
par le confeil & les préceptes. Les jeunes militaires
auroient pour objet cette efpèce de gloire
à la fin de leur carrière. Ils travailleroient à s’en
rendre dignes , ainfi qu’à mériter les prix pro-
poies par Xacadémie* Combien de fautes prévien-
d ro it, combien de vices étouffer oit l’application
continue que produiroit cette émulation ? Combien
de vertus devroient leur développement au
defir confiant de fe rendre utile , à la réflexion &
à l’exercice du jugement , q u i, n’ayant pas cette
puiffante reffource , font prefque anéanties par
l’oifiveté , & par de pernicieux exemples ?
Si les écoles établies par les Grecs, où un feul
homme enfeignoit la théorie de Xan militaire ,
eurent d’heureux effets ; fi Alexandre y puiia les
principes de ce grand a r t, dont il étendit fi loin
les limites , & q u i, prefque au fortir de fon enfance
, le rendirent capable de conquérir un vafle
empire : que feroient les lumières d’un corps entier
, l’élite des militaires de la nation q u i, après
avoir confirmé la théorie par leur expérience ,
établiroient les vrais principes de leur art. Nous
n’y parviendrons peut-être jamais que par les
travaux d’une pareille fociété. Si fon établilfement
avoit précédé cet ouvrage, il feroitfait, il feroit
b on , il feroit à jamais utile. Eh ! que puis-je ,
moi feul, dans une carrière fi vafle ? En marquer
tout au plus les points principaux , comme un
voyageur défigne ceux de fa route. Quelques
auteurs ont écrit avec fuccès fur différentes parties
de l’art militaire : mais que d’objets refient à
examiner , de détails à difcuter , de parties nouvelles
à expofer, avant qu’on puiffe former un
enfemble complet, & pofer des principes1 sûrs
& invariables. La milice des anciens a les parti-
fans &. fes détraéleurs , prefque tp.uts enthoufiafles ,
éloignés du vrai ; parc,e que l’enthoufiafme marche
toujours avec impétuofité bien loin devant la rai-
fo n , feul guide certain de l’homqie. Il faudroit
©bferver de plus près ce que cette milice a d’excellent
, & ce que nous pouvons en approprier
à la nôtre ; ce qu’elle avoit de particulier au génie
national, à la conflitution politique , au temps ,
aux lieux, & aux peuples avec lefquels les anciens
Grecs & Romains failoient la guerre, ce qui ne
peut plus convenir à notre génie , à nos gouvernements
& à nos ufages ; quel feroit le degré de
civilisation , d’efprit, & de connoiffance d’une
nation à laquelle cette ancienne milice conviendrôit
mieux qu’à la nôtre, & dans quelles circonflances
on pourroit l’adopter ou la confeiller utilement.
Ces queflions ne peuvent être réfolues que d’après
un examen très approfondi de toutes les parties
de la milice & de l’économie politique Grecque &
Romaine ; difcufîion qui n’a point été faite : une
académie en efl feule capable.
Les anciens auteurs militaires ne font point traduits
avec l’exaélitude néceffaire dans les arts. La
plupart de ceux qui ont tenté d’éclaircir les textes,
ont parlé, en fait de guerre, d’une matière qu’ils
n’entendoient pas. Les militaires qui ont entrepris
ce travail, n’ont pas toujours bien entendu le
texte : on doute quelquefois fi leurs traductions
lont en effet des copies de l'original. Prefque toute
cette partie efl encore à faire. L’hifloire militaire
des anciens n’efl point éclaircie. Les traductions
faites par des hommes de lettres qui ne connoif-
foient point l’art de la guerre , altèrent fréquemment
le récit des opérations. Ainfi les militaires
qui n’entendent point les originaux, tirent moins
d’inflruClion de-l’hifloire ancienne qu’elle ne peut
leur en fournir. Quelques officiers ont publié des
travaux utiles en ce genre ; mais, dans ces ouvrages
, d’ailleurs très eflimables , on n’a que le
fentiment d’un feul homme ; &. fes lumières, quelles
qu’elles foient, n.e font pas comparables à celles
d’un corps entier.
On peut dire la même chofe de l’hifloire moderne
; fouvent les faits militaires y font défigurés,
mutilés , omis, tronqués, de forte qu’il efl impof-
fible à l’attention la- plus entière &. à l’application
la plus parfaite d’en tirer de l’inflruClion. Il feroit
donc néceffaire de recourir aux originaux, aux
mémoires anciens , aux détails particuliers des
guerres & des* adions, de les comparer, de les
difcuter, &. d’en former des matériaùx pour une
hifloire militaire , générale & particulière de la
France &. des pays etrangers. On a quelques morceaux
d’hilloire moderne, écrite par des militaires
; ceux-là feuls peuvent inflruire fur l’art de
la guerre : mais ils font en petit nombre ; & fi l’on
confidère toute l’étendue de ce travail, on conviendra
qu’il ne peut être fait que par une fociété.
De plus, comme les membres d’une académie s’éclairent
fingulièrement par la communication des
lumières, ce-n’efl. que dans le fein d’un tel corps
qu’il fe peut former des hommes capables de ces
grands ouvrages que je viens de propofer.
La perfeélion de l'art militaire feroit le but de
fes travaux. Divifée en plufieurs claffes dont les
études concourroient au même objet, chacune
d’elles fentiroit mieux ce que chaque partie efl
à l’enfemble, & comment elle peut être perfectionnée
relativement aux autres parties, & à l’appui
qu’elle en reçoit & qu’elle leur donne. Cette fociété
aurait des correfpondances dans nos provinces,
& principalement fur les frontières, pour
en acquérir la connoiffance la plus parfaite qu’il
feroit poffible : elle pourroit même avoir des membres
affez jeunes pour les y envoyer. Ils y étudie
roient la topographie, les paffages, les pofles,
les défilés qu’on pourroit défendre, la meilleure
manière de les fortifier, les endroits où l’on peut
former des magafins, les productions du pay s ,
les chemins, tout enfin ce qui efl relatif à l’art.
Sur le rapport de leurs travaux la compagnie en
décideroit l’emploi.
Je ne peux que préfenter ici fur ce grand objet
des vues très générales & un Ample apperçu de
fes avantages ; l’établiffement de cette académie
AC A
les feroit bientôt voir & en découvriroit plufieurs
autres. Elle auroit une utilité très étendue comme
militaire, & elle en auroit auffi Comme compagnie
fçavante. J’ofe dire qu’elle manque dans le royaume
aux autres établiffements de ce genre, & particulièrement
à ceux dont l’hifloire efl le principal objet.
Cette partie des connoiffances humaines, com-
pofée malheureufement prefque en entier de récits
de guerres & de batailles, efl encore informe à
cet égard, & né peut être portée à fa perfeélion
qu’en y faifant concourir les lumières & les talents
des hommes de lettres & des militaires.
Je vais joindre à ces raifons le fentiment d’un
officier général diflingué par fes connoiffances.
M. le comte de Beaufobre, dans fon écrit furi’uti-
lité d’une école & d’une académie militaire, s’exprime
en ces termes :
' « Son utilité feroit de touts les temps & de touts
les jours ; la paix feroit auffi laborieufe pour elle
que la guerre : chacun des fçavants qui la compo-
fèroient, cultivant & perfectionnant fans ceffe la
partie de la fcience de la guerre fur laquelle il a
le plus d’expérience , le monarque ( ainfi que fes
officiers ) auroit continuellement fous fa main un
magalin immenfe d’obfervations & de mémoires
dans lefquels il trouveroit démontrées & def-
finées toutes les opérations inflruélives des grands
militaires, dans le détail le plus grand & le plus
exaél, touts les problèmes militaires ( énoncés &
refolus ) ; touts les plans d’offenfive qui peuvent
être exécutés contre nos frontières ; touts les plans
de.défènfive dont elles font fufceptibles; les diver-
fions qu il peut faire & celles que fes ennemis peuvent
tenter contre lui : les différentes marches qui
peuvent être employées pour ces objets ; les pofles
ex les camps a lkifir pour dominer les provinces
étrangères ; la difpofition des quartiers que l’on
peut y prendre ; les inondations naturelles'; celles
que 1 art y peut former ; les paffages permanents
oc accidentels des rivières;-la nature des mon-
tagnes, des bois , des marais, des ruiffeaux ; l’état
- P,*5ces> des châteaux, des forts, des camps
qui défendent les pays ennemis l’état économique
de leurs provinces , ce que chacune, peut fournir
en vivres ; artifans, pionniers, charrois, contributions,
&c. ; les chofes dont elles manquent & dont
elles ont un befoin journalier ; les routes connues
. cellef qu’on y peut ouvrir ; l’une & l’autre tac-
tique, 1 une & l’autre fortification ; les manoeuvres
de 1 artilleræ & de la marine ; enfin toutes les ccn-
noiüances néceffaires au fuceès des armes du roi y
eroient perfeélionnées méthodiquement ; chaque
ouvrage y feroit lu , examiné, difeuté, corrigé;
touts y feroient places comme en un dépôt facré
pour iervir au befoin. r
Une telle académie produiroit fes effets dans la
proporuon que les autres ont produit les leurs,
roient m ” COr? P3"06 que touts P membres n’aubîèntAtq
f T 6/ " 6" “ P°Ur bientôt faiû principes oéblé)emt’e nquta’iilrse esn, &au rqouie’nilst
A C A x t
auroient touts la géométrie & l’expérience néceffaire
pour pofer les fondements d’une théorie démontrée.
D i r a - t - o n qu’il en feroit de cette académie
comme des autres ; que le monarque qui l’auroit
fondée ne :profiteroit pas long-temps feul de fes
avantages ; que touts les fouverains en fonderaient
enfuite de pareilles dont les effets deviendraient
les mêmes ? Pour détruire cette objeélion, il ne
faut que fe rappeller les grands avantages qu’ont
eu les états qui ont été les premiers .à cultiver les
fciences fur ceux qui les ignoraient encore.........
Les avantages de l’habileté., lors même qu’elle ne
fait que devancer celle de l’ennemi, n’en font pas
moins permanents.....Pour les perdre, il faudroit....
négliger les connoiffances qui les ont fait acquérir.
En les cultivant toujours avec le même foin, l’avance
efl un droit d’aîneffe qui ne fe perd pas ,
& ce droit influe bien plus dans les fuccès de la
guerre, qui multiplient nos forces & diminuent
celles de l’ennemi , que dans ceux des autres
fciences.
Sans une telle académie la fcience de la guerre
fera toujours au berceau, toujours flottante entre
les opinipns, jamais fondée fur des principes démontrés.....
Combien ne faut-il pas d’obfervàtions
méthodiquement faites pour établir des règles fur
un fi grand nombre de combinaifons & d’opérations
? Un. grand homme, quelqu’appliqué qu’il
puiffe être, ne peut jamais, pour remplir cet objet,
avoir fait affez d’expériences à la guerre ,. où elles
font infinies par les variétés feules d u jo c a l, &
où fouvent l’obfervateur efl mis hors d’état d’en
faire une fécondé. Pour cet amas prodigieux de
matériaux militaires , il n’y a qu’une académie protégée
du prince , qui puiffe réuffir à le faire, à le
préparer, à le mettre en forme ; ni les lumières , ni
les foins, ni les facultés, ni la vie d’un particulier
ne peuvent y fuffire.
J’en appelle aux fouverains & aux généraux de
toutes les nations. Quelle confufion d’opinions di-
verfes, lorfqu’à la rupture- de la paix le monarque
affemble'fon confeil pour établir le plan de guerre ;
ce plan dont le début efl prefque toujours décifif,
& qu’on reflreint d’ordinaire au fnnple plan de
campagne, quoiqu’il en embraffe plufieurs. Quelle
confufion d’opinions, lorfque dans une conjoncture
critique un général affemble un confeil de
guerre.....Quelle efl la caufe de ce vuide ? L’ignorance
des connoiffances néceffaires aux diverfes
opérations de la guerre, dont la théorie doit fans
ceffe être liée à l’expérience : fans ces connoiffances
, ce qu’on appelle expérience n’étant qu’une
routine aveugle, le prétendu expert efl embarrafle
devant chaque nouvel objet.
Une académie militaire peut feule relever un
état de ce défaut. Touts les officiers qui feroient
à portée d’y entrer, & ceux qui la compoferoient
feroient capables de raifonner judicieufement fur
le cas propofé, & de fentir les démonflrations de
B i j