
à touts ces inconvénients quand on a un fi grand
nombre de troupes que, fans les fourrageurs 8c les
détachements ordinaires, on eft fupérieur aux ennemis.
Mais une fatigue modérée eft un grand bien
pour les troupes, & l’avantage que le prince en
retire furpaffe de beaucoup la dépenfe faite en
outils. A l’égard du dommage qu’on caufe au pays,
il fera moins confidérable , fi , pour‘les fafcïnes 8c
pour les piquets, on ne permet pas de couper les
arbres fruitiers.
Quoique vous ayez un quart de troupes de plus
que les ennemis, quelle affurance avez-vous que
quelque occurrence ne vous obligera pas de détacher
la moitié de votre armée, pour aller fur une
autre frontière, vers laquelle une autre armée de
votre fouverain aura été défaite , ou qu’un nouvel
allie des ennemis ne commencera pas la guerre ?
Mais, en fuppofant que rien de tout cela nkrrive,
il y a de certaines fituations qui peuvent mettre
les ennemis dans la neceflité de rechercher un
combat, quelque fupériorité de troupes que vous
puifiiez avoir.
’Pour l’heureux fuccès des batailles lé plus grand
nombre fert moins que l’avantage du terrein. Une
armée inferieure en nombre enfurprend très fou-
vent une plus nombreufe , qui eft en rafe campagne.
Au contraire une armée retranchée dans un
excellent pofte combat quand il lui plaît, & non pas
quand les ennemis veulent: ainfi avoir plus de
troupes qu’eux n’eft pas un motif fuffifant pour i
s’exempter de fortifier un camp où l’on doit fe maintenir
longtemps.
Lucius Emilius difoit qu’un camp fortifié étoit
pour une armée de terre ce qu’eft un port pour une
armée de mer ; parce qu’on s’y refugioit après avoir
effuye la bourafque , ou qu’on y prenoit les me-
fures néceffaires pour tirer parti de la viâoire « Il
vaut mieux, dit un auteur fage, prendre plufieurs
précautions inutiles, que d’en oublier une feule
néceffaire ».
Lorfque les ouvrages de votre retranchement
font confidérables, & qu’il eft néceffaire qu’ils
foient faits promptement ; fi vos foldats font ha-
raffés par les fatigues précédentes, ou fi vous en
avez befoin pour quelqu’ autre vue, faites venir des
payfans des lieux circonvoifins, qui par leur grand
nombre & leur habitude au travail finiront en peu
de temps celui que vous entreprenez.
Lorfque Louis XIV fit conftruire une ligne depuis
l’Efcaut jufqu’à la Lys & depuis Courtrai juf-
qu’à la mer , il employa vingt mille payfans, qui
firent en huit jours fept mille toifes d'un foffé profond
de douze pieds & large de quinze, avec un
parapet de dix d’épaiffeur.
Si vous ne pouvez pas avoir des payfans, parce
que la guerre a fait prendre la fuite à ceux du voi-
finage qui font fous votre obéiffance, & que les
troupes ennemies mettent à couvert ceux de leur
pays ; fervez-vous des valets des officiers, des
vivandiers, des hommes de l’équipage des vivres
& de l’artillerie, & des autres pérfonnes q u i, fans
porteries armes, ont coutume de fuivre les armées:
quoique chacun d’eux foit utile dans fon miniftère ,
on pourra s’en paffer quelque temps, parce que les
ouvrages de campagne s’achèvent ordinairement
très vite, ou du moins font mis dans peu de jours
en état de défenfe.
Lorfque Cæfar fe retrancha devant Pharnace,
1 tr,avfdder touts les valets de fon armée, parce
qu il etoit neceffaire que fes troupes fuffent fous les
armes pour empêcher que celles de l’ennemi, qui
etoient proches , n’interrompiffent le travail.
Si vous vous retranchez à une moyenne distance
des ennemis, faites avancer auffi près d’eux
que vous le pourrez des partis, qui vous donnent
svis de leur marche affez tôt pour que vous
puifliez , avant qu’ils arrivent § vous mettre e.rt
bataille , s’ils viennent troubler vos travaux.
Quand on fe retranche près de l’ennemi , on
doit s attendre qu’il tachera d’interrompre le travail
pendant la nuit par de fauffes ala es , ou en attaquant
reellemènt les travailleurs. A l’égard du
premier de ces deux dangers , les moyens de le
prévenir fe trouveront à l’article Pl a c e . Pour
éviter le fécond ,.qui eft plus confidérable , défendez
a touts les officiers, êrmême aux officiers
généraux, de s’éloigner des troupes, qui font fous
* s orvd*es '■> Parce qu’alors elles fe trouveront
prêtes a combattre fous le commandement de
leurs officiers, 8c la préfence de leurs chefs "fera
qu ils apporteront à leur travail plus de foin 8c
d’aéîivité.
Les troupes qui ne font pas employées aux travaux
feront fous les armes : la cavalerie tiendra
fes chevaux fellés : les travailleurs auront leurs
armes & leurs cartouches auprès d’eux fous des
pavillons , afin que la poufîière ne les rendent
pas inutiles. Comme les ennemis n’ignorent point
le defordre auquel les travaux donnent lieu , 8c
que les hommes qui y font employés en grand
nombre ne font pas fous les armes , il eft à craindre
qu’ils ne fe déterminent à venir fondre tout d’un
coup fur votre armée. Dans ce cas, & dans celui
que j’ai propofé immédiatement plus haut, vous
ne fçaurièz prendre trop de précautions pour vous
mettre à couvert d’une furprife. D'ailleurs , fi les
ennemis veulent une bataille , ils vous attaqueront
avant que vous ayez mis vos rétrancheraents en
état.
Lorfque Cæfar fe retranchoit près de la S ambre,:
il fut tout à coup attaqué par les Nerviens, qui
mirent d’abord en défordre les troupes de Cæfar :
mais , comme les officiers avoient un ordre précis
de ne pas s’éloigner , jls accoururent, rallièrent
les légions, & repoufsèrent l ’ennemi.
Quand Néhémias travaiiJoit à fortifier Jérufalem
à la vue des troupes de Sanabalkt & de Tobie ,
1 Ecriture dit « que la moitié des jeunes gens tra-
I vailloient, quelles autres fe tenoient prêts à com-
1 battre avec leurs lances, leurs boucliers-, leurs arcs ?
leurs cuiraffes ; que les chefs du peuple étôlen-t
derrière eux dans toute la maifon de Juda, 8c que
ceux qui étoient employés à bâtir les murs, & à ;
porter ou à charger les porteurs , faifoient leur
- ouvrage d’une main , 8c tenoient leur épée de '
l’autre. ».
Le marquis Péroni ne vent pas qu’on fe ferve
de payfans pour les travaux qui fe font près de
l’ennemi. La ràifon qu’il’ en donne , c’eft que les
payfans font très mal un travail pendant un danger (
auquel ils font peu accoutumés. Cette réflexion ne '
me paroît utile que par rapport aux ouvrages qui
de mandent beaucoup de perfeéKori : cependant il
eft toujours bon que quelques pionniers des troupes
precedent ceux dès villages , 8c que quelques
autres de ces mêmes troupes foient entremêlées
parmi les payfans , tant pour empêcher qu’ils ne
s’échappent que pour leur apprendre ce qu’ils ont
à faire. •
On affigne à chaque régiment une portion du
terrein , afin que , voulant touts l'emporter les uns
fur les autres , pour mériter l ’eftime de leurs généraux
, ils avancent l’ouvrage.
Lorfqu’il y a différentes nations dans une armée,
on infpire plus facilement cette émulation , en
louant devant les uns le travail des autres. S’il
n’y a qu’une feule nation , vous donnerez des
louanges aux régiments qui auront le plus avancé ,
leurs travaux, 8c vous leur ferez donner quelques
rafraichiffements , pour exciter les autres à les
imiter. Le dernier duc de Vendôme fe fervoit
fréquemment 8c très utilement de ce moyen. Surtout
vifitez fou vent vos. travailleurs. Josèphe l'apporte
que cette voie' lui fervit beaucoup pour finir
en peu de temps fes ouvrages , lorfqu’il étoit gouverneur
des deux Galilée« , 8c qu’il fe préparoit
à la guerre contre les Romains. ( S anta-Cruz. ).
A t t a q u e d e s c a m p s .
L’art des furprifes d’armée eft aufli rare dans la
pratique que facile 8c aifée dans l’exécution.
( J’oferai dire au contraire contre l’avis de Folard
que l ’application de cet art eft rare, parce qu’il
eft très difficile. Elle ne peut réuflîr qu’en des
circonftances très particulières, ou lorfqu’elle eft
faite par de grands généraux , dont les adverfaires
font très médiocres. L’auteur fait ici comme ceux
q u i, écrivant fur le jeu des échecs , font gagner
un joueur, en faifant faire de grandes fautes à
l’autre. ) Ce que les anciens en ont écrit, continue
le chevalier Folard , n’eft point parvenu jufqu’à
nous : 8c, quant aux modernes , il eft aifé de voir
qu ils ont à peine effleuré la matière. Cette partie
de la guerre eft uniquement renfermée dans les
exemples 8c dans les faits ; de forte que je me
crois obligé de les tourner en préceptes 8c en méthode,
8c par-là de réduire en art ce qui ne s’eft fait
jufqu’a prefënt que fur quelques maximes incertaines
8c peu fures, fouvent vraies par un effet du
hafard dans un général imprudent 8c téméraire ;
fouvent fauffe dans un autre plus habile, qui n’a
quelles pour fe conduire dans les mêmes deffeins.
Ces fortes d’entreprifes demandent un grand
courage, beaucoup de hardieffe 8c de promptitude
dans l’exécution, un efprit fin 8c rufé, un grand
fens , une connoiffance exaéfe -du pays , une prévoyance
précautionnée ; en un mot une grande
I intelligence de la guerre ; car.ceS fortes de deffeins
font fujets à mille cas fortuits , à mille incidents
qu’on peut détourner parla bonne conduite, par
le fecret 8c la célérité d’une marche inopinée &
bien concertée, qui prévienne les avis des efpions,
des transfuges ou des partis que l’ennemi peut avoir
en campagne. Il faut qu’il fçacbe qu’on eft venu ,
8c qu’if ignore qu’on doit venir. Prias venijje,
quàm venturum fêlant hoftes. II faut qu’il fe trouve
dans le piège, fans l’avoir craint ni foupçonné.
( Cette énumération peut faire juger fi ces entre-
prifesHfont faciles. [K ] ).
Ce que nous allons traiter ne regarde pas les
furprifes d’iin petit corps de troupes ou l’enlèvement
d’un quartier ; il n’y a rien de moins rare
à la guerre. Un détachement fuffit pour ces fortes
d’aventures : elles font toujours promptes 8c fubites.
Mais une armée entière ne fe meut pas avec la
même viteffe qu’un corps de deux ou trois mille
hommes,. Il y a peu de généraux qui ofent entreprendre
fur toute une armée, 8c qui veuillent même
écouter les perfbnnes qui propofent des coups de
cette nature : ils les croient trop hafardeux 8c d’un
trop grand détail. Il faut beaucoup d’intelligence ,
une grande netteté 8c un grand ordre dans la marche ,
une^ difpofition de combat très méditée , toujours
différente de celle de l’ennemi, 8c par conféquent
plus rulée 8c plus fure. On doit de plus avoir égard
à la nature des forces , au temps , aux lieux , aux
conjonctures , à l’heure où l’on part, autant qu’au
temps ou 1 on arrive. Il faut aller encore au-devant
des accidents qui peuvent arriver, 8c cela n’eft pas
au-deffus de la prévoyance humaine ; ( mais bien
au-deffous de celle du plus grand nombre. ). [ K]
Le plus embarraffant de l’exécution eft de s’empêcher
d’être découvert. Les efpions, les donneurs
d’avis, les partis en campagne, 8c les transfuges
font ce_qu’il y a de plus à craindre. Nous fournirons
des moyens pour empêcher qu’on n’échoue foit
par cet endroit foit par les autres. Il eft certain
que de telles entreprifes font hériffées de mille
difficultés : mais il faut avouer aufli que les pointes
s’en émouffent aifément par l’ordre , le fecret, 8c
la bonne conduite. Ceux qui ont concerté de longue
ma.in ce qu’ils doivent faire, ne tardent point à
executer ce qu’ils ont réfolu , 8c prennent leurs :
ennemis au dépourvu ; mais les autres ne fçavent
ou ils en font lorfque les malheurs arrivent. En
effet, comme les furprifes des camps 8c des armées
font de touts les événements de la guerre les plus
imprévus, lés plus rares, 8c les moins attendus ,
on voit rarement qu’on foit fur fes gardes, 8c qu’on