
Si effeéfivement il prend touts ces faux mouvements
pour vrais , &. diminue fon attention fur la
place qu’on a réfolu d’attaquer, elle fera promptement
invertie par toute la cavalerie , à la fuite de
laquelle on fera marcher l’infanterie avec toute la
diligence poiïible.
Si le général affemble fon armée à delîein d’occuper
un porte avantageux pour les fubrtftances ;
comme on doit fuppofer qu’il ne regarde pas les
vivres , mais les fourrages qu’on veut prendre &
ôter à l’ennemi, c’eft à fa prudence à fe donner ce
porte commode, par la connoiffance qu’il a du
pays & de l’état de l’ennemi.
La maxime générale en ce cas eft feulement que
ce lieu loit fain par lui-même , bon pour fon afliette
&. commode , tant pour prendre fans rifque les
fourrages en avant qu’il veut ôter à l’ennemi, que
pour le conferver ceux du derrière de l’armée :
& enfin que ce porte ne foit pas d’une trop grande
gardé.
Si l’armée s’aflemble par corps féparés, ces
corps doivent être placés par première &. fécondé
ligne , de manière qu’ils fe puiiTent réunir fans
confufion fur le terrein qu’on a réfolu de faire
occuper par l’armée.
Si les quartiers font couverts par une rivière
ou quelques bons ruiffeaux & pays coupés , on
mettra de l’infanterie dans chaque quartier de
cavalerie pour le garder, Mais , quand ces quartiers
font à découvert, il y faut prendre les
meïnes précautions que celles dont on parlera ,
lorfqu’on traitera des quartiers de fourrages.
M. le marquis de Feuquières , des mémoires duquel
font tirés les préceptes précédents y ajouté ces
qbfervations.
Je n’ai vu faire que trois, fautes confidérables
dans la manière d’affembler une armée qui doit
agir offenfivement. La première a été faite en
1667 , lorfque le roi aflembla fon armée auprès
d Amiens : elle y étoit trop éloignée du premier
objet d’aéhon qu’on s’étoit propoié, qui étoit celui
de Charleroi. 11 ne faut point, fans une néceflité
abfolue, faire faire une trop longue marche à une
armée, pour la première après fon ajfemblée. La
raifon en eft qu’on fatigue trop les hommes & les
chévaux qui fortent du repos ; & , par conféquent,
que pour le refte de la campagne l’armée fe trouve
moins bien fervie par fes équipages particuliers, &
même par ceux des vivres & de l’artillerie.
Si 1 armee du roi avoit été affemblée vers le
Cateau- Cambrefis , elle n’auroit pas moins donné
de différentes-attentions aux Efpagnols:, & elle
n’auroit pas été àufîi fatiguée^u’elle l’étoit, lorsqu'elle
arriva à Charleroi ; où elle fut obligée de
faire un trop long féjour, pour une armée dont l’objet
étoit d’agir offenfivement, & dont fuivant les véritables
maximes de la guerre offènffve ,1e premier
mouvement doit porter, fans perte de temps, à
l ’exécution de l’entreprife méditée.
JLa fécondé que j’ai vu faire , même beaucoup j
plus confiderable que celle dont je viens de parler i
fut celle de M. de Catinat en 1690, à l’ouverture
delà guerre en Piémont. L ’armée du roi debouchoit
egalement par la vallée de Suze & par Pignerol,
& les troupes de M. de Savoie étoient encore ré-
. pandues fur les frontières de-ffon état, il aur'oit
donc ete judicieux, pour commencer la guerre
par une offenfive avantageufe, d’aiïembler 1 armée
du roi dans un bon pays d’où elle put empêcher
les troupes de Savoie de s’aflembler pour protéger
1 urin , & où elle auroit eu une longue & commode
fubfiftance. Touts ces avantages fe trouvoient à la
plaine de Millefleurs près de Turin, également à
portée des deux débouchés de la vallée de Suze ÔC
de Pignerol.
Ce lieu d’affemblée acquéroit à l’armée 'du roi
la fuperiorité pour toute la campagne, &L la portoit
tout-a-coup fur le grand objet d’entreprile, qui étoit
Iurin. Mais, au lieu d’afiembler l’armée en cet
endroii, ce qui étoit le plus aifé"; M. de Catinat
fortit de la vallee de Suze où il étoit avec une
Partie de fes forces ; il ne fit que la montrer à
Turin, & vint chercher l’autre partie qui étoit
auprès de Pignerol, & le campa à Marcel où il
refta plufieurs jours.
Par cette faute dans la manière d’affemfeler fon
armee à l'ouverture d’une guerre , que M. de
Savoie n’auroit pas été en état de foutenir , fi elle
eut été bien commencée , M. de Catinat donna à
ce prince tout le temps dont il avoit befoin pour
affembler les troupes auprès de Turin, & pour fe
faire joindre par les Eipagnols qui vinrent du Mi-
lanois à fon fecours avec tout ce qu’ils purent tirer
de troupes de cet état.
Ainfi la guerre de Piémont, qui , à fa déclaration
, pouvoir & devoit même être offenfive de
notre part, par cette feule faute dans la manière
d affembler l’armée , fe tourna d’abord en une
guerre entre puiflances égales.
La troifième faute a encore été faite par M. de
Catinat en 1701, lorsqu’il aflembla l’armée du roi
en-deçà del’Adige. Je fçai qu’on a dit qu’elle avoit
fon excufe fur les ordres de la cour, de ne point
entrer dans les états de la république deVénife,
au-dela de l’Adige. Mais au moins cette faute capitale
ne peut avoir d’excufe du côté de la cour,
qui devoit connoître la conftirution de ce pays , &
fçavoir qu’en portant d’abord l’armée du roi jusqu'aux
débouchés des défilés du Tirol & du T 1 enfin,
il devenoit impoflibleau prince Eugène de fortir en
corps d’armée de ces défilés, pour combattre M. de
Catinat placé avantageufement aux débouchés , &
de faire fubfirter fa cavalerie dans une plaine dont il
n’auroit pas été le maître. ■ ( Mém. deFeuq. C. L IV .\
A T T A Q U E . Le principe général de Yattaque eft
de la faire en même temps par le front & par les deux
flancs. Il fem'ble que ce principe foit infpiré p’ar
la nature : on le trouve en ùfage parmi les nations
les plus barbares. Dès que les hommes fe font raffem-
bjés en troupes , pour fe combattre a ils ont tenté
de tourner & de charger lë flanc de la troupe ennemie.,
& c*eft ce que font encore toutes les nations,
tant les plus fçavantes que les plus ignorantes dans
l’art de la guerre. Cependant il y a peu d’hommes
de guerre qui ayent conçu toute la généralité de ce
principe , & qui en ayent fait de grandes applications.
Il n’y a guère qu’Alexandre & Guftave-
Adolphe qui en ayent donné des exemples.
On doit attaquer de cette manière une troupe
de cinquante hommes & une armée de cent mille ,
une petite province & un grand empire , une redoute
& la plus grande place. C ’eft en appliquant
a Y attaque des places , ce principe général que
.Vauban l’à portée loudain à fa perfection.
On peut nommer cqmplétle l'attaque faite en
preffant le front & les deux flancs en même temps ;
incompletie celle qui preffe le front fe ü l, ou une
partie du front &. un des deux flancs. U attaque
par le centre ou tout autre point du front rentre
dans celle-ci ; parce qu’on ne tente de percer la
ligne que pour charger ehfuite par leurs flancs les
deux parties délunies.
L 'attaque ïncomplette peut être mife en ufage
contre de petits objets , comme un porte , une
troupe , une armée. Qu’on pénètre dans une redoute
par un feul de fes angles , qu’on gagne le flanc
d’une troupe , tandis qu’on en occupe le front ; le
fuccès peut être très grand, mais non pas auflî
complet que lorlqu’on fuit le principe en fon
entier. Quant à Y attaque des grands objets , comme
une place confidérable, une province, un royaume,
comme ce n’eft pas l’affaire d’un jour, & que le
temps joint à l’habileté de fermé mi peut y apporter
de grands changements & de puiflants obftacles ,
il y faut remplir le principe dans toute fon étendue.
Un général qui a l’ignorance & la témérité d’attaquer
par le centre un pays vafte , c’eft-à-dire d’y faire
ce que nous appelions une pointe , s’expofe à une
défaite prelque afturée, à moins qu’il n’ait le rare
bonheur de trouver un adverfaire plus ignorant que
lui. T out ceci fera éclairci &L détaillé à l’article
plan de campagne.
Toute attaqué doit £tre faite comme d’un feul &
même effort. 11 y faut imiter les hommes qui,voulant
ébranler une grande maffe , font chacun leur effort
au même fignal. On mettra donc dans Yattaque le
plus grand ordre, & le plus parfait enfemble. C ’eft
ce qui manque fur-tout aux nations peu verfées &
peu exercées dans l’art de la guerre , & c’eft ce
défaut qui les rend fi peu à craindre : elles mettent
en campagne des armées innombrables , mais elles
ne les emploient que par petites parties : ce font des
effaîns de troupes chétives,& quelquefois d’hommes
feuls qui chargent l’un après l’autre & fans nul effet.
Par la même raifon Y attaque fucceffive eft toujours
foible, & rarement fuivie d’un heureux luccès.
Nous en trouvons dans Tacite un exemple remarquable
: les Friions tyrannifés par l’avare Olennius,
contraints de livrer d’abord leurs troupeaux, eniuite
leurs terres , enfin leurs enfants &. leurs fermes
| comme efclaves, firent éclater leurs plaintes , leu»
reffentiment, & n’en retirant aucun fruit , cher-
j chèrent dans la guerre un remède à leur fervitude.
Les loldats chargés de lever l’impofition furent
enlevés & mis en croix. Olennius fe déroba par
la fuite à la vengeance : il fe retira dans le château
de Flève, où une gârnifon confidérable de romains
& d’alliés avoit été placée pour garder la côte.
Lucius Apronius, propréteur de la Germanie
inférieure , tira auffitôt de la province fupérieure
les vétérans des légions, avec l’élite de l’infanterie &
de la cavalerie auxiliaire, fit defeendre furie Rhin ces
deux corps de troupes , &les porta dans le pays des
Frifons , qui avoient déjà levé le fiège du château
pour courir à la défenfe de leurs pofleffions. Apronius
fait affermir par des jettées de terre les marécages
voifins , conftruire des ponts pour le partage
des troupes pefamment armées : & , comme en
avoit trouvé des gués, il ordonne à la cavalerie
caninéfate, & aux germains qui fervoient à pied
dans l’armée romaine , d’aller prendre à dos les ennemis.
Ceux-ci déjà formés en bataille repouffent les
turmes des alliés, & la cavalerie légionnaire envoyée
pour lesfoutenir. Alors trois cohortes légères furent
détachées pour former une attaque ; enfuite deux
autres, & quelque temps après la cavalerie. Ces
troupes auroient fuffi, fi elles euffent chargé en
même temps : mais, comme elles arrivoient l’une
après l’autre, elle ne raffuroient point celles qui
avoient p lié , & l’épouvante des fuyards les en-
traînoit elles-memes. Alors le propréteur remit le
refte des troupes auxilliaires à Céthégus Labéon,
légat de la cinquième légion, & voyant que l’iflùe
du combat devenoit douteufe , ne fçaehant quel
parti prendre , il envoya des coureurs aux légions ,
ÔL împiora leur- fecours, La cinquième s’avança
la première , repouffa l’ennemi , & favorifa la
retraite des cohortes & de la cavalerie. Le général
romain-, fe trouvant heureux d’être dégagé , fe
retira fans penfer à la vengeance, & abandonna
fes morts. {Annal.. L. I F , ad finem. ).
i -jïl faut que Y attaque foit faite avec vivacité, mais
fans précipitation & fans défordre : les plus fça-
vants des Grecs dans l’art militaire, les Spartiates
marchaient à l’ennemi au fon de la flûte, afin que
les fons de cet infiniment, modérant l’ardeur des
troupes, y maintinffent l’ordre néceffaire. Nos ancêtres
, les Gaulois , avoient le vice oppofé : leur
première attaque annonçoit tout l’emportement d’un
efprit ardent 6c d’une colère aveugle. Soutenoits-on
ce premier effort ? Ils étoient épuilés par la fueur &
la fatigue : les armes leur tomboient des mains •
leurs membres & leur courage s’amolliffoient en
même temps que leur fureur s’appaifoit. Le foleil,
la foif, la pouflîère fuffifoient pour les abattre, fans
qu’on y employât les armes. Ils avoient, au premier
choc une impétuofité plus que virile, enfuite une
molleffe inférieure à celle des femmes.
Ce vice n’a pas -été particulier aux Gaulois : il
eft commun du plus au moins à toutes les nations