
coupé le jarret, ou des amas de bois allumé. Quoi
qu’il paroifle que toutes ces manoeuvres conviennent
mieux à un partifan qu’à un général" ; il eft
pourtant certain que- le moindre obftacle imprévu
retardera beaucoup la marche d’une armée, parce
qu’on n’aura peut-être pas à la tête de l’avant-garde
les outils & les inftrumeifts néceffaires pour ôter
à l’inftant ces embarras, qui arrêtent le premier
corps. Les autres , ignorant ces inconvénients,
continuent à marcher. Les premiers, pouffes fuc-
ceflivement par ceux de derrière , tâchent de fur-
monter l’obftacle fans s’occuper à l’écarter ; & il
ne pafle plus qu’un foldat, pendant qu’il en auroit
paflé trois. U ne fuffit pas même alors que le général
envoie demander à ‘ l’artillerie des outils
Ôc des matériaux ; parce qu’il faudroit trop de
temps pour aller & pour revenir, fur - tout fi les
troupes fe font excèflivement ferrées.
Deux charrettes , que la cavalerie d’Alexandre
Farnèfe trouva rompues fur fon chemin, lui causèrent
un grand préjudice , lorfque les troupes
d’Henri IV , roi de France , la pourfuivoient.
Démétrius de Phalère, étant fuivi de fort près par
les Lacédémoniens, les retarda dans’ leur marche ,
en mettant le feu à quelques chariots de fon
arrière-garde. Dans la même cireonftance Brafidas
fit faire des tas de bois , ôc ordonna qu’on y mît
le feu : ce qui arrêta l’ennemi, & donna à fon
arrière - garde le temps de S’éloigner aflez pour
n’être plus infultée , & pour fe retirer en fflreté.
Votre détachement doit mettre en embufeade
pendant la nuit, fur les flancs de la marche des ennemis
, de , petits partis d’infanterie , dans les ter-
reins coupés ôc difficiles ; & de cavalerie dans la
plaine , avec un tambour & un trompette à chaque
parti ; afin de donner l’alarmé à l’ennemi, qui
vraifemblablement fufpendra fa marche , jufqu’à
ce qu’il ait reconnu fi ce n’eft point là quelque
-forte ambufcade.
C ’eft par un - fémbiable ftratagême que M. de
Stérillac fauya le maréchal de Strozzi & l’évêque
de Sienne ; qui , après avoir été défaits par les
Efpagnols, faifaient retraite entre Sienne & Mon-
talcino. Sérillac,.s’étant porté fur le flanc de l’armée
viétorieufe avec quatre trompettes, donna l’alarme
aux vainqueurs. Le comte de Marignano , qui les
çommandoit, s’a rrêtaÔC craignant une embufeade
, il fe retira .d’un côté, tandis que le maréchal
de -Strozzi continua fa marche de l ’autre.'
Au fommet de la première montagne , où le
détachement de votre arrière - gardé fera halte
pendant le jour , il fe formera lur un feul rang-;
afin de faire croire aux ennemis, en préfèntànt
un grgnd front, qu’il eft beaucoup plus confidé-
rable.
L’armée des deux .couronnes marchait en 1708.,
pour aller faire le liège de T.ortqfe. Quatre mille
hommes, qui larmoient l'avant-garde , firent halte
pendant plus d’une heure. Ce qui l'arrêtoit ainfi
yçrétpit qufiin rang d ’arbrifîéaux de même hauteur,
plantés à la cime d’une montagne potir .prendre
des grives, ôc qui vus de loin avoient l’apparence
d’efeadrons parce qu’on les voyoit plus obfcurs
& plus ferrés par le haut : ainfi qu’on l’obferve aux
rangs de la cavalerie , dont la partie inférieure eft
plus claire à caufe du jour que iaiffent paffer les
jambes des chevaux.
Si vous faites retraite de jour par un terrein
propre à dre.ffer des embufeades ; votre détachement
étendra fur les flancs quelques foldats , qui,
Comme par mégarde, fe laifferont voir entre les
arbres ou au-deffus de§ montagnes afin que les
ennemis, qui foupço.nneront quelqu’embulcade ,
perdent du moins le temps nécelfaire à leurs batteurs
d’„eftrad,e pour aller j.ufqu’à ce pofte , ôc
rapporter qu’ils n’y .ont point trouvé d'embufeade.
Ce ftratagême réuflit à Xenophon , lorsqu’il faifoit
retraite vers Trébizonde par un terrein couvert
de bois.
Quand même votre détachement en auroit mis
un des ennemis entièrement en déroute ; il ne
doit pas le fuivre trop loin , parce qu’il s’expo-
feroit à être battu à fon tour , en s’approchant
trop de l’armée ennemie ; ôc , fi vous contre-
marchiez avec la vôtre , pour le foutenir ; ce feroit
agir contre l’intention que je vous fiippofe , de
ne pas retarder votre marche , Ôc de ne pas vous
engager dans un combat. Il faut donc avertir le
commandant de votre détachement de ne pas pour-
fuivre le détachement ennemi qu’il auroit défait.
On ne le doit faire tout au plus que jufqu’à l’entrée
d’un défilé, s’il s’en trouve un à une diftance rai-
fonnable.
- Corbulon donna .ces avis au commandant dés
mille chevaux qu’il détacha de fon arrière-garde;
afin que l ’armée de Tiridatè ne chargeât point
la fierine.
S i , pendant une longue retraite , votre arrière-
garde ou fon détachement eft obligé de combattre
vous devez changer de temps en .temps les troupe«
qui auront combattu ; parce que les foldats , prévenus
d’avance qu’ils n’ont que quelques heures
de danger à effuyer, s’y expoferont avec plus de
courage ; .ôc les' nouvelles troupes’, qui entreront
fraîches au combat , fe fo.utiendront mieux que
celles qui font déjà fatiguées & bleffées. Cæfar
en ufa ainfi , lorfque dans fa retraite Labiénus ôc
Afranius çhargeoient continuellement fon arrière-
garde.
Pour ne pas retarder votre marche, eu tirant
de divers régiments les hommes d’élite, dont j’ai
parlé plus haut, il faut, en la commençant, placer
à X arrière.- garde a les deux ou trois détachements
qui doivent fucceffivement la .couvrir.
Ce changement de troupes ne doit pas fe faire
dans un lfeu refferré , parce qu’elles fe confon-
dr.oient, ôc fe mettroiént en d,éfordre. Le plus
proprexà ce,tte opération;, eft la for.tie d’un défilé.
Les troupes qui doivent relever fe'rangeront en
bon ordre, laiffant aux autres un paffage .pour
. .débouche?
déboucher librement, & retourner à Xarrière-garde,
tandis que ce nouveau détachement arrêtera l’ennemi,
qui $ vraifemblablement, n’ofera pas fortir
du défilé , en prëfence de cette troupe rangée en
bataille.
Si vous êtes inférieur en nombre, couvrez vos
flancs ôc votre arrière -garde avec les chariots de
l ’artillerie , des vivres, & des équipages, fur-tout
fi la fupériorité des ennemis confifte en cavalerie :
le moindre embarras qu’on lui oppofe eft une
véritable défenfe contre elle.
Les chariots avec lefquels Thimotée couvrit fes
troupes ,• lorfqu il marchoit vers Olympie , les
mirent à couvert de la cavalerie des Corinthiens.
( Pollen. Jlratagem.).
Lorfque Alexandre Farnèfe fe. retira de France
en Flandres, il fe fer vit de chariots pour couvrir
fon armée, ôc ils lui furent d’un grand fecours
pour fe défendre contre les troupes françoifes ,
qui incommodoient beaucoup Xarrière -garde de
l’armée efpagnole.
Il y auroit encore moins d’embarras à entourer
Xarrière -garde de* chevaux de frife , dont chacun
feroit porté par deux foldats, au moyen de deux
efpèces d’anfes adaptées à leurs extrémités ; il eft
plus aifé de régler la marche d’un foldat, ou-de le
remplacer quand il a été tué , qu’il ne l’eft de remplacer
un boeuf ou un mulet qui s’eft épouvanté,
ou qui a été bleffé.
Si l’avant-garde ennemie qui vous pourfuit
eft fort fupérieure en cavalerie, mettez la vôtre
aü* centre, lorfque vous vous formerez en bataille
; difpofez votre infanterie avantageufement,
ainfi que votre artillerie , de manière que le
front de la cavalerie foit croifé par le feu ; &
couvrez vos ailes , -foit par des efearpements,
des haies , foffés, ÔC chevaux de frife. Dans les
fiiarches , dilpofez vos troupes dans l’ordre ‘que
vous voulez prendre, fi vous êtes obligé de
vous former en bataille : ô c , fi dans un pays
- coupé de plaines 8c de défilés , vous avez aflez
de cavalerie , lorfque vous pafferez d’un défilé
dans une plaine, difpofez - la , de forte qu’au
moment que Votre infanterie quittera le défilé,
la cavalerie préfente une ligne prête à charger
les troupes ennemies qui feroient tentées de déboucher.
Si vous préfumez que l’ennemi a pu :
faire paffer quelques" efeadrons dans la plaine par -
un autre endroit, gardez - en aufli quelques - uns I
avec votre infanterie ; Ôc , lorfqu’elle fera allez
avancée pour n’avoir plus rien à craindre, faites- ;
ïe fçavoir au commandant de votre gros de cavalerie
, pour qu’il faffe fa retraite. Les autres dif-
po.fitions, que peuvent demander certaines cir-
conftances , font communes à touts les corps , ôc
enfeignées par la taftique générale.
- Les, ennemis peuvent avoir leur arrière-garde
élo'îgftéé , ôc vous fuivre de fi près avec leur
avant-garde feulement , qu’il n’y ait plus qu’une
demi-lieue dèflrftancé de leur avant-garde à votre
■ Ait milituir'e, Tonte I.
arrière-garde. Dans ce cas, rangez votre cavalerie
fur un front étendu , ôc faites -lui mettre pied à
terre pour donner de l’avoine, ou du moins pour
foüiager les chevaux du poids des hommes. Donnez
ordre de dreffer un rang de tentes, ôc de tirer
quelques volées de canon contre les decouvertes
des ennemis, pour faire connoître que vous avez
ide l’artillerie. Etendez fur les ailes quelques deta*
cfeements .de cavalerie , pour empêcher l’ennemi
d’obferver vos flânes, ôc ce qui fe paffe derrière
cette cavalerie où l’infanterie , les bagages , ôc la
greffe artillerie continueront leur retraite. Il eft a
préfumer que les ennemis, qui voient que vous
avez fait halte , ôc qui fur cette, apparence doivent
juger que vous campez' en cet endroit, fe
pèrfuaderont aufli que toute votre armée s’y
trouve raffemblée : par conféquent ils n’oferont
s’approcher de plus près , ôc attendront que leur
arrière - garde foit arrivée , quelle fe foit rangée
en bataille, ôc un peu repofée. Pendant ce
délai votre armée aura tout le temps de s’éloigner
; Ôc.enfuite votre cavalerie, levant le piquet,
pliant en un inftant les tentes, ôc redoublant le
train des chevaux pour la conduite de votre artillerie
, marchera bon pas pour joindre votre infanterie.
Au lieu de faire femblant de camper, on peut
fe former comme pour combattre. Alors laiffez
quelque infanterie, ôc difpofez la de manière que ,
mêlée à la cavalerie , ôc fur peu de hauteur, elle
repréfente en apparence deux lignes ; afin que les
ennemis voyant qu’il y a de l’infanterie ÔC de la
cavalerie, ne foupçonnent pas que votre armée
continue fa retraite.
Il feroit bon de laiffer un tiers moins d’infanterie
que de cavalerie , afin de faire retirer enfuite l’infanterie
en croupe : je dis un tiers de moins ; parce
que vous aurez befoin de quelque cavalerie libre
de cet embarras. D ’ailleurs, tous les chevaux ne
fouffrent pas qu’on' lès monte en croupe, à moins
qu’ils n’y ayent été accoutumés.
Pour mieux réuffir dans l’une ou l’autre de ces
deux opérations , il faudroit que ce fût après
avoir paffe un ravin, un rüiffeau, 'ou un défilé ,
que les troupes feigniffent de camper, ou de fe ranger
en bataille ; parce que l’avant-garde des ennemis
craindroit davantage de s’avancer , ôc cet
obftacle à furmonter rétarderoit le gros de leur
armée. 11 feroit bon aufli de faire halte dans un
terrein couvert par des bois, pour mieux cacher
la marche de votre infanterie ; d’ailleurs, les
ennemis oferoieht moins s’approcher par la crainte
de quelque embufeade.
‘ Si le terrein ne vous préfente pas ces avantages,
détachez des partis , qui, en courant continuellement
du flanc au centre , ôc du centre au flanc,
faffent 'élèver de la pouffîère pour empêcher fes
ennemis d’obferver la marche du gros de votre
armée.