
qu’il l ’auroit voulu. Livius fut oblige de perdre
beaucoup de temps pour tirer des troupes de
l’aile droite , les faire marcher derrière l’armée, &
palier à l’aile gauche pour étendre le front à cette
aile , & attaquer en flanc l'aile droite des Carthaginois.
Vous pouvez porter'entre vos lignes les troupes
que vous deftinez à prolonger votre front, afin
qu’en commençant le combat, elles s’étendent
tout-à-coup fur les ailes, pour charger en flanc
celle des ennemis, qui feront d’autant plus fur-
pris de ce mouvement qu’ils auront eu moins
de raifon de s’v attendre, & que a otre dernier
ordre de bataille leur aura donné moins de fujet
de le foupçonner , & de le précautionner.
Ce fut ainfi que le comte Richard défit, près
dé Londres, Henri V I , roi d’Angleterre.
: S i, lorfque les ennemis ont rompu votre première
ligne , vous faites d’abord avancer la leconde
pour foutenir l’autre ; quand même celui-ci mettrait
en déroute la première ligne des ennemis, ils
auront l’avantage de n’avoir qu’une de leurs
lignes en défordre, tandis, que les deux vôtres
feront confondues. 1
Lorfque quelque troupe de votre première
ligne fe détache pour fuivre les ennemis mis en
déroute, afin de ne pas leur donner le temps de
fe rallier ; alors que :1e corps le plus proche de
ceux qui font entre lès lignes s’avance pour
remplir le vyide de votre première ligne, de
crainte que quelque petite troupe ennemie ne
pénètre par l’ouverture, & par un mouvement de
converfion , moitié à gauche , & moitié à droite ,
ne mette le défordre & la confufion dans votre
première ligne. ~ . r
Végèce approuve que l’on mette amli des
corps détachés derrière les ailes & le centre de
la première ligne : il recommande meme que ce
l'oient des corps d’élite, tant officiers que foldats.
" L ’empereurLéon appelle ces corps détachés «f=
bijles'; parce qu’ils étbient principalement deih-
n é s , chez les Romains, pour attaquer les ailes
de l’armée ennemie. Dans quelques autres endroits
Léon parle de certains corps, qu’il nomme
laterenfes : ceux-ci. attendoient de pied ferme dans
la ligne que les ennemis Aillent a la portée de la
flèche : alors ils s’avançoient pour prendre du
terrein & charger en flanc l’ennemi, au lieu que
ceux qu’il appelle cornifies étoient des corps dé-
. tachés de la ligné.
E M B U S C A D E , C O I N .
Tâche z , un jour de bataille, de mettre en em-
buicade un parti de cavalerie ; qui, après le combat
commencé, vienne charger en queue ou -en
flanc les ennemis. Quelque petit que fou ce detachement,
s’il attaque avec grand bruit, il mettra
certainement en défordre les ennemis ; ils fe
çr-oiront enveloppés par quelque gros de vos
troupes ; qui, ayant palfé par un autre endroit à
travers de la ligne, vient pour les inveftir de
touts côtés. Ce lont ces détachements mis en em-
bufcade , que'l’empereur Léon appelle infidiatores.
Démofthène, capitaine athénien, avant de livrer
bataille aux Péloponnéfiens & aux Ambraciotes ,
mit quatre cents hommes en embufcade , afin qu’a-
près le combat commencé ils attaquaffent en queue
l’armée ennemie, commandée par Euriloque : elle
fut battue ; ces quatre cents hommes, étant tombés
tout-d’un-coup fur l’arrière des ennemis, les mirent
en. défordre.
Dans\& bataille que Charles Martel, & Othon ,
duc d’Aquitaine, donnèrent près de Tours contre
les Maures, le duc d’Aquitaine , avec une partie
de fes troupes , chargea en queue les infidèles ,
qui combattoient opiniâtrément contre Charles
Martel. Cette attaque imprévue mit en défordre
les Maures, & ce défordre fut bientôt fuivi de la
déroute de l’armée afriquaine.
Lorfque je dis que les troupes mifes en embufcade
chargèrent en queue les" ennemis, je fup-
pofe que l’armée ennemie foit fur une feule ligne ,
ou que la première foit extrêmement éloignée de
la fecotide :.fi les ennemis en ont formé deux où
trois à une. diftance raifonnable les unes des
autres, les troupes de l’embufcade ne doivent s’engager
que contre le flanc de la ligne que vous attaquez
de front; ce qui vaudra autant que fi elles
attaquoient en queue ; & vous éviterez le danger
de mettre votre détachement entre , deux lignes
ennemies.
A la bataille du lac Albain , les troupes q&e
Charles d’Anjou avoit lailfées en embufcade derrière
une colline en fortirent pendant le combat ,
chargèrent le flanc des ennemis, & la bataille fut
gagnée.
11 faut choifir pour ces embufcades les officiers
*& les foldats les plus intrépides , afin que la valeur
fupplée au petit nombre,& qu’ils puiffent mettre
en défordre lés troupes de la première ligne, avant
qu’elles foient revenues de la frayeur ou cette
attaque imprévue les aura d’abord jettées , 8t
qu’elles puiffent s’appercevoir du petit nombre
de ceux qui attaquent ; & que les troupes de la
fécondé;ligne des ennemis ne puilTent pas charger
en queue ou en flanc votre détachement, avant
que leur première ligne ait été rompue.
Il faut auffi que, ce parti ait le même uniforme ,
& la même marque de diftinéïion que portent les
ennemis; afin que , fi , en le voyant venir par l'arrière
, ils envoyent une troupe pour lui demander
qui vive ,& (Je quel régiment, ce parti, après
avoir nommé le nom du prince ennemi, fe puiffe
dire des régiments dont il a pris l’uniforme &
les marques de diftinélion. Pour que ce parti
puiffe avancer avec moins d’embarras , il eft né-
ceffaire que quelques officiers parlent la langue
des ennemis, qu’on réponde de manière , &. qu’on
marche d’un pas à perfuader qu’on ne vient pas
pour
pour- attaquer, mais pour renforcer la ligne ennemie.
Lorfqu’enfuite ce parti chargera les ennemis
par l’arrière ou par le flanc, vous attaquerez
vivement par le front.
Polybe , parlant du détachement qu’Annibal
avoit mis en embufcade pour prendre en queue
les Romains, dans la bataille de laT réb ie , dit
■ qu’il en donna le commandement à Magon fon
frère, jeune homme intrépide ; qu’il lui ordonna
de faire choix des plus vaillants foldats de l’armée,
& qu’il permit à chacun de ceux-ci de fe choifir
un camarade dé confiance.
A la bataille de la Bicoque, M. de Lautreo,
général des troupes de France, voulut introduire
par rufe quelques - uns de fes efcadrons dans la
ligne des ennemis, afin qu’ils attaquaffent en queue
-ou en flanc les troupes d’Efpagne & du Pape.
Pour y réuffir., au lieu d’une croix blanche, qui ~
étoit la marque des François, il ordonna que les
efcadrons qu’il deftinoit à ce flratagêmè portaf-
fent une croix rouge, qui étoit la marque des
Espagnols. Il eft vrai qu’il ne tira pas grand
avantage de cette rufe , • parce que Profper Colonne
en ayant eu connoiffance, donna ordre à
toutes fes troupes de porter, au lieu d’une croix
rouge, une poignée d’épis ou d’herbes, & fit avertir
toute l’armée que ceux qui auroient une croix
rouge étoient ennemis. Lorlque Cimon eut défait
les Perfes , dans un combat naval près de Chypre,
il fit monter fur les vaiffeaux perfans une bonne
partie de fes Grecs, vêtus des habits des Perfes,
& armés de leurs armes : il cingla en droiture
vers la Pamphilie , & jetta l’ancre à l’embouchure
du fleuve Eurimédon, oh fe trouvoit l’autre armée
navale des Perfes, qui avoit la plus grande partie
de fes foldats à terre. A l’habillement, aux navires
, aux armes, on crut aifément que les Grecs
étoient les Perfes de l’autre armée. Ils approchèrent,
débarquèrent, & les Perfes furpris furent
complètement battus.
L ’empereur Léon dit que, fi votre embufcade n’eft
pas nombreufe, elle doit attaquer en petites troupes
& à la débandade. Là raifon qu’il en donne eft
-que de cette manière elle pourra faire’ toutes
fortes de mouvements avec plus de célérité que
fi elle chargeoit en ordre de bataille.
J’oppofe à cette réflexion de l’empereur Léon
que, fi ce détachement doit feindre jufqu’à une
certaine diftance des ennemis, il eft contre la
vraifemblance qu’il ne marche pas en ordre de
bataille.
Il pourra bien , en fe déclarant ennemi, rompre
l’ordre, & attaquer par piufieurs endroits , afin
de jetter plus de confufion dans la ligne ennemie;
mais je crois qu’il doit toujours conferver une
hauteur raifonnable.
Si le parti qui compofe cette embufcade
doit combattre à la débandade, choififlez, pour
le former', une nation "dont les hommes & les
chevaux foient accoutumés à cette forte de com-
Arj militaire. Tome h
bat. Les Turc s , les Afriquains, & les Hongrois
aiment cette manière de fe battre , &. y font
très propres. J’ofe dire qu’elle ne déplaît point à
nos Efpagnols ^qu i, par leur intrépidité naturelle ,
&. par la légèreté de leurs chevaux, y trouvent
de grands avantages.
Annibal , qui avoit fouvent recours aux embufcades
dans les combats, lés compofoitjordinairement
de cavalerie numide , accoutumée à combattre de
cette manière ; & Bernard Delcarpio fe fervit d’afri-
. quains pour former l’embufcade, q u i, à la journée
de Roncevaux , attaqua le flanc de l’armée de
Charlemagne. Ces embufcades, dont nous parlons ,
doivent être confidérables en deux cas différents ;
le premier e ft , lorfqu’après avoir pris toutes les
précautions inarquées dans le chapitre précédent ,
vous avez encore beaucoup de troupes de refte ;
le fécond , lorfqu’après avoir forme vos lignes,
& avoir mis entre elles les corps détachés dont
j’ai parlé , le terrein eft fi étroit qu’il vous
refte encore beaucoup de troupes, lors même
que votre armée n’eft pas fupérieure en nombre
à celle des ennemis. Vous m’obje&erez peut-être
qu’©n pourroit former une quatrième ligne de ces
régiments, qui n’ont aucune deftination. Je réponds
! que, dans la fuppofition d’un terrein peu étendu , fi
les'trois premières lignes font mifes en déroute, elles
; feules, fans le fecours des ennemis , renverferont
la quatrième ; à moins qu’à la fécondé & à la
! troifiéme ligne, vous ne laiffiez de grands vuides :
alors vous avez à craindre que , par ces mêmes
vuides, par ou vos fuyards des premières lignes
fe retireront derrière les autres, les ennemis né
percent auffi dans vos lignes. Au lieu donc dé
quatre lignes , dans un terrein trop peu étendu ,
je me contenterois de deux; & , dans un intervalle'
fuffifant entre l’un & l’autre , je mettrois les corps
détachés.
L’armée de Narsès , à la bata.ille de Cafilin ,
n’étoi-tque de dix-huit mille hommes, & celle de>
Bucelin, de trente mille Francs. Comme deux
bois épais empêchoient Narsès d’étendre fon front %
il y appuya fes deux ailes ; & fans multiplier les
lignes, il mit derrière ce bois deux détachements,
de cavalerie , qui, pendant -le combat, attaquèrent
en queue & en flanc l’armée des Francs; ce qui
lui donna la viéloire.
Si le terrein ne permet pas de mettre , avant
le combat, en embufcade , un détachement des.
troupes que vous avez de trop ; vous pouvez ,
pendant la nuit, faire prendre à ces troupes le;
circuit néceffaire, pour tomber fur le flanc des.
ennemis le lendemain à l’heiffe oh votre armée,
devra charger.
On peut auffi pofter derrière une des ailes le détachement
deftiné à attaquer l’ennemi en flanc. Ce détachement
s’y maintiendra, jufqu’à ce que le combat
ait commencé. Alors, à la faveur.de la pouffière ,
d’une colline , d’un bois, ou d’un chemin profond ,
; il s’avancera vers le flanc, pour fondre , pendant