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breux bagag.es, comme convaincue que Y avis donné
par Ambiorix ne vient pas d’un ennemi, mais de
l’ami le plus fidèle.
Les ennemis , inftruits par le bruit qu’ils enten-
tendirent dans le camp romain , s’étoient embuf-
qués de part Jk d’autre dans les bois, en un lieu
favorable & couvert , à onze mille pas du camp ,
& attendoient les Romains. Lorfque la colonne fe.
fut engagée prefque toute entière dans une grande
vallée , ils fe montrent des deux côtés, chargent,
les dernières cohortes , empêchent les premières
de monter, & attaquent la légion dans-un terxein
qui lui étoit extrêmement dél'avantageux.
Titurius, qui n’avoit pris aucune précaution, s?é-
pouvante, court cà & là , forme les cohortes , mais
timidement, en homme à qui tout femble manquer
, comme il arrive a ceux qui font obligés de.
prendre un parti fubit. Cotta,,. qui avoit prévu 1-é-
venement., & confeillé de ne s’y point expofer,
n omettoit rien d utile au falut commun : il remp
l i 01* les devoirs de général en formant Ôc exhortant
les troupes, & celui de foldat en combattant
avec courage. La colonne étant trop longue
pour que les- deux généraux puflent être préfents
par-tout, & y donner leurs ordres, ils firent.pafïer.
celui d’abandonner les bagages, & de fe former
circulairement. Quoique ce parti ne fût-pas blâmable
, il eut des inconvénients.: il diminua la confiance
des Romains^ & rendit leurs., ennemis- plus-
ardents au combat , parce qu’il paroiffoit être un
effet de la terreur & du défefpoir. De plus , les-
lbldats quittant leurs enfeignes , pour aller prendre
dans les bagages ce qu’ils y avoient.de plus précieux,
un trouble général régna dansj’ârmée ; on
n’y entendoit qu’un mélange confus de. cris ^ de
pleurs , 8c de gémiffements..
La conduite des barbares ne- fut point imprudente.
Leurs chefs.firent publier que nul ne quittât
fôn rang , que le butin leur appartenoit, que tout
ce que l’ennemi abandonnoit, leur étoit réfervé ;
qu’ils ne s’occupaffentque de la vi&oire. La fupé-
riorité de courage dans les.troupes.romaines com-
penfoit l’infériorité du nombre. Abandonnées par
leur chef & par la fortune , elles ne voyoient
de falut que dans la valeur.. Dès qu’une cohorte
fe détachoit pour charger les Gaulois, elle en im-
moloit un grand nombre. Ambiorix ordonna donc ;
de ne pas'approcher, mais de lancer des. traits de
loin , .de fe retirer dès qu’une troupe romaine vien--
droit a la charge., 8c de la pourfuivre quand elle
rejoindroit le gros de l’armee ; ajoutant que l’armure
legere des Gaulois , 8c l’habitude qu’ils avoient de
ce genre de combat, rendroientinutiles. les efforts
de l’ennemi..
Cet ordre, fut bien obfervé* Lorfqu’une cohorte
ffe détachoit, ceux contre lefquels fa marche étoit
dirigée fe retir oient au plus, vite, & les autres
lançoient leurs traits fur fes deux flancs- découverts :
dans fa retraite - elle étoit pourfuivie 8c entourée
tant par ceux qui ayoient, fui deyant.elle que par
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les troupes volfines. Si les cohortes reftoient immobiles,
leur courage étoit fans effet, & les traits
lancés par sun aufli grand nombre ne pouvoient.
être évités. Réduits-, à cette extrémité „ couverts
de bleflures, combattant depuis fix ou fept heures,
les Romains, réfiftoient conflamment, & n’avoientx
rien fait encore qui fût indigne d’eux.- Alors T.
Balventius , homme courageux 8c refpe&é , qui
avoit. été primipile l’année précédente, eut les deux
cuifles. percées par un javelot. Dans la. même cohorte
Q. Lucanius ,. combattant courageufement:
pour dégager fon fils qui étoit enveloppé , perdit:
la vie. Cotta, exhortant, fes troupes, fut.blefTé au.
yifage. d’un coup de fronde. -
Titurius, perdant tout efpoir , & voyant de loin*:
Ambiorix qui animoit. fes Gaulois , envoie vers-
lui fon, interprète Cn. Pompeius--, pour le prier
d’épargner 8c fes foldats & lui-même. Ambiorix.
répond que le légat peut, s’il le veut, venir lui;
parler. ; qu’il efpère obtenir des fiens là vie fauve;
pour les Romains ; qu’il ne ;lui fera fait aucun mal
& qu’il lui en donne fa. foi. Alors. Titurius demande
à Cotta's’il veut aller avec lui trouver Ambiorix &
8c lui dit qu’il fe flatte d’en obtenir le falut de.'
l’armée 8c le fien. Cotta refufe d’aller trouver:-
l’ennemi, -tant qu’il a les armes en main-
Sabinus ordonne aux tribuns , 8c aux centurions-
dès premières cohortes , qui fe trouvoicnt près der
lui de le fuivre. Lorfqu’il fut près d’Ambiorix
celui-ci. lui ordonna de mettre bas les. armes. 11
obéit,. & donna ordre a ceux qui l’àv oient fuivi-.
d’obéir de même. Tandis qu’ils traitoient enfemble.
dès conditions, 8c que le général gaulois pro'lon-,
gçoit a deflein le pour parler, Sabinus- environné-:
fut mis à mort. Auflitôt, fuivant leur ufage-, les.
barbares crient viéloire ,. pouffent de longs, hur—
lements, 8c fe.jettant fur les Romains , enfoncent-,
les cohortes» Cotta eft tué en combattant ainfl
que la plupart des Soldats. Le refte fe retire dans-
le camp d’ou ils étoient fortis. Le porte-enfeigne.:
Pétrofidius ,.iprefle par une foule d’ennemis , jette
Pàigle en dedans du retranchement, 8c meurt en
combattant courageufëment. Les autres défendent
le camp jufqu’au foi? avec beaucoup de peine; 8c
n’efpérant.plus aucun falut, fe tuent touts -pendant
la nuit. Quelques-uns échappés du combat tiennent
à travers les bois. une. route incertaine , 8c parviennent.
aux quartiers de Labiénus qu’ils inftrui-;-
fent de ce défaftre.f Caf. Bel. GalL L .V .C .
& Jïq. ). ■ _
On a varié, fuivant les temps-8c les circonflances
lès moyens de faire pafler des avis. Gomme nous»
ne pouvons pas nous fervir de nos armes de jet,v
pour , les-faire parvenir , il faut trouver d’autres refl»
fources. On peut en envoyer par des payfans qui*
cachent les lettres, dans leurs -vêtements, ou parmi",
les vivres 8c denrées qu’ils portent/ Lor(qu’en-
1Ô31 Pappenhem , général^de l’empereur , .forma>
le deflein d’attaquer les quartiers que Banner avoifr;
pris.. dans lès., environs, de. Magdebourg^tandis-.-,
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que le comte de Mansfeld, qui commandoit deux
mille Impériaux dans cette ville , les attaqueroit
de fon côté ^il chargea un payfan de porter à Manf-
feld fon projet d’attaque , 6c fit- mettre la lettre
dans un pain ; mais l’entreprife fut déconcertée
par un heureux hafard qui n’auroit point eu lieu ,
s’il y avoit eu deux précautions de prifes, au lieu
d’une , 8c que la lettre eût été en chiffres. Deux
foldats anglois, qui étoient en maraude , rencontrèrent
le mefîager , lui prirent fon pain , 8c l’ayant .
coupé pour le manger , ils y trouvèrent la lettre ■
qu’ils portèrent à leur général. Auflitôt Banner
raflembla fes troupes, 8c fe mit en état de défenfe.
( Hifl. de Gujl. Adolph. T. IV. ifi-12. p.110. ). ^
Le ftratagème des faux avis n’â pas été négligé
dans les temps modernes. La ville de Rennes étoit
afliégée par le duc de Lancaftre. Les troupes 8c
les habitans l’avoient défendue pendant plus de
fix mois. Ils commençoient à manquer de vivres ,
8c ne recevoient point de fecours. Du Guefclin
s’étoit approché de la ville , 8c inquiétoit beaucoup
les afliégeants. Le général anglois apprit dès-lors
ee que valoit le chevalier breton. Adonc lepri^a
moult, mais mieux le voulait loin g de foy que Ji près.
Cependant ce brave , habile , 8c rufé chevalier
ne put jetter aucune troupe dans Rennes.
Penhouet y étoit gouverneur 6c chef des troupes.
Il raflembla les principaux habitants à l’hôtel-de-ville,
pour tenir confeil. Plufleurs étoient d’avis que l’on fe
rendît. Un bourgeois , nommé le Tort- boiteux, fe
leva 8c dit : « Seigneur , vous favez commentle duc
de Leneaftre 8c les Engloiz nous ont afleigiez 8c
juré que de cy -ne partiront, tant qu’ilz nous auront.
Si fuft bon, ce me femble de envoyer devers le due
Charles., lequel eft à Nantes , pour avoir fecours-,
ainçois que rendre nous conviegne. Mais je ne fais
qui feroit fl bon ne fl hardi qui ou meflage ofaft
aller. j^Adonc parla un autre bourgeois, lequel en
la ville avoit trois filles 8c cinq filz ,, qui n’avoient
maiz que menger , 8c leur étoit le pain failly ; 8c
dit qu’il fe avantureroit, 8c mettroit en péril de mort,
pour eux à aller ou dit meflage , 8c que de fes
enfans penfaflent. Adonc orent tous- grand pitié de
lui n.
On feignit de faire une fortie ; 8c le mefîager
s.’étant laiflé prendre , demanda parler au bon duc.
« Lors fe agenoilla , 8c le faliia, en faifant moult
lé dolent 8c le defconforté ; 8c puis lui dift : enten-
dez-moi pour Dieu , apou que je ne me défefpere :
car ceux de Rennes , par leurs félonnies ont fait un
trop grand meïchief. Car ilz ont miz à mort tous
les petite enfans*r & des miens ont tués- lept. Et
ce ont fait, afin qu’on n’appercoive leur eftat. Et ■
aufli ont occys 8c mis à mort tous les vielz hommes
8c vieilles femmes , mefmes- les-pouvres- qui cjué-
roient leur pain. Et mieux aiment' à les.ainfl def-
truire qu’à les bouter hors , pour doute qu’ils n’euf-
fent raconté à vous 8c à voz gens le mefchief 8c
fâ-mine qui y eft. Si vous dirai comme venger en
pourrez- vous. 8c moy. Et , . fe voulez, demain:
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leur doivent venir quatre mil alemens fi chargiez
de vitailles que oncques maiz hommes n’en vit tant*
Et , fl vous vous mettez au-devant, vous les en-
contrerez : car ils viennent en deux parties , pour
Voftre oft efpier. »
Le duc le crut, fit armer une partie de fes troupes,
8c partit à l’entrée de la nuit pour aller combattre
les quatre mille allemands. Cependant le mefîager
s’étant évadé, rencontra du Guefclin, 8c l’inftruifit
de l’erreur 8c du départ de Lancaftre. Le breton
ne laifla pas échapper cette occafion. Il marche
toute la nuit, arrive au camp des afliégeants vers
le point du jour , les trouve endormis. Ses foldats ?
I epee d une main 8c les torches enflammées de
l’autre , égorgent les Anglois-, brûlent les tentes Scies
baraques , mettent tout à mort , à feu , à fano-,
8c en fuite. Ils trouvèrent dans^ une des rués plus-
de cent charrètes chargées de viandes falées, de vin
8c de bled. Du Guefclin les fit conduire auflitôt dans
la ville, s’y jetta- avec fa troupe, 8c y fut reçu
aux acclamations générales du peuple, qui le nom-
moit le fauveur 8c la gloire de la patrie. Il n’avoit;
avec lui que foixante hommes , 8c n’étoit âgé que
de. vingt-deux ans; mais fa-tête valoit déjà mieux-
qu’une multitude de bras.
Cependant le duc de Lancaitre-, n’ayàn't point;
eu nouvélle des Alïèmands-, revint dans’ (on camp , -
qu il trouva en cendres , 8c couvert de morts 8c
de bleffés. Du Guefclin fit payer les-vivres qu’il
avoit pris aux payfans qui lès avoient amenés dans5
le camp des Anglois, les menaça de les faire pendre
s’ils leur en amenoient encore, 8c les renvoya en-
les chargeant de porter au duc de fa part cent boû-:
teilles d’exceflent vin,- 8c de lui dire qu’il en auroit
toujours de pareil à fon fervice. ( Hifl. de-Du Guef--
clin, 4*. 1618 , p. 25 & fuiv. an. 1356. ).-
Un autre chevalier françois trompa fes ennemis*-
par,unfaux<zvri. Ce fut Bayard,afliégé dans Mézières -
par Sickingen 8c le comte de Naüaw. Une que--
relle très vive >. que ces deux généraux avoient eue;
au fujet du commandement?, lui fit efpérer qu’il feroit
pofîjble de jetter entre eux une grande 8c longue dif-~
fention. Le moyen qu’il:imagina fut d’écrire au fei- -
gneur de la Mark, qui étoit à Sedan ,1alettre fui-vante. -
» Monfeigneur mon capitaine. Je crois qu’êtes affez-'-
adverti comme je fuis afliégé en cette ville par
deux endroits. Car d’un cofté eft le comte de Naflawr-
8c deçà la riviere leïeigneur François de Sickingen. -
II me femble que puis demy an m’avez dia que'
voulez trouver moyen de faire venir le comte de-
Naflaw au fervice du roi noftre maiftre, 8c qu’il
eftoit voftre allié. Pour ce qu’il a bruit d’eftre très ?
gentil- galahd , je le deflrerois à merveille. Mais ,
fi vous congnoiflez que cela fe puifle conduire,
vous ferez bien de le favoir de lui ; mais pluftoft
aujourdhuy que demain. E t, s’il l’a autre, je vous*
advertis que , devant qu’il foit vingt 8c quatre heures »
lui 8c tout ce-qui eft en fon camp fera mis en pièces • --
car a trois' petites lieues d’icy viennent coucher
douze mille Suifles 8c huit cents hommes d’armes*