
terrein trop teflerré vous a empêché d’étendre
■ Votre front, foit parce que votre nation à coutume
de prendre cet ordre , tâchez d’en venir
d’abord à l’arme de main. Une armée rangée ainfi,
& qui diffère d’aborder , eft expofée à un terrible
ravage de la part de l’artillerie ; au lieu que fi Ion
en vient d’abord à l’arme- dé main , il eft à préfumer
que huit hommes fuivis , ou , pour mieux
dire , pouffes l’un par l’autre , enfonceront là
ligne ennemie, ou ils ne rencontreront que quatre
hommes de hauteur ; 6c , quoiqu’une partie des
foldats de votre ligne , après avoir rompu celle
qui leur eft oppofée , faffe un quart de converfion
à droite & à gauche , pour charger en flanc , il
Vous reftera allez de rangs pour faire tête à la
fécondé ligfté des ennemis.
Tâchez d’entretenir le combat, lorfqu’un gtos
parti de troupes, que vous avez détaché pour le
iourâge , OU pour quelqu’autre expédition, doit
Vous rejoindre ; ou jufqu’à ce qu’un corps de
troupes , qu’avant la bataille Vous aviez mis en
éfnbuftadé, Ou qui pendant le combat aura pris
tin circuit convenable, vienne charger en queue
ou en flanc lés ennemis, ôc mettre le défordre
dans leurs lignes , en faifant fur eux tout d’un
coup une charge imprévue.
Il faut tâcher au contraire de terminer promptement
le combat, lorfque vous fçavez que d’un
moment' à l’autre il peut arriver aux ennemis un
ïenfort de troupes tiré de leurs places, ou qu’un
gros détachement qu’ils aVoient fait auparavant
póurröit lès rejoindre.
Si lés ennemis commencent à mettre en dé-
toute une de vos ailes, il eft néceffaite que l’autre
combatte vigourèufemênt , 6c tâche de vaincre
àvaht que la nouvèllè de ce commencement de
Vi&oire , 6i de l’avantage que les ennemis ont
au flanc oppofé, parvienne jufqü’à elle.
Mais n’ai-je point traité ici un fuje't imaginaire
? A quoi iérvirâ de vouloir faire durer là
bataille , fi les ennemis la veulent terminer
promptement? Ils nous aborderont, & rendront
inutiles toutes nos précautions. Si On peut leur
fuppofér ce dèffein , o'n peut Croire aufli qu’ils
n’auront pas toujours toût prévu , tout penfé ,
tout examiné. En reftant dé pied ferme , vous
prolongez le. combat en partie. Si lès ennemis me
pénètrent pas votre intention , ils. s’arrêteront aufli
pour continuer, leur feu , fans en venir à farine
de main ; foit parce qu’Hs- né s’àppetçôïvént pas
dé davantage que vous trouvez dans cette manière
de combattre , foit parce qu’ils ne veulent
pas arifquer de rompre leur Ordre de bataille , fur-
tout fi le terrein qui fépare lés deux armées leur,
©ppofedes obftàcles; car chacun dès deux généraux
doit craindre d’être le premier à fe retirer. Toute,
les moyens que j’ai propofés pour faire durer une
bataille commencée font appuyés-fur. des exemples
de généraux qui. les, ont mis en ûfagè contre
d’autres généraux d’une "grande réputation ôc de.
beaucoup d’expérience. Si l’habileté de vos ennemis
ne vous permet de mettre en pratique aucun
de ces expédients , 6c qu’il vous paroiffe avantageux
de faire durer le combat, rangez votre
armée dans un terrein fort par fa nature : ce qui
vaut mieux que la lupériorité en nombre , 6c que
l’avantage des armes.
F E U D E V A R T I L L E R I Ë.
B r u i t e t c r i s d e g u e r r e .
Il y auroit de l’avantage à placer votre cavalerie
dans un endroit oh le canon des ennemis
ne pût «pas l’atteindre, du moins de but en blanc >
ôc à cartouche ; & de prendre au contraire
pour vos batteries une pofition d?où elles puffenf.
tirer fur la cavalerie ennemie ; mais il n’y a point
de régie certaine pour y réuflir, parce que l’ennemi
eft le maître de diftribuer également fes batteries
fut tout le front de fon armée. Quand
même il ptéféreroit de les avoir en moindre nombre
& plus confidérable, il fe peut que la fituation du
tefrein vous force de former vos êfcadrons vis-avis
de ces batteries; parce que celui des autres'
"endroits de votre ligne eft couvert de pierres, ÔC
èmbarraffé de brouffailles , de vignes , ôc dô
haies, qui le rendent aufli incommode pour les
chevaux qu’il eft avantageux pour l’infanterie.
Si, par la fituation ou par le nombre de l’artillerie
des ennemis, votre cavalerie eft plus -ex—
pôfée que la leur au feu du canon, il y a deux'
expédients : le premier eft de ne vous pas tenir
longtemps à la portée de leurs pièces , & de
vous avancer âu contraire à bon pas pour en
venir à l’arme de main , afin de ne pas leur donner
i le temps de répéter les décharges, qui*feroient un
| terrible ravage, vu l’étendue que. préienterit vos
êfcadrons. Il y auroit aufli à craindre que lés
chevaux effarouchés par les - coups voiftns, ôc par
lé fixement des boulets de canonné miflent lé-
défordre dans vos rangs. D’ailleurs vous diminueriez
le courage de votre cavalerie, ên l’obligeant^
d’efluyer de fang-froid de longues canonnades 5-
ôc de voir un parent, un ami, un camarade emporté
par un boulet : la cavalerie affronte avec,
valeur le péril de l’arme de main , 8c craint pour
L’ordinaire le feu ; parce qu’il eft plus rare qu’ellé-
fe foit trouvée en des occafions où elle ait été-
expoféè à cette forte de danger. Il eft même à
remarquer que quatre hommes tués* par le canon,
font plus d’horreur que huir qui ont péri par le
fuflfou la baïonnette.
Le fécond expédient eft dé former vos êfcadrons .
plus en arrière que l’infanterie. La cavalerie eft
fi prompte en fes mouvements qu’ellè aura toujours
le temps de couvrir l’aile de fon infanterie
pour aborder. 8c charger les- ennemis en ligné
ferrée. Votre cavalerie aura même alors l’avantagé
, de venir à la charge avec plus. de. vîtéfle., fans.
devancer l’infanterie, puifque c’eft de plus loin
qu’elle prend le trot ou le petit galop : pas très
convenable pour renverfer la cavalerie ennemie,
qui attend de pied-ferme, ou qui s’avance d’un
pas plus lent.
J’ai déjà dit quelle forte de troupes il faut op-
pofer à chacune de celles des ennemis, lorfque
vous avez connoifîance de leur ordre de bataille ;
mais , fuppofé qu’ayant ignoré leur difpofitioii,
ou que forcé par la qualité du terrein , vous ayez
quelqu’un de vos régiments de cavalerie en face
de |eur infanterie , ou en face de quelques-uns de
leurs êfcadrons , compofés d’une nation qui fe 1
ferve avec adrefle des armes à feu, des flèches,
ou des javelots : en ce cas mettez aufli en ufage
un des deux expédients que je viens de propofer.
Conftantin Rutène , général des troupes de Pologne
, avoit beaucoup moins d’arbalétriers que
Baffle , Kzar de Mofcovie. Avant la bataille,
Rutène donna ordre à fes gendarmes que , dès
que les ennemis fe feroient avancés à la portée
de l’arbalète , ils couruflent les charger , pour ne
pas leur donner le temps de faire une fécondé
décharge ; ce qui réuflit parfaitement à Rutène ,
& lui donna la viéloire.
L’infanterie ne doit pas aller à la charge d’un
pas trop précipité. L’émotion que le foldat éprouve
alors fait qu’il ne tire point ff jufte , entend moins
les ordres, & perd facilement haleine, lorfqu’il
faut pourfuivre l’ennemi ou faire retraite.
Dans une marche trop précipitée une armée
eft expofée à rompre fon ordre : s’il a été nécef-
faire de s’avancer promptement pour occuper un
pofte avantageux , ou pour attendre les ennemis ,
faites halte à une certaine diftance avant d’aborder
; 8c , en vous remettant enfuite en marche,
lorfqu’il n’y a plus que peu d’éloignement, allez
à l’ennemi au grand pas, afin de l’étonner 8c de
^intimider par votre contenance : fa furprife & fa
frayeur rendront fes coups moins certains. D’ailleurs
il n’eft pas ff facile de bien ajufter fon coup
fur un objet qui avance vite ; & , quoiqu’il femble
qu’aucun coup ne doive fe perdre contre un ff
grand nombre , on fe trompe : tout coup tiré
trop haut ou trop bas manque toute l’armée.
Diodore , parlant des Grecs de Cyrus le jeune,
au commencement delà bataille contre Artaxerce,
s’exprime ainfi : « Quand les dëux armées furent
à un quart de lieue l’une de l’autre , les Grecs marchèrent
au petit pas ; mais, lorfqu’ils ne furent plus
qu’à la portée de la flèche , ils prirent le pas le plus
vif, comme Cléarque leur chef l’avoit ordonné ; afin
que,n’ayant pris le pas de courfe que de fort près,
ils confervaflent toute l’haleine néceflaire pour combattre
avec vigueur, longtemps après le premier
choc. D’ailieurs ce mouvement dorinoit plus de
force à leurs traits ÔC aux coups de leurs autres
armes. ».
A la bataille de Pharfale-, l’armée de Cæfar
fit une longue marche ppur venir attaquer celle
de Pompée, qui l’attendit de pied-ferme, fe flattant
que les cæfariens arriveroient fatigués 8c en dé--
fordre. Mais , lorfque Cæfar fe vit près des ennemis
, il arrêta fes troupes : 8c , quand il vit
qu’elles étoient fuffifamment repofèes , il les con-
duifit à grand pas contre l’ennemi.
Délimante ; général de l’armée de Tachmas ,
Roi de Perfe , tint la même conduite à la bataille
qu’il gagna contre les Turcs , fous Soliman II.
C’eft peut-être des exemples de Cléarque, 6c
de Cæfar , que l’empereur Léon a tiré la maxime
qu’il exprime ainfi : « Vous jetterez le défordre
dans l’armée ennemie ; fi, faifant garder les rangs à
vos troupes, vous les conduifez d’abord au petit pas:
mais , dès que vous ne ferez plus éloigné des
ennemis qu’à la portée de la flèche, avancez vers
eux à grand pas , vous éviterez d’être blefles par
leurs traits ; & , enfonçant les troupes ennemies ,
vous combattrez avec fureté contre elles. ».
Lorfque les troupes marchent à grand pas pour
la charge , les officiers auront foin de faire ob-
ferver 1e filence ; ils regarderont fouvent fl leurs
compagnies marchent de front avec les autres ,
afin de retenir celles qui font trop avancées , 6c de
faire avancer celles qui font en arrière.
En même temps il faut qu’on entende le bruit de
toutes les cailles , des fifres, des trompettes, & de
touts les autres inftruments : ces bruits animent les
foldats; foit parce que 1’harmonie des inftruments,
occupant l’attention, fait que les hommes penfent
moins au danger ; foit parce que, dans la compofi-
tion des airs de ces bruits de guerre, il y a jene fçais
quoi de martial qui nous frappe 6c qui relève
notre courage. Quinte-Curce rapporte d’Alexandre
que les airs tendres le rendoient mélancolique , 6c
qu’il paroifloit tranfporté d’une nouvelle ardeur
au bruit d’une mufique-guerrière.
Vous pouvez même infpirer par là quelque frayeur
à vos ennemis ; parce qu’ils jugeront de la rélblu-
tion ,du courage, 6c du nombre de vos troupes,
par le grand bruit avec lequel elles viennent les
attaquer. Les anciens , en s’avançant contre leurs
ennemis , jettoient le cri de guerre ,-ôc l’on jugeoit
du plus ou du moins de valeur des troupes , par
l’union 6c la force dont ce cri étoit pouffé.
Les mêmes raifons que j’ai alléguées, pour les
inftruments militaires, me donnent lieu de croire
que les cris de guerre feroient fort utiles dans ces
derniers moments où l’on marche à grand pas
vers les ennemis ; puifque , de ce moment jufi*
qu’à la charge , il n’y a plus d’ordre à donner ,
ni à craindre par conféquent que ce bruit caufe
aucun préjudice ; au contraire ces cris, par lefquels
les troupes s’animent, obligent chaque foldat à
faire ce plus grand effort qu’il conseille aux autres ,
6c qu’il entend que touts les autres lui demandent*
Onofandre confeille de conduire les troupes à
la charge d’un pas impétueux ôc avec de grands
cris , afin que leur contenance 6c le bruit des
armes 6c des trompettes , accompagnés du ion
M m ij