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Le réglement d’adminiftration du 25 mars 17r6,
&. 1 inftruôion donnée aux infpe&eurs le i er août
3 779 > autorifent les lyieftres-de-camp commandants
a demander trois congés de grâce pour chacune
des dix compagnies de leur régiment : chaque
congé doit être payé proportionnellement au temps
pendant lequel l’homme qui le follicite doit fervir
encore.
Celui qui doit fervir fept ans & plus paye 300”
Six & plus.................. *..............
Cinq ans & plus....................................... ... 20o
Quatre ans & plus.............................. .. 1(50
Trois ans & plus................................. .. Iao
Deux ans & plus. • • .............. ............... q q
Un an & plus......... .................................... . 0
r * ^*-Le lol1d at qui obtient _u_n co. .n _ gé/ dI e g_r_ _âce , ne peut
emporter aucune partie de fon habillement.
Sur la cartouche qu’on remet au foldat qui
achette fon congé, on doit fpécifier la fomme qu’il
a verfee pour l’achat de fon congé dans la mafle
générale du régiment.
Telle eft la loi. Rapportons à préfent l’opinion-
générale des militaires.
Tout eft à facettes, dit avec raifon madame
de Sévigné ; chaque objet, même le plus fimple y
doit être confidéré fous plusieurs afpeéls différents ;
ce à*eft que lorfqu’on en a , pour ainfi dire, fait
entièrement le tour qu’on peut le juger faine-
ment.
Si nous étions placés dans le cabinet d’un miniftre
de la guerre, & que nous y obfervaffions les congés
de grâce , nous les regarderions comme le plus
grand des abus ; fi nous nous transportions dans celui
d’un miniftre de quelque province de l’intérieur
du royaume , nous verrions qu’on ne peut trop
les multiplier ; fi de-là nous paflïons chez le miniftre
des finances, nous verrions encore que les-
congés font néceffaires- à beaucoup d’égards. Laquelle
de ces trois opinions devons-nous adopter B
Si nous comptons les v o ix , nous donnerons touts
les 'congés qu’on nous demandera ; mais fi nous
reflechinons que l ’avis du miniftre de la guerre
doit être prépondérant dans les objets militaires,
nous retomberons dans l’incertitude ; pour en
fortir ,. qu’on nous permette d’afl'embler un confeil
d’état, de rapporter les raifons que chaque miniftre
alléguera en faveur de fon opinion , & de dreffer,
fi je puis parler ainfi , l’arrêt que ce confeil fuppofé
prononcera.
On fait aux troupes Françoifes trois reproches
graves, diroit le miniftre de; la guerre; i° . les
ioldats ne font tirés que de la lie de la nation ;
2 0. ils défertent fréquemment; 30. ils font conduits
par de mauvais bas-officiers. La même caufe produit
ces trois effets, & cette caufe eft la multiplicité
des congés de grâce. Toutes les fois que le fils d’un
bon fermier, d’un artifan habile, en un mot, d’un
citoyen riche ou aifé, vient de s’enroller, une
foule de perfonnes de toute condition & de tout
fexe, s’adreflent à l’officier en fa veur de qui l’enc
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gageaient eft paffé ; on fait d’abord briller l’or â
les yeux ; on employé enfuite les prières , le *
lwraes&i ^es Promeftes ; s’il eft inexorable, on-
s adrefle au colonel. Celui-ci, quoique bien-aife
^ aV^ anS/on corps un homme honnête & sûr,
ne refifte guère au defir & au befoin de faire entrer
vingt-cinq ou trente louis dans la oaiffe de fon
régiment : s’il préfère l’homme à l’o r , les gens en
place parlent, les jeunes femmes fe montrent, les
intriguantes agiffent & le foldat obtient fon congé.
Aulii ne refte-t-il guère fous les drapeaux que des-
hommeslans nom, fans éducation, fans fortune 8t
r u Pa^ents I °u i, fans parents. Beaucoup de nos>
Ioldats ignorent en effet à qui ils- doivent le jour,
. beaucoup de ceux qui le fçavent, ne tirent aucun*
lecours de cette connoiffance. De tels- foldats*
pourroient-ils être bons patriotes ? Ils n’ont ni
patrimoine, ni famille; pourroient-ils devenir
. e'bons bas-officiers? ils n’ont ni fentiments, ni1
inftruèrion ; pourroient-ils ne pas déferter ? ils fe
regardent comme avilis, & ils n’efpèrent pas fortir"
de leur aviliflement. Voulez-vous voir naître un-
nouvel ordre de chofes , fupprimez les congés ,>
bientôt les bas-officiers feront pris dans cette clafle
! nation.,, qui, fans être la plus brillante, eft"
une des plus eftimables; fis ne feront pas nobles,,
mais ils auront les mêmes- fentiments que les gentilshommes
; ils auront l’ame élevée ; ils fervironfc
avec zèle ; leurs propos & leurs manières changeront!
elprit militaire, & fur-tout l’opinion qu’on
en a conçue. Le frère, le coufin d’un bas-officier,
voudra courir la même carrière que fon parent.
Celui-ci attirera un de fés amis ou de fes alliés;
*a J^us ëranc*e partie de l’armée françoife fera
enfin- compofée de bons bourgeois, de fermiers
riches, dartifants aifés; alors vous n’aürez prefque
pas un déferteur ; la maraude deviendra plus rare,
les vices bas & honteux feront peu communs, &
fans avoir multiplié votre armée, vous en aurez
peut-etre triplé la force. Je n’exagère point; le
moyen que je propofe eft l’unique ; il eft fimple, il
eft facile, hatons-nous-de Kadopter. Les pères des
jeunes citoyens d’un certain ordre, dira-t-on peut-
etre , leur permettent aujourd’hui: de' s’engager
parce qu’ils ne font pas fâchés- dè- lâifîer leurs
enfants , mener pendantdeux ou;trofcans une vie
dure, & de voir s’écouler fous lès loix d’une discipline
auftère, les années où les paffions font les
plus fougueufes» Mais il n’en fera plus de même,
fi vous otez l’efpoir des congés de grâce, fi l’on
rendoit une ordonnance par laquelle les congés de
grâce feroient totalement fupprimés. Une partie
de cette objeéfion pourroit être, vraie, mais même
dan§ cette fuppofition, trois ans ne feroient pas
écoules que tout rentreroit dans l’ordre accoutumé ;
ne rendons cependant point de loi à cet égard;
mais par un ordre fecret & pofitif, défendons aux
infpeéîeurs & aux colonels de donner des congés
de grâce; il y a longtemps que le parti que je
prqpofe. auroit été pris, fi mes prédéceffeurs &
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moi n’avions été arrêtés par la difficulté de remplacer
l’argent que produifent les congés de grâce.
iÇhaque . régiment donne au moins trente de ces
•conges par an. Ces trente congés font entrer dans la
caiffe huit à dix mille livres ; car on ne tient pas
la main à ce que les régiments fuivent le tarif fixé
par les ordonnances : fi l’on ôtoit cette reffburce
aux corps, il faudroit donc donner à chaque régiment
une fomme de dix .mille livres, ce qui fait
plus d’un million. Qu’on décide à préfent, diroit en
finiffant le chef du département de la guerre , fi
la deftruéfion de l’abus qui nous occupe, ne mérite
pas bien ce léger facrifice ?
Le miniftre chargé de l’adminiftration d’une
province de l’intérieur du royaume, diroit alors :
fans avoir approfondi les objets relatifs à la confti-
tution de l’état militaire, & les effets de cette
conftitution, on voit que la multiplicité des congés
de grâce y- rend l’infanterie françoife moins sure
& moins bonne; trois mille citoyens diftingués
par leur éducation & leur fortune, enlevés chaque
annee a l’armée, doivent y faire un vuide très
fenfible. Mais il n’eft pas befoin non plus d’avoir
pénétré très avant dans les fecrets de l’adminif-
tration intérieure, pour être perfuadé que l’abolition
totale des congés de grâce occafionneroit aufli
<le grands maux à l’état. Aboliffez les congés de J
grâce, & vous verrez ici une manufaéfure florif-
fante perdre fon état, parce qu’après la mort de
■ celui qui l’aura formée , elle fera tombée entre
les mains d’un premier ouvrier , qui, avec des
intérêts bien différents de ceux de fon maître,
n’aura ni fon-zèle, ni fon intelligence : là , une '
grande étendue de pays qui étoit toujours couverte
de hautes moiffons, ne nourrira plus que des
plantes foibles & rares, parce que la charrue fe
fera couverte de rouille entre des mains mercenaires.
Ailleurs, une mère tendre fera changée
en barbare marâtre, parce qu’elle aura aflocié à
fon fort un homme qu’elle croyoit néceffaire au
fout-ien-de fa fortune, & à l’éducation de fes enfants
: en formant de nouveaux noeuds, elle a pris
des fentiments différents. Si vous aviez rendu à
propos à cette manufacture le fils de celui qui
l ’avoit créée, les ouvriers ne fe feroient pas dif-
perfés, les métiers travailleroient encore & l’étranger
ne fe feroit point enrichi de nos pertes.
Si fon jeune maître avoit été rendu à cette ferme ,
.les valets chargés de la cultiver, furveillés par lu i,
auroient continué à être aéfifs & foigneux. Si cette
mère n’avoit pas été aufli longtemps privée de fon
fils, elle n’auroit pas cru néceflairé d’avoir un
foutien étranger , & fa famille ne fe feroit prefque
point apperçue de la perte de fon chef. Il faut
donc rendre à toutes les familles qui en ont un
befoin réel, ceux de leurs membres qui ont cori-
tra&é un engagement militaire. On peut fans inconvénient
taxer quelques congés à une fomme
. allez confidérable, mais il faut aufli accorder des I
congés qui foient véritablement des congés de grâce;
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c’eft-à-dire, des congés fans rançon. Les premiers
doivent être donnés aux familles riches, & les
féconds aux familles pauvres; mais il faut que
dans l ’une & dans l’autre circonftance, l’état foit
intérefié à la liberté de celui dont on foHicite le
congé.'
Les raifons que le miniftre de l’intérieur du
royaume auroit données pour continuer la diftri-
bution des congés de grâce, feroient encore alléguées
par le miniftre des finances, & il les fortifieroit
par des réflexions fur l’énormité des dépenfes de la
guerre, & fur l’impoflibilité d’augmenter les fonds
de ce département; il blâmeroit en conféquence
les congés gratuits, mais en bon patriote il voudroit
qu’il fût poftible de diminuer le nombre des congés
de grâce, fans cependant diminuer les fommes
qu’ils produifent.
A ces mots, je crois entendre le confeil décider
la queftion de la manière fuivante.
Il eft impoflible qu’il fe trouve chaque année
plus de 1200 foldats qui foient réellement nécef-
faires à leurs familles, fous quelque prétexte que
ce foit ; on ne donnera donc jamais dans l’armée
plus de 1200 congés de grâce, ce qui fait9 congés
dans chaque régiment d’infanterie, & 3 dans
chaque régiment de troupes à cheval. Un tiers
de ces congés fera payé 600 livres, un tiers ï-200 ,
& le dernier tiers fera donné gratuitement. Les
1200 congés produiront 320000 livres où 266 chacun
; au moyen de l’augmen-tation faite à la mafle
générale, & de la réforme de quelques objets
inutiles que le luxe a créés & que la difcipline
doit détruire, ce .nombre de congés de grâce eft fuf-
fifant. Vous pourvoyiez, Monfieur, en s’adreflant
au miniftre de la guerre, à ce que le confeil d’adminiftration
de chaque régiment ne donne les congés
de grâce qu’à des perfonnes munies du certificat
des intendants, des curés, des ju g e s, & c . ; les
congés de demi-grace, qu’aux familles prefqu’ir-
digentes ; s’il fe commet des abus dans la diftribu-
tion des congés, nous voulons que les prévaricateurs
& ceux qui auront fait de faux expofés foient
punis également , & qu’ils éprouvent toute la
févérité des loix.
D ’après les principes que nous avons eipofés
dans le paragraphe fécond de cet article, le papier
fur lequel les congés de grâce feront imprimés,
ne portera aucun emblème militaire ; il fera feulement
timbré de ces mots : congé de grâce ou congé
acheté.
Outre lés congés de grâce dont nous venons de
parler, on en connoit encore en France deux
efpèces différentes. On donne les premiers aux
foldats gentilshommes, & les féconds à ceux qui
ont été engagés avant 1 âge prefcrit par les ordonnances.
. §• I V.
Des congés accordés aux foldats gentilhommes.
Tout gentilhomme qui a contrafté un encaee-
D d d d d i]