
qu’il voie tout par lui-même , qu’il vérifie un rapport
par un autre; & , malgré touts fes foins., il
fera encore expofé fort fouvent à commettre des
injuftices. S i , en interrogeant fur le même fait
plufieurs personnes, il parvient à découvrir la
vérité , il courra le rifque de transformer la vigilance
en e fp ion a g e& de faire naître la méfiance ,
la haine , & plulieurs autres fléaux aufli cruels. Le
capitaine employé chez une puiffance qui ne fera
pas allez heureufe pour polieder un bon code militaire
veillera fans celle fur lui-même , pour tenir
un jufte milieu entre les deux extrêmes. Il péfera
aujpoids de l’équité toutes les peines qu’il infligera ;
il recevra toutes les plaintes que fes foldats lui
porteront ; il forcera fes fubordonnés à réparer les
torts qu’ils auront eus : mais il punira doublement
le foldat qui aura joint un menfonge à une faute.
11 écoutera touts les rapports que les bas-officiers
lui rendront ; mais il les vérifiera avec foin , fans
cependant compromettre leur autorité & leur réputation
: il les éclairera, quand ils fe feront laiffés
emporter par un zèle trop grand , par une févérité
outrée ,ou par quelque intérêt particulier : la grande
juftice dans un capitaine confifte à obliger fes bas-
ofliciers à être juftes & vrais. __
Comme la noire jaloufie , & l’envie plus hideufe
encore, ne régnent pas avec autant d’empire fur
les officiers particuliers que fur ceux qui fréquentent
les cours , qui veulent obtenir des places
élevées fatisfaire une grande ambition, & ren-
verfer des rivaux puiflfants ; nous, ne difons point
au capitaine de bannir loin de lui ces pallions
avilifl'antes ; mais nous lui recommanderons de
rendre juftice à ceux de fes fubalternes auxquels
il devra des confeils, à ceux qui auront exécuté
fous fes ordres quelque opération difficile , qui
auront fait quelque aétion d’éclat. Cette conduite
généreufe lui vaudra, comme au célèbre Forbin,
les éloges les plus flatteurs de la part de fon prince ,
de fa nation, & de la poftérité.
De Vobéiffance. On trouve dans les armées bien
peu d’officiers qui refufent formellement d’obéir
aux ordres que leur donnent leurs chefs ; mais on
en trouve fouvent qui fe permettent de blâmer
hautement la conduite militaire de leurs Tupérieurs ,
de faire la critique de leurs opinions , & de cen-
furer les avions ordinaires de leur vie. Les, François
tombent plus fouvent que touts les autres
peuples dans cette èfpèce d’infubordination , plus
dangeréufe que la révolte ouverte. Un chef à qui
on défobéit avec éclat fait aifément rentrer dans
les bornes de l’obéiffance & de la difcipline ceux
que leurs pallions en ont fait fortir ; il prévient
• avec facilité les défordres que peuvent caüfer ces
frondeurs publics, qui croient fe faire un nom en
blamant tout ce qui émane de l’autorité; mais il
eft prefque impoflible à celui qui commande de
parer les coups que lui portent ces détra&eurs
hypocrites ; qui, en obéiflant eux-mêmes fervile-
jnen t, veulent éloigner les autres d’une obéiffance
noble &. généreufe ; qui le flattent en fa préfence,
& le dénigrent quand il eft abfent ; qui ont l’art
de donner à la noire calomnie le's dehors d’une
médifance légère ; qui font naître des foupçons
dangereux, en ayant l’air de faire des obfervàtions
triviales ou des queftions innocentes ; qui accablent
un chef fous le poids du ridicule, en employant
une plaisanterie fine & agréable en apparence ,
mais mordante ôc cruelle en réalité ; qui finiflent
enfin par détendre les reflbrts’de la difcipline après
les avoir affoiblis par leurs infinuations dangereufes
& leurs ironies piquantes. Le capitaine (âge fuira loin
de ces hommes dangereux ,■ & tiendra une conduite
entièrement oppofée. Quelque'foit le chef
que fon prince lui ait donné , il lui obéira avec
la fôumiflion que l’on doit aux organes de la loi.
Semblable à l’induftrieufe abeille, il laiffera le
bourdonnement au frelon inutile. S’il'découvre
les défauts de fon chef, quel homme h’en a point I
il fe gardera bien de les divulguer : il eflayera au
contraire de les couvrir d’un voile officieux;•& ,
diftinguant toujours l’homme d’avec le chef, il ne
lui en rendra pas moins les refpeéls” extérieurs &
l’obéiflance que fa place exige. S’il eft forcé de
donner dans fon coeur une place au mépris, il ne
permettra jamais qu’il en forte. S’il croit que l’impéritie
de fon chef puifle compromettre le falut de
l’é ta t, ou faire fournit quelque branche de Tadmi-
niftration, il l’avertira, mais en fecret, des fuites
que la conduite peut avoir : il lui parlera avec
franchife, mais cependant avec ménagement.. La
vérité , quand nous l’offrons aux hommes , fur-tout
à ceux qui font plus élevés que nous, a prefque
toujours befoin d’un voile.
Quant à l’efpèce d’obéiffance que le capitaine
doit à fes chefs pendant la guerre & pendant la
paix, voye^ la fin de l’article Moeurs.
De la prudence , de la difcrètion, de V aElivitê.
Ces vertus nous1 ont paru tellement femblables
dans le général & dans le capitaine, que nous avons
cru devoir nous difpenfer d’en parler ici-, & nous-
contenter derenvoyer nos leéleurs aux paragraphes
XI & XIII de la IV fe&ion de L’article G énéral y
& aux confeils qui font renfermés dans la feéliom
V dè l’article O u vr ag e en t e r r e .
Du déjintérejfement. Des gentilshommes &
des militaires n’ont pas befoin*' qu’on leur recommande
de fuivre les loix de la probité la plus auf-
tère : l’éducation qu’ils ont reçue, les exemples
qu’ils ont eus fous les yeux depuis qu’ils fervent,
leur ont fuffifamment prouvé qu’ils doivent, non
feulement conferver leurs mains pures , mais même
fe mettre à l’abri du foupçon le plus léger. Nous
dirons donc feulement au capitaine^ qu’il eft ref-
ponfable de la probité de fes. bas officiers ; qu’il
eft coupable , toutes les fois que fes fergents ou
fes maréchaux de logis'gagnent fur les achats qu’ils
font pour les foldats de fa compagnie ; toutes le.s
fois que fon fourrier,commet des erreurs dans .les
, comptés, parce qu’il eft affuré qu’on ne les Yeriliera
pas ; toutes les fois qu’il ne veille pas avec
afîez de foin fur les caporaux ou fur les brigadiers
qui font chargés du foin de l’ordinaire ,
pour les mettre dans l’impofîibilité de détourner
à leur profit la plus petite* partie du prêt ; toutes
les fois qu’il ne prend pas lui-même la peine de voir
les marchands & les fourniffeurs, de traiter avec
eux ; dé faire venir les marchandifes de la première
main , des endroits où elles font les meilleures &
les moins chères ; toutes les fois qu’il né veille
pas a la confeéiion , &. au choix des effets à l’ufage
de fes foldats, avec plus d’attention encore qu’il
ne pourroit en apporter pour lui-même.
Quant à la libéralité , voye^ le paragraphe XI
de la fe&ion IV e de l’article G én ér a l. Quant à
l’ordre & à la règle qu’il doit mettre dans fes dé-
penfes, voye^ Luxe & moeurs.
Fidélité à fa parole. Le militaire le moins délicat
ne fe permettra jamais de violer la parole qu’il
aura donnée à un de fes égaux, ou à un citoyen'
d une clafle inférieure à la fienne ; il ne fera jamais
impoflible de tenir : on a vu cepéndant quelquefois
des officiers fe faire un jeu de prodiguer les
promeffes les plus féduifantes , mais les plus trom-
peufes, a des foldats déjà engagés, ou a de jeunes
citoyens qui avoient quelque envie de prendre le
parti des armés. Le capitaine3 jaloux de fa réputation,
11 emploîra jamais ce moyen. Eh ! quels reproches
*1 aurolt-il pas à fe faire, s’il voyoit cet homme
cju il auroit trompé , prendre le parti du défefpoir,
abandonner fes drapeaux , & fubir la peine infamante
infligée aux déferteurs ? Son oreille ne feroi-t-
elle pas fans ceffe frappée du bruit des chaînes que
traineroit le malheureux qu’il auroit féduit ? Son
coeur ne feroit-il pas déchiré par les maux qu’en-
dureroit la viéfime de fa mauvaife foi ? Si les promeffes
agréables que le capitaine fait à fes foldats
ine doivent jamais être vaines , celles qui leur font
entrevoir des punitions féyères ne doivent pas
non plus être frivoles : le foldat n’a pas l’air de
1 aifonner fa conduite, mais croyons qu’elle eft
prefque toujours le réfultat de fes réflexions. Avec
le capitaine irrefolu , & qui fe laifie gagner par de
belles promeffes, le foldat eft inexact & quelquefois
fans difcipline ; mais , avec un' commandant
ferme & qui tient exaéîement toutes les paroles
qu il donne, le foldat ne s’éloigne jamais des règles
du devoir, & va fouvent dans la voie du bien
plus loin qu’on auroit ofé l’efpérer.
De l humanité. Si jamais un auteur ofoit entreprendre
de bannir du coeur des .hommes ce
entiment genereux , cet enthoufiafme fublime qui
fmt qu ils eompatiflent aux peines des autres &
qu ils cherchent à les Xoulager ; qu’ils travaillent à
diminuer les préjugés qui égarent leurs femblables ;
a bannir les fuperftitions qui les aveuglent ;
a détruire efclavage quiles flétrit ; à allfeer les :
maux qui les accablent ; & à corriger les vices
3 lu les r«ndeM méchants & malheureux, que fa
Art militaire. Tome L
main feche dès le premier mot qu’il tracera. Te l
eft le voeu que forme mon coeur. Cependant,
comme l’amour de l’humanité devient moins puiff-
fant, à mefure qu’il fe porte fur un plus grand
nombre d’objets ; comme il ne peut embrauer la
terre entière & lui être vraiment utile que lorf-
qu’il a pris naiffance dans le coeur d’un fouverain ,
ou d’un de ces hommes qui tiennent dans leurs
mains le deftin des grands états ; nous recommanderons
au capitaine de ne point répandre au loin
les effets de fon humanité, & de ne diriger ceux
de fa bienfaifance que fur les hommes que les cir-
conftances placeront autour de lui. Que diroit-on
d’un père qui, fous prétexte d’aimer lè genre humain
, négligeroit de rendre fa famille heureufe ? *
I Que Je capitaine fe rappelle toujours qu’il eft le
père de fes foldats, & ce feul mot lui retracera
touts fes devoirs ; ce mot le conduira dans les
hôpitaux, l’arrêtera auprès du lit d’un de.fes foldats'
malade , lui donnera le courage de vaincre la
répugnance qu’infpirent ces lieux où la mort fe
préfente' fous un grand nombre d’afpeéîs : ce nom
facré lui donnera la forcé de fupporter les odeurs
fetides qu’ils exhalent, & de relpirer l’air toujours
vicié & quelquefois mortel que l’on y refpire ; il
lui infpirera les difeours; confolants qu’il devra-
tenir à fes enfants , les aéles de bienfaifance & de
générofité qu’il devra faire en leur faveur.
Que ce mot vienne fouvent, fur-tout pendanf-
la guerre , fe préfenter à*fon efprit. Là le foldat}
furieux ne refpireque Je fang & le carnage ; chacun
bannit loin de lui la pitié pour les maux d’autrui ;
l’humanité gémiffante, ne peut efpérer d’être puif-
famment fecourue que par les capitaines. Quelques,
obftacles qu’ils rencontrent, qu’ils s’empreffent de
la foulager. Si l’amour de la patrie nous force
dans le champ de Mars, d eye prodigues de fang,
que l’amour des hommes nous en rende avares ,
lorfque nous avons dépofé les armes. Que nous
ne Tentions jamais aucun reproche s’élever dans
notre coeur, que nous n’entendions pas une voix
feçrète nous'crier : u barbare , tu as pu conferver
la vie à un homme, à un foldat , à un de tes
compagnons, & tu ne l’a pas fait. O mes camarades
! rappelions-nous que les vainqueurs du
monde décernèrent une récompenfc diftinguée au
romain qui fauyoït la vie d’un romain. Si on ne
diftribue plus des couronnes civiques , la gloire
de celui qui les mérite en eft - elle moins pure
& moins touchante ? L’efpoir d’une récompenfe
flatteufe diminueroit, s’il étoit poflible , le mérite
des grandes actions.
Le foldat à q u i,pendant fa maladie, nous aurons
montré un tendre intérêt, à qui nous aurons donné
des foins emprefles , s’expolera dans les combats
avec la plus grande ardeur pour notre gloire, &
facrifiera fa vie avec plaifir pour conferver la nôtre.
Montrons une tendre çompaflion pour les maux
de nos compagnons d’armes ; foyons économes de
leurs forces ; ménageons leur fang dans touts les: