
Monfieur au centre de l’infanterie j & M. de
Luxembourg à la gauche , firent abandonner les
bords du ruiffeau aux troupes qui le gardoient, &
tout le front le paffa prefque en même temps.
L ’ennemi abandonna fon champ dq bataille, qui
é toit, comme je l’aî déjà d it, fur ce terrein élevé
au-delà du ruiffeau, &.fut pourfuivi jufqu’au-delà
de Gaffel.
Par ce récit du mouvement de notre droite fait
m a l-à - propos, on apprendra q ue , lorfqu’entre
deux armées qui veulent combattre, le front n’eft
pas extrêmement libre & dégagé ; il ne faut aborder
l’endroit du front qui n’eft pas libre qu’éga-
lement & en même temps que Ton aborde le
front libre ; parce qu’il faut que le fuccès de la
charge qui fe fait contre le front libre , mette
l’armée en état de profiter du terrein libre qui
lui a été abandonné par l’ennemi, foit en s’étendant
pour n’être plus obligé d’attaquer cette partie difficile
du front, foit pour tourner ou prendre en
flanc l’ennemi , trop bien pofté pour pouvoir
être attaqué de front.
Ainfi ce fut une grande faute à M. le maréchal
d’Humières , d’avoir par impatience engagé fon
aile droite, avant que le centre & la gauche fuf-
fent en état de l'outenir la droite, dont une partie
avoit paffé le ruiffeau fur un pont, & fe trouvoit
ainfi féparée de l’armée, avant que la ligne fût
affez formée pour faire un effort égal par tout le
front. La faute que fit M. le prince d’Orange, &
qui décida du gain de la bataille, fut fa mauvaife
difpofition.
J’ai dit que le terrein du côté de l’ennemi s’éle-
voit en s’éloignant du ruiffeau, qui étoit ça & là,
plus ou moins bordé de haies. M. le prince d’Orange
, qui venoit dans le deffein de donner une
bataille pour fecourir une place , devoit donc la
donner & non pas la recevoir. Il falloit que fa difpofition
fût telle qu’elle le mît en état de faire
de grands efforts pour paffer le ruiffeau , & ne fe
pas contenter de le garder ôc d’empêcher que
l ’armée du roi ne le pafsât.
C ’eft ainfi que la raifon vouloit qu’il agit. ]
Cependant il prit un parti différent, qui le fit battre.
Sa première ligne étoit à mi-côte de ce terrein
qui s’élevoit ; de forte qu’il ne foutenoit le bord
du ruiffeau que par des troupes détachées de fa
première ligne ; q u i, dès qu’elles furent forcées
au bord de ce ruiffeau, ne fe trouvèrent plus en
état de fe replacer dans les vuides de la première
ligne. Celle - ci fe trouva chargée par tout
le front de farinée , qui s’étoit formée de l’autre
côté du ruiffeau , dès qu’elle en eut éloigné ces
troupes détachées , &• qui' étoit fouteftue de la
fécondé ligne, qui s’étoit avancée fur le ruiffeau.
Ainfi la première ligne de l’ennemi, ayant perdu
du terrein, donna le moyen à notre, fécondé
ligne de paffer le ruiffeau.
Nos deux lignes paffées marchèrent à la fe-*
çonde ligne des ennemis, q u i, pour fe conferver
inutilement la fupériorité du terrein ÿ étoit trop
éloignée de la première, & ne lui avoit pas même
laiffé un terrein propie à fe reformer derrière
e lle , pendant qu’elle foutiendroit la marche de
nos deux lignes.
Ainfi les troupes de la première ligne, ne
trouvant point de terrein favorable derrière la
fécondé pour fe mettre en bataille , continuèrent
leur fuite : ce qui rendit la charge que la fécondé
ligne .fe préparoit de faire inutile à tenter , &
communiqua le défordre & la fuite dans toute
l’armée.
Avant la bataille , M. de Luxembourg s’apper-
çut que M. le prince d’Orange ne s’étoit mis dans
les difpofitions dont je viens de parler que pour
cacher la vue d’un mouvement que ce prince
vouloit faire à fa droite pour gagner le fort de
Warté au-deffus de Saint-Omer : ce qui lui auroit
procuré le fecours de la place. C e fut ce deffein,
| que M. de Luxembourg pénétra, qui obligea d’en-
I gager promptement le combat par notre gauche
& au centre ; fans quoi M. le prince d’ûrange
feroit parvenu à fecourir Saint - Orner fans combattre.
B A T A I L L E D E S A I N T - D E N Y S .
L’année 1678 me fournit l’exemple delà bataille
de Saint - Denys, qui n’a eu ce nom que parce
qu’effeéiivement les deux armées étoient en bataille
v is - à - v is l’une de l’autre : dans le fond ce ne fut
qu’un gros combat à l ’Abbaye de Saint-Denys &.
auprès de la ferme de Cafteau.
• Les deux armées ne furent pendant tout le jour
que fpe&atrices du combat, parce qu’il étoit im-
pofîible qu’elles puffent engager une affaire générale
; en étant empêchées pat le ruiffeau de Saint-
Denys , qui coule entre deux hauteurs qui ne
I laiffent qu’un fond étroit , & font inabordables
prefque par-tout.
On a cru avec quelque apparence de vérité
que les Efpagnols avoient porté M. le prince
d’Orange , chagrin de la paix en fon particulier „
à chercher dans un événement heureux le moyen de
troubler celle que les Hollandois venoient de ligner
à Nimégue avec la France , avant que les plénipotentiaires
dEfpagne euffent accédé au traité*
On affure que ce prince, avant que de commencer
le combat , fçavoît que la paix étoit fignée : ce
qui eft fort vraifemblable , püifque M. de Luxembourg
en avoit eu l’avis .par M. d’Eftrades, & que
M. le maréchal d’Eftrades, premier plénipotentiaire
du roi au congrès de Nimégue , qui port'oit le
traité au ro i, le lui avoit écrit en paffant à Char-
leroi. Si le deffein de troubler la paix porta M. le
prince d’Orange à chercher les moyens d’engager
une affaire générale , on peut dire qu’il ne s’y prit
pas en général habile.
Par ce que je viens de dire de la fituation des
deux armées, il eft aifé de juger qu’il étoit abfo-
Liment impoflible qu’elles en puffent venir à une
aftion générale, quand même elles l’auroient fou-
bairé toutes deux : aucune des deux armées n’anroit
voulu perdre l’avantage de fon pofté, pour aller
en défilant chercher Ion ennemi, qu’elle auroit
trouvé pofté fur le bord de la hauteur , au fond de
laquelle paffoit le -ruiffeau de Saint-Denys, qui
féparoit les hauteurs fur lefquelles les deux armées
étoient en bataille.
Ainfi M. le prince d’Orange ne pouvoit efpérer
d’engager une affaire générale, capable par fa réuf-
fite de rompre une paix qui venoit d’être fignée.
Quand même ce prince feroit parvenu à dépofter
totalement la partie des troupes qui étoit placée
en deçà du ruiffeau du côté de Saint-Denys , &
celle qui gardoit le défilé du côté du moulin ,
qui étoit dans le fond au-deffoys de la ferme de
Cafteau ; il lui auroit été impoflible , quoique
maître du fond de ces deux défilés, d’en fortir
du côté de la hauteur, fur laquelle l’armée du roi
étoit en bataille, & d’oii elle protégeoit l’infanterie
qui foutenoit le combat fur le bord du ruiffeau.
Aufli ne lui fut-il jamais poflible de dépofter cette
infanterie , ni de lui faire perdre un pied du terrein
qu’elle avoit à garder.
Ce fut donc une faute confidérable à M. le prince
d ’Orange de faire périr un grand nombre d’hommes
poü’r engager une affaire générale , fur un terrein qui
n ’étoit pas fufceptible d’une aéfion de cette efpèce.
Des gens plus favorables à M. le prince d’O-
•range, & qui ont voulu blâmer M. le maréchal de
Luxembourg d’avoir mis fon quartier dans l’Abbaye
de Saint - Denys féparée de l’armée par le
ruiffeau , ont dit que M. le prince d’Orange s’étoit
approché de l'armée du ro i , non dans le deffein
de troubler la paix par un combat, de quelque
manière qu’il pût être engagé , mais dans la feule
.vue de faire lever le blocus de Mons.
Il eft aifé de faire fentir le faux de ce projet attribué
au princé ;en voici les raifons. M. de M ontai,
avec un corps confidérable , formoit depuis longtemps
le blocus de Mons , par des quartiers pris
-autour de cette place, & M. de Luxembourg avoit
ordre de protéger ce blocus avec l’armée qu’il
commandoit. Ainfi l’on voit que M. le prince
d’Orange devoit compter que, dès que fon armée
s’approcheroit de Mons , M. de Luxembourg s’ap-
procheroit aufli des troupes qui formoient le blocus,
pour le protéger.
Ces mouvements venoient d’être faits. M. le
prince d’Orange étoit venu camper à Soignies ,
& M. de Luxembourg fur les bruïères de Cafteau.
Lorfque M. le prince d’Orange marcha de Soignies
pour s’approcher de l’armée du ro i, il paffa
par le Roeux & déboucha dans la plaine qui eft
entre le moulin du Rceux & l’Abbaye de Saint-
Denys : ainfi il avoit d’un côté la Haifne entre fon
armée & celle du blocus , & le ruiffeau de Saint-
Denys entre fon armée 8t celle de M. de Luxembourg.
Par conféquent fa marche ne regardoit pas l e .
deffein de faire lever le blocus de Mons par une
affaire générale, qui ne pouvbit jamais être engagée
que du côté des plaines de Binche , &
après avoir paffé la- Haifne hors de portée de
Tannée du roi. Ainfi donc le deffein de M. le
prince d’Orange , en attaquant l’abbaye de Saint-
Denys, ne pouvoit avoir .pour objet la levée du
blocus de Mons ni une affaire générale.
Il eft vrai que M. de Luxembourg,-en prenant
fon logement &c en mettant fon quartier général
dans Saint-Denys de la même manière dont je l’ai
dit ci-deffus , avoit agi en cela contre les règles
que j’ai moi - même données pour la fureté du
quartier général de l’armée ; & il pourroit être
accufé d’imprudence dans cette occafion , s’il étoit
vrai que M. le prince d'Orange eût enlevé fou
quartier.
Mais , fuppofé même que , lorfque l’ennemi déboucha
dans la plaine au-deffous de l’abbaye , il
eût vu les tentes des troupes qui campoient au-
deffus de cette abbaye, & que , fçachant ce corps
féparé de l'armée par le ruiffeau, le deffein de
M. le prince d’Orange eut été de battre ce corps
ainfi féparé ; ce deffein devoit s’évanouir a l’approche
de ce camp qui avoit été levé par Tordre
de M. de Luxembourg, & fon quartier retiré dès
que les premières troupes de l’ennemi commencèrent
à fortir du défilé du Roeux.
Il eft d’une vérité confiante qu’il y avoit au
moins quatre heures que ce camp , qui couvroit
le quartier général, étoit détendu , & que tout
étoit repaffe en dedans du ruiffeau , lorfque le
combat commença : ce que l’ennemi ne pouvoit
ignorer , puifque ce mouvement s’étoit fait à fa
vue & en plein jour. Je puis d’autant mieux affurer
cette vérité que c’étoit moi qui commandois ce
camp féparé de l’armée pour couvrir le quartier
général, & qui foutins le combat à Tabbaye de
Saint-Denys.
Ainfi on peut dire que le combat de Saint-
Denys n’a eu de raifon que celle du chagrin que
M. le prince d’Orange avoit de voir la paix faite
dans un temps où il fouhaitoit la continuation de
la guerre, & que le deffein de troubler cette paix
par un événement qui ne pouvoit pourtant produire
aucune décifion dans les circonftances préfentes
, & fur-tout de la manière que ce Prince
cherchoit à le procurer. En effet, il eft encore
vrai que , quand même M. de Luxembourg auroit
laiffé ce corps au-delà du ruiffeau , & qu’il eût
été entièrement détruit par l’ennemi, cet avantage
ne lui auroit produit que la ruine de cinq
bataillons, & d’un régiment de dragons le jour
de la paix, & ne pouvoit jamais conduire le prince
à une aéfion générale , ni même à la petite gloire
d’avoir fait lever le blocus de Mons.
B A T A I L L E D E F L E U R U S .
L ’année 1690 me fournira des réflexions fur les
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