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barbares. Les Belges, les Germains * les Teutofls t |
les Cimbres , ont eu le même emportement. Plus |
l ’homme fera voifin de l’état animal ou brute , plus
ion courage tiendra de cette fureur aveugle ; & , au
contraire, plus un peuple fera éclairé, exercé , fça-
,Vant dans l’art de la guerre, plus ce même courage
fera contenu par la prudence , conduit & appliqué
par le jugement. Quant à l’effet de cette brutale im-
pétuofite, je veux dire , la langueur, l’affaiffement
total qui livre fans défenfe aux coups de l’ennemi,
■ c’eft un effet naturel, fuivànt fa caufe dans touts
les temps, dans touts les mouvements & toutes les
pofitions de l’homme. L’effort extrême ne peut
être long. Employez toutés vos forces pour produire
un effet quelconque : elles vous manqueront
bientôt, & vous ferez forcé de prendre quelque
repos avant de recommencer. S i, au contraire,
vous n’en donnez précifément que ce qu’il faut,
l’application en fera continue , & l’effet plutôt obtenu.
C’eft ce qu’a voient bien reconnu les braves
mais fçavants & fages Spartiates. Les peuples Germaniques
fe font corrigés de cette fureur lauvage.
ï ’ignore fi les François en ont encore quelques
reftes : mais, fuppofé que cela fû t, je laifïe à
juger f i , comme l’ont avancé quelques militaires,
peut-être trop ardents eux-mêmes, il feroit à propos
d’entretenir dans nos troupes cette aveugle
impétuofité , & lequel feroit plus avantageux de
les affimiler aux Teutons ou aux Spartiates.
S’il eft néceffaire de régler l’ardeur du foldat
en le menant à Y attaque , il ne faut pas apporter
moins d’attention à ne la point ralentir : fon effort •
doit être modéré & continu. La fufpenfion du mouvement
donne au foldat le temps de s’occuper du
danger, & )a crainte l’augmente toujours. 11 ne
faut pas courir à perdre haleine , mais marcher
vivement, tant qu’il refte quelques pas à faire.
Démofthènes, général des Athéniens, devant Sy-
racufe, attaqua de nuit un pofte important que~
tenoient les afïiégés. 11 força un premier retranchement,
& àppercevant fix cents hommes qui
venoient au fecours des leurs, il les chargea vigou-
reufement, les .mit en. fuite, & fans s’arrêter , marcha
en ordre au fécond retranchement, afin, dit
Thucidide, que l’ardeur qui portoit fes troupes au
but de leur entreprife ne fût pas rallenti.
Il y a une autre caufe de défordre qui n’eft
pas moins dangereufe , & qui peut conduire à une
défaite , c’eft le mépris de fon ennemi, effet ordinaire
d’une fotte préfomption. Dans une bataille
livrée aux Péloponéfiens & aux Miléfiens par les
Athéniens & les Arpiens, ceux - ci oppofé$ aux
Miléfiens, Sc les meprifant comme des Ioniens
qui ne tiendroient pas un inftant devant eux,marchèrent
au combat fans ordre , & furent battus.
Les Athéniens qui étoient à l’autre aile , & n’a-
aroient pour leurs adverfaires ni mépris ni crainte,
formèrent leur attaque en ordre & furent vainqueurs.
I c i, comme en toute autre chofe , il faut
garder un jufte milieu, également éloigné de la
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confiance téméraire & d e la pufillanimité. On né
doit dire au foldat, ni qu’il doit redouter fon ennemi
, ni qu’il va combattre des lâches. L’un
abattroit fon courage ; l’autre lui infpireroit une
négligence dangereufe qui fe change bientôt en
épouvante & en fuite, quand il trouve de l’erreur
ou du mécompte : ce qu’on peut faire de plus-
utile , c’eft de le perfuader intimement que la
victoire ne fera pas moins l’effet de fon obéiffance &
de l’obfervation de l’ordre , que de fon courage ,
quelque fupérieur qu’il puiffe être.
On ne doit pas tenter une attaque trop difficile
; & , quand une valeur téméraire a entraîné
dans cette faute, il ne faut pas s’y opiniatrer«.
Le fang des hommes eft précieux. La guerre fait
trop de maux par elle-même : il faut le garder
de les augmenter par fon imprudence. Alexandre
étoit brave, audacieux, entreprenant; jamais
homme n’eut pour la gloire une paffion aufli
infatiable. Son génie l’entrain oit vers les grandes
chofes , parce qu’il étoit plus grand qu’elles :
Alexandre cependant ne fut jamais téméraire , &
une retraite prudente n’étoit point honteufe à fes
yeux. Parvenu aux détroits de la Perfide , il y
trouva le fatrape Ariobarzane avec quatre mille
fept cents hommes , & le paffage fermé par un
retranchement. 11 en entreprit Yattaque ; mais
voyant que l’efcarpement de la montagne la
rendoit trop difficile , &. que les traits lancés
d’en - haut, foit par les Perfes, foit par leurs
machines, bleffoient un grand nombre de fes
foldats, il fit donner le fignal de la retraite , &
chercha d’autres moyens de franchir cet obftacle.
Un général tel qu’Alexandre connoît touts les
chemins qui mènent à la viâoire.
On trouvera aux . articles , camp , place,
poftes, &c. touts les détails qui concernent ces
I différentes efpèces à'attaques.
A t t a q u e s . Tranchées & autres-ouvrages
dirigés contre une partie des fortifications d’une
place affiégée. On forme une ou plusieurs' attaques ,
fuivant la grandenr de la place. Ce mot diffère
de celui d’approches, en ce que celui-ci eft général
& comprend les ouvrages Si travaux de toutes
les attaques d’une place.
A V AN C EM EN T . L’hiftoire de touts les peuples
& de touts les hommes prouve que l’amour de la
patrie, le fentiment de la gloire , la voix de l’honneur
, & celle du devoir , peuvent porter les guerriers
à la pratiqué des vertus les plus auftères ; leur
faire entreprendre & exécuter les aâtions les plus
difficiles , en un mot, les transformer en héros.
Mais, comme elle démontre encore que l’efpoir
d’obtenir des grades élevés , peut, quand on.le fait
briller à propos , allumer un feu héroïque dans les
âmes les plus froides , augmenter fon aéüvité dans
celles qui en recèlent déjà quelques étincelles, 6c
produire enfin des effets prefque femblàbles à ceux
de la gloire,. de l’amour de la patrie, du devoir , &C
de l’honneur : un des. problèmes les plus intéreffants
que
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que le législateur militaire ait à réfoudre, eft celui
de Y avancement-.
Il feroit aifè de donner iinè folution heureufe de
cette queftion chez un peuple nouveau , peu nombreux,
qui ne connoîtroit d’autre mérite que celui
des aétions perlonnelles, oii la faveur & l’intrigue,
encore dans l’enfance, n’auroient aucune force, où
les militaires dédaigneroient de fuivre les voies
détournées qui pourroient les mener aux grades
élevés, où l’on auroit enfin décerné une récompenfe
particulière à chaque aétion.utile ; mais cette folution
eft très difficile chez un peuple qui a vieilli au
milieu des abus , qui accorde Y avancement tantôt à
l’ancienneté des fervices, & tantôt à une naiffance
illuftre ; qui la donne pour récompenfe des blef-
fures, d’un hafard aveugle ; qui en a fait le prix
des coups de main hardie, des aéfions produites
par un courage bouillant, quelquefois même du
fçavoir , & qui permet prefque toujours à l’intrigue
& à la faveur d’en diïpofer à fort gré ; enfin, le
problème devient infoluble d’une manière générale,
chez une nation qui entretient un militaire très .
nombreux , dans lequel on s’efforce d’établir plu-
fieurs claffes très diftinéfes. Nous n’entreprendrons
point ici de donner cette folution. La conftitution
de l’état militaire françois nous engage à la renvoyer
aux mots ( bas officier, officier, capitaine
, major , &c. ). Noms rechercherons dans
chacun de cès articles quel genre de mérite doit
conduire le plus rapidement d’un grade fübalterne
à celui qui le précède. Pour n’être point obligés,
en traitant chacun de ces articles, de revenir fans
ceffe aux principes généraux | nous allons difcuter
ici les droits que l’ancienneté des fervices, une naiffance
illuftre , des bleffures, des aéfions éclatantes,
Si. des connoiffances étendues , ont à Y avancement.
Pour répandre fur cette queftion importante tout
le jour dont elle eft fufceptible , & qu’il importe
de lui donner , nous allons fuppofer un conseil
compofé d’un militaire courbé fous le poids des
années, & des fervices ; d’un officier qui compte
une longue fuite d’aïeux illuftres ; d’un guerrier dont
le front eft fillonrié par dès bleffures honorables ;
d’un brave qui s’éft diftingué par des a étions éclatantes
, Si d’un militaire qui à donné à fon inftrüc-
tion les moments qu’il auroit pu accorder à fes
plaifirs/
L’expérience , dit le vieux guerrier , eft la mère
des fuceès. Il vôus importe infiniment de conferver
dans vos armées les officiers qui ont-vieilli fous lés
drapeaux ; Si vous n’y parviendrez- qu’en accordant
Y avancement à l'ancienneté. En rendant cette
juftice aux longs fervices , vous procurerez à l’état
une infinité d’autres avantages : vous préparerez à
la génération future une excellente armée , formée
par nos exemples ; vous épargnerez un nombre
confidérable de penfions ruineules pour l ’état : les
militaires, entraînés par l’efpoir d’obtenir des titrés
honorables, &. d’occuper des placés éminentes ,
prolongeront leur carrière autant qu’ils lé-pourront, }
Art militaire. Tome J,
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! & les hommes qui les auroient remplacés ferviront
j lafociété en d’autres emplois. Vous, ferez revivre
! l’efprit de corps , & vous rendrez les moeurs meil-
leures , en apprenant aux jeunes gens à refpeéter les;
1 vieillards, & à fe conduire d’après leurs leçons. Qui.
mérite j d’ailleurs, plus que nous, d’obtenir Y avance-
■I -ment?' Seroit-ce les militaires illuftrés par une longue
; fuite d’aïeux ? Les charges St-les places de la cour
| font faites pour eux , mais celles de l’armée nous?
appartiennent. En accordant à la naiffance les grades
lés plus élevés, on a voulu , fans doute , honorer
les grands hommes des fiècles paffés, & en créer
pour les fiècles à venir. Mais, en agiffant ainfi ,
on doit néceffairement en tarir la fource. L’émulation
s’éteint quand on récompenfe , non pas
l'homme , mais le nom qu’il porte , & qu’il porte
rarement avec dignité.
Je fuis étonné que l’on ait penfé à regarder
les bleffures comme un titre pour arriver
aux grades élevés. L’officier qui a reçu quelque
atteinte grave- a le droit de demander que fa
patrie le dédommage du fang qu’il a v e r ié , Ôc
qu’elle remplace , pour ainfi dire, les membres
qu’il a perdus. Mais , parce qu’il a été malheureux ,
doit-il me devancer dans la carrière des honneurs
& des récompenfes ? J’ai couru autant de dangers
quë lui ; il n’a porté au combat ni une bravoure plus,
ferme | ni une intelligence plus grande, ni une
volonté plus décidée que la mienne ; je l’ai remplacé
pendant que fes bleffures l’ont éloigné des
hafards ; Si il viendra m’enlever une place que
mes longs fervices méritent ? Si l’on arrive aux
grades élevés par les bléffures que l’on reçoit, il
vaudra mieux avoir été mis hors de combat que
d’y avoir mis fon ennemi. Si chaque bleffure eft
récompenfée’ par un nouveau grade , les militaires
amfiitieux defireront qu’un ennemi adroit les frappe
dans chaque combat ; Si il faudra bientôt multiplier
touts les grades.
Je ne m’arrêterai point à faire voir que T avancement
ne doit pas toujours être la récompenfe d’une
aéfion valeureufe. Celle - ci n’eft fouventque l’effet
d’une bravoure aveugle : l’ignorance ;du danger
peut l’avoir produite ; un tempérament fougueux
peut en être la feule caufe : on doit alors l’eftimer ,
Si la récompenfer, mais non pas élever celui qui
l’a faite.
S Les militaires-dont le plus grand plaifir eft de
pâlir fur des livres méritent des égards, mais non
pas des grades. Ils font plus fenfibles aux couronnes
des müfes qu’à celles de Mars ; ils ne font faits ni
pour être ai la tête des régiments,; ni pour commander
les armées; Leurs corps , amollis par la
vie fédentaire , feroient incapables dé fo-utenir les
fatigues de la guerre ; Si leurs efprits , accoutumés
auxTpéeulations les plus fublimes , dédaigneroient
de defcendre jufqu’aux détails. Nos pères ont remporté
dé grandes viéfoires-, fans-le iecours de cette
fcience fi vantée ; fuivons leurs traces, nous vaincrons
comme eux.
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