
ôc de confidéràtion. Défrayés pendant leur féjour,
eux & leur fuite, ils partoient comblés de préfents ;
on leur donnoit des armes. ;Ôc des robes précieufes ,
des' chevaux , ôc jufqu a de l’argent. On trouve ici
un nouvel exemple de la diftinétion établie entre
les chevaliers & les écuyers ; c’eft que l’on donnoit
aux premiers le double des femmes d’or 6c d’argent*
que recevoient lès féconds, 6c de même aux :
bannerets une fois plus qu’aux bacheliers. La même ;
proportion s’obfervoit en pareils cas entre les hé- 1
rauts 6c. officiers d’armes , 6c les meneftriers ou
joueurs d’inftruments. Les plus grands feigneurs
acceptoient fans fcrupule ces fortes de libéralités ,
même celles qui fe faifoient en argent : ce n’étoit
pas effectivement: faire un don gratuit à la personne
, c’étoit s’affocier a fon entreprife , 6c, comme
chevalier, contribuer 6c prendre part à la gloire
quijdevoit en rejaillir fur toute la chevalerie. Les
princes1 6c les feigneurs , dont le fervice avoit été
l ’objet particulier de ces entreprifes , recompen-
fôient les chevaliers avec plus de magnificence. Des
terres , des honneurs , des penfions en fie f, 6c
beaucoup d’autres grâces , qui font l’origine de plu-
fieurs droits Seigneuriaux 6c de plufieurs fiefs, enrichirent
Souvent les guerriers, 6c d’un état affez
obfcur, Jes élevèrent au comble des honneurs.
Clignet de Brabant, félon le moine de Saint- Denis,
fut fait amiral, » quoiqu’il n’eût pas droit d’y prétendre
pouf la nobleffe , ni pour la valeur de Ses
ancêtres ; 6c il epoufa la comteffe de Blois qui le
mit fort à Son aife, de pauvre qu’il étoit auparavant,
6c fi véritablement pauvre qu’à peine pouvoitdl:
vivre au jour la journée. ». Cet exemple , tiré
d’une hifloire très authentique , rappelle 6c Semble
juflifier jufqu’à certain point un ufage dont nos
romanciers ont Souvent fait mention , '6c qui convient
parfaitement à des temps où le chef-lieu
de chaque domaine étoit un pofte , ôc prefque
une place de guerre , expofée aux infultes, aux
attaques, des voifins toujours ennemis 6c toujours
armés. Une demoifelle, riche héritière , fuivant
le récit de ces romanciers , une dame reliée veuve
avec de grandes terres à gouverner , avoit-elle be-
foin d’un feepurs extraordinaire , elle appelloit
quelque chevalier d’une capacité reconnue, elle lui
confioit avec le titre de vicomte ou de châtelain la
garde de* fon château 6c de fes fiefs , le commandement
des gens de .guerre entretenus pour leur
défenfe : quelques fois même, dans la fuite elle
acquittoit par le don de fa main les Services importants
qu’elle avoit reçus de lui. Ces alliances
étoient contractées ordinairement par les avis 6c
fous l’autorité des Souverains, protecteurs nés des
pupilles 6c des veuves nobles. Les princes, en conciliant
les intérêts des deux parties, remplifloient les
générèufes fonctions de la garde royale , ÔC réepm-
penfoientvn même temps la valeur des plus braves
chevaliers de leur cour. Ce fut vraifemblablement
airifi qu’un nombre aiTez confidérable de nos plus
grands feigneurs acquirent les' terres- immenfes
qu'ils ont poffédées. Il feroit difficile d’affigner uné'
origine plus glorieufè , foit à la puiffance de leurs
maifons , foit à l’étendue de leurs domaines.
Tout ce que nous avons dit des moyens offerts
aux chevaliers pour s’élever, ôc des progrès rapides
que l’onfaifoit dans la carrière des armes par un exercice
continuel, ne doit point être regardé comme
de fimples conjectures fondées fur dès fpéculations
politiques purement imaginaires. Indépendamment
de la fortune de.Clignet de Brabant, fortune
dont il fut en partie redevable à la faveur du duc
d’Orléans , l’hiftoire nous fournit plufieurs exemples
de chevaliers, qui n’étant pas encore âgés de trente
ans , avoient déjà commandé les plus grandes armées
qu’on eut alors, & formé les plus hautes entreprifes.
Boucicàut fut maréchal de France à vingt-
cinq ans , 6c le chevalier, fans reproche , Louis de
la Tréinouille, n’en avoit que vingt-huit, lorfque ,
revêtu de la dignité de Lieutenant général du roi*
grade fupérieur à celui des maréchaux de France,
il gagna la bataille de Saint-Aubin du Cormier ,
6c fit prifonnier le duc d’Orléans. Employer de fi
bonne heure les hommes nés avec le génie 6c les
talents de :1a guerre, c’étoit en quelque façon les
multiplier ; un feul parcouroit une carrière que n’au-
roient point fourni plufieurs généraux qui fe féroiènt
fuccédés les uns aux autres. Le même général, qui
demeuroit fi longtemps à la tête des armées, tiroit
de grands avantages de la confiance qu’avoient
infpiré fes premiers fuccès, 6c profitoit des expériences
heureufes ou malheureufes qu’il avoit faites :
le plan de guerre qu’il avoit conçu: , le fyf-
tême de difeipline militaire qu’iLavoit formé-,
beaucoup moins expofés au changement , pourvoient
être plus fûrement exécutés , 6c conduits à
leur entière perfection.
Jufqu’ici nous avons vu l’éclat dont brilloit la
chevalerie , dans la perfonne des guerriers qui en
foutenoient dignement le titre : mais,s’ilsvenoient
à la déshonorer par une lâcheté, par un crime , ou
par une autre aCtion honteufe , ils étoient réduits à
l’état le plus ignominieux par une efpèce de dégradation
dans laquelle on remarque plufieurs traits
de refiemblance avec celles des miniftres de l’églife.
Le chevalier , juridiquement condamné pour fes
forfaits à fubir cette flétriflùre, étoit conduit fur urt
échafaud, où l’on brifoit ôc fouloit aux pieds, en fa
préfence., toutes fes armes, 6c les différentes pièces
de l’armure dont il avoit avili la noblefle. Il voyoit
fon é cü , dont le blafon étoit effacé , fufpendu à la
queue d’une cavale , renverfé la pointe en haut,
ignominieufement traîné dans la boue. Les rois ,
hérauts , ôc pourfuivants d’armes étoient les exécuteurs
de cette juftice, qu’ils exerçoient en proférant
contre le coupable les injures qu’il méritoit.
Des prêtres, aprèsavoir récité les vigifes des morts,
prononçoient for fa tête ;lè pfeaume C V I I I J, qui
f contient plufieurs imprécations ôc malédictions-
| contre les traîtres. Trois fois le roi ou le héraut
d’artnes demandoit le nom du criminel ; chaque
fois le pourfuivant d’armes le nommoit , & le
héraut difoit toujours que ce n’étoit pas le nom
de celui qui étoit devant fes yeux , puifqu’il ne
voyoit en lui qu’un traître , déloyal & foi fneiuie
enfuite prenant des mains du même pourfuivant
d’armes un baffin plein d’eau chaude , il le jettoit
avec indignation fur la tête de cet infâme chevalier,
pour effacer le fàcré caraCtère conféré par
la colade. Le coupable, dégradé de la forte , étoit
enfùite defeendu en bas de Téchaffaut par une corde
pallée fous les bras , ôc mis fur une claie ou fur
une civière, couvert d’un drap mortuaire, 6c porté
a l’.églife, où l’on faifoit fur lui les mêmes prières
oc les mêmes cérémonies que pour les morts. On
peut voir plus en détail les diverfes formalités de
cette dégradation , au fécond volume de la Colom-
biere , dans fon théâtre d’honneur & de chevalerie :
on n’y lit pas un article qui ne dût faire frémir un
chevalier pour peu qu’il lui reftât de fefitiment.
L ’afpeCt certain de la mort la plus terrible ne pou-
voit rien offrir de plus effrayant , 6c l’idée d’une
pareille ignominie étoit capable de retenir dans le
devoir l’ame la plus foible , fi les préceptes de la
chevalerie ne fuffifoient pas pour lui infpirer la
vertu. Des fautes moins graves, mais deshono-
rantes , excluoient celui qui lés'avoit cômmifes de
la table des autres chevaliers. S’il ofoit y prendre
place, chacun d’eux étoit en droit de venir trancher
la nappe devant lui. On fçai't'qu’il n’eft point
de juftice plus févère que celle qui s’exerce entre
hommes du même état : alors l’intérêt commun
devient l'intérêt perfonnel de chaque particulier.
Obligé de fe retirer de la table J Te chevalier ne
fe feroit pas préfenté même à celle des écuyers,
fans s’expofer à recevoir un pareil affront. Bertrand
du Guefclin fut l’inifituteur de ce réglement, s’il en
faut croire Alain Chartier. « Celui Bertrand, dit-il,
laiffa de fon tèmps une telle remontrance en mémoire
de difeipline 6c de chevalerie dont nous parlons
, que, quiconque homme noble fe for faifoit
reprochablement en fon état , on lui venoit au
manger trancher la nape devant foi ». Mais je crois
que cet ufage' étoit plus ancien , 6c que du Guef-
clin en fut feulement le reftaurateur. Autant qu’il
lui fut poffible, il ranima l’ancienne difeipline de
la chevalerie, qui s’étoit déjà relâchée de fon temps,
ôc jie la releva pas moins par les exemples de vertu
qu il donna comme chevalier, que par les ordonnances
qu il fit en qualité de connétable.
Nous avons pris les chevaliers prefqu!au fortir
du berceau ; nous les avons fui vis dans tout le
cours de leur vie ; il ne nous refie qu’à lés con-
liderer entre les bras de la mort, qui dèvoit feule
terminer tant dé glorieux travaux.
On trouve prefque touts les détails de leurs funérailles
dans la defeription que nous a laiffée
Lim°nne Saint-Denis de celles du connétable
Bertrand du Guefclin, la vraie'fleur de c/>è-
valerte , 6c dans l’ouvrage de la Colombière ,,qui
traite des pompes funèbres que l’on faifoit aux
chevaliers , des ornements dont leurs tombeaux
étoien tchargés, 6c de la différente pofition qu’on
donnoit dans leurs effigies à leurs épées, à leurs
boucliers, à leurs heaumes, fuivant les circonfiances
plus ou moins glorieufes qui avoient. accompagné
leur trépas ; foit qu’ils fuffent morts à la guerre ,
dans les combats, dans les crôifades, ou dans le
fein delà paix; foit qu’ils eù fient été vainqueurs ,
vaincus, ou prifonniers. Ajôutons-y le récit d’O livier
de la Marche, concernant celle de Corneille,
bâtard de Bourgogne , tué l’ànnéè 1452. dans une
rencontre , en pourfuivant les Gantois & Le corps
de meffire Corneille, dit-il, fut envoyé à Bruxelles,
ôc le feit enterrer la ducheffe ( de Bourgogne ) à
Sainte-Goule ,..moult honorablement ; car elle
l’aimoit moult pour fes bonnes vertus ; ôc fut'mis
fur lui fa bannière , fon éteridart, 6c fon penon’,
6c depuis me difl: Toifon d’or ( roi d’armes de l’ordre
qui portoit ce nom ) qu’il n’apparténoit à homme
ces trois chofes être mifés en parure fur fa fépul-
ture , s’il n’étoit mort en bataille , mais bien un , ou
les deux , 6c non les trois enfemble ». Ainfi la
gloire que les chevaliers avoient toujours chérie &
recherchée les' fuivoit" jufques' dans leurs tombeaux.
Les marques honorables qui 'décoroient leurs catafalques'
ôc leurs maufoiéés étoïent en même-
temps, de la part’de la nation qui les décernoit,
un témoignage de fa réconnoifî’ance envers les
'héros qui l’avoient défendue, pour le héros lui
même une récompenfe immortellè de fes travaux ,
6c pour fa famille' une décoration dont elle ne
devoit jàmais ternir l’éclat:' C ’étoit enf?n pour toute
la chevalerie un exemple pïôpre à l’enflammer
d’une noble émulation à liai faire' fuivte dans le
'fentier'dè la gloire1 fes pas du chevaîiër','qai touts
avoient été marqués par autant de degrés d’honneur.
Les épées 6c les autres armes que les plus fameux
chevaliers avoient portées dans les combats ,
6c qui tant de fois avoient été lés iiîftruments de
leurs viftoires ,'cês armés , dis-je, comme autrefois
celles cl’Àchilles parmi les chefs grecs, excitoient
l’ambition des capitaines , Ôc même des princés
fouvèrains. Ils defiroient de les pofféder , foit pour
les employer eux-mêmes à des exploits dignes des
héros qui fes àvoièrit ennoblies , foit pour fes dé-
pofer dans leurs arfenaux 6c dans leurs falles d’armes,
comme, des monuments finguliers 6c vénérables.
Quelquefois on fes donnoit aux' églifes , on fes
cônfacroit à Dieu , feul auteur du courage,comme
des autres vertus.
Le duc de Savoie fit les plus exactes recherches
pour trouver l’épée du chevalier Bayard ; il la
vouloit placer dans fon palais. Sous Charles V I I ,
dans fes plus grandes adverfités de la France, on
crut devoir choifir une de ces épées antiques pour
armer le bras de la pucelle d’Orléans. « En l’églife
j de Sainté Catherine de Fierbois , fe trouvèrent ,
j dit SavàrOn , plufieurs épées ■ qui' là avoient été
K k L k i j