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d abord avec tous les traits des foldats qui l’avoîent
abandonne ; enfuite , l’épée à la main, frappant
ceux qui l’appro choient, ou les repouflant avec
fon bouclier, à la vue des ennemis 6c de l’armée
romaine qui le voyoient du rivage. Enfin ,• la cuifle
percee par un ja velot, le vifage meurtri d’un coup
de pierre , fon cafque 6c fon bouclier brifés, 6c
tombes en pièces, le corps encore couvert de fa
çuirafte, il le jette à la mer, gagne la côte à la
nage, 6c appercevant fon général, court fe jetter à
fes pieds, 6c lui demande grâce pour n’avoir pas
rapporté- toutes fes armes. Cette force de la difci-
pline , de la crainte de l’ignominie, 6c d’une mort
honteufe , precipitoit les Romains au milieu des i
troupes ennemies, pour reprendre le bouclier , !
fé p é e , ou toute autre arme qui leur étoit échappée !
par hafard. Dans le combat contre Perfée, roi j
de Macedoine, le fils de Caton le cenfeur. tomba
de cheval 6c perdit fon épée : dès qu’il s’en apperçut,
il s élança fur les Grecs, & malgré toutes les blefïures
qu’il reçut, il rapporta fon épée.
La même loi lubfifta fous les empereurs. On lit
dans la taélique de Léon : a Celui qui ,, étant
commis a la garde d’une ville ou d’un fo r t, le livre
ou 1 abandonne, contre la volonté-de fon chef, ou
pouvant encore la défendre , fans y être forcé
par defaut de vivres, fera puni du dernier fupplice.
“ Sera puni de même qui, en temps de guerre ,
. 6c fur le champ de bataille , abandonnera fa bande ,
prendra la fuite, quittera fon pofte, aura dépouillé
les morts, couru .fans ordre après les fuyards, au
camp ennemi, aux bagages : tous fes biens feront
faifis 6c livrés à la communauté de la tagme ,
.comme 1 ayant affoiblie & attenté à fa fureté.
« Sera, puni, comme qui s’en dépouille & en
arme 1 ennemi, celui qui aura jette fes armes dans
le combat.
« Sera décimée la première tagme qui , fans
raifon apparente, aura pris la fuite ; & ceux que.
le fort aura condamnés , tués à coups de flèches
par les autres tagmes, comme ayant affoibli l’armée
6c caufe fa déroute. Seront cependant abfous céux
qui auront ete bleffés ». Conftantin Porphirogenète
renouvella ces difpofitions.
Chez les Germains , l’abandon du bouclier étoit
un des principaux'délits militaires. Le coupable ,
Qf.venu iflfeme , étoit banni des facrifices 6c des
aflemblées.
La meme peine fe retrouve fous Charlemagne ,
6c s etoit apparemment cônfervée parmi les Francs,
nation germanique, qui afîüjettit les Gaules. Il eft
ordonne dans les capitulaires, que celui qui fuira
dans le combat, ou qui, étant commandé , refufera
de marcher à l’ennemi, perdra fon emploi, fera
déclaré^ infâme , 6c fon témoignage nul en juftice.
La loi étoit plus févère pour celui qui abandonnoit
1 armee fans congé du roi : il encouroit la peine de
mort. Ces réglemens, maintenus fous Charlemagne,
renouvelles fous Charles-le-Chauye ? furent prefque
publiés fous fes fucceffeurs,
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Une autre efpèçe d'abandon , celle de ne pas
marcher au fervice que l’on devoit , étoit punie
comme un moindre crime par une amende-de
foixante fous d’or. Si le coupable ne pouvoit paye r,
i f devenoit ferf du roi jufqu’à l’entier payement.
Philippe - Augnfte renouvella la févérité des anciennes
ordonnances , en enjoignant à tous les
pofiefîeurs de fiefs de fe rendrë^au fervice, dès
qu’ils feroient mandés , fous peine de félonie 6c
crime de lèze-majefté, & par conféquentde confif-
cation de leurs fiefs. Philippe III modéra cette
rigueur. Quelques-uns de fes vaflfaux ne s’étant
pas rendus au fervice dans fon expédition contre
le comte de F oix , il ne les Condamna qu’à payer
l’argent qu’ils auroient dépenfé pour leur folde, leur
voyage à l’armée , le temps de leur fervice, 6c leur
retour : il y joignit cependant une amende proportionnée
à leur qualité de baron, de banneret
ou de fimple chevalier.
Une ordonnance de Charles V I , en 1 392, prive
6c dégrade de nobleffe les poffédants fiefs pour le
défaut de fervice. Cette rigueur, employée d’après
l’exemple de Philippe-Augufte, & pour les mêmes
raifons, c’eft-à-dire v pour les befoins prenants de
l’état menacé fous celui-là par de puiffants 6c nombreux
ennemis, fous l’autre par des faélieiffi:, n’eut
pas fa pleine exécution. On faifit quelquefois les
fiefs ; mais la dégradation fut rare , 6c réfervée
avec raifon pour de plus grands crimes. Sous les
princes foibles , on croit facilement que le changement
des noms change la nature des chofes, &
que la négligence du fervice peut devenir félonie
au gré du fouverain. Il en arrive un très grand
mal , qui eft- l’inexécution de la loi difpropor-,
tionnée au crime, 6c 1’afFoiblifTement des autres
loix.
Il n’en eft pas ainfi de Xabandon que l’on fart
d’une place qui peut encore être défendue. Comme
elle n’eft livrée que par trahifon ou manque de
courage , la diffamation en eft une jufte peine.
Sous le règne de François Ier , l’an 1523 , le capitaine
Frauget fut aiîïégé dans Fontarabie , par
l’armée de Charles V . Quelque temps auparavant,
Dulude , n’ayant plus ni vivres ni habits pour fes
.foldats , n’avoit pas rendu cette même place, & fa
. fermeté avoit lafle la confiance efpagnole. Frauget,
ayant des vivres 6c des munitions , fe rendit après
-un mois- de fiége. Il fut jugé par un confeil de
guerre & dégradé de noblelfe.
François Ier voulant rétablir la difcipline , ainfi
que la forme des légions romaines, ordonna : « que
nul homme de pied defdites légions ne fut fi ofé
ne fi hardi d’abandonner jamais le lieu & place
ou le capitaine, ou fergent de bataille, l’auront m is,
foit que. la légion de laquelle il fera demeure en
bataille ,. ou qu’elle marche par pays , en ordre
fous les enfeignes, 6c ce fur peine de la vie ».
Henri II punit de mort la fentinelle qui abandonne
fon pofte, Il ordonne : « que le foldat qui faudra à
la faétion, fans licence de fon capitaine, ou autre
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çxcufe légitime , fera pafle par les piques ». Il
punit de la même peine l’efpèce d'abandon par le
défaut d’abfence : a le foldat qui ne fe trouvera
aufli promptement à une allarme , ordonnance , ou
autre affaire., comme fon enfeigne , fera , dit-il ,
pafle par les piques». Il inflige la diffamation « au
foldat q u i, en combattant, perdra fes armes lâchement
, 6c fe rendra fans grande occafion : il doit
être banni des bandes & incapable de jamais porter
les armes ». Par la même ordonnance , « le foldat
en affault ou prinfe de place, qui ne fuivra fon
enfeigne 6c la vicloire, pour s’amufer à faccager
ou autre profit, après la place, prinfe , fera dé-
valifé, dégradé, 6c banni des bandes. On lit dans
les ordonnances de Henri I I I , 1575 :
« Le foldat qui, fans excufe légitime, abandonnera
le guet, efcoute , ou autre lieu oh fon fergent
l’aura mis , fera pafle par les armes.
» Quand l’enfeigne marchera fur les' champs ,
le foldat ne l’abandonnera pour aller au fourage
ou autre lieu , fans le congé de fon capitaine , fur
peine d’être pafle par les piques;
» Ceux qui auront abandonné leur enfeigne au
combat, feront dégradés.. des armes , déclarés
ignobles , 6c comme roturiers, impofés à la taille ».
Ce fut le feigneur de Châtillon, depuis amiral
de Coligny, qui, fous Henri I I , drefla ces ordonnances
, conformés en grande partie à celles de
François Ier , & il y ajouta, ce qui eft néceflaire
à toutes les lo ix , la févérité de l’exécution. Lorfque
le roi marcha en Allemagne , on voyoit , dit
Brantôme , moins d’oifeaux que de foldats pendus
aux branches des arbres. Il étoit pafle en proverbe
dans -l’armée : Dieu nous garde du curedent de
Vamiral & de la patenofire du connétable ; ( Anne
de Montmorency ; ) parce que l’un, en fe curant
les dents , 6c l’autre, en difant fon chapelet, don-
noient fouvent des ordres très févères.
Dans la difcipline militaire de Guillaume du
B e llay , qui fervoit fous François Ier , on trouve
les articles fuivants, au dénombrement des principales
loix militaires portant peine de mort :
« Sera puni de mort quiconque rend aux ennemis
une place qu’il a en garde, s’il n’eft contraint
a ce faire , 6c n’eft vraifemblable qu’un homme
de bien en eut autant fait.
» Quiconque part d’une bande fans congé du
général.
3> Quiconque s’abfente d’une bande fans congé
de fon colonel/
| ” Quiconque faut à fe trouver en tous les lieux
° U v l l’?nfei§ne 9 ou ailleurs, lui étant commandé.
» Quiconque abandonne fon enfeigne fans congé,
ou kifîe la place qu’il doit garder , étant rangé en
bataille. f 0
» Quiconque ne £e trouve au guet, oh qu’il
Wi elt commandé , ou qui l’abandonne.
fcoutes1C° nC*Ue ^ troUve dormir 9 faifant les
” Quiconque abandonne le lieu oh il a été-
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colloqué par le fergent de bande ou autre officier,
foit en guet ou en efcoute, ou autre part ; finon
que celui qu’il y aura mis l’en ofte , ou autre
qu’il fçache avoir cette charge.
» Quiconque, fous couleur d’efpier, ou étant aux
efcoutes hors du camp , ne fe trouve à l’affaire ,
s’il efchet que les ennemis viennent aflaillir.
» Quiconque, eft député pour défendre brefche
ou trenchéej ou quelque pas, & l’abandonne du
tout, bien qu’il foit forcé par les ennemis.
» Quiconque , entrant dedans une ville prinfe à
force , s’amufe à faccager, & ne fuit l’eniêigne,
quelque part qu’elle aille , fans la laiffer, jufqu’à
ce que le général" fera ouir par fes trompettes
que chacun entende à butiner ; aufli, au cas que
la crye ne fe fift, faudroit que chacun continft fes
mains , 6c fe gardaft de faccager fur la mefme peine.
- » Quiconque ne fait fon devoir de recouvrer
fon enfeigne, s’il advient qu’elle tombe entre les
mains des ennemis ; mefme quand elle ne fe pour-
roit ravoir, faudroit ufer de quelque rigueur contre
les foldats qui l’ont laifle perdre.
» Quiconque fuit du combat eftant en bataille y
ou marche trop lentement, quand eft queftion de
donner aflault*, ou connille en quelque manière.
» Quiconque faint eftre malade, lorfqu’il faut
combattre les ennemis, ou aller en quelque faélion.
» Quiconque voit fon fupérieur en danger des
ennemis, 6c ne le fecoure de fon pouvoir ».
/ La difcipline, languiflante depuis Henri I I I , fut
rétablie par Louis XIV. Ce prince ordonna que
les cavaliers 6c foldats qui, ayant été mis en fentinelle
, quitteroient, abandonneroient leur pofte ,•
feroient punis de mort.
Enfin , l’ordonnance du feu r o i , du I e r Juillet
I 72<7 > réunifiant les difpofitions de celles de François
1er & de Henri I I , a fervi de règle jufqu’à
ce jour. Elle confirme la peine de mort pour les
foldats, cavaliers, & dragons qui quitteront le lieu
oh ils auront été mis eh fentinelle , vedette , ordonnance
ou autre faélion , fans avoir été relevés par
leurs officiers.
Pour tout foldat ou cavalier q u i, étant en fen-
tinelle ou faéliori , fe trouvera endormi pendant la
nuit : ( le genre de mort n’eft pas fpécifié pour;
ces trois cas ).
Pour tout cavalier, foldat, ou dragon, q u i, étant
dans le camp ou dans la garnifon , ne fuivra pas
fon drapeau ou fon étendard dans une allarme ,
champ de bataille , ou autre affaire : il fera ,
comme défërteur, pafle par les armes. ~
La même ordonnance enjoint de fecpurir &
défendre les drapeaux ou étendards de Jhn régiment
, foit de jour ou de nuit, & de s’y ’ rendre
au premier avis , fans les quitter , jufqu’à ce qu’ils
foient portés 6c mis en fûreté , fous peine de punition
corporelle ou de mort, fuivant l’exigence
du cas.
On peut voir que ces peines ne font pas toutes
proportionnées au crime ; que la même eft infligée
A i-j