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provinces que les foldats , & comme il faut qu’ils
loient inftruits à fond pour pouvoir inftruire leurs
troupes , au lieu de donner à leurs fémeftres plus
de durée qu’à ceux de leurs fubordonnés , nous
croyons qu’on devroit un peu les abréger , & en
fixer la fin au commencement de juillet, ils ga-
gneroienf encore un mois & demi au changement
que nous •propofons.
* La nécefiité de faire rejoindre de bonne heure
les officiers fémeftriërs, ne nous empêchera pas de
demander qu’xon accorde des congés à la moitié
de ceux qui' compofent notre armée. Quoique
ces deux idées paroiffent être oppofées * elles ne
fe contrarient cependant point.
En demandant pour les officiers un nombre de
congés auffi confidérable , je me trouve d’un avis
différent de celui du fage Si judicieux auteur du
foldat citoyen : en bornant, dit-il, page 540,1a
diftribution des congés aux perfonnes qui proüve-
roient qu’elles en ont véritablement befoin , ne
feroit-on pas forcé de n’en accorder qu’un très
petit nombre, Si ne feroit-il pas àifé de fçavoir
fi ceux à qui l’on voudroit en accorder, en im-
pofent? N’y auroit-il pas un autre bien à reftreindre
les moyens qu’ont actuellement les officiers de
s’abfenter , ne leur ôteroit-on pas les occafions
d’aller puifer dans une vie molle & oifive le goût
de l’indépendance , de la haine pour les affujettif-
fements de leur état ? & en les mettant à même
de donner leurs foins & leurs exemples à leurs
troupes | ne contribueroit-on pas à la difcipline ,
à la tranquillité Si au bien être du foldat ? I l
ajoute quelques lignes plus bas : Les François font
plus amoureux que les peuples qui les entourent,
de la nobleffe , du luxe , de l’aifance Si des plaifirs
qui régnent dans nos villes. La France , plus que
les autres pays , eft celui des fêtes publiques , des
fpeéîacles , des fociétés nombreufes ; nulle part,
les diftr.aâions ne font auffi communes : rien de
tout cela ne s’accorde avec la rudelfe & l’extérieur
du militaire. Horridum militent effe de cet nec auro'
çoetatum ; fed animo & fçrro fretum.
Les idées de M. Servan font effentielles à la
conftitution militaire qu’il propofe ; mais'Confervent-
elles le même caraéfère dans celles à laquelle nous
fommes fournis ? Amicus Plato mugis arnica veritas.
Les fémeftres font néceffaires aux officiers fran-
çois qui ont du bien , une femme & des enfants ;
mais ils le font encore davantage à ceux qui font
trop jeunes pour être propriétaires , époux Si
pères. Lorfqü’un officier a palTé plufieurs mois
chez lui, pourquoi lui trouvez-vous pendant quelque
temps un air pofé, des manières honnêtes , des
propos décents , en un mot une conduite régulière
? Qui a produit ces changements heureux»?
Ce font les confeils de fon père , foütenus de fon
autorité , les avis de fa mère , Si les bons exemples
qu’il a reçus de tout ce qui l’a environné pendant
fix mois. Pourquoi , lorfqu’ib revient , a-t-il une
fanté plus forte, un air plus gai qu’à fon départ?
C o N
| C ’eft parce qu’au fein de fa famille il a mené une
vie régulière ; c’eft parce que fon père a répare
le dérangement que fon inconduite avoit mis dans
i ^es affaires ; c’eft parce qu’une mère tendre &. at-
] tentive, lui a donné le linge Si les habits qui lui
manqüoient. Ne craignons pas de le dire , c’eft'
le luxe qui s’eft introduit dans nos armées, c’eft
le peu de fortune des militaires , c’eft la modicité
réelle op relative de leurs appointements , qui
rendent les fémeftres indifpenfables aux officiers.
Ces raifons ne font cependant pas les feules que
nous ayons , à faire valoir. '
On répète fans celle que les troupes françoifes
ne font pas des troupes nationales, qu’elles n’ont
point pour la patrie cet amour tendre Si aélif, qui
bruloit dans l’ame des guerriers de l’antiquité , &
qui animoit ceux des premiers fiécles de la monarchie
: ce reproche eft exagéré, mais on eft forcé
de convenir que fi les congés de femeftre étoient
totalement ou prefque totalement fupprimés ; cé
reproche pourroit être bientôt fondé.
En analyfant l’amour de la patrie autant que l’ont
peut analyfer un fentiment, on trouve qu’il eft actuellement
compofé de la tendreffe que hous avons
pour les êtres qui nous ont donné le jou r, qui
ont eu foin de notre enfance , qui ont guidé Si
inftruit notre jeuneffe ; du goût que nous avons pris
pour les lieux , qui ont les premiers frappé nos regards
: de l’amitié qui nous lie aux hommes qui ont
partagé les plaifirs de notre enfance Si fes légères
peines, enfin de l’attachement qu’on a néceflaire-
ment pour les poffeffions territoriales , auxquelles
notre fortune Si notre bien être font attachés i
quelque puiffants que foient touts ces liens différents
, on ne peut difconvenir qu’ils ne s’affoi-
bliffent,qu’ils ne fe rompent même , quand la vue
des objets qui les ont formés ne vient pas quelquefois
leur rendre de la'force. Une courte ab-
fence nous rend nos parents plus chers , une ab-
fence trop prolongée les bannit de notre mémoire.
Si je perds de vue pendant : plufieurs années læ
contrée où j’ai vu le jour, j’en oublie d’abord les
détails bientôt l’enfemble ; le fouvenir de mes
jeunes -amis s’affoiblit, fi je ne les revois pas
quelques-fois ; quand touts ces objets ne fémontrent
plus que dans un lointain fugitif, touts les lieux mè
font égaux , j’aime autant Paris que Bordeaux, Si
bientôt Londres m’eft auffi cher que Paris. Des.
militaires qui n’auroient jamais de congés de fé-
meftre, parviendroient à cette infenfibilité, & il
n’y auroit plus de patrie pour eux. Si nous voulions
appuyer ce raifonnement fur des exemples 9
les Romains nous en fourniraient un frappant*
Leur amour pour la république s’éteignit dès qu’ils
portèrent :1a guerre dans des climats lointains , Si
que les tribuns , les centurions & les foldats ne
purent revoir leurs diçux pénates à la fin de chaque
campagne.
Si l’officier françois couchoit fous la tente , étoit
éloigné du luxe & des plaifirs , il feroit peut-être
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dangereux de l’envoyer en femeftre , mais comme |
toutes les grandes garnifons du royaume font des
villes où touts les plaifirs fe raffemblent, où le i
luxe éclate avec profufion , où les voluptés régnent ; j
comme la molleile a pénétré juique dans les quar- j
tiers , Si comme la pareffe y. a établi fon empire ; 1
l ’officier qui arrive de fémeftre , eft peut-être plus
en état de faire la guerre que celui qui a paffé .
l’hiver à fon régiment : le premier a fait deux j
routes fouvent très confidérables , il a parcouru fa
province pour voir fes parents -, il a pris quelquefois
le plaifir de la chaffe, tandis' que le fécond
n’eft pas"forti de l’enceinte d’une ville-, & qu’il n’a
fait aucune efpèce d’exercice. 11 y auroit peut-être
un moyen de rendre les fémeftres encore plus
utiles aux officiers , nous nous en occuperons dans
l’article luxe. ( Poye^ Lu x e . ).
Pour prouver la néceffité des congés de fémeftre
pour les officiers , nous pourrions offrir encore j
quelques vues relatives au commerce Si aux ma- i
nufaétures nationales ; mais nous devons principalement
voir les objets fous l’aipeél militaire , Sc !
nous croyons avoir démontré , fans aucun fecours
étrangers, qu’il eft utile de multiplier les femeftres
des officiers, Si d’en prolonger la durée.
Que l’on prolonge la durée des femeftres , ou
qu’on laiffe régner l’ordonnance actuellement en
vigueur, on n’en devroit pas moins , ce me femble ,
retenir aux officiers qui obtiennent des congés de ce
genre , le tiers des appointements dont ils jouiffent
pendant la ; durée de leur abfence , Si en- former
une maffe de guerre. Ave c les premières fommes
qui entreroient dans cette maffe, on achèteroit
d’abord des tentes , enluite des lits , Si enfin les
autres effets néceffaires pendant la guerre à un
officier particulier. Quand on auroit raffemblé
touts ces objets, on conferveioit les fonds qu’on
percevroit chaque année , ils feroient deftinés à
l’achat des chevaux Si des mulets , dont chacun
auroit befoin. Quand un officier auroit éprouvé
a la guerre quelque événement funefte, e’eft avec
l’argent de cette maffe , qu’on lui feroit les avances
'néceffaires au remplacement de ce qu’il auroit
perdu.
Quoique nous ayons dit qu’on ne formeroit dans
chaque régiment qu’une maffe générale de touts j .
les tonds qu’on auroit retenus aux différents offi- I
ciers , chacun d’eux auroit néanmoins Ion compte
particulier , & au moment de fa mort ou de fa |
retraite , lui ou fes parents toucheroient ce qui
lui feroit redu , ou payeroient ce qu’il redevroit.
Les militaires, leurs parents & l’état tireroient de
très grands avantages de la maffe que nous venons
de propofer. Quelle objection folide peut-on faire
'contre cet établiffement ?
On ne peut veiller trop attentivement fur l’ob-
fervation de l’article de l’ordonnance qui oblige
les officiers fémeftriers à faire un certain nombre
d’hommes de recrues. Les hommes que font les
pfficiers, font en effet Si les meilleurs Si les moins
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chers. On élude cette loi de plufieurs manières
différentes, tantôt l’état-major met fur le'compte
des officiers fémeftriers des hommes qu’il a engagés
; tantôt il leur prête des recrues enrollées
par des foldats, ou par des officiers qui ont fait
plus que ce à quoi. ils étoient tenus : on rendroit
un grand fervi.ee à l’état militaire , fi l’on pouvoit
trouver un moyen qui fans être à charge aux
officiers fémeftriers;, les mît, dans l’obligation de
recruter leurs régiments. (Foye^ R e c r u e s .).
g. X I I.
Des congés de la cour.
Outre les congés de femeftre, on connoît encore
dans l’armée françoife des congés appellés de
la cour. On accorde ces congés ou au moins on
n’eft cenfé les accorder qu’aux officiers , que leurs
régiments emploient en recrue, en remonte , & c .;
qu’à ceux qui ont befoin de s’éloigner de leur gar-
nifon , pour rétablir leur fanté , qu’à ceux enfin
dont les officiers exigent indifpenfablement leur
préfence.
On peut diftinguer les congés que la cour accorde
, èn congés avec appointements , Si en congés
fans appointements. On accorde les congés avec
appointements aux officiers malades ou employés
pour- l’avantage de leur régiment. Dans toutes le s
autres circonftances , les congés font fans appoin- -
tements.
Un régiment qui a befoin de faire une recrue
confidérable , ou une remonte nombreufe , demande
à fon infpééleur-, un congé, pour envoyer
tels Si tels officiers dans telle ville ou dans tel
pays, lever des hommes, ou .acheter des chevaux.
Le colonel fait un mémoire , (Voye£ Mém o ir e .) ,
l’infpeâeur l’apoftille, Si l’adreffe au miniftre de
la guerre. Le miniftre fait expédier un congé dans
la forme fuivante.
Régiment d e .............. infanterie.
Le roi fçachantle befoin qu’a le fieur de . . ; ; 2
capitaine dans le régiment..............infanterie , de
faire recrue , & voulant lui en donner le moyen 9
fa majefte lui a donne & donne congé, jufqu’au.....
après lequel temps elle veut Si entend qù’il retourne
à fa charge, Si que cependant il fort paffé
abfent comme préfent aux mohtres & vrevues qui
feront faites dudit régiment & payé de fes appointements
j en vertu de la préfente. Fait à . . . . .
Rien n’eft plus jufte que les congés. L’officier qui
travaille pour le régiment auquel il eft attaché, doit
jouir des mêmes avantages que s’il étoit fdus les
drapeaux : mais touts les officiers qui obtiennent
des congés pour faire des recrues , rempliffent-Hs
les conditions qui leur font impofées ? S’occupent-
ils même à les remplir ? Les colonels eux-mêmes
font-ils toujours perfuadés que les officiers pour