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min que l’on a à faire. On le compare encore à la
nature du pays, aux obftacles qu’on peut rencontrer,
& au nombre des colonnes que l’on peut former
dans la marche. Les défilés la retardent infiniment ;
& , félon le nombre qu’il y en a , on part plutôt ou
plus tard. On doit oblérver toutes ces chofes avec
tout le foin & toute Pexa£Htu.de poflibles, régler fi
bien fon temps qu’on .puiffe être en état d’attaquer
deux heures avant le jour , & difpofer les
colonnes dans la marche félon l’ordonnance dans
laquelle on veut combattre. C ’eft la nature d’un
champ de bataille qui doit fervir de règle pour la
compofition des colonnes, afin d’éviter la con-
fufion & la multitude des mouvements qu’il eft
néceffaire de faire lorfqu’on eft arrivé, & qui ne
font que trop dangereux, quand les armées font
en préfence. Je m’en rapporte à M. de Puifégur,
qui eft un de nos maîtres fur cette profonde partie
de la guerre : il n’aura garde d’en difconvenir. 11 y
a des précautions à prendre avant que de fe mettre
en marche pour aller à l’ennemi : il eft bon d’en
être informé.
On donnera l’ordre à l’ordinaire, fans aucune
apparence, de deffein ni de décampement. Deux
heures avant la nuit, & par une nuit fans lune, on
.détachera deux cents chevaux, autant de dragons ,
cent houffards & huit compagnies de grenadiers
complettes. Ce détachement, auquel on diftribuera
de la poudre, s’affemblera à la tête du camp, &
fans aucun égard au tour du rolle. Il fera compofé
d’officiers & de fergents choifis, d’un chef de
grande expérience, fans aucun égard au rang par
rapport au nombre des troupes, mais feulement à
l ’habileté, qui dans-toutes fortes d’entreprifes doit
régler le choix d’un général d’armée : c’étoit la pratique
de M. de Turenne. On fera en même temps
courir le bruit que la deftinàtion de ce détachement
eft contre les efpions & les déferteurs , & pour
occuper toutes les routes par ou l’on peut aller à
l’ennemi : ce qui obligera les uns à refter au camp
pour cette fois, & Ips autres qui auroient envie de
s’échapper , à remettre la partie à une occafion plus
favorable.
Ce corps, dont les houffards feront l’avant-
garde , ira par un feul chemin jufqu’à un lieu déterminé,
vers le centre & à une petite demi-lieue du
camp ennemi ; obfervant de ne point trop effleurer
les poftes avancés où l’on peut avoir jetté de l’infanterie
; & , fi ces poftes font trop avancés en-deçà
des gardes ordinaires de jour,. on les laiffera derrière,
pour le mettre entr’eux & le camp ennemi.
Lorfqu’on fera arrivé au lieu deftiné, & que
l ’infanterie aura joint, celui qui commande la partagera
en plufieurs pelotons. On divifera de même
la cavalerie en plufieurs petites, troupes, dont on
poftera quelques - unes fur touts les chemins ,
paffages, traverfes,~ champs, & endroits couverts ,
par où l’on peut aller à l’ennemi, & on s’étendra
lur tout le front de fon camp. Les. troupes de cavalerie
& de dragons occuperont les endroits de
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plaine, en s’étendant fur une même ligne, obfervant
un grand filence, avec ordre de ne point
tirer, quoiqu’il puiffe arriver, & d’arrêter tout ce
qui va ou qui vient du côté de l’ennemi ; comme fi
l’on n’étoit là pour autre deffein que celui d’arrêter
les efpions & les déferteurs. |
On défendra à qui que ce foit de s’écarter de fon
pofte : c’eft à quoi les officiers auront une extrême
attention. On joindra chacun de ces petits poftes ,
ou petites gardes, par des fentinelles qui communiqueront
de l’une à l’autre, pour qu’on puiffe
fçavoir incefl'amment & promptement ce qui fe
paffe le long de la chaine. La cavalerie en ufera
comme l’infanterie. S’il fe trouve des mail'ons le
long de la chaîne , on s’en rendra maître fans bruit,
pour que perfonne n’en forte ; & , s’il y a des
chiens, on les empoifonnera. Les houffards battront
l’eftrade le long de cette chaîne.
Voilà, ce me femble, le meilleur & le plus fûr
moyen de mafquer une armée, pour que le général
ennemi n’ait aucun avis de ce qui fe paffe en-dehors
: & , comme les efpions & les foldats font déjà
informés qu’on leur tend des pièges, fans rien fçavoir
du véritable deffein du général, il eft impof-
fible que les ennemis en puiffent rien apprendre ,
quand ils perceroient la chaîne; ce qu’ils ne pour-
roient faire fans tomber dans quelques-unes des
embufcades. Gette méthode ôte toutes les difficultés
qui font rejetter ces fortes d’entreprifes , &.
les rendent faciles : je ne penfe pas qu’on puiffe en
trouver de meilleures. Annibal eft le prémier des
anciens qui s’en foit fervi à la furprife de Tarente ,
mais non pas avec l’art que j’explique ici. Dans le
projet que je fis en 1709 pour le fecours de Mons,
je propofai cette méthode. Le projet fut agréé de
la cour, & envoyé au maréchal de Montefquiou ,
qui n’avoit nulle envie de s’embarquer dans une fi
grande entreprife. J’attendois quelques obje&ions
de fa part ; mais il n’en avoit point à me faire.
La première chofe à laquelle le général doit pen-
fe r , avant de fe déclarer, eft de demander aux
majors de fon armée un état jufte des combattants
fur lefquels il peut compter, celui des cavaliers
& des dragons à pied. C ’étoit la méthode de
M. de Turenne : je la tiens bonne, & ce doit-être
celle de tout général. Il fçait au moins, "quand
l’occafion s’en préfente , ce qu’il peut réellement
oppofer à l’ennemi.
Feu M. de Vendôme prit de femblables mefures
dans fon entreprife fur le camp des Efpagnols ;
ou, pour mieux dire., fur trois camps tout-à-la-fois
pendant, le fiège^de Barcelonne: il ne fe peut rien
imaginer de plus beau, de plus hardi, & de mieux
conduit. Larrey la rapporte en très peu de mots.
« Ce que ce grand capitaine fit.de plus vigoureux,
dit l’auteur, fut l’aâion qui fe paffa le 14
juillet. Il avoit appris par fes efpions que ce jour-là
la garnifon de voit faire une fiortie gé'nérale fur la
tranchée, pendant que les Efpagnols, qui cam--
poient à deux lieues de la ville, fous l’étendart du
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vice-roi, viendraient attaquer les François en flanc
& par-derrière : il les prévint. A deux heures du
matin, il fit marcher les détachements■ de cavalerie
& d’infanterie qu’il avoit ordonnes, 6C les
fuivànt de fort près, il entra dans le camp des ennemis,
& renverfa les troupes qu.’il y trouva lans
qu’elles puffent fe rallier dans l’obfcurité, & dans
la conftèrnation où cette furprife les avoient jet-
tées. Le vice-roi encore au lit prit la fuite, lans
ayoir eu le temps de s’habiller. Tout le camp fut
pillé. On prit les bagages, la vaiffelle..d’argent des
généraux, & la caffette du vice-roi, ou il y avoit
vingt-deux mille piftoles. On fit encore un butin
confidérable de mulets ou de chevaux, jutquau
nombre de fix cents. Le duc de Vendôme, après
cette grande & heureufe expédition , ie retira
après avoir fait brûler le camp de Cornêlla où elle
s’étoit paffée. Les ennemis en avoient encore deux
autres d’où ils furent chaffés, & allèrent camper lur
des hauteurs inacceflibles. On brûla ces deux
camps comme le premier. On dit que ces grands
luccès ne coûtèrent aux François que foixante-dix
hommes tués ou bleffés. Plus dejrois mille des
ennemis périrent dans la première action que
-conduifoit le duc de Vendôme, & un pareil nombre
dans celle que le lieutenant général d’Uflon exécuta
fous fes ordres. On voit cependant des relations
qui diminuent la perte des ennemis ; mais aucune
ne diminue la gloire du duc .de Vendôme, &
tontes conviennent qu’il fit un coup de maître ,
d’autant plus digne de louange qu’il etoit d une
néceflïté abfolue , en prévenant les Efpagnols ;
qui,par la fortie générale de la place & de leurs
camps qu’ils avoient réfolue, étoient fur le point de
rompre toutes les mefures du fiège ».
D é f ens e de s c a m p s r e t r a n c h e s .
II y a une infinité de mefures & de précautions
à prendre pour la défenfe d’une armee retranchée.
Elles ne confiftent pas toutes dans 1 ordre que 1 on
prend pour le combat. Il y a beaucoup d autres
chofes à obferver, qui ne font pas moins importantes.
WHMB
La plupart, pour éviter toute difpute de rang,
poftent les troupes & les officiers généraux, non
félon la réputation des unes , &. l’intelligence ou les
talents des autres , mais félon leur ancienneté ; ce
qui eft très mauvais ; le pofte des meilleures troupes
& des plus habiles généraux doit être celui ou
l’on craint le plus. M.-de Turenne fentit bien les
conféquences de cette coutume. _ < tt #
Certain général de fon armée , qui s etoit tait
une étude particulière de cette efpece de jurifpru-
dence,peu digne qu’on s’en occupe, & qiiietoit en
cette matière l’oracle que les officiers alloient con-
fulter , fut le premier que ce grand capitaine entreprit.
Il lui donna tant de dégoûts qu’il fut oblige de
fe retirer chez lui, dit Saint-Evremont, avec fa
capacité minutieufe & incommode. Tout fut tranquille
« 8t n’en alla que -mieux.
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Il feroit à fouhaiter qu’un abus fi pernicieux fut
aboli ; mais il a pris aujourd’hui de trop profondes
racines. En vérité n’eft-ce pas une choie bien ridicule
, que de voir un officier général qui a^ fervi
toute fa vie dans la cavalerie commander a 1 infanterie
qu’il n’entend1 ni ne connoît, & le general
fantaffm à la cavalerie où il n’entend rien ? C ’eft
tout comme fi Ton faifoit mettre pied a terre a la
cavalerie pour combattre en fantaflins, pendant que
l’infanterie monteroit fur les chevaux en guifé de
cavaliers.
Tout général qui imitera M. de Türénne fera
fort bien. Lorfqu’il craignoit quelqu’aéfion, & quil
appercevoit quelques endroits plus forts & plus
avantageux, quelques autres plus propres a êtré
attaques , il fe faifoit une loi de pofter dans ceux-
ci les corps fur lefquels il comptoit le plus, & les
généraux auxquels il avoit le plus de confiance ;
fans que qui que ce fût le trouvât étrange, parce
qu’en effet cela eft dans l’ordre.
Le général ne doit pas feulement voir par lui-
même le terrein qu’il occupe, &. fes environs,
mais en- avoir encore un plan très exaét : ce qui
fournit des-penfées qui peuvent fouvent échapper
au fimple coup d’oeil. C ’eft fur ce plan , comme
fur les lieux , qu’on règle fon projet de defenfe ; &
qu’on fe précautionne fur l’attaque & fur ce que
l’ennemi peut faire. L’etude & 1 expérience nous
mettent fouvent en état de prévoir ce qui peut arriver
de fâcheux, &. les moyens qu’il faut prendre
pour le prévenir. . , r .
Le général-, ayant bien examiné fon terrein &
réglé Ion ordre de bataille, ainft que le nom des
brigades, des régiments, St des poftes que chacun
occupe, il fera taire plufieurs copies du plan & du
projet de défenfe, qu’il fera diftribuer non-feulement
aux officiers généraux, mais encore aux brigadiers
&. aux colonels de l’armée.
Il prendra une autre précaution beaucoup plus
importante, c’eft de former fes troupes par un frequent
exercice, de les mettre fouvent en bataille ,
de leur faire border les retranchements, de les
accoutumer à tirer par rangs ou par pelotons, de
les exercer à de feints combats , pour leur apprendre
à connoitre les divers obftacles qu on peut
oppofer à l’ennemi dans fon entreprife. Il n y a
forte de combat il n’y a forte d avions militaires
où les Grecs & les Romains ne fuffent dreffés, &
où ils ne fçuffent ce qu’ils avoient à faire. C ’eft
ainft qu’un général habile & prévoyant prépare fes
troupes à une vigoureufe réfiftance, &. qu’on accoutume
le foldat à ce qui lui importe le plus de
fçavoir : il n’eft aujourd’hui que trop nouveau dans
ces fortes d’affaires, & dans plufieurs autres.
En fuivant cette méthode, les troupes con-
noiffent leurs forces & leurs avantages , lors meme
que l’ennemi a percé en quelques endroits. Je vais
I plus loin dans une affaire aufli importante que celle
de défendre l’entrée de tout un pays. Dans ce cas
il faut aller à la conviéïion, & faire connoître au»