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vous n’abattrez pas fous la cognée les arbres du
pays d’alentour, parce que ces arbres ne font pas
des hommes & ne peuvent augmenter le nombre
de vos ennemis».
E S P I O N S .
Il faut afligner hors du camp des endroits pour
Jes vivandiers , & leur défendre l’entrée du camp ;
afin que les officiers ennemis , traveftis en payfans
qui portent quelque chofe à vendre , ne viennent
.pas le reconnoître.
Cet expédient n’eft pas fuffifant, parce que les
emifïaires des ennemis pourront entrer dans le
camp, en fe déguifant en foldats. Il feroit donc à
propos d’imiter quelquefois Théognide, capitaine
athénien , qui tout- d’un coup mit des gardes pour
empêcher que perfonne ne fortît du camp, & ordonna
enfuite à toutes les troupes de s’afièmbler &
prendre-leurs rangs , afin de découvrir les efpions
qui ne fe joindroient à aucun des corps, ou q u i,
en s’y joignant, feroient reconnus pour étrangers :
par ce moyen Théognide fit arrêter tous les efpions
ennemis.
Si vous voulez mettre cet expédient en pratique,
faites défenfe auparavant qu’aucun étranger
ne s introduife dans le camp , fous peine d’être traité
comme efpion. A l’égard des valets qui doivent
entrer & fiortir fouvent, il fera aifé de reconnoître
s’il y a parmi eux quelqu’un , qui ne foit pas effec-r
fvement domeftique des officiers , ou employé
dans l’artillerie ou dans les vivres, en les renvoyant
aux régiments .ou aux corps dont ils difent être :
mais on né fçaurojt éclaircir la même chofe à l'égard
des vivandiers, fi on les laHTe entrer dans le
camp. Comme il eft important que touts les payfans
du voifinage y apportent des vivres ; lorfqu’ils fe
difent habitants d’un tel lieu, il n’eft pas poffible
de le vérifier 3 & il fe peut même qu’ils difent en
ce point la vérité , & qu’ils foient efpipns ; ainfi
malgré toutes ces précautions , cet expédient
paroît peu efficace, parce que les ennemis pourront
l’éluder, en faifant que leurs efpions fe mettent
valets des officiers , ou qu’ils fervent dans l’artillerie
ou dans les vivres.
Il feroit-indtile d’objeâer que leurs maîtres, ou !
leurs chefs prendront garde s’ils fortent de l’armée I
atix heures pù leur fervice ne demande pas qu’ils ;
y foient, §£ s’ils font afifents long temps , parce que !
les ennemis pourront avoir à une petite diftance !
du camp une perfonne qui fe charge de recevoir I
Ô£ de porter leurs avis.
L ’empereur Léon cçnfejlle, pour découvrir les
efpions qui feront entrés déguifés dans le camp, de
donner un mot du guet à toutes, les troupes ; alors
Jçs officiers , rencontrant dans le camp des hommes
qu’ils ne cojinoiflent pas , leur demanderont le mot
dp guet ; & , s’ils 17e le fçavent pas, c’eit un.e marque
qu’ils ne font pas foldats , mais efpions.
: Pour mettre ce moyen en pratique, il eft nécefV
c A M
faire qu’on ait fait les défenfes dont j’ai parlé, pour
que nui étranger n’entre dans le camp. Il faut aufli
qu’on ait donné le mot du guet aux valets , à ceux
qui fervent dans l’artillerie*, &. dans les vivres, &.
; qu on n’ait pas donné lieu aiix ennemis de prendre
1 des-précautions, en leur montrant trop de foupçon
a 1. égard des elpions ; de crainte qu’ils n’ayent recours
à l’expedient de les taire l'ervir dans quelques
corps de l’armée , & qu’ils ne reçoivent aufli le
mot du guet.
Il fera défendu à toute perfonne d’entrer ou de
fortir par-deffus le retranchement, & on doit avoir
attention à ne paslaiffer contrevenir à cette défenfe.
Outre que les parapets feroient bientôt ruinés, &
‘ les tollés comblés par les ruines , toutes les précautions
propofées jufqu’ici deviendroient inutiles.
-Vous pourrez faire choix de celles qui vous paroî-
tront le plus convenables , félon les occurrences ;
malgré les objections alléguées : il y a des occa-
fions où les expédients dont le fuccès eft le moins
. vrailemblable font les meilleurs , parce que les
ennemis ont moins lieu de s’y attendre.
Un moyen plus facile & plus fur, pour n’être pas
épié dans votre camp, eft d’ordonner expreffément
aux troupes , & principalement aux fèntinelles ÔC
aux gardes, d’arrêter toute perfonne inconnue qu’ils
verront fe promener le long de la ligne, ou s’arrêter
pour confidérer avec une attention particulière
la dïfpofition du camp.
Les foldats que Xicotental envoya déguifés en
payfans , pour reconnoître le camp de Cortès
lbus prétexte d’y porter des vivres à vendre , furent
arrêtés -, &. on découvrit leur deflein ; parce
qu’un .Zempoalen, allié des Efpagnols , remarqua
qu’un de cesTlafcaltèques s’approchoit curieufement
des fortifications & des défenfes du camp-, que Xicotental
vouloit connoître pour tenter une furprife.
Vos officiers & vos foldats auront ordre d’arrêter
tout étranger qui s’informe avec curiofité du nombre
de vos troupes , de la dïfpofition de vos gardes , du
jour qu’on doitfe mettre en marche, aller au fourrage
, recevoir un convoi, &c. Les efpions d’Othon
firent cette faute dans le camp de Vitellius. ( Mcm.
de Santa Cruç y.
C A M P S R E T R A N C H É S .
Les anciens , dit un Auteur célèbre , étoierft
moins expofés aux furprifes que ne font les
modernes : ils fuivirent toujours l’excellente
maxime de fe retrancher dans leurs. camps ..,
lors même qu’ils n’avoient rien à craindre de
l’ennemi , & qu’ils ne dévoient y refter qu’une
nuit, C ’ëtoit moins par crainte que par des raii®ns
très fages. Nous fuivons une autre méthode, moins
par raifon que par coutume. Ce que nous faifons
pour nous .garantir des infultes de l’ennemi eft mille
fois plus ruineux & pins fatiguant pour une armée ,
que fi nous imitions les anciens. Cette multitude
de gardes de cavalerie & d’infanterie., dont nous,
formons
G A M
formons comme une c lu b s au loin & fur tout
le front d une armée : ces polies avancés', ces partis }
qu On envoie à la guerre pour ajouter à ces précau- I
lions, ne fervent dans le fond qu’à nous avertir
quand 1 ennemi n’eft qu’à deux pas de nous. Lorf-
qu on peut eluder les détachements qu’on envoie
aux nouvelle?, le refte ne peut retarder d’un moment
le fuccès de ces enrreprifes’. Ces grandes
gardes qui fe replient fur l'armée-, lorfque l’ennemi
que l’on croyait bien loin , paroît tout-
d un-coup , y portent plus d’épouvante & de con-
tulion qu ils ne la raffinent. Une armée n’étant pas
retranchée, & ne-fe trouvant pas préparée à une
attaque , ne la foupçonnant pas même ; fi l’ennemi
furyient tout~a-coup , elle n’a rien de plus que lui
a '1 égard du terrein, & il a une infinité d’autres
avantages. S’il eft plus fort, il nous déborde ; s’il ‘
en plus foible, nous ne pouvons nous imaginer
? U V *°*£ > car qu’eft-ce que l’opinion ne fait point
a- la guerre? i outs font ce raifonnement ; vien-
droit-il nous attaquer, s’il ne nous furpafloit en
nombre, & s’il n’étoit même plus brave ? Ajoutez '
a cela 1 avantage de la furpriiè, & celui d’être le
premier à attaquer.
Les grandes gardes de cavalerie., qu’on avance
pendant tout le jour fur le front d’une armée, &.
qui fe retirent la nuit aux petites gardqj*du camp ,
e..oient inconnues des anciens. Leur cavalerie étoit
en petit nombre, & quand ils en auroient eu autant
que. nous, ils n’euflent pas moins méprifé ces fortes
de précautions inutiles. _ On n’entreprend jamais
lur une armée en plein jour, lorfqu’il s’agit d’une
lurprife, à moins que'l’on n’ait affaire à un géné-
ral imbécille, ignorant,, & fans précautions. On
choilit toujours la nuit, & on doit attaquer une
heure avant le jour. Ces grandes gardes font donc
inutile?, fi^ elles ne fervent que pour le jour. Les
anciens n’uloient d’autres précautions contre les
iurpriles que de ié retrancher , d’envoyer à la
guerre pour avoir des nouvelles, & la cavalerie
en très petit nombre battoit fans ceffe l’eftrade.
I rois cents chevaux, partagés par petites troupes,
ne font pas moins d’effet que cette chaîne de
gardes qui occupent un dixième de la cavalerie ;
elle ne fatigue pas moins dans ces gardes que fi.
elle courpit la campagne, & ces précautions ne
tiennent pas moins un général en inquiétude & ne
diyifent pas moins fon attention. 11 craint toujours
quon ne les enlève en quelque endroit, comme
cela arrive affez fouvent. Rien ne lui fait plus de
peine ; il n’eft jamais bien tranquille , & fon inquiétude
redouble pendant la nuit. Il n’a jamais
ielprit bien libre , & il faut cependant l’avoir
pour imaginer de bons coups.
, Une armée bien retranchée dans un camp éprouve
beaucoup moins de fatigue : à peine en faut-il un
ymgtieme pour les gardes ; on conferve fa cava-
lerre , &L le general tait fes fourrages fans crainte,
b i, nétant point retranché, il en i peu de fon
c o te , & 1 ennemi beaucoup du fien, celui-ci n’y
Art militaire. Tome i.
C A M 377
in» que peu fouvent, &. l’autre fe verra obligé d'y
courir fans celle. Si le dernier connoît bien fe?
avantages , il ne manquera pas de marcher à
l’autre, & de l’attaquer pendant qu’il eft dénué
d’une partie de fa cavalerie. Mais, lorfqu’on eft
retranché , on fe tient- tranquille dans fon camp.
Malgré cette diftraélion des forces , on n’eft jamais
furpris , & , fi l’ennemi veut tenter quelque entreprise,
on eft en état de fe défendre, & celui-ci
ne peut attaquer qu’à force ouverte.
Un général habile, hardi, ferme , & réfolu, à la
tête d’une armée très inférieure à celle qui lui eft
oppofée, peut par fon courage, par fon adrefle , &
par fa bonne conduite, mener aufli vivement fon
antagonifte que s’il en avoit une très forte. Les petites
armées qui ont de tels généraux-à leur tête
font celles qui font le plus à redouter, & les plus
propres aux entreprifes extraordinaires. Celui qui
ne peut vaincre par la force ouverte, ou s’oppoler
aux deffeins d’un ennemi fupérieur par le nombre
de Fes troupes , trouve toujours des refTources dans
la rufe & dans l’artifice. Rien de plus aifé, St pourtant
rien de moins commun; mais il né doit jamais
oublier cette maxime ; que , dans tout ce qu’on entreprend
de grand & de hardi à la guerre, il faut
moins confidérer la difficulté que l’utilité. Or il eft
certain que, dans les furprifes des camps & des
armées, il y a peu de l’une.& beaucoup de l’autre.
C ’eft ainfi que s’exprime le plus zélé panégyrifte
des anciens, le chevalier Folard, toujours emporté
par fon enthoufiafme au-delà de la vérité. E t ,
comme fon fyftême plaît infiniment aux imaginations
ardentes, il a eu des difciples qui, allant plus
loin que leur maître , auroient voulu que nous prif-
fions en'entier la caftràmétation romaine. J’avoue
que , fi j’avois eu l’honneur de commander en ce
,temps-ci une grande armée, j'aurois vu avec plaifir
le général ennemi renfermant lafiennedâns un camp
de forme grecque ou romaine , me donner les'
moyens de le refferrer, de J’envelopper, d’inquië-ç.
ter fes communications, fes fourrages faits nécef-
fairement plus loin de fon camp, de l’attaquer avec
avantage dans ce re&angle allez bon du temps des
anciens, mais qui feroit aujourd’hui le camp le plus
défectueux que l’on pût prendre., le plus mauvais
retranchement que l’on pût oppofer à nos armes.
Lorfque j’entends faire cette propofition, je m’imagine
toujours voir un général faifant la guerre en
Flandres, & allant renfermer fon armée de place
en place, où elle feroit cependant plus en fûreté que
dans un camp romain. Voilà les erreurs où ce faux
principe que nos armes font méprifables a conduit
un homme eftimable par fes connoiffances, & fait'
pour éclairer les militaires , fi une ardente imagination
n’avoitpas égaré fa raifon. Les officiers qui ont
vu froidement l’effet des armes à feu employées
par de braves gens ne les méprifent certainement
pas.
Il y a fans douté des généraux qui multiplient
trop les gardes-; mais nous en avons vu aufli qui
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