
ioldats & aux officiers que leurs avantages font fi
grands qu il n’eft pas poiîible qu’ils puiffent être
lorçes dans leur pofte , fans, une lâcheté manifefte
& fans une honte éternelle. Tout dépend de leur
faire connoître la force des retranchements en eux-
memes & la difficulté de les franchir. On fera
defcendre un nombre de foldats dans le foffé en
prefence de touts les autres ;io.n leur ordonnera de
le paller, &. de tâcher de monter fur le parapet. Il
leur fera facile pour lors de remarquer la difficulté
de cette befogne : ce qui vaut plus que touts les
rationnements & les harangues du monde , pour
leur faire connoître leurs avantages. Ils appren-
e*P^“ ence combien l’ennemi trouvera
d obltacles à furmonter, lorfqu’on lui réfiftera :
car, il eft difficile de franchir un retranchement
quand on neJe défendroit pas : il l’eft bien plus *
quand on le défend à main armée ; au lieu que les
armes de ceux qui veulent monter les embarraffent,
Si ne leur fervent à rien.
En fuivant cette méthode, les troupes n’ignorent
point leurs avantages & leurs forces :,lors même
Que 1 ennemi a percé en quelques endroits de la
ligne , il n y a rien encore de défefpéré, quoique
aujourd’hui on croie tout perdu : tant l’opinion eft
maîtreffe , lorfqu’on agit fur d’autres principes, que
ceux_que je propofe.^ On verra que l’affaillant n’a
pas beaucoup avancé en fon chemin , lors même
qu’il a furmonté touts les obftaclés, & qu’il s’eft
enfin ouvert un paffage : il faut encore déboucher
par les'ouvertures du retranchement, fe former
en-deçà, toujours dans cette efpèce de défordre
ou Ion fe trouve apres un combat fort, opiniâtre ; \
je ne vois rien de plus difficile à la guerre. L’avantage
eft toujours très grand dans celui qui fe défend
; il peut fans peine obliger le viéforieux de
repaffer au plus vite en l’attaquant brufquement,
fans lui donner le temps de fe former , de profiter
de fon avantage.
La principale attention du général qui voit l’ennemi
dilpofe a 1 infulter dans fes retranchements ,
c’eft d’obferver avec foin l’ordre fur lequel il
marche. Il jugera par-là quelles peuvent être fes
fauffes & fes véritables attaques, & l’on fe règle en
un moment fur ce que l’on voit. Si dans quelques
endroits l’ennemi attaque par colonnes , on doit s’y
foififier plus qu aux autres endroits, vu la pelan-
teur & l’impétuofité de ce corps difficile à rompre ,
& contre lequel il n ’eft pas facile de réfifter. S’il
pénètre une fpis dans cet ordre, l’unique remède
eft de l’attaquer fur un ordre femblable, fans délibérer
Si à l’inftant qu’il a percé. .
Lorfque l’ennemi fera à une certaine diftance ,
pn fera un grand feu de canon à cartouche«?. Quand
il s’approchera du foffé, & fe jettera dedans pour
attaquer le retranchement, ou le comblera • il faut
alors le chauffer autant qu’il fera poffible, l’accabler
de grenades des plus greffes, ôi de petits facs
a poudre, dont on doit avoir bonne provifioni
S ’il s’opiniâtre à paffer, & qu’enfin il gagne le parapét,
on mettra l’arme de main en ufage ; & on-
combattra toujours ferrés & collés contre le para-
^ 0X1 aPperçoit qu’on ne puiffe pas long-temps
relifter , on fera avancer les réferves & les grenadiers,
pour attendre en bon ordre le moment ou
1 ennemi entrera. ■
Les compagnies de grenadiers formeront un
corps a la queue de chaque brigade, ôi ne feront
employés qu’à la dernière extrémité. A l’égard des
reierves, on en ufera de même.
Si Ion sapperçoit que lçs troupes fe rebutent,
que 1 affaire devient fâcheufé, & que l’on eft dans
un danger imminent d’être emporté, une fortie
prompte & fubite par l’endroit oîi l’on n’eft point
attaqué , ou du moins auquel on eft le moins preffé,
peut changer la face du combat. C ’eft, je penfe, le ~
meilleur & l’unique parti qu’on puiffe prendre ,
c etoit la méthode ordinaire des Romains. Ce qu’il
y a de furprenant, c’eft que leurs ennemis s’y
trouvoient toujours nouveaux.
. fortie d’Alexia eft une des plus belles que
Cæfar ait faites. On en trouve plufieurs-autres
dans fes commentaires & dans l’hiftoire j mais on
n y avoit recours qu’à l’extrémité.
Celle de Walftein, attaqué dans fon camp par
Guftave-Adolphe, eft célèbre dans l’hiftoire. Celle
✓ de Malplaquet l’eft encore plus. On la doit uniquement
à la vivacité françoife : elle fe fit fans ordre
aucun general n’y eut part. Si ces braves foldats &
ces officiers déterminés euffent été fuivis , c’étoit &
fait de cette formidable armée, qui s’étoit engagée
dans une entreprife très mal entendue. Mais, comme
nos gens ne furent pas fuivis du refte ; après avoir
défait tout ce qui tenta de leur réfifter, & l ’avoir
pouffe jufqu’à la cavalerie , ils revinrent tranquil-
i lement. Ces forties font un parti que l ’on prend ,
quand on eft réduit à l’extrémité.-Elles manquent
rarement de reuffir : il eft peu ordinaire que celui
qui eft occupé de l’attaque penfe beaucoup à fe
défendre.
Si on ne juge pas à propos de fe fervir de cet
expédient, foit par manque de réfolution, foit par
ignorance, ou qu’on foit attaqué vivement fur tout
le front de la ligne, on fe défendra comme je l’ai
d abord propofe ; & f i , malgré la réfiftance opiniâtre
des troupes, l’ennemi venoit à pénétrer en
quelqu’endroit, & qu’une colonne fe fit jour, on
lui en oppofera promptement une autre ; & on attaquera
dans cet ordre tout ce qui fera entré. Ces
fortes de combats ne fe font pas de loin & à coups
de fufil; ce feroit tout perdre ; mais à coups demàin.
Si-les ennemis font leur principal effort du côté
de la plaine, ou qu’ils attaquent en même-temps ce
cote-là, on fuivra la même méthode à l’égard de
la défenfe ; S i , dès que l’ennemi aura percé en
quelqu’endroit, la cavalerie s’abandonnera fur lui
1 epee en main, pendant que les colonnes le chargeront
par fes flancs.
J ai deux obfervatiofts à faire avant que de '
paffer a l’attaque des armées retranchées.
La prèmière ,eft d’avoir une attention particulière
à la droite & à la gauche, & aux endroits
qui paroiffent les plus impraticables , & o ù ilfemble
que l’ennemi n’a aucun deffein. On doit toujours y
avoir l’oeil : rien ne prête plus à la rufe que les
fituations impraticables en apparence & bizarres,
où l’on peut cacher ôi détourner un corps, de
troupes qui fe porte où l’on s’attend le moins à
être attaqué, ôi où l’on fe croit le plus en fureté.
Il n’y a'pas de meilleur moyen , pour fe garantir de
ces fortes de furprifes ' que de fuivre la méthode
dont j’ai parlé : outre les cavaliers ^démontés , ôi
même les valets de farme^e, on doit y faire porter
de faux drapeaux ; l’ennemi s’imagine alors qu’il y
a beaucoup de monde : il croit qu'on eft averti, Si
perd l’envie de tenter par ces endroits. Bien valut
à Cæfar d’avoir attaqué le camp de Ptolomée par
l’endroit le plus fort, &. par où les Egyptiens s’at-
tendoient le moins à l’être : fans cela fon entreprife
tomboit en ruine. L’exemple mérite d’être
cité.
« Ptolomée , fur l’avis que Cæfar mareboit à
lui pour fe »joindre à Mithridate de Pergame , fe
retrancha fur une montagne, en un pofte très avantageux,
bordé d’un côté par le N i l, & de l’autre
par un marais, de forte qu’il ,n ’y avoit qu’une
avenue du côté de la plaine ; l’autre face du camp
étoit coupée en précipices. On n’y pouvoit aborder
que par deux endroits, l’un du côté de la plaine,
dont l ’accès étoit très facile, mais défendu par le
plus grand nombre des ennemis & les plus vaillants
: l’autre j du côté du N il, par un petit intervalle
entre la rivière ôi le camp ; mais on avoit à
dos leurs vaiffeaux, qui étoient bordés de gens de
trait. Cæfar, voyant avec quelle ardeur fes légions
donnoient de part Si d’autre fans aucun fuccès, ôi
remarquant que la face du camp fur le haut de la
montagne étoit comme abandonnée, à caufe de
l’avantage du lieu, outre que ceux qu’on y avoit
mis pour la défendre, foit par valeur ou par curio-
r fité, étoient defeendus vers le lieu où l’on com-
battoit ; il envoya de ce côté Carfulénus avec des
troupes qui tournèrent la montagne, ôi chargèrent
avec tant de vigueur que ceux des ennemis qui
combattoient de l’autre côté , étonnés du bruit
qu’ils entendoient derrière eux, abandonnèrent la
défenfe pour fe fauver çà & là. Le camp fut donc
forcé de toutes parts prefqu’au même inftant, premièrement
par l’attaque de Carfulénus, brave ôi
expérimenté capitaine ; q u i, s’étant rendu maître
du fommet de la montagne , vint fondre fur les
ennemis, & en fit un grand carnage». Ce que je
viens de dire ici n’eft pas moins ordinaire chez les
modernes ; il y a mille exemples de ces fortes de
rufes : rien n’eft plus commun dans l’attaque des
lignes que de voir que ce qu’on avoit cru le plus
fort eft emporté le premier.
La fécondé cnofe à laquelle on doit avoir attention
eft de bien, imprimer dans l’efprit du foldat
de ne point s’étonner s’il arriyoit que l’ennemi
pénétrât à quelqu’une de fes attaques , mais de
marcher tout aulli-tôt ôi tomber brufquement fur
lui fans tirer un feul coup , pour ne point lui donner
le temps de fe former Si de profiter d’un
avantage qu’il eft aifé de lui enlever par ce coup
de réfolution. 11 fuffit quelquefois que trente ou
quarante hommes paffent en- quelque endroit pour
jetter l’épouvante, & faire croire qu’il en a paffé
un grand nombre. Toute l’hiftoire eft parfemée de
ces fortes d’exemples, fans que cela empêche les
généraux d’armée de fe faire inférer dans le catalogue
de ceux qui ont erré en ces circonftances ;
tant les malheurs d’autrui , quelque grands qu’ils
ayent été à cet égard, les rendent peu prévoyants ,
peu fages, peu avifés, ôi tant leur préemption eft’
grande.
L ’attaque du rocher d* A orne, qu’Arrien rapporte
dans la vie d’Alexandre, eft un des. plus
beaux endroits de fon hiftoire. Je fupprime un
grand nombre d’autres exemples de ce genre, &
n’en citerai qu’un feul de nos jours, que plufieurs
de ceux qui fe font trouvés à l’aâion de Turin
en 1706 ignorent peut-être encore.
L’armée ennemie nous ayant attaqué du côté
de la Doire dans nos lignes , qui ne valurent jamais
rien, on envoya peu de monde pour les
défendre ; parce qu’on s’attendôit que M. d’Alber-
gotti, qui commandoit fur la hauteur des Capucins,
y enverroit du moins vingt bataillons, puifqu’il
en avoit vingt-cinq de plus qu’il ne lui en fallo.it
pour fe défendre contre des gens qui n’avoient
garde de l’attaquer. On fe trompa ; il crut qu’on
lui en vouloit. Les ennemis qui n’y pensèrent pas
ôi qui ne pouvoient jamais aller à lu i , le Pô
étant entre deux, attaquèrent nos retranchements
au-delà de la rivière & tout-à-fait à la droite , ou
étoit la brigade de la vieille marine. Cet endroit
étoit fi peu .garni, que cette brigade fut obligée
de border la ligne fur deux de hauteur contre
toute une armée./Ce fut en vain qu’on demanda
du fecours aux trompes qui étoient fur la hauteur
des capucins ; leur général fut fourd. M. le prince
Eugène fit attaquer tout ce front & y fut repouffé 4
mais ce prince, qui fe rebutoit difficilement, ÔC
dont le coup-d’oeil étoit admirable, remarqua un
endroit tout-a-Tait a la droite , où il n’y avoit
qu’une compagnie de grenadiers; il.v it de plus
qu’on pouvoit y aller à couvert d’un rideau de
terre, pendant qu’il occupoit toute cette droite.
Il tenta l’ouverture, y fit marcher quelque cinquante
hommes , qui entrèrent par cet endroit.
On s’imagina d’abord qu’il en étoit entré un plus
grand nombre ; de forte que ce pofte, qu’on ne
pouvoit d’ailleurs foutenir, à caufe' d’un gros qui
fuivoit, fut emporté ; ce qui jetta l’épouvante partout
, ôi ne feroit pas moins arrivé à caufe de
notre foibleffe. Si celui qui commandoit au pofte
des capucins eût envoyé les vingt bataillons que
feu fon alteffe royale lui demandoit, cette entreprife
des ennemis fur nos lignes échouoit infail