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comprendra aifément le but de la manoeuvre d A - «
lexandre , mais un autre ne s’en appercevra pas. I
L ’Auteur veut dire, fans doute, qu’il fit une conver- I
fion'; que le flanc de fa phalange , qui etoit -moins t
étendu, devint tout-à-coup le tront, & que, marchant
ainfi par fon. flanc, la cavalerie dut fuivre a
la queue de cette maffe épouvantable d infanterie.
J’avoue qu’il ne me paroît pas poffible d’interpréter
de la fortê le texte d’Arrien. Je viens de l’expofer
tel qu’il eft : on y voit en propres- termes que la
première difpofition faite ,par Alexandre , fut ae
mettre fa phalange à cent-vingt de hauteur : d ou
il fuit qu’elle eut alors néceffairement le flanc plùs
étendu que le front; car elle ne paffoit certainement
pas douze mille hommes; & , félon toute,apparence
, elle étoit beaucoup moindre. Il n efl donc
queftion 4à, ni de converfion, ni de marche par le
flanc , en tant que plus étroit que le front.
V o ic i , ce me femble, comment la manoeuvre
de ce prince peut être expliquée. Les mouvements j
divers que fes troupes exécutèrent par leur droite ;
& par leur gauche , -prouve que le terrein avoit en
cet endroit quelque largeur ; il devoit diminuer en-
fuite. infenfiblement juiques à ce défilé quilfalloit
palier. Mais , pour y trouver moins de refiftancet
Alexandre ne fit pas front dire&ement de ce coté-
là , afin que l’ennemi , croyant qu’il attaquerait
dans le même ordre qu’il s’étoit formé , portât vis-
à-vis de lui fes plus grandes forces. Pour divifer
encore plus l’attention des barbares , & mieux cacher
fa véritable'attaque , il feignit d’en tenter deux
.en même-temps par chaque flanc , la cavalerie ôt
la demie phalange de la droite ay ant fait a-droite,
ôc toute la gauche à-gauche ; mais, lorfquil jugea
îe moment tavorable , la cavalerie^s- arrêta 4 les
deux demies phalanges fe réunirent par la tete , ôt
formant le c o in fe jettèrent rapidement fur leur
droite dans le terrein qui conduifoit au défilé ; o u ,
tombant fur les Taulentiens avec lé poids énorme
d’une maffe conderifée , dont toutes les parties, en
vertu de l’obliquité des faces du c o in > contribuoient
également à multiplier l’impulfion des premiers
rangs , le paffage fut forcé prefque auffi-tôt qu’atr
taqué. En fuppofant une colonne dans la circonf-
îance dont il s’agit, la partie de cette colonne proportionnée
à l’entrée du défilé , n’auroit raflemble
que l’effort de quatre files , ou de quatre cents
quatre-vingts hommes tandis quun nombre bien
plus^confidérable pouvoit à la fois pouffer la tete
du c o in , ôt le faire agir. Arrien dit auffi que , dans
le combat du Granique, Alexandre s’avança contre
Mithridate , gendre de Darius , à la tête d’une
troupe de cavalerie formée en c o in ; ôt qu’à la
bataille d’Arbelles, le même prince ^ voyant la
phalange des Perfes entrouverte, fe précipita dans
cette ouverture à la tête d’un corps ordonné de
même en c o i n , compofé de cavalerie & d’infanterie
3 ce qui vraifemblablement lignifie qu’elles
firent chacune féparément leur attaque dans cette
jdifpofitiQn».
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Un autre paffage célèbre a reçu des explications
dire&ement oppolées. Soit obfcurité dans les termes,
foit défaut de lumières fur de certains faits , chacun
les interprète fuivant fes fentiments, ou fon préjugé.
On a cru découvrir le c o in dans la tete de
porc dont parle Ammien Marcellin ; ôt le chevalier
Folard, qui n’y voit qu’un corps fur beaucoup de
profondeur, & peu de front, prétend fe fervir de
cet endroit p o u r f é p a r e r c e t te tê te d e f o n co rp s .
Les Limigantes , feignant d’obéir a l’Empereur
Conftailce, pafsèrent le Danube , ôt fe rendirent
auprès de ce prince , comme s’ils euffent ete prêts
.à exécuter fes ordres. Mais, loin de donner en fa
préfence des marques de repentir & defoumiffion *
I leurs crisôt leurs murmures firent bien-tôt connoitre
i qu’ils refpiroient toujours la défobeiffance ôt la révolté.
La raifon vouloit qu’on usât de. précaution
avec des traîtres. Infenfiblement les Romains, fans
être apperçus, fe divisèrent en plufieurs- pelotons ,
& enveloppèrent les barbares ; mais ceux-ci, après
plufieurs prières mêlées de menace ôt de fureur,
fe réuniffant tout-à-coup en un gros extrêmement
ferré , ôt pouffant des cris affreux, tentèrent de fe
faire jour à travers les gardes , jufqu’à la. perfonne
de l’empereur. « Ce gros, ajoute l’hiftorien, fe ter-
minoit' par un front très étroit, Ôt les foldats appellent
cet ordre une tê te d e p o r c . ». L’expreffion
latine n’eft point équivpque ; elle défigne pofiti-
vement un corps dont la largeur diminue de la bafe
au fommet. Dira-t-on d’un corps terminé par deux
furfaces également étendues, qu’il eft étroit par
l’une de ces extrémités ? La tête de porc n’etoit donc
pas une colonne , mais un trapère vide , c eft-a-
dire le c o in d’Ælien. L ’auteur, avant de donner le
nom de ca p u t p o r c i à la troupe des Limigantes r
l’appelle a c i e s d en fio r : on pourroit en conclure que
les exprelîions a c te s d enfio r ôt cu n e u s .. font quelque^
fois employées l’une pour l’autre ôt cela confirme
ce que nous avons déjà dit, que l’ufage d appliquer
le mot c u n e u s à une troupe combattant a rangs ôt
à files ferrés ne s’eft introduit que parce que le c o in
1 étoit de toutes les évolutions- celle où les rangs
étoient le plus ferrés.
Le texte d’Agathias, plus fort que-les précédents*
nous préfente dans la bataille du Cafilin une arme©
entière formant un-véritable c o i n , un c o in ferablabl©
en grand à celui d’Ælien. *
L’armée des Francs , dit cet auteur, ordonné©
en c o in , avoit la figure d’un triangle , ou du d e lta
des Grecs: elle formoitune maffe épaiffe , eonden-
fé e , toute couverte de boucliers ; Ôt q u i, diminuant
infenfiblement depuis fa bafe> ne préfentoit
plus par fa partie antérieure qu!un front affez étroit ;
on eût dit une tê te d e p o r c : fes ailes, qui s allon-
geoient en arrière comme deux jambes , formoient
deux corps dont toutes les parties étoient étroitement
unies ôt ferrées dans toute leur profondeur«
■. Elles s’écartoient peu à peu l’une de l’autre ; &
finiffoient par laiffer entre elles un fort grand inter-
I valle ; eaforte qu’on y voÿoit à découvert le?
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ëpjfbles oppofées des foldats : car ceux des deux
ailes le tournoient mutuellement le dos en combattant
, parce qu’elles fe trouvoient en quelque forte
défendues par leur mutuellé oppolition.
Narsès employa, contre les Francs , la même
difpofition qu’Ælien oppofe à une troupe dont
l’ordonnance efl: femblable à la précédente. Ayant
replié fes ailes en forme de bras, fur le front de
fa ligne , la cavalerie Romaine vint de la droite ôt
de la gauche fondre à la fois fur les flancs ôt l’arrière
des Francs, ôt les accabla de traits ôt de
flèches. E» même-temps l’infanterie les attaquoit
en tête ,; de manière qu’étant environné de toutes
parts , ôt combattant d’ailleurs avec des armes très
défavantageufes, leur réfiftance fut inutile ; il en
fut fait un carnage horrible. Touts y périrent, dit
l ’auteur, à l’exception de cinq hommes.
Cette foule de raifons, d’exemples, ôt d’autorités ,
qui conftatent la réalité d’un c o in triangulaire , concourent
auffi à lui attribuer les-mêmes propriétés.,
qu’Ælien ôt Yégèce : preuve que le jugement qu’en
ont porté ces auteurs , étoit appuyé lur une longue
expérience , ôt fur le témoignage, pour ainfi-dire ,
de touts les peuples. En effet, il efl: aifé de voir que,
pour percer ôt rompre brufquement'une ligne ,
l’ordonnance en c o in devoit avoir bien des avantages
fur la colonne ôt le quarré plein ? Elle étoit •
plutôt formée ; fes manoeuvres étoient plus fimples,
plus faciles ; fa marche moins flottante ôt plus rapide
; fes effets plus confidérables. La double aéïion
de fes branches obliques, dirigées en divers fens,
venant à fe réunir toute entière à l’extrémité du
c o in y toute la maffe en acquéroit une force d’impul-:
fion extraordinaire , qui, au moment du choc, lui
faifoit, par un excès de roideur ôt de violence ,
ôt par la facilité de s’ouvrir un paffage , regagner,
au-delà de ce qu’elle pouvoit perdre par rapport
au peu d’étendue de fon front. D ’ailleurs , quoique
plus étroite en cette partie que la colonne ôt le
quarré", elle occupoit néanmoins en largeur un plus
grand terrein , à caufe de l ’étendue de fa bafe , ôt
divifoit conféquemment davantage l ’attention de
l ’ennemi. Mais ce qui la.r.endoit encore plus formidable
, ôt préparoit le fuccès de fa manoeuvre ,
c’ eft qu’à linftant de la charge, faifant pleuvoir de
toute la profondeur de fes flancs une grêle de traits
fur un fieul endroit de*la ligne oppofée, elle pro-
fitoit auffi-tôt du trouble ôt du défordre que cette
Jbrufque décharge y avoit mife , s’y enfonçoit, la
perçoit, achevoit d’en rompre les parties divifées ,
ôt fe trouvait au même inftant toute déployée pour
agir côntre elle féparément., ôt les empêcher de
fe rejoindre.
Comme la force qui chaffe un c o in dans du bois
dépend en partie de l’inclination des faces de cet
inftrument ; comme l’éperon d’une galère a d’autant
plus de roideur dans le choc qu’il eft plus fortement
retenu par les pièces obliques qui lui fervent de
lien §t d’appui ; de même on peut dire qu’une
groupe ordonnée en . c o in , tire dé l’obliquité de fes
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flancs une force , une impétuofité fupérier.re à. celle
que toute autre difpofition pourroit lui procurer.
Une expérience journalière ayant appris aux
Grecs, dans les combats de mer, combien la rencontre
des éperons étoit redoutable pour tout vaif-
feau qui s’en laiffoit frapper en flanc , ils auront pu
imaginer que, fur terre, l’impulfion d’un corps de
troupes figuré de la même manière ne produiront
pas moins d’effet contre un autre dont le front
feroit plus étendu , & les parties moins unies. Il eft
probable que c’eft ce qui les aura conduits à l’invention
de l’ordre en c o in ; ôt cette conjecture-,
dès qu’on trouve réellement chez, eux une .ordonnance
qui porte fe même nom que cet inftrument
triangulaire , acquiert un nouveau degré de probabilité.
L’application d’un feul nom à deux chofes
de nature différente indique entre elles un rapport
foni||é fur la figure , fur les effets, ou fur les qualités
effentielles. Telle eft chez toutes les, nations la
marche ordinaire de l’efprit humain , lorfqu’il détourne
un terme de fa lignification primitive pour
l’appliquera quelque nouvel objet. Âinfi la reffexn-
blance d’une brique, quant à fa forme extérieure
avec l’ordonnance en quarré long,,avoit déjà porté
les Grecs-à défîgner ces deux chofes par le même
nom.
C ’eft une vérité généralement reconnue que
toutes les difpo.fitions qui font en ufage à la guerre
ont pris la dénomination des chofes dont elles imi-
toient la figure. Doutons-nous que Yor-bis des Romains
ne fut une troupe ordonnée en rond ? leur
f o r c e p s , & 1 Q p ep leg tn en o n des Grecs , ce que nous
nommons une tenaille, ou l’ordre à angle rentrant ?
Pourquoi ne vouloir pas que Y emb o lan ôt l e c u n e u s
défignent une ordonnance triangulaire ? --
Aulugelfe ôt Feftus nous ont confervé la plupart
des noms.que les Romains donnoientaux différentes
manières de former une troupe. On y trouve lerond,
le peloton, lafcie, la tenaille, les ailes, les .réferves,
la tour ôt le c o in . Si .les premiers termes ne défignent
qu’une difpofition relative à leur lignification
primitive, il en doit être de même des derniers
: la tour, ne peut être qu’une colonne , ôt le
c o in qu’un corps plus large par une de fes extrémités
que par l’autre. A infi, dans les amphithéâtres, .
les degrés fur lefquels étoient affis les fpeéiateurs
étoient appellés c u n e i , des c o in s , parce que ces
degrés.alloienten diminuant depuis la circonférence
extérieure de l’édifice .où ils commençoient, j ufqu’à
l’endroit où ils fe terminoient ; ô t, par la même
raifon, le fommet d’une montagne qui terminoit
en pointe, étoit dit c u n e a tu s . Un champ plus étroit
par une extrémité que par l’autre , s’appelioit aufli
c u n e a tu s a g e r . Il feroit bien fingulier que-cette ex-
| preffion, qui préfente toujours le même fens dans
toutes les différentes applications qu’on en a faites,
l’eût perdue dans la ta&ique.
A ces autorités alléguées en faveur du c o in par
M. de Buffy, M. de Maizeroy a oppofélesfuivantes.
Le c o in 3 dit-il, eft une ordonnance fur laquelle
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