur mort
eft du moins utile à la patrie , 6c par-tout ailleurs
flous perdons 6c leur vie 6c leur mort.
Ce tenJre nom de père apprendra encore au
Capitaine qu’il doit voler au fecours de celui de
fes foldats dont l’eftomac très-a&if ne trouve pas
une nourriture fuffifanie dans la ration que l’état
lui fournit. Ce nom lui enfeignera à diminuer les
travaux de celui à qui l’âge n’a pas encore donné
les forces dont il auroit befoin , ou à qui une
maladie longue 6c cruelle les a enlevées : ce mot
Ie rendra tour-à-tour compatiffant , généreux ,
honnête, facile, & bon ; mais il ne le rendra jamais
foible. Un père fage eft indulgent pour les fautes
légères ; mais il punit avec févérité celles qui pour-
roient avoir, même dans un avenir éloigné, des
fuites dangereufes.
L’humanité envers les ennemis de l’état eft encore
une vertu que le nom facré de père de fes foldats
infpirera au capitaine. Si je ne fuis pas , dira-t-il,
genereux & humain avec mes adverfaires , ils
feront barbares & cruels avec mes foldats. IL donnera
donc aux foldats ennemis qui auront été
bielles les mêmes foins qu’à ceux de fa compagnie,
& il aura pour leurs officiers touts les égards que
-demanderont leur rang & leur naiffance ; il aura
pour les prifonniers qu’il aura faits toutes les attentions
qui feront compatibles avec le befoin de
s’affurer de leurs perfonnes : le vrai courage ref-
pe&e toujours le malheur des vaincus. Les officiers
françois n’ont cependant pas befpin de la
crainte des repréfailles , pour être humains ; pour
refpeéler les vieillards , les femmes , les enfants ;
pour arrêter , auffitôt qu’ils le peuvent, le détordre,
le pillage, & là dévaftation. Dans touts les
temps , leurs ennemis leur ont rendu ces glorieux
témoignages, & ils ont récemment donné à l’Eu-
•rope un fpeéfacle de ce genre que l’ancienne Rome
auroit confacré par un monument public.
Moeurs. Nous avons prouvé que les moeurs des
militaires influent fur les moeurs générales , fur le
Jiiccès d’une nation pendant la guerre , fur fa renommée
pendant la paix, 6c principalement fur
le bonheur individuel de chaque militaire. Nous
avons recherché les caufes de la -corruption des
moeurs dans nos troupes , 6c nous nous fournies
occupés du moyen de les réformer. ( Voye^ Moeurs),.
Ainfi nous renverrons le capitaine à cet article, &
nous lui préfenterons ici quelques confeils que le
maréchal de Montluc donne fur cet objet, aux militaires
fubaltemes. Dans l’article moeurs , nous citons
fouvent le célèbre capitaine que nous venons
de nommer , parce qu’aucun écrivain n’a.dit mieux
que lui quelles font les vertus que les capitaines
doivent avoir , &. les vices qu’ils doivent éviter,
* O r , à l’heure que je commençai à porter en-
feigne , je voulus auffi fçavoir ce que doit faire u p i
[ commande , &. me faire fage par l’exemple de
! ceux qui faifoient des fautes. Premièrement j’appris
à me châtier du jeu , du vin , & de l’avarice ;
connoiflant bien que touts capitaines qui feroient
j > *ce*te complexion q|ét6ient pas pour parvenir
| a etre grands hommes , mais plutôt pour tomber
; aux malheurs que j’ai écrits : qui fut caufe que je
j chaffai de moi toutes ces trois chofes que la jeu-
i nei^e engendre aifément , lefquelles apportent
! grand dommage, & bleffent la renommée & ré-
! putation d’un chef. Le jeu eft de telle nature,
qu il affujettit l’homme à ne jamais faire autre chofe,
ne avoir autre penfement, foit en gain ou en perte.
Car , fi vous gagnez , vous.êtes toujours en peine,
pour trouver gens à qui vous puiffiez jouer , ayant
opinion que vous gagnerez toujours davantage ,
& ne ferez autre chofe jamais , jufqu’à ce que
vous aurez tout perdu. Et , comme vous ferez
réduit a ce point, vous voilà au défefpoir, & ne
ferez que chercher jour 6c nuit où vous pourrez
trouver de l’argent pourTejouer , & tenter fi vous
pouvez regagner ce que vous aurez perdu. Or ,
comment voulez-vous doneques penfer que vous
vous puiffiez acquitter de la charge que le roi
vous a baillée, veu que vous appliquez votre temps
en une autre chofe ? E t , au lieu de fonger à piper
votre ennemi, vous penfez à piper les cartes ou
les dez . . . . Comment voulez-vous donc avoir le
coeur a tout ce qui eft befoin que vous faffiez en
la charge que vous tenez, fi votre efprit eft tou-«,
-jours occupé au jeu, qui vous baille cent & cent
efcarmouches le jou r, 6c vous met hors de vous-»
meme ? ïu y e z cela , mes compagnons ; fuyez , je
vous prie, ce méchant vice , lequel j’ai vu caufer
la ruine de plufieurs, non feulement en leur bien ,
mais en leur honneur 6c réputation.
Pour le regard du v in , fi vous y êtes fujets „
vous ne pouvez éviter que vous ne tombiez en
auffi grand malheur que celui qui joue. Car il n’y
a rien au monde qui affoupiffe tant l’efprit de
l’homme , & qui l’invite tant à dormir que le vin*
Si vous ne buvez guère, par conféquent vous ne
mangerez pas trop ; car le vin appelle manger ,
pour plus longuement prendre le plaifir de boire ;
& à la fin, avant que fortir de votre repas , étant
plein de vin 8& de viandes, il faut que vous vous
mettiez à dormir ; & peut-être au temps que vous
devez être parmi les foldats & compagnons , 6c
près votre colonel & méftre-de-camp , pour entendre
toujours quelque chofe de ce qu’ils auront
fçu du lieutenant de roi ; afin de regarder fi quelque
occafion fe peut préfenter où vous puiffiez employer
votre hardieffe & fageffe. Encore amène le vin.autre
péril; c’eft que, comme le capitaine eft yvre , il ne
fe fçaiï commander, & moins laiffer commander
les autres . . . . D ’ailleurs jamais le lieutenant dé
ro i, ou votre colonel & meftre de camp, ne vous
bailleront entreprife à executer, qui pourroit peut-
être caufer du tout votre avancement ; 6c diront ,
voulçzrjqus bailler pne telle exécution entre les
mains d’un tel qui fera yv re à l’heure qu’il faudroit
qu’il fût en bons fens , pour avoir la diferétion de
connoître ce qu’il faut qu’il faffe ? Il ne fera rien
que perdre les hommes, 6c avec fa faute caufera
votre perte. O la mauvaife renommée que ce vin
vous donnera , puifqu’il faut qu’on n’efpère de
vous aucune chofe qui vaille ! Fuyez donc , mes
compagnons, fuyez ce vice auffi méchant & plus
vilain & fale que le premier. . . . Il y en a un
quatrième : fi vous ne le pouvez éviter , au moins
allez-y fobrement fans vous perdre : c’eft l’amour
des femmes ; ne vous y engagez-pas„; cela eft du
tout contraire à un bon coeur. LaifTez l’amour au
crochet , lorfque Mars fera en campagne : vous
n’aurez après que trop de temps. Je me puis vanter
que jamais affe&ion ni folie ne me détourna d’entreprendre
& exécuter ce qui m’étoit commandé.
A ces hommes-là , il leur faut une quenouille, 6c
non -une épée : 6c, outre la débauche 6c perte de
temps , ce métier amène une infinité de querelles,
& quelquefois avec vos amis. J’en ai vu plus combattre
pour cette occafion que pour le cfefir de
l ’honneur. O la grande vilainie que l’amour d’une
femme vous dérobe votre honneur ,& bien fouvent
vous faffe perdre la vie «3c diffamer.. . . . . O capitaine
! que de grandes chofes fait un homme , pour
peu d’efprit 6c d’expérience qu’il a i t , quand il ne
veut occuper fon efprit en autre chofe qu’à ce en
quoi il fe trouve pour en fortfr à fon honneur ,
&• au profit de fon maître. Auffi c’eft un grand
malheur à celui qui l’occupe en plaifirs & voluptés,
jeux & feftins ; car il eft impoffible que l’un ne
vous faffe oublier l’autre ; nous ne pouvons pas
fervir tant de maîtres. Dépouillez-vous de tout
v ic e , & brûlez tout, aux fins que vous demeuriez
avec la robbe blanche de loyauté 6c affeétion que
toous devons touts à notre maître ».
Nous ne citerons pas ce que Montluc dit fur
l’avarice : il écrivoit dans un temps où les officiers
françois ne portoient pas la délicateffe auffi loin
qu ils le font aujourd’hui. Si on recherchoit la caufe
qui a produit cette délicateffe, on la trouvereit
dans le changement heureux qu’a éprouvé, la conf-
titution des troupes françoifes, au moment où l’on
a féparé les intérêts pécuniaires du foldat de ceux
du capitaine.
' De la modejlie & de la politejje. Le capitaine qui
reunit a l’amour de fes-devoirs les connoiffances
néceffaires pour les remplir avec diftin&ion, qui
joint les qualités morales propres aux guerriers ,
aux avantages que la nature difpenfe , ne peut
guère impofer filence à l’envie , affoupir la jaloufie,
& fe faire pardonner fes vertus , fes talents, & fes
*UCC5S 5 qu’en montrant fans ceffe une grande mo-
3 ^ une politeffe attentive. Affez de mora-
raliftes ont fait l’éloge de ces deux vertus ; affez
ont peint les effets heureux qu’elles produifent. *
JNous-memes nous avons prouvé par des exemples
h^onques , (voye^ G énéral , §. XIX & XX , .
lect. IV, ) , qu il importe aux guerriers, d’être mo*
deftes dans les fuccès, affables avec leurs foldats ;
d’avoir un cara&ère doux & une humeur égale ;
d’éviter avec un foin extrême la hauteur dans
le ton , la fierté dans les manières , l’ironie , l’é-
pigramme , & la dureté dans les propos ; enfin,
de ne tirer jamais vanité ni de leur naiffance, ni
de leur fortune. Il ne nous refte donc , en terminant
cette feélion, qu’à affurer au capitaine qui
réunira les traits divers que nous venons de raf-
fembler qu’il parviendra certainement & avec
promptitude aux premiers rangs. Les injuftices dont
les militaires fe plaignent quelquefois font en effet
moins fréquentes qu’on ne’faitfemblant de le croire*
Difcutez la conduite de ceux qui prétendent avoir
éprouvé des injuftices ; vous verrez qu’ils ont moins
manqué de proteéleurs que de mérite ; que la
jaloufie 6c l’envie les ont moins deflervis que leur
ignorance ou leurs moeurs ; & qu’en ne leur accordant
pas le grade d’officier fupérieur1 on leur
a rendu fervice. Dans le pofte élevé où on les
auroit placés, ils auroient attiré vers eux les regards
du public , 6c ils ne peuvent être obfervés
de près fans y perdre.
Si on nous accufoit d’avoir été féduits par l’en-
toufiafme du bien 6c d’avoir exigé dans le capitaine
des talents trop variés, des qualités trop rares ,
des connoiffances trop vaftes , pour qu’il foit pof-
fible à un homme de les réunir, nous répondrions:
effayez d’ôter. une feule des pierres qui forment
l’édifice que nous venons d’élever , & vous le
verrez s’écrouler , ou s’il refte encore debout, il
vous deviendra inutile. Nous n’héfitons point à le
dire : moins un capitaine reffemblera au modèle
que nous venons d’offrir , 6c moins il fera efti-
mable. Si l’on demandoit encore : connoiffez-vous
beaucoup de capitaines qui reffemblent à celui que
vous avez peint ? Les troupes françoifes , répondrions
nous , en offrent un grand nombre qui font
au-deffus de notre modèle : plufieurs lui reffemblent
parfaitement, 6c les autres acquerront ce qui leur
manque, dès que le gouvernement emploira confi»
tamment les moyens qui font les plus propres à
produire ce changement defirable.
S E C T I O N V .
Des capitaines en fécond.
• Toutes les fois que les capitaines commandait*
font abfents , les capitaines en fécond les remplacent
; ils jouiffent alors des mêmes droits que
les premiers : ils ont par conféquent les mêmes
devoirs à remplir, ÔC ont befoin des mêmes qualités
& des mêmes connoiffances. Vo yez donc les
ferions précédentes.
Un problème important à réfoudre eft celui-ci^:
eft-il avantageux de mettre dans les troupes françoifes
deux capitaines dans la même compagnie ?
Les deux réponfes qu’on peut donner ont leurs
partifans 6c leur$ antagoniftes. Si nous étions ja