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des chevaux ; nous ne fçavons point faire des
ouvrages de femmes. Les vôtres ne font point ce
que nous venons de dire ; elles s’occupent de
travaux ferviles, relient dans leurs chariots , ne
connoiffent ni l’exercice de la chaffe , ni d’autres
femblables : nous ne pouvons prendre leur genre
de vie. Mais , fi vous voulez nous avoir pour
femmes & vous montrer équitables ^ retournez à
vos parents, tirez au fort la portion de biens
qui doit vous appartenir., revenez avec n o u s &
habitons féparés de votre nation ». Les .jeunes
Scythes fuivirent ce confeil. Lorfqu’ils eurent tiré
au fort la portion de leurs héritages, ils revinrent
aux Amazones qui leur dirent : « nous craignons
beaucoup d’habiter dans ce pays, après vous avoir
privé de vos parents & ravagé vos terres. P.uifque
nous vous paroiffons dignes d’être vos femmes .,
fortons de ce pays , & paffant le Tanaïs, éta-
blilîons-nous ailleurs». Les jeunes gens perfuadés
pafsèrent le fleuve ; & parvenant à un lieu qui
en eil éloigné de trois journées vers l’orient, &
à même diflance du palusMoeotide vers le nord,
ils y fixèrent leur demeure. C ’elt de là que font
venues les anciennes coutumes des femmes Sau-
romates. Elles montoient à cheval, chafloient avec
& fans les hommes ; alloient à la guerre, & por-
toient le même habit que les hommes. On difoit
que les Sauromates partaient mal la langue fcythe,
parce que lès Amazones ne purent jamais la bien
apprendre. Leur coutume pour le ihariage étoit
que nulle fille ne le contractât avant d’avoir tué
un ennemi. ( Hérodot. Liv. IV ).
Cependant Orithye, apprenant l’incurfion des
Athéniens & la défaite de fes foeurs, excita fes
compagnes à la vengeance, en leur difant qu’en
vain elles auroient fournis l’Afie & le Pont-Euxin ,
fi elles refloient expofées aux iniultes des^Grecs,
qui étoient moins des guerres que des brigandages.
Elle obtint de Sagille, roi des Scythes, un grand
fecours de cavalerie, & marcha contre l’ennemi.
Mais la diffention ayant divifé ces auxiliaires &
les Amazones, elles furent abandonnées par eux
au moment du combat. Vaincues par les Athéniens
, elles trouvèrent cependant un afyle dans
le camp de leurs alliés ; & protégées par eu x ,
elles revinrent à leurs poffeflions fans être attaquées
par les autres peuples. C ’efl peut-être de cet avantage
que les Eléens fe glorifioient à Platée, lorl-
qu’ils y difputèrent aux Athéniens l’honneur d’être
placée à une des ailes de l’armée. Penthéfilée régna
après Orithye, & fe diftingua par fa valeur au
iiège de Troie, en combattant pour les Grecs.
Les Amazones3 en changeant de climat, changèrent
quelques - unes de leurs coutumes. Celles
du Tanaïs né fe privoient que de la moitié du
fein : on l’extirpoit, fuivant Hypocrate , ou on le
defféchoit avec un vafe d’airain échauffé ; opération
qui leur rendoit le bras droit plus fort & plus
fouple. Elles ont fubfiflé long-temps dans cette
contrée : il y en avoit encore en grand nombre
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au temps de Platon, environ quatre fiècles avant
l’ère chrétienne; mais ilparoît qu’elles n’avOientplus"
d’empire abfolu fur les hommes ; & qu’elles parta-
geoient feulement avec eux les travaux guerriers.
Cependant Pharæmane , roi des Korafméniens,
qui vint trouver Alexandre , s’offrit pour lui fervir
de guide, s’il vouloit aller foumettre la Colchide
& les Amazones. Atropate , fatrape- de Médie,
préfenta devant Alexandre cent femmes à cheval
en habit de cavaliers , armées de peltes &. de
haches , qu’il difoit être des Amazones ,* elles
avoient, dit-on, le fein droit plus petit que l’autre,
& l’hiftoire Perfane de Timur-Bec. parle d’une
Caïdafa, reine des Amazones, qui avoit un lit
célèbre par fa beauté. Le lieu de fa réfidence étoit
Berdaa , capitale du royaume d’Aran, à foixante-
deux lieues de Téflis,
Voilà ce que les anciens auteurs les plus dignes
de foi nous difent de ces femmes extraordinaires.
Les écrivains .poflérieurs, tant poètes qu’hiftoriens,
y ont ajouté beaucoup de fables. Telle eil celle
de l’entrevue d’Alexandre & de Thaleftris , inventée
par la flatterie. Lorfqu’Onéficrite, auteur
d’une hiftoire.du héros macédonien, en fit leâure
devant Lifymaque, & en vint à cette entrevue :
apprenez-moi, lui dit le lieutenant d’Alexandre,
appreneç-moi, de grâce, ou jétois alors, & pourquoi
je nai rien fçu de toutes ces chofes. En ce point
d’hiftoire, comme en beauçoup d’autres, l’ornement
a dérobé le fond : on a trouvé la vérité confondue
avec la fiéfion, & on a rejetté le tout comme
fabuleux. Cependant, pourquoi ne croiroit-on
pas qu’il a exiflé en Libie & fur le Pont-Euxin
ce qu’on a trouvé prefque de Uos jours en Afrique
chez les Iagas, un peuple de femmes guerrières
qui tuoient leurs enfants mâles , pour ne conferver
que les filles ; qui n’épargnoient les plus braves
de leurs captifs que pour les tenir dans l’efclavage;
q u i, fous leur reine Singa , firent aux Portugais une
guerre opiniâtre ? Une nation policée de femmes
guerrières feroit fans doute une fable monllrueufe :
mais faut-il donc juger d’après les peuples civi-
lifés les peuples barbares ? Nous trouvons dans les
femmes de ceux-ci des aélions plus éloignées de
la nature que celle de faire la guerre. Il n’efl cer-
tainéinent point aufli monflrueux pour des femmes
d’attaquer avec valeur une troupe ennemie, que
de tuer, comme le firent les femmes des Cimbres,
leurs frères, leurs maris, leurs fils , qui fuyoient
devant Marius & les Romains, d’égorger leurs
enfants, de les écfafer contre les rochers, de les
jetter fous les roues des chariots , fous les pieds
des chevaux, pour les fouftraire à la captivité,
& de fe donner la mort pour s’y dérober ellesr
mêmes. N’e f t - il pas plus naturel de prendre les
armes pour fe défendre foi & fes enfants ?
Si nous regardions comme des fables. tout ce
qui paroît s’éloigner de la nature connue, nous
révoquerions en doute les inffitutions de Crète &
de Sparte, entièrement oppofées à celles du refie
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des hommes. Vit-on jamais rien' de plus contraire
à la nature que la confiance des enfants de Sparte I à fupporter là douleur des coups de fouet jufqu’a I la mort même, avec un vifage gai &. content ?
I C ’efl cependant ce qu’ont vu Plutarque & Cicéron
f qui nous le racontent. Et des parents qui s’affligent
I quand leur fils furvivent au combat; qui fe couronnent
de fleurs & font éclater leur joie en
Ipublie, lorfqu’on leur annonce qu’ils y ont péri,
| ne Tont-ils pas des prodiges plus étonnants que
les Amazones ?
I- ■ On prétend que l’Amérique a aufli les fiennes.
« La cour fouveraine de Quito a fait des perquisitions
à ce fujet , & plufieurs naturels du pays
■ ont atteflé qu’une des provinces, voifines du fleuve-
-( des Amazones ) , étoit peuplée de femmes belli—
. queufes, qui vivent & fe gouvernent feules, fans
hommes; qu’en un certain temps de l’année, elles
en reçoivent pour devenir enceintes, ôc que le
refie du temps, elles vivent dans leurs bourgs,
où elles ne tangent qu’à cultiver la terre, à.
fe procurer, par le travail de leurs bras, tout ce
qui efl nécèffaire à l’entretien de la vie. Le fiège
royal de Porto, • dans le nouveau royaume de
Grenade, a reçu le témoignage de quelques Américains
, particulièrement celui d’une Américaine
qui avoit été dans le pays de ces vaillantes femmes,
& qui ne dit rien que de conforme à tout ce
qu’on fçavoit déjà ». Le père d’Acugna, qui
rapporte ces faits, ajoute : « auffi-tôt que je me
fus embarque fur le fleuve, on me dit, dans toutes
les habitations où je paffai, qu’il y avoit dans le
pays des femmes telles que je les dépeignois,
& chacun en particulier m’en donnoit des marques
fi confiantes & fi uniformes, que, fi la chofe n’efl
[point, il faut que le plus grand des menfonges
Jpafle dans tout le nouveau monde pour la plus
[confiante de toutes les vérités hifloriques. Cependant
nous eûmes de grandes lumières fur la province
que ce§ femmes habitent, fur les chemins
qui y conduisent, fur les Américains qui communiquent
avec elles, & fur ceux qui leur fervent
à peupler, dans le dernier village qui efl la frontière
entre elle & les Topinambous.
.Trente - fix lieues au-defïous de ce dernier
village, en defcendant le fleuve, on rencontre ,
du côte du nord, une rivière qui vient de la
province même des Amazones, ôt qui efl connue
par les Américains du p a y s , fous le nom de
[ Cunuris. Elle prend ce nom de celui d’un peuple
j voifm de fon embouchure. Au-deffus, c’efl-à-dire
i en remontant cette rivière , on trouve d’autres
s Américains nommés Apotos , qui parlent la langue
| generale du Bréfil. Plus haut font les Tagaris.
I Ceux qui les fuivent font les Guacares, l’heureux
| peuple qui jouit'de la faveur des Amazones. Elles
ont leurs habitations fur des montagnes d’une hauteur
prodigieufe, entre lefquelles on en diflingue
une nommée Yacamiaba , qui s’élève extraordinairement
au-deffus de toutes les autres, ôt fi
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battue des vents qu’elle en eft ftérile. Ces femmes
s’y maintiennent fans le fecours des hommes.
Lorfque leurs voifrns viennent les vifrter au temps
qu’elles ont réglé., elles les reçoivent l’arc & la
flèche à la main , dans la-crainte de quelque furprife.
Mais elles ne les ont pas plutôt reconnus, qu’elles
courent à leurs canots, oh chacune faifit le premier
hamac qu’elle y trouve, & le va fufpendre dans
fa maifon, pour y recevoir celui à qui le hamac
appartient.
Après quelques jours de familiarité, ces nouveaux
hôtes retournent chez eux. Touts les ans
ils ne manquent point de faire ce voyage dans
là même faifon. Les 'filles qui en naiffent font
nourries par leurs mères, infimités au travail &.
au maniement des armes. On ignore ce qu’elles
font des mâles ; mais j’ai fçu, d’un Américain,
qui s’étoit trouvé à cette entrevue, que l’année
fuivante elles donnoient aux pères les enfants:
mâles qu’elles ont mis au monde. Cependant la,
plupart croient qu’elles-tuent les mâles au moment
de leur naiffance.,. & c’efl ce que je ne puis décider
fur le témoignage d’un feul Américain.
Quoi qu’il en fait,.elles ont dans leur pays des
tréfors capables d’enrichir le monde entier ; &
l’embouchure de la rivière, qui defcend de leur
province, efl à deux dégrés & demi de hauteur
méridionale ».
Le premier navigateur qui reconnut la rivière
de Maragnon, François Bellana, dit avoir vu
en la defcendant quelques femmes armées, dont
un cacique l’avertit de 'fe défier. Ce fut d’après
ce fait qu’on lui donna le nom de rivière des
Amazones. M. de là Condamine dit, dans la relation
de fon v o y a g e , qu’il n’a point vu de
femmes guerrières ; mais qu’en raffemblant les
témoignages, il efl affez probable qu’il y en a eu
en Amérique ; & il paroît porté à croire qu’elles
ne fubfiflent plus.
Si on veut s’en rapporter au témoignage de
Lopez , il y en avoit de fon temps en Afrique.
Suivant lui, les meilleures troupes du Monomotapa
font quelques légions de femmes, qui fe brûlent
la mamelle gauche, comme les anciennes Amazones
, pour tirer plus-librement de l’arc : elles
n’ont point d’autres armes. L’empereur leur accorde
certains cantons pour y faire leur demeure. Elles
y reçoivent quelquefois des hommes, dans la
feule vue d’entretenir leur efpèce. Les enfants
mâles font renvoyés aux pères, & lés filles demeurent
fous la conduite de - leurs mères, pour
apprendre le métier de la guerre.
En tout temps & en tout pay s quelques femmes,
ont prouvé qu’elles pouvoient égaler les homme s
par le courage. C ’étoit l’opinion de Platon, qui,
dans le plan de fa république, propofe de les
affujettir comme les hommes au fervice militaire.
Je fuis loin de penfer que la nature les y defline
dans un état civilifé. Mais on en voit chez toutes
les nations fe fignaler par leur courage, & leur