
Un officier de ce cara&èré commandoit un
torps de troupes dàris lés montagnes du Dauphiné
, voifines de la Savoie. Il étoit malheureux,
& fes troupes aufti. Cétoient touts les jours nouvelles
alarmes ; toutes les nuits, les tambours. 8c
la générale. Get homtrie, toujours à cheval, vifi-
toit un jour lés environs de fon pofte. A l’aide
d'un télefcope il àpperçiit, vers le fommet d’une
montage éloignée, que déjà les neiges de l’automne
commençoient à blanchir ; il apperçut,
dis-je, quelque ehofe qui lui parut avoir mouvement
8c vie. Aufli-tôt.il envoie des ordres ; on
bat la générale : fés troupes fe mettent fous les
armes, & courent à lèurs poftes. Une partie fê
met en bataille hors du village : on mène l’artillerie
aux lieux indiqués, à deffein de protéger les
flancs de la trôupé: Le général détache un lieutenant
colonel 8c deux cents hommes, pour aller
reconnoître la colonne ennemie. Cependant il
déploie toute fon éloquence, exhorte fa petite
armee , lui rappelle le courage par lequel elle
s’eft diftinguée dans un grand nombre d’occa-
fions. Il achevoit à peine la harangué, lorfque la
troupe ennemie , qui, defcendant avec len'teur du
fommet des montagnes j s’étoit enfoncée dans une
gorge, reparut fur une" éminence affez voiline ,
& put être diftinguée par les yeux à&ifs du
général, 8c par ceux dë touts les foldats. C’étoit
une douzaine d’ours , qui, chaffés par les neiges,
fe rapprochoient de§ habitations, fuivant la coutume
de ces animaux. Cette Vue excita dans la
troupe une huée générale, & le commandant
confus ne fit donner que trois jours après une
iiouvèlle alerte. -
L’alarme peut être donnée par le fori d’uné
cloche dans les places , par le bruit dès tambours
ou du canon, dans les places & dans les
camps. Le canon éft plus prompt, parce que le
bruit en eft, pour-ainfi-dirfe, inftantàné, âu liéu
que celui des tambours eft fucceflif, & qu’il
faut quelque temps pour raffemblér ceux de
chaqiie régiment. On nomme alarme les pièces
d’àrtillérie deftinées à donner Y alarme : elles
font toujours chargées, & il y a près d’elles un
boute-feu toujours allumé.
Coftime les précautions àprendrè en cas d'alarme
appartierinent particulièrement à la déferifè' , 8c
font relatives à l’efpèce des poftes, on les trouvera
plus détaillées aux articles C a m p , P l a c e ,
P o s t e , 8cc.
ALERTÉ ; c’eft un mouvement excité dans une
troupe par l’idée de l’obligation de s’affembler.
Les fentinéllës dés troupes frahçoifes crioient
autrefois alerte dans les camps, dans les poftes,
8c dans les places, foit à l’approché imprévue de
l’ennemi, pour donner Y*ilarme, foit à l’arrivée
dun officier fupérieur, pour lui rendre les honneurs
attribués à fon grade par les ordonnances.
Mais on peut facilement confondre le mot alerte
avec celui à ’arrête ; que les fentinelles crient
quelquefois. Il arrivoit donc que ce mot arrête cri!
la nuit par une fentinelle , ou par des valets, pour
iin cheval échappé , comme dans le camp de
Cæcina (T a c it. A n n a l, i . ) , 8c pris par les troupes à
demi-endormies pour le mot alerte , faifoit courir
aux armes la plus grande partie d’une armée ou
d’une garnifon. Ce font' ces bruits $ alerte dont
fe plaint l’auteur du traité de la guerre, imprimé
avec les ouvrages de Vauban ( v ol. 2 .p a g e 240 ).
On évite aujourd’hui ces alarmes ridicules, en ne
criant plus alerte , lorfqu’il faut donner l’alarme :
les fentinelles crient a u x armes , comme les anciens
Romains crioient arma.
Arma , v ir i ; f e r te arma ; v o c a t lu x ultima v i& o s .
V ir g il . Æneid. l iv . 11, it. 668-
ALÈNES. Voye\ F lèches.
A L I G N E M E N T , difpofition de plufieurs
hommes fur une même ligne.
Alignement du rang.
Ualignement eft dans une troupe la bafe de
l’ordre : il en fait la force principale, 8c on peut
pofer comme axiome : qu ’une troupe ejl d ’ autant
moins fo r te qu’ elle eft p lu s mal alignée. Comme
l’ordre primitif y manque , il manque aufti à fes
mouvements : ceux-ci ne peuvent plus avoir ni
précifion ni enferfible, 8c plus ils font combinés
& multipliés, plus le défordre augmente, 8c mène
promptement au défefpoir du fu'ctès (8c à la fuite.
Si plufiéurs troupes, difpôfées fur le même
alignem ent, ont des intervalles entre elles ; celle
qui le quitte , foit qu’elle, s’avance ou refte en
arrière , découvre fes flânes, laiffe découverts
ceux des troupes voifines, 8c rend plus foible
l’ordre général. Touts les peuples taûiciens ont
connu cette vérité ; touts les grands généraux en
ont fait ufage. Parmi les exemples que l’on en
pourroit citer, je n’en connois pas de plus remarquable
que celui de Turennè à la bataille des
Dunes. On y. voit’ combien ce grand homme
étoit pénétré de l’importance dè Y alignement 8c
de l’ordre qui en-eft la fuite. Il employa trois
heurès entières à mettre en bat^lle fon armée,
ôc à lui faire parcourir un quart dë lieue qui la
féparoit des ennemis, afin qu’elle arrivât fur eux
én ordre. Cette preuve de la prudence , de la
patience du général françois, dè la connpiffance
qu’il avoit du .cara&èrè efpagnol , feft aufti de
l’importance qu’il attàtîroit à î’ofdre, ainfi qu’à
Y alignement qui en eft la bafe, 8c du peu d’exercice
8c d’aptitude que les troupes de fon temps avoient
pour les mouvements. Il eft donc très efféritiel de
rechercher quels font leà principes généraux d’après
lefquels une troupe quelconque, depuis la compagnie
jufqu’à l’armée, peut prendre 8c çonferver
Y alignement.
La ligne droite , étant. la plus Ample , a été
dans toutS Jjps temps 8c dans touts lés. liéux la
bafe fondamentale de Y alignement : c’eft la feule
qui foit commode pour la marche, la feule que
l’on puiffe prendre 8c çonferver avec facilité; fi
on s’én eft éloigné dans certaines occafions, ce
n’a été que momentanément , que dans les armées
dont le front avoit peu d’étendue, comme celui
des armées grecques 8c romaines : aujourd’h ui,
comme ce front eft d’une étendue ptefqu’immenfe,
lorfqu!on veut donner différentes directions à certaines
parties d’une armée, on forme des angles
reétilignes 8c non des lignes circulaires.
Comme d eu x points déterminent la pofition d une
ligne d roite, i ls déterminent ce lle d ’un AL IGNEMENT.
Ce principe unique fulfit, dans touts les cas, pour
une troupe quelconque : nous allons voir que tout
ce qu’on fait dans ce genre n’en font que des
corollaires.
Je fuppofe qu’on veuille placer un foldat fur
un alignement; il doit être déterminé par deux
objets où points de vue quelconques, A , B ,
(/?/. / , fig. 1 ) , foit que ces points de vue foient
jalons, arbres , hommes, clochers , tours , 8tc.
On demande feulement que, foit par eux-mêmes,
foit par l’éloignement, ils aient affez peu de largeur
pour qu’on puiffe, dans la pratique, les
confidérer comme les lignes' en géométrie.
Si regardant d’im point C vers les deux points
de vue A , B , on voit que le pius proche A
cache exactement le plus éloigné B ; ce troifième
point C eft dans Y alignement des deux autres,
8c remplit les conditions du problème.
On peut y placer un homme de deux manières ;
l’une en difpofant fa ligne des épaules C D ,
( fig . 2 ) , fur Y alignement B E , des deux points
de vue A , B ; l’autre, en difpofant cette même
ligne des épaules C D , ( fig . y ) , perpendiculairement
à Y alignement B E des deux points de
vue A , B.
Suppofons maintenant un foldat dans^ la pofition
de la figure 2 , c’eft-à-dire dont la ligne des épaules
foit dans Y alignement^ des deux points de vue ,
(.fig- 4 ) 9 8c qu’on veuille placer un autre foldat
a côté du premier, fur le même alignement; il y
faut mettre aufti fa ligne des épaules; 8c, fi l’on
continue de même, on aura un rang de foldats
alignés fur les deux points de vue.
Voilà le principe de rigueur géométrique ; mais
ici notre fcience devient phyfico-mathématique.
Le foldat n’étànt point une machine immobile
qu’il fuffife de placer fur un alignement, il faut lui
enfeigner comment il peut de lui-même le prendre
oc l e ‘çonferver : ce point eft de la plus grande
importance. On ne peut pas fuppofer que l’on
placera deux cents hommes l’un après l’autre fur
un alignement donné. Il eft vrai que j’ai vu
quelques officiers affez fimples pour perdre leur
temps a ces inepties Sc en excéder leur troupe. Ils
n avoient pas vu fans doute ce qui fe paffe à la
guerre, m réfléchi à ce qui peut s’y pratiquer.
fie n te des mouvements faifant une partie
eftentielle de leur perfection, il faut qu’une troupe
quelconque fçache s’aligner d’elîêmême , prefque
dans un inftant, 8c ne laiffer à fes chefs que de
légères défe&uofités à corriger dans fa ligne.
Quel fera donc le principe le plus lûr pour
diriger ici le foldat? Quelle fera la partie fixe de
fon corps 8c voifine de fa vue qui pourra lui
fervir de guide ? L’homme F G , ( fig . 4 ) , fera
dans Y alignement B E , lorfque l’homme C D ,
lui dérobera le point de vue A , c’eft-à-dire interceptera
les rayons vifuels qui, du point A ,
viennent à l’oeil de l’homme F G ; mais cette
interception ne peut être faite que par une des
parties fupérieures du corps de l’homme C D.
Ceci prouve d’abord combien ceux qui ont preferit
aux foldats de s’aligner fur les pointes des pieds,
fur les talons, les boutons, les croffes de fufil, 8cc.,
étoient éloignés de connoître les principes de
Y alignement. Quelques-uns,
Au d itum admijfi r if im teneatis amiçi ;
quelques - uns ont porté cette ignorance jufqu’à
obliger le foldat de retirer le ventre, afin que
cette partie du corps, trop faillante à leur gré
dans quelques hommes, ne nuisît pas à Yalignement-
On vient de voir que la partie de l’homme C D ,
laquelle doit être un des points de vue de l’homme
F G , doit fe trouver à peu près à la hauteur de
l’oe il, c’eft-à -d ire que ce ne peut être que les
épaules ou la tête.
Les épaules, étant des parties mobiles, peuvent
être plus ou moins avancées par le foldat, 8c
par-là ne font pas propres à l’ufage dont il s’agit.
L’homme C D peut bien mettre à peu près fon
épaule D dans Y alignement des points de vue A B ,
mais il n’en eft' pas ainfi de fon épaule C qu’il
ne voit pas; 8c l’homme F G qui ne voit pas
l’épaule D , cachée par la tête de l’homme C D ,
ij§ peut fe fervir de cette épaule D comme point
de v u e , 8c aligner fur elle 8c fur le point A fon
épaule G : ainfi, ni les épaules, ni les lignes des
épaules ne peuvent déterminer Y alignement. Il feroit
inutile d’elpérer que l’on accoutumera le foldat à
ne pas avancer une épaule glus que l’autre, 8c
à placer 8c maintenir fa ligne des. épaules dans
Y alignement de celles de fon voifin. On vient de
voir que cela eft phyfiquement impoflible ; 8c
quand cela ne le feroit pas, on s’abuferoit beaucoup
en prenant pour règle ce que l’on pourroit, avec
beaucoup de foin, faire exécuter à une centaine
de foldats choifis fur tout un régiment. Il faut
perdre de vue les exercices de paix pour ne penfer
qu’à ce qui eft poffible à la guerre : on n’y a pas
le loifir d’exercer les troupes comme dans une
garnifon ; on y a fouvent de nouveaux foldats ,
qu’il faut cependant mettre en rang, 8c qu’on ne
peut pas tenir long - temps aux dernières claffes
d’exercice. Il faut donc ici un principe facile à
faifir, 8c aufti indépendant qu’il eft poflible d’une
longue pratique.
L’épaule D du foldat ne pouvant fervir de poin$
H ij