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Négociations vraies ou feintes ; fecours fuppofé ;
apparence de forcés.
Si on eft trop inférieur pour s’expofer à une
attion ; il faut, lorfque les circonftances le permettent,
imiter Célar., q u i, s’étant avancé fur la
rivière d’A p fe , près d’Apollonie , entra en négociation
avec Pompée. On peut rendre l’ennemi
plus circonfpeél, en répandant le bruit d’une paix
prochaine entre les puilfances belligérantes, ou
du moins d’une difpofition à la paix, fi les circonftances
rendent ce bruit vraifemblable : il faut
alors entrer en pour-parler avec fon adverfaire,
repréfenter combien il feroit inutile & inhumain
de répandre le fang pour une querelle prête à fe
terminer.
Le bruit d’un fecours prochain, s’il peut arriver
- en effet, & le fimuiacre de fon arrivée, s’il eft
attendu, arrêteront vraifemblablement les entre-
prifes dé l ’ennemi belles feront fufpendues auffi
par l’apparence de forces plus grandes qu’elles ne
le font en réalité. Des valets déguifés , montés
fur des chevaux de bagage , des troupes mifes fur
peu de hauteur, un camp beaucoup plus étendu
qu’il ne devroit l’être , & autres ftratagêmes fem-
blables, peuvent en impofer à votre adverfaire;
mais alors fon erreur ne peut pas être durable ,
& de pareilles rufes ne peuvent fervir que lorsqu’il
eft important de fe ménager quelques moments.
Si vous en avez le temps, enlevez les fubfif-
tances du pays qui eft devant vous , & faites-en
des magafins bien protégés par votre position ;
afin que l’ennemi ne puifîè venir à vous, ou que,
s’il y vien t, il lui foit impoffible de refter longtemps
dans votre voifinage, & de trouver , pendant
le peu de féjour qu’il y fera, l’occafion de
vous combattre : ce fut ainfi que Vercingétorix
l’ôta long-temps à Céfar.
Si vous craignez que la réfolution de ne point
combattre ôte le courage à vos troupes, cachez-
la fous divers prétextes ; feignez d’attendre un
fecours , de changer de camp pour avoir des fourrages
en plus grande abondance , pour éviter les
maladies, pour protéger une place ou une province
, pour tenter d’inquiéter l’ennemi fur fes
fourrages & fes convois ; marchez en avant, s’il
le faut, mais à un pofte fi avantageux, que vous
ne puiffiëz y être attaqué fans la plus grande
témérité : harcelez l’ennemi ; faites inquiéter fes
partis, fes fourrages , fes poftes avancés ; ôtez
àinfi à vos foldats les foupçons d’une crainte qui
pourroit les gagner eux-mêmes, ol les empêcher
de fe bien défendre dans une occafton preflante.
Il n’y a pas de crainte plus puifïante fur leur efprit,
que celle d’un péril qu’ils foupçonnent & ne con-
noiffent pas. Fabius ne fuyoit pas devant Annibal ;
au contraire, il marcha vers lui'afin de modérer
les murmures de fon armée & de fes concitoyens ;
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mais, lorfqu’il fut en fa préfence, il fit feulement
paroître fes troupes fur les hauteurs , & auroit
voulu que le Carthaginois l’y vînt chercher ; comme
Turenne , au Queinoi, auroit defiré que l’impé-
tuofité de Condé affoiblît, pour un moment, le
coup d’oeil perçant &. le jugement de ce grand
homme.
Afin de n’être pas inquiété dans vos fourrages
d’une manière dangereufe , trompez l’ennemi fur le
lieu & l’heure; annoncez l’un & l’autre à l’avance ,
& donnez au général qui le doit commander, des
ordres fecrets pour conduire les fourrageurs dans
un autre endroit : prenez d’ailleurs toutes les précautions
dont il fera parlé aux articles partis &
fourrages. S i , malgré vos foins, l’ennemi les attaque
avec luccès, foyez ferme, & laiflez-les battre :
facrifiez un bras pour fauver le corps.
Les raifons de chercher Y action ou de l’éviter,
& les moyens de parvenir dans ces deux cas à
la fin qu’on fe propofe, peuvent fe réunir & fe
combiner d’un grand nombre de manières. Il feroit
trop long d’épuifer ici ces différentes combinai-
fons ; c’en à l’étude de l’hiftoire qu’il .faut recourir
pour ; s’en inftruire , & on en trouvera beaucoup
d’exemples dans la fuite de cet ouvrage , aux
articles bataille , combat y campagne , guerre , Stratagème.
A c t io n . Mot qui fe prend, dans un fens particulier,
pour un fait mémorable d’un officier' ou
d’un foldat. Voye^ R écom pen se s.
AD JU D AN T . Ce mot fignifie aide. Il s’emploie
dans là milice de plufieurs nations d’Europe,
& fur-tout du nord, pour fignifier un officier
qui en aide un autre dans fës fondions. Vadjudant
d’un bataillon répond à notre aide-major & fous-
aide-major; le général adjudant, ou aide du général
, à notre aide-de-camp.
On donne aujourd’hui ce nom dans les troupes
françoifes à un fergent ou maréchal-des-logis ,
ayant rang de premier fergent-major ou de premier
maréchal-des-logis, & chargé des fondions que
rempliffoient auparavant les majors & les aide-
majors.
A D O P T IO N militaire. Vadoption civile, ufitée
chez les Hébreux, les Egyptiens, les Affÿriens,
pafla de ces peuples aux Grecs , des Grecs aux
Romains, & donna naiffance à plufieurs autres
genres d'adoption. Celle qui fe contradoit entre
guerriers '& entre fouverains , & qui étoit une
confraternité militaire, n’a été généralement connue
que parmi les peuples germaniques. Chez les anciens
Suédois » lorfque deux combattants ne pa-
roiffoient pas inférieurs l’un à l’autre, ou lorfque
le vaincu ne le cédoit au vainqueur qu’en force,
& non en courage, ils faifoient alliance. L’un &
l’autre fe tiroient du fang par une incifion , à la
manière des Scythes : ils en marquoient mutuellement
leurs armes, en mêloient à leur boiffon ,
mettoient fur leur tête une motte de terre, en
figne qu’ils vouloient mourir enfemble, & avoir
A D O
même tombeau. Chacun d’eux* faifoit ferment de
combattre touts les ennemis de fon frère d’armes,
; de venger fa mort ; ou., s’il mouroit de mort naturelle,.
de fe tuer pour l’aller rejoindre.
I? Nous trouvons dans l’énéide un exemple de
' •cette adoption fraternelle. Afcagne dit à Euryale :
« Toi que je fuis de fi près par le nombre des
,-années, refpedable jeune homme , je t’accepte
;i;de toute mon ame; je te reçois pour compagnon
dans touts les évènements. Je ne chercherai dans
mes projets aucune gloire ; je ne ferai ni paix ni
.guerre fans toi : tu feras le confident de mes adions
- ,& dg mes penfées » , ( L. 9 , v. ay ). Mais cette
idée paroît appartenir en entier au poète, & ne
fe retrouve pas dans l’hiftoire , à moins qu’on ne
veuille placer dans ce genre l’efpèce d’alliance
que l’hofpitalité formoit dans l’ancienne Grèce.
•L’alliance par le fang, des peuples germaniques ou
•des Scythes, pafla aux latins de Conftantinople :
.ceux-ci la contrarièrent avec les Comains, aujourd’hui
Comouks, qui habitent entre la Cir-
caffie & la Géorgie. Ce fut fous l’empereur Baudouin
II. Elle fe fit , comme Hérodote le rapporte
des Scythes , en buvant de leur fang mêlé dans un i
vafe.
. Lorfque Louis IX étoit à Céfarée ; Philippe de
T o u c y , fon proche parent par Agnès-, fille de \
Philippe Augufte , vint lui offrir fes ferviteurs ; & !
les troupes qu’il amenoit s’allièrent à la fcy the avec :
les François. « Mais, comme chaque nation joint à !
chaque ufage qu’elle emprunte, des cérémonies
conformes a fes idées & à fes moeurs, les chevaliers
de Conftantinople firent paflèr un chien
entre eux & les François, & le coupèrent à coups
de fabre ; difant qu aïnfi fujpent-ils découpés, s’ils
manquoient l ’un à~ Vautre. Le comte de Tripoli
contrada de cette manière fa funefte union avec
le fiiltan des Sarafins. Cette alliance par le fang
fe retrouve auffi chez les Hibernois, au commencement
du treizième fiècle. Chez les An dois
antérieurs à la conquête des Normands , elle fe
faifoit par la collifion mutuelle des boucliers, des
lances, & des épées ; chez d’autres peuples, par
J échangé des armes , qui étoient leur bien le plus
tëpcieux , ou par le ferment fur ces mêmes armes
Ceux-ci, chez les Anglois, fe nommoient frères
conjurés , parce qu’ils fe juroient amitié fraternelle
protedion contre l’ennemi, & défenfe de leur
pays.
o'.v -V .. • C I 1 . 1 1 -------- 3 .vuuut C11-C.Z,
anciens Suédois, ou telle qu’on la retrouvé parmi
nos chevaliers françois. Si on en croit le roman de
ancelofdu L a c , ceux-ci la contrafloient quelque-
nousTe-16 anciens^româns
Cen J ^ lgnent fad?le‘ïlent le» moeurs de leur temps.
‘ ufas e ne Paro!t pas avoir été très
£UX ? 5 même a 7 * éti é p lo y é .
i J f J Z qU‘ W « * deux chevaliers à
Adoption d honneur en frire, étoit-celui de l’eftime •
la verra q u ■ », jrms- d o it ie courage;
la lcience la :plus fublime à leurs y eu x , celle des
combats. Il paroît que'ces deux traits de reffem-
blance liiffifoient dans ce malheureux â g e , où la
guerre é toit, pour ainfi-dlre , l’état naturel. Du
Guefclin & Cliffon ne pôuvoient avoir entre eux
que ces deux liens. L’Un étoit bon , humain
affable ; l’autre haütairt , injufte, &-cruel. Le peuple)
nommoit du Guefclin le bon 1connétable , & Cliflon,
le boucher. Mais celubci approchoit de l’autre par
le courage , & -le fuivoit, quoique de lo in , dans
1 art de la guerre : ils devinrent frères d’armes.
, Çes motifs étoient conformes à l’objet de la
fédération. Cetoit toujours une entreprifê de guerre,
foit qu’elle fût déterminée pour le lieu & le temps,
foit que l’alliance fût perpétuelle, & -s’étendit à
foutes les circonfiances où l’un des frères auroit
•befoin du 'fecours de l’autre. Elle étoit envers &
contre touts , excepté leur propre fouverain. Si
les princes tefpeâifs de deux frères d’armes fe dé-
claroient la guerre , ou fi l’un des deux s'engageait
■ au fervicê d’un prince ennemi du fouverain de fon
frere ; l’alliance devehoit nulle. Hors ce cas, elle
étoit indiffoluble,- même par lé dévouement que
tout chevalier dévoit -aux'dames. Cependant l’intérêt,
qui rompt touts liens . même ceux du fane
rompoit quelquefois l’adoption d'honneur. Le duc
1 c °m??gne’ îTère d’m nes du duc d’O rléans,
Je ht aüaflmer , & trouva un apologifte. Le doc-
■ Mur Jean Petit foutint que l’alliance, promeffe,
& confédération faite par nn chevalier à un autre
étoit nulle, dès qu’elle tournoit au préjudice dè
1 un d eu x, de fa femme , ou de fes enfants. Mais
cette propofitîon , contraire aux principes de la
chevalerie , fut condamnée par l’évêque & l’u-
niverfite de Paris , d’une voix unanime, comme
erronee dans la foi & dans les moeurs , 6- comme
ouvrant le chemin au parjure.
■ Les frères d’armes , voulant partager le danger
comme la gloire, fe couvraient des mêmes armes
afin den etre qu’un, pour ainfi-dire, & de paffer
1 un pour l’autre dans la mêlée. Comme ils avoient
memes ennemis , ils, ne pouvoient avoir d’amis
que dun confentement commun : leur alliance
ayant pour objet la guerre , étoit femblable aux
alliances politiques. Un des frères ne recevoir pas
un prefent de l’ennemi de'fon frère.
• rL a k ? ternitd dbligeoit à s’aider de corps & d’avoir
jufqu a la mort, & même à foutenh- pour fon frère
fe gage de bataille , s’il mourait avant de l’avoir
accompli. Un chevalier difoit de fon frère : « compagnons
d armes avons été dès notre commencement
; aime avons, & encore faifons l’ung l’autre
en telle maniéré que l’ung aiderait l’autre jufqu’à là
mort , fauf fon honneur ; & par vraie -amour
luis-je venu avec lui en intention de le conforter
oc aider de mon corps & de mon avoir . fi
comme il feroit de moi, fe meftié en a v o y e V
La depenfe & les profits étoiènt communs entre
eux. Ils s en rendoient compte, lorfque la fin de