approchant vers la poignée , étoit la clef de la
détente, affez femblable à celte de la détente du
ferpentin d’un moufquet. Par le moyen de cette
c le f, que l’on preffoit avec la main contre le manche
de Y arbalète , le reffort laiffoit le mouvement, libre
à la roue qui.arrêtoit la corde , & la corde fe
débandant, faifoit partir le dard.
' Sur le chevalet, au-deffous de la petite roue ,
étoit une petite lame de cuivre qui s’élevoit & fe
couchoit, & étoit attachée par fes deux jambes
avec deux vis aux côtés du chevalet : c’étoit le
fronteau de mire. Elle étoit percée tout en haut
de deux petits trous, l’un fur l’autre, & quand
la lame étoit levée , ces deux trous répondoient
à un globule , qui n’étoit pas plus gros qu’un petit
grain de chapelet ; lequel, tout au bout de l’arbalète
étoit fufpendu par un fil.de fer très menu , & attaché
à deux petites colonnes de fer, perpendiculaires
au fû t , une à droite, & l’autre à gauche. ; & ce
petit globule, répondant aux trous de la lame,
lervoit à régler la mire, fait pour tirer horizontalement,
foit pour tirer en haut vOU en bas. La
corde de l’arc étoit double. Les deux cordons étoient
tenus féparés l’un de l’autre, à droite & à gauche ,
par deux petits cilindres de fe r , à égale diftance
des deux extrémités de l’arc, & du centre. Aux
deux cordons, dans le milieu, tenoit un anneau
de corde, qui fervoit à l’arrêter à.la coche dont
j ’ai parlé. Quand l’arc étoit bandé , entre les deux
cordons, au centre de la corde, & immédiatement
devant l’anneau, étoit un petit quarré de corde
©il fe plaçoit l’extrémité de la flèche , pour être
pouffée par la corde. On bandoit avec la main la
corde dés petites arbalètes , par le moyen d’un
1er ou d’un bâton fourchu , nommé pied de chèvre.
Pour bander les plus grandes arbalètes , il falloit
employer un pied , & quelquefois les deux pieds ;
comme l’exprime ce vers de Guillaume le Breton :
‘ Ballifiâ duplici tenfâ pede mijfa fagitta.
La fièche ejl lancée par la ballifie tendue avec les
deux pieds. On les bandoit aufîi avec un moulinet
une poulie ». ( Voye^fig,, 2 9 ,3 0 ,3 1 , 32, ).
Explication des figures•
'À , A , A . Le fût de Y arbalète , ( fig% 29
B , B. L’arc de Y arbalète.
C , C . La corde tendue.
D , D. Les deux cylindres qui tenoient les cordons
de la corde féparés l’un de l’autre.
G , G. Les deux petites colonnes de fer, auxquelles
étoit attaché le petit fil de fe r , au centre duquel
étôit le petit globule pour régler la mire.
I . La n oix , ou roue mobile d’acier, où l’on arrê-
toit la corde bandée , ( fig. 30 ),
K . Coche intérieure de la noix.
M. C le f de la détente*
N . N. Fronteau de mire • (fig. 31
O. Flèche , (fig. 32 ).
C ’eft fans doute, la mêmé arme que les latins
nommoient arcubalifia ou manubalifla. Cette machine
étant très connue du temps de Végèce ; il
a négligé de la décrire, & nous apprend feulement
qu’on en faifoit ufage pour lancer des flèches. ( Lib.
4 , cap. 21 & 22 ).
Anne Comnène a parlé de l’arc ou plutôt de
Y arbalète, en ufage de fon temps parmi les barbares.
« C ’eft, dit- e lle , une arc d’une ftruâure
inconnue aux Grecs. On ne fe fert pas de ce
terrible inftrument en tirant la corde avec la main
droite , & pouffant l’arc avec la gauche. 11 faut
fe coucher fur le dos, & appuyant le pied fur
le demi-cercle, tirer la corde avec les deux mains.
Au-déffous de la corde , il y a un tuyau en forme
de cylindre , de la groffeur d’un trait. On met
dedans des traits fort courts &. garnis de fer.
Lorfqu’on lâche la corde , le trait part avec une
impétuofité à laquelle rien ne-réfifte. 11 ne perce
pas feulement.un bouclier: il traverfe la cuiraffe
& l’homme, de part en part. On dit même qu’il
rompt les ftatues de bronze ; & quand les murailles
des villes & des fortereffes font fort épaiffes,
il y entre fi avant qu’on ne le voit plus ».
Cette defcrip.tion nous apprend que Y arbalète
connue au fiècle d’Anne Comnène étoit à-péu-près
la même que celle dont on a fait ufage jufqu’à
l’invention de la poudre. La circonftance de;, fe
coucher furie dos pour apprêter cette arme manque
de vraifemblancej ou fi en effet elle a exifté , elle
n’étoit pas-nëéeffaire. Un homme eft plus en
force, étant aflis ou debout, les deux pieds fur la
pièce qu’il veut rendre immobile , que lorfqu’il
eft couché fur le dos : mais il n’eft pas furprenant
qu’une femme , d’ailleurs très fçavante pour fon
temps, & plus encore pour fon rang, ait décrit
avec peu d’exa&itude une arme qui n’étoit pas en
ufage dans fa nation. Il efl: plus étonnant que l’ingénieux
chevalier Folard n’ait fait attention qu’aux
avantages fans doute exagérés de cette machine,
qu’il, ait comme détourné les yeux de fes principaux
inconvénients , & prononcé que , toute
prévention à part, elle était infiniment plus meurtr ière
& plus avantageufe que ne le font nos fufils , fes
coups plus certains,, 6* fa force au moins égale. Le
chevalier Folard, emporté par fon imagination,
& rempli de fon fyftême de la colonne & des
armes blanches , ne voyoit dans toutes les viéloires
que des colonnes &. des armes fupérieures à nos
fufils. Comme fon autorité pourroit en impofer ;
j’ai cru devoir difeuter l’opinion qu’il s’étoit faite
de Y arbalète ,• 6c rapporter les descriptions qu’on
a données de cette arme.
Quant à la propriété d’être plus meurtrière ,
que le chevalier Folard lui attribue, je voudrois
que ce fût précifément ce qui l’eût fait abandonner
par nos pères ; mais il n’eft pas poflible de
fuppofer. tant de raifonà ces âges demi-barbares,
pas même au. nôtre malheuréufement. Plufieurs
fiècles pafferont,. avant que l’humanité faffe un tel
progrès. Si je .croyois Y arbalète infiniment plus
meurtrière que nos fufils , je me garder ois bien de
la propofer, même d’en parler : fi j en croyois
les coups plus certains, je ferois bien fâche quon
>en rappellât l’ufage ; mais c’eft une affertion des
plus douteufes : le fufil entre les mains d un bon
! tireur eft sûr autant que peut l’être une arme de
j.et : s’il n’eft pas tel entre les mains de la plupart
;des foldats * il ne faut pas ,en chercher la caufe
dans les défauts de l’arme : elle eft dans la crainte
de ceux qui en font ufage. La balle eft conduite
avec sûreté par le canon que dirige l’oeil du tireur ,
&. les petites inégalités qu’elLe peut rencontrer dans
ce canal ne peuvent pas, lorlqu’il eft bien fait ,
la ; détourner fenfiblement de fa direéfion. Mais,
dans Yarbalète, on pouvoit donner au trait une
'fauffe direétion , en le pofant fur le fût. La corde-
élevée un peu plus ou un peu moins par la détente
, pouvoit lui donner une fauffe impulfion :
& ceci arrivoit encore , lorfque l’arc n’étant pas
pofé parfaitement jufte , la corde, frappant le trait,
iâifoit avec lui des angles inégaux. Dans ce dernier
cas, qui fans doute arrivoit très fréquemment par
la fauffe pofition de l’arc pu du trait, l’impulfion
devenoit beaucoup moindre. Je crois donc que
les coups de Y arbalète étoient moins sûrs &. moins
forts que ceux du fùfil ; que cette arme étoit
en foi moins meurtrière que la nôtre ne l’eft i
pu que, fi elles approchoient en ce point l’une
de l’autre , c’étoit parce que Y arbalète pouvoit tirer
plus de coups dans le même-temps. De plus,
cette dernière arme étoit difficile à manier : on
ne peut pas en douter d’après le récit d’Anne
Comnène. Quand même on n’y ajouteroit pas fo i,
lorfqu’elle dit qu’il falloit fe coucher fur le dos
pour tendre la corde ; il eft dumoins certain que
les efforts néceffaires pour cet effet exigeoient
beaucoup de place, & qu’en ce point le fufil eft
■ une arme de jet plus avantageufe , puifqu’on peut
facilement en faire ufage & conferver un ordre
ferré. Si cela n’étoit pas, eft-il croyable que nos
ancêtres, qui n’étoient pas des hommes ftupides ,
euffent quitté cette arme pour prendre le moufquet
à ferpentin, que nous fçavons être bien inférieur
à notre fufil. Dans un fiècle peu raifonneur &
peu éclairé, ils n’ont fans .doute fait ce changement
que d’après leur expérience.
L; idarbalète fut connue en France avant lé règne
f e Philippe-Augufte& en Angleterre avant celui
de Richard, Coeur-de-Lion. 11 y en avoit dans
j les armées fous Louis-le-Gros. L’abbé Suger rap-
? porte , dans la vie de ce Prince , qu’il attaqua
iProgon de Montiac avec une grande troupe d’ar-
Ijchers &. d’arbalétriers, & que Raoul de Verman-
| dois eut l’oeil crevé par un quatre au d’arbalète.
Le fécond concile de Latran , tenu en 113 9 , fous
;■ k règne de Louis-le-Jeune ., père de Philippe-
Augufte, anathèmatife l’ufage de cette arme , qu’il
appelle meurtriè'e & odieufe à Dieu. « Artern illam
mortifieram , d» Deo odibilem , balliftqriorum 6*
fagittariorum adverfusChriflianos & Catholicos exerceri
de cetterofubanathemateprohibemus ».(Can. 29). Cette
défenfe fut obfervéé fous Louis-le-Jeune, & au commencement
du règne de fon fils. Il n y avoit pas fous
Philippe-Augufte un feul homme dans fes armées
qui fçut faire ufage de Varbalète. ( Voye•£ Guill.
Brito. Philip. ). Mais peu à près Richard, Coeur-
de-Lion , en rétablit l’ufage en Angleterre , & la
France l’imita. Ce prince périt d’un trait d'arbalète.
Le concile défendoit feulement d’employer cette
arme contre les chrétiens & les catholiques. Ces
deux rois crurent fans doute , ou feignirent de
croire, qu’en la dirigeant contre les Sarrafins »
elle ceffoit d’être un objet d’horreur aux yeux
de l’Eternel : ils s’en fervirent dans les qroifades ;
& , foit qu’ils ne la trouvaffent pas plus meurtrière
& plus odieufe que toute autre , foit qu’ils fuffent
revenus de la terre fainte avec moins de fo i, ils
1’employèrent enfuite en Europe contre les catholiques.
Aufli-tôt nouvelles foudres du pape contre
Y arbalète , qui prévalut cette fois ; elle ne fut
abolie que vers le milieu du règne de François I er.
Ce prince avoit encore parmi fes gardes , a la
bataille de Marignan, deux cents arbalétriers. Ils
étoient à cheval, & s’y diftinguèrent. L’ufage de
Yarbalète fut enfuite aboli prefqu’entiérement ,
excepté parmi les gafeons. Suivant Montluc, les
armées françoifes ne faifoient encore ufage que
& arbalètes en 152.3. Il faut noter, d i t - i l , qtiefa
troupe que f dvois n étoit que d'arbalétriers. . , ^
Guillaume du B e lla y , dans fon livre de la discipline
militaire , imprimé en 1592. , ne met ni
archers ni arbalétriers au nombre des troupes françoifes
, &c rapporte qu’à la Bicoque , en 152.Z ,
il n’y avoit dans l’armée françoife qu’un feul arbalétrier
, mais fi adroit, qu’un capitaine Efpagnol,
nommé Jean de Cordonne, ayant levé la vifière
de fon cafque pour refpirer , l’arbalétrier tira fa
flèche avec tant de jufteffe , qu’il l’atteignit au
vifage & le tua. Ce même auteur rapporte qu’au
fiége de T urin, en 1536, le feul arbalétrier qui
étoit dans la place , tua ou bleffa plus de nos
ennemis en cinq ou fix efcarmouches , que les
meilleurs arquebufiers qui fuffent dans la ville ne
firent pendant tout le fiége. Ce fait, fuppofé bien
vrai, çonftate la fupériorité d’adreffe de l’homme
& non celle de l’arme. De plus., le moufquet à
mèche, dont on parle i c i , n’eft pas comparable
à notre fufil. ( DiElionn. encycloped. & fuppl. art•
A rbalète. (V). ( Daniel Mil . Franc. ).
A R B A LÉ TR IER ; foldat ou cavalier armé
d’une arbalète.
Les arbalétriers ayoient en France un grand-
maître , dont la charge étoit la plus éminente de
l’armée après celle de maréchal de France. Le
premier qui foit nommé dans notre hiftoire eft
Thibaut de Montléart , fous le règne de Saint
Louis. Il ne pouvoit y en avoir avant Philippe-
Augufte , puifque , fuivant Guillaume le Breton ,
au commencement dn règne de ce prince, aïeul de
ik/r :Y