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combattit jufqu’à la mort, dédaignant de 1 éviter
én prenant le parti de la retraite , ainii qu il lui
étoit permis de le faire.
A la bataille de Pléfemberg, George Ragozzi
tua dix-fept turcs de fa propre main ; &. il n’auroit
pas ceffé de combattre, fi les fiens , le voyant entièrement
affoibli par la perte de fon lang, ne
l’avoient retiré du combat, & porte a Waradin ,
où il mourut de quatre bleffures qu’il avoit reçues.
Quelques-uns de ces exemples prouvent au-dela
de ce que je prétends vous confeiller. On ne doit
pas -imiter celui qui, pour redreffer la lame d une
épée, la paffe fi fortement fous le pied qu’elle
relie courbée de l’antre côte. Quand j ai dit que
vous devez éviter les moindres périls pour vous
expofer aux plus grands , ceci doit s entendre *
lorfque le danger que vous courez peut vous
alfurer la victoire ou la rendre funefte à l’ennemi.
Ne vous faites donc pas un faux & dangereux
Honneur de vouloir périr , uniquement pour ne
pas furvivre à votre défaite : il n’y auroit en cette
•conduite ni jugement, ni héroïfme, ni religion ;
vous montrerez plus de fermeté , de courage ,
d’amour pour votre patrie & pour votre prince ;
fi, après avoir éprouvé un fort contraire dans la
bataille , vous vous confervez pour diminuer la
perte de votre armée &. le maffacre de vos foldats
dans la retraite.
Antigone, roi de Macédoine, -difoit en le retirant
après un combat perdu : « Je ne fuis pas ; je
cours après mon avantage ; & dans là fituation ou
je-me trouve , il n’eft pour moi rien de plus utile
que de diminuer ma perte ».
Immédiatement avant que le combat commence,
changez de cheval & d’habit ; que les généraux &
les brigadiers gardent le fecret touchant le polie ou
vous avez rélblu de vous tenir , ôc dont ils doivent
feuls être inftruits. De cette manière , il fera
difficile aux ennemis de profiter des avis de leurs
èfpions ; foit pour placer leurs bons tireurs de
forte qu’ils faffent feu fur vous , fi vous venez a
palier à la tête de vos troupes ; foit pour envoyer,
à deffein de vous faire prifonnier 9 un détachement
vers l’endroit où vous devez vous pofter.
Annibal, craignant d’être tué par les Gaulois,
avoit plufieurs perruques de differentes formes ,
& en changeoit ïouvent ainfi que d’habits ; de
forte que ceux qui le rencontroient tout-a-coup ,
& même ceux qui le voyoient le plus Couvent, ne
le reconnoilïoient pas..
Le bacha Méreth, général de l’armée d’Amurat 11,
chargea l'élite des ïaniffaires de chercher dans le
combat Jean Huniade, & de le tuer ou de le faire
prifonnier. Le bacha efpéroit que, fi l’armée chre-
' tienne reftoitfims chef , elle ne lui ferait pas une
longue réfiftance. Huniade, inflruit du deffein de
fon ennemi, donna toutes fes marques de difhne-
tion , fon cheval,& fes armes a Simon Kememe ,
qui lui reflembloit beaucoup par la taille & 1 airdu
yifage. Les Janiffaires, prenant celui-ci pour Hu-
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niade., attaquèrent ave^furie la troupe commandée
par Kéménie, qui fut percé de coups. Ce ftrata-
gème fauva Huniade &. lui donna la viéloire.
Pyrrhus, s’étant apperçu que les Romains le cher-
choient dans le combat, donna toutes les marques
de la dignité royale à Mégacle , & fe revêtit de
fes armes. Cette précaution ne fut point inutile
au roi; un Romain, prenant Mégacle pour Pyrrhus,
s’élança fur lui & le tua. Flaminius perdit la vie à la
bataille de Trafimène, parce qu’un infubrien, ayant
reconnu fon cheval, quitta fon rang &. s’avança
pour le tuer.
M O U V EM E N T S . O R D R E S .
J’ai déjà dit que tout mouvement confidérable
en préfence des ennemis eft toujours très dangé-
reux. J’ai dit aufli que les troupes détachées entre
les lignes étoient d’une grande utilité pour n’être pas
obligé de faire quelque grand mouvement. Cependant
il fe peut que les ennemis, par une marche
fecrète , viennent vers vous en ligne pour vous
attaquer par le flanc, & alors le mouvement de
converfion eft abfolument néceffaire. Il fe peut
encore que, n’ayant pu reconnoître le terrein qu’un
peu avant le combat, le général foit forcé de
changer une partie de fon ordre de bataille, foit
par rapport au terrein , foit relativement à l’ordre
de bataille de l’armée ennemie. Alors que les
mouvements fe faffent avec beaucoup de filence
& d’ordre ; autrement ce feroit relever le courage
des ennemis ; qui, voyant vos foldats embarraflés
dans révolution , les croiroient déjà troublés &
épouvantés, ou les mépriferoient comme des troupes
mal difciplinées. Au contraire , une évolution, faite
fans embarras & fans confufion , peut en impofer
à l’ennemi.
Les troupes-de Cæfar, ayant remarqué que celles
de Scipion n’étoient pas plutôt entrées dans leur
camp près de Thapfe , où elles avoient commencé
de fe retrancher, qu’elles en étoient forties,
& qu’il y avoit dans leurs mouvements un certain
défordre qu’on ne ppuvoit attribuer qu’à un effet
de leur crainte, entourèrent leur général en grand
nombre, & lui demandèrent inftamment de ne
pas perdre cette occafion d’en venir aux mains
contre des ennemis épouvantés. Mais, voyant que
Cæfar ne répondoit pas à leur demande -, ils crièrent
qu’on fonnât la charge. A ce fignal, toute l’armée
s’ébranla, attaqua Scipion, & le défit. Voilà ce
que peut fur les foldats la vive perfuafion que
îe défordre qu’ils voient dans les mouvements de
l’ennemi eft un figne évident de fon trouble &
de fa frayeur.
L’Almirante d’Arragon , général de la cavalerie
& le comte de Sora, commandant des gendarmes
de Flandres, remarquèrent quelque conlufion dans
le camp d’HenriIV devant Amiens,lorfque l’armée
efpagnole , commandée par l’archiduc Albert, fe
montra , & prefsèrent fortement l’archiduc de profiter
de ce moment pour attaquer les François.
Une feule évolution que Çhabrias fit faire à
fes troupes avec beaucoup d’ordre arrêta Agéfilas,
roi de Sparte , qui marchoit pour charger l’armée
athénienne. Celui-ci ne changea de réfolution que
parce qu’il comprit, en voyant cette manoeuvre,
que fes ennemis étoient mieux difciplinés & plus
braves qu’il ne les croyoit.
Les exemples que je viens de rapporter , &
ceux qui fuivent, nous enfeignent que fi les ennemis
font voir, par la confufion de leurs mouvements,
qu’ils ne font pas bien difciplinés , il faut le faire
remarquer à vos troupes, afin d’accroître leur
courage ; & fe hâter de les charger , avant qu ils
reviennent du trouble où ils font, Ôc qu’ils reparent
leur défordre.
Le maréchal de Montluc fit obferver à fes
troupes , au commencement de la bataille de Ver,
que .certains mouvements des Huguenots, commandés
par M. de Duras, marquoient en eux du
défordre ou de la crainte. Cette confidération anima
d’une nouvelle ardeur les troupes de Montluc, &.
elles gagnèrent la bataille.
Le di&ateur Aulus Cornélius Arvina,s’apperçut,
dans une. bataille contre les Samnites, que fes ennemis
regardoient fouvent derrière eux , qu’ils com-
mençoient à fe troubler, &. qu’on découvroit déjà
le détachement qu’il avoit envoyé pour les charger
en queue. Il le fit remarquer à fon infanterie ,
qui redoublant d’ardeur,. acheva-de rompre l’armée
des Samnites.
J’ài déjà dit que les ordres que vous donnez à
. un général, ou que vous- faites porter à vos troupes,
doivent être conçus en termesfort clairs; qu’il faut
fur-tout éviter que , par témérité ou manque de
courage dans vos aides-de-camp , vos ordres n’arrivent
trop tard. L’importance de la matière m’oblige
de le répéter, &. d’ajouter que, même par
vos geftes & par le ton de voix avec lequel vous
donnez un ordre ,.il faut ôter tout fujet d’équivoque
ou de crainte.
Les François perdirent la bataille de Cérignoles,
parce que M. de Nemours ,.qui vouloit faire retirer
les troupes de l’attaque d’un retranchement qu’il
reconnut difficile , leur faire charger les ennemis
en flanc, fe mit à crier : derrière, derrière.
A ces paroles , les François, crurent qu’on leur
difoit. de faire retraite, & ils prirent la fuite.
PRÉCAUTIONS DANS LE COMBAT.
Tâchez de faire durer la bataille , lorfqu’il eft
vraifemblablé que les ennemis contre lefquels
vous combattez ne pourront pas réfifter aufli
longtemps que vos foldats à la fatigue du combat,
foit parce que leurs troupes font nouvelles,, foit
parce qu’elles ne font .pas aguèries^ou parce qu’elles,
font naturellement moins robuftes & plus délicates
que les vôtres. Pour mieux réuflir dans-votre
deffein , ayez foin.de les fatiguer toute, la nuit précédente
£ar de fauffes alarmes de . commencer
même le jour du combat à les inquiéter en leur
faifant craindre une attaque prochaine , tandis que
votre armée prend, fur le terrein où elle eft rangée
en bataille, le repos &. la nourriture qui lui eft .
néceffaire.
La bataille de Mantinée refta longtemps indé-
cife entre les Thébains , commandés par Epami-
nondas , les Athéniens & les Lacédémoniens.
« A la fin, les Thébains, qui étoient plus robuftes
que les Lacédémoniens, les ayant laffés, les obligèrent
à prendre la fuite ».
Annibal, avant la bataille de la Trébie, fe fervit
de fes Numides pour inquiéter longtemps, par
des efearmouches, les Romains moins accoutumés
à cette efpèce de combat. Elles les fatiguèrent
entrèmement, & contribuèrent beaucoup à la victoire
que remportèrent les Carthaginois.
11. peut arriver que les ennemis ayent fait une
marche forcée , & que vous approchiez d’eux par
une marche beaucoup plus courte ; parce qu’un
pont, dont vous êtes maître, vous donne occafion
de marcher à eux en droiture. 14 fe peut aufli que
l’armée ennemie vienne camper en préfence de la
vôtre, pour préfenter le lendemain la b a ta ille , ou-,
pour quelqu’autre motif. Dans ce cas, attaquez--
.là le jour même de fon arrivée, & faites durer:
ce combat, fur-tout fi elle a marché par un pays--
où il y a peu d’eau, dans- une faifon brûlante, &-
dans le fort de la chaleur ; fondez même fur elle,<
s’il eft poflible * avant que les hommes & les-
chevaux aient pu fe rafraîchir & prendre de la
nourriture.
Les ennemis fupportêront moins l’excès- de fa~-
tigue que leur donnera le combat, fi , n’aÿant pas-
marché depuis longtemps en. corps d’armée , leur
infanterie n’eft pas accoutumée au poids des tentes
des marmites , des faifceaux d’armes , & du pain
de mqnition.
11 faut aufli prolonger la durée de la bataille r
lorfqu’elle fe donne dans un pays fort chaud,:
dans une faifon brûlante , à l’heure de la plus-vive
chaleur, quand vous combattez, contre.des troupes-’
nées &. élevées fous un climat froid, ou lorfque
vos foldats font armés à la légère, Ôl doivent en
venir aux mains contre une nation pefamment armée
; fur-tout fi vos ennemis font accoutumés à
combattre en ligne , & que vos troupes 3 inftruites
à fe- battre en corps détachés & à la débandade,
fçavent fe. retirer, fe rallier , & revenir à la charge-'
avec promptitude. Alors les-ennemis feront extrêmement
fatigués par le poids de leurs pefantes
armes.Il peut même arriver que, dans cette forte :
de grande efcarmouche , ils rompent leur ordre .de
bataille-, & laiffent des vuides par où vos troupes,,
étant armées; à la légère pourront s’introduire,
&L, après un mouvement de. converfion à droite
& à.gauche, les charger en flanc.
Dans la. première bataille que lés Parthes gagnèrent
contre le conful Craffus, Suréna , leur gé-
, nérai5 inquiéta beaucoup les Rpmains par de con