
jiimement ; îl a été pratiqué en des royaumes en-
tiers , & non feulement le miniftère n’en a fait
jufquici aucun ufage , faute d’y avoir été excité ;
mais les pauvres, qui auroient le plus grand intérêt
à y concourir, femblent en éviter foigneufement
le fecours, en travaillant a perpétuer l’abus dont
je me plains. Je parle de ces' oifeaux voraces &
fi féconds, qu’on appelle moineaux , & auxquels
les payfans ménagent des retraites tranquilles ,
comme s ils craignoient que la race s’en éteignît.
J’ai ouï-dire cent & cent fois qu’il n’y avoit pas
un de ces oifeaux qui ne mangeât chaque année
un boiffeau de bled. Cette perte n’eft-elle pas
affreufe ? Et comment cet illuftre académicien, à
qui la nation doit tant pour les foins qu’il fe donne
en faveur de l’agriculture, n’a-t-il pas repréfenté
fi vivement l’importance de ce fait , ( fuppofé
auffivrai qu’il eft vraifemblable ) , que le gouvernement
, déterminé par l’autorité de fon témoignage
ait remédié à ce mal fi facile à guérir,
&c ^par-là dédommagé l’état du préjudice inévitable
qu’apportent Tes chemins à la femence du produit
des terres ? ( Nota. Il faudroit d’abord conftater
le fait ; 6t, fuppofe qu’il le fût, la deftruêlion ne
feroit pas aum facile qu’on pourroit le croire ;
parce^ qu’elle dépend de" la volonté du payfan ,
qui h eft frappé qùe de l’évidence des faits : la
caufe d un mal éloigné , ou journalier & prefque
mfënfible , n’attire point fes regards. On a voulu
tenter la deftruélion des moineaux dans quelques
cantons de l’Allemagne, & on y a propofé une
recompenfe par chaque tête de moineau apportée
feigneur du au magiftrat : les payfans en ont
élevé pour multiplier 6c faciliterTacquifition de la
récompenfe. Si on pouvoir les perfuader de travailler
à cette deftru&ion, un des plus puiffants
-moyens feroit celui de mettre des pots à toutes
les maifons pour faire nicher ces oifeaux, &. de
détruire les oeufs. ).
L’exceffive quantité de gibier , en de certains
cantons , eft encore un dommage que touts les
propriétaires fouffriroient patiemment, fi leur intérêt
n’étoit facrifié qu’aux plaiffrs du fouverain :
mais qu’à fon infçu, fous ce prétexte, les grains
(oient dévorés fur pied , & les cultivateurs réduits
à ne, pouvoir cultiver leurs champs en toute fai-
fon, le coeur de tout citoyen en faigne. Réprimer
cet abus feroit encore procurer une indemnité à
l’agriculture.
Voilà des maux réels , & des pertes fans retour
, qu’on auroit pu mettre juftement 'au rang
des plus déplorables ; mais il me feinble que les
chemins doivent trouver grâce aux yeux des frondeurs
les plus févères, en faveur de leur néceffité
& de leurs grands avantages.
Les grands chemins des Romains avoient yfoi-
xante pieds de largeur ; nos plus grands n’en ont
pas davantage : mais il faut avouer qu’à la piace
des vains ornements dont ce peuple paroit les Cens,
nous ne décorons les nôtres que de foffés latéraux,
Sc de deux rangs d’arbres. Il ne s’agit plus
que d’examiner laquelle des deux nations eft la
mieux fondée dans fes principes, & la plus fage
dans l’emploi proportionnel de fes facultés.
Nos chemins n’étant pas d’une folidité comparable
à celle des voies militaires , nous travaillons
à prévenir leur deftruâion , en procurant l ’écoulement
des eaux ; & par-là nous empêchons les
proprietaires riverains d’ufurper fur la voie publique
; ce - qu’ils n’ont jamais manqué de faire
depuis la fondation de la monarchie jufqu’au temps
où l’on s’eft occupé férieufement du foin de faire exécuter
les ordonnances qui ont été rendues à ce fujet.
Il réfulte de cette précaution que nous prenons fur
l’agriculture vingt-quatre pieds de largeur de plus
que les Romains ; mais c’eft à Caufe que nos voitures
font beaucoup plus larges, & notre commerce
beaucoup plus vif , indépendamment de ce que la
plaptation des arbres l’exige indifpénfablement ,
comme je le dirai bientôt.
Tels font les motifs qui ont engagé nos fouve- ”
rains , 6c notamment Henri III , par fon ordonnance
de Blois en 1579 ; Louis X IV , par celle
des eaux ôc forêts , du mois d’août 1669 ; 8c enfin
Louis X V j par un arrêt du 3 mai 172,0, à prefcrire
aux grandes routes la largeur de. foixanté pieds ,
outre lës foffés de fix pieds de largeur .de chaque
cote , 8c les deux rangs d’arbres qui en prennent
autant ; par où l’on yerra qu’il ne faut point imputer
aux modernes d’avoir imaginé cette dimen-
fion, & que l’idée en eft due a la prudence de
nos ancêtres , à laquelle nous avons fagement fait
de déférer par les grands avantages qui en réfultent.
Un chemin n’eft pratiquable en tout temps , &
en toute faifon que par deux circonftances ; l’une ,
quand le terrein eft affez ferme, affez sur, êc.affez
élevé , pour fe foutenir par lui-même, & fans
aucun fecours de l’art. Or , ceux-là font fi rares ,
qu’en mille lieues de cours on n’en trouve pas
communément vingt dans cette heureufe difpofi-
tion ; l’autre par le revêtement d’une chauffée que
l’on conftruit dans fon milieu. Ce dernier cas eft
l’ordinaire, & fur la néceffité duquel il faut abfo-
lument compter pour les grandes routes, fous peine
de s’en repentir. Mais il n’y a point de chauffées ,
fans excepter celles des Romains, fi pompeufement
décrites par Bergier ; ( exactement , je veux le
croire ) ; il n’y en a , dis-je , aucune qui réfiftât
au rouage continuel de voitures immenfément
chargées , Gomme celles de nos rouliers, û elles
rouloient fans intermiffion fur la chauffée. L’exemple
en eft palpable à l’égard de nos pavés de
grès , matière la plus dure, après le marbre, &
dont néanmoins la vingtième partie fe confomme
en un an de temps : elle dureroit moins, fi elle
n’étoit exactement entretenue. Il a donc fallu imaginer
un moyen de parer à cet inconvénient : où
pouvoit-il être , fi ce n’eft dans une largeur qui
laifsât aff^z d’efpace entre la bordure de la chauffée
8c le foffé, pour y ménager un paffage aux voitures,
dans les faifons où l’accotement feroit pratiquable ?
Il ne faut pas inviter les conducteurs à le fuivre,
parce qù’-ils le préfèrent pour ménager les pieds de
leurs'chevaux, 8c pour defcendre à; leur avantage,
les rampes un peu roides, à plus forte raifon les
montagnes où ils feraient obligés d’enrayer. Mais
cet expédient feroit encore inluffifant à caufe des
arbres , fi les chemins n’étoient affez larges pour
être bientôt de'fféchés par les impreffions de l’air ,
lorfque les pluies les ont imbibés, d’autant plûs que,
l’eau tombant rapidement des feuilles fur un terrein
déjà pénétré par celle qu’il reçoit directement du
ciel, l’ombre y entretiendroit l’humidité, fi les
arbres n’étoient pas féparés par un graqd efpace.
Elle les rendroit pour longtemps impratiquables aux
gens de pied, à qui elle fert de rafraîchiffement
dans les grandes chaleurs. Il eft d’ailleurs fenfible
que , fi les routes étoient étroites, l’état feroit
aflujetti à un entretien plus confidérable : on ne
peut réparer les chemins en toute faifon , & une
légère dégradation eft bientôt fuivie du renverfement
de la chauffée. Le commerce feroit fouvent obftrué,
& la nation privée de la reffource des arbres , dont
la culture devient chaque jour plus précieufe , par
l’excès de la confommation du bois à brûler, auquel
xe luxe nous a conduits; 8c par -celle du boi.s de
charronage , depuis que le nombre des voitures eft
fi prodigieufement accru. Enfin , il faut des règles
dans toutes les matières d’état , pour ne pas les
expofer aux funeftes effets d’une régie arbitraire ;
6c, s’il y a quelque chôfe à reprocher à celle-ci ,
c eft que les loix n’y foient ni affez amples, ni allez
préciles , ni affez folemnelles. Je me flatte qu’en
rélumant toutes les caufes de la largeur qu’on donne
aux grandes routes , tout cenfeur de bonne-foi
voudra bien s’appaifer , fur-tout quand j’aurai
certifié-qu’on ne les qualifie telles , que quand elles
voii^ de Paris aux extrémités du royaume , fans fe
détourner.
«.idiies.iur îa meme melure, parce que le comméra
ny eft pas fi abondant : mais, par les raifon
precedentes , on leur donne au moins qùarante-hui
pieds -de largeur. Par-là, quand la chauffée y feroi
de vingt pieds , il en refteroit encore quatorze ,di
chaque côté pour l’accotement.; ce qui fuffiroit ;
touts les objets dont j’ai prouvé la convenance 6
la néceffité: au lieu que, fi la largeur é toit moindre
on-tomberait dans touts les inconvénients que- j’a
décrits ; 8c cependant plufiëurs réglements n’on
exige que dix pieds de diftance du pied de l’arbre ;
la bordure de la chauffée, ce qui me paroît trop peu
Enfin la troifième claffe eft celle dés chemin
qu on appelle de traverfe, auxquels on ne doxtni
communément que trente pieds de largeur, 8c tou
au plus trente-fix.
f lH H p a Alignement, dont la recherche a ét<
blamee par quelques-uns, quoique le^ Romains
^ ° n 'n°US PrGP°^ pour modèle , en/fuffent plu
anectes que nous, 6c que pour ne pas s’en dé
tourner-, ils entrepriffent des travaux incroyables,
dont la feule, idée ne nous viendroit pas ; comme
de percer des. montagnes, d’y faire des chemins voûtés
au. travers des rochers, de combler des marais,
& autres travaux d’une dépenfe 8ç d’une difficulté
furprenantes. A plus forte raifon eft-il naturel de
fuivre la ligne droite , loffqu’on n’y trouve aucun
empêchement, puifqu’étant la plus courte , elle
épargne le terrein , 8c qu’elle abrège la traite des
commerçants 8c des voyageurs ; qu’ënfin elle diminue
la dépenfe. Telles auffi ont été les vues des
légiflateurs qui ont ordonné l’alignement des chemins
: l’arrêt du 2.6 mai 1705 , s’en explique en ces
termes, & il n’eft pas une production du gouvernement
préfent, auquel néanmoins on en fait le
reproche. Le préambule de cet arrêt porte que
« par le trouble des propriétaires riverains, quantité
de chemins ont été faits avec des finuofités préjudiciables
aux intérêts de fa majefté , par la plus
grande dépenfe qu’il faut faire pour les conftruire
& pour les entretenir , 8c à la commodité publique
, en ce que lefdits chemins en font beaucoup
plus longs. ». Il pouvoit ajouter, à l’intérêt
public, perfonne n’ignorant que les denrées &
les marchandifes font renchéries par la proion-?
gation du tranfport.
Ce feroit cependant une erreur de penfer qu’on
s’afferviffe fi abfolument à la ligne droite qu’on
ne s’en éloigne jamais, fi ce n’eft par des obftacles
infurmontables. Tant d’ob.ftination ne convenoit
qu’aux Romains ,, uniquement frappés de l’éclat;
de leurs entreprifes. CommeTutifité fait le principal
objet des nôtres , l’arrêt que j’ai cité, en ordonnant
d’aligner les chemins , ajoute , le plus que.
faire fe pourra ; ce qui exclut touts les empêchements
que l’intérêt de la fociété défend de vaincre
par un travail fuperfiu. Il fuffiroit donc que l’alignement
coûtât trop , ou portât trop de préjudice
aux particuliers , par comparaifon à l’avantagé
que le public en retireroit, pour engager le
gouvernement a préférer de fuivre la finuofité de
l’ancien chemin , en corrigeant les difformités cho-
quantes.qui s’y rencontreroient. Je ne vois pas que,
fur l’accompliffement de ces règles, perfonre ait
plus de droit ou de raifon de s’inquiéter, que le
légiflateur lui-même, qui s’en rapporte à la prudence
des ordonnateurs , & à l’intelligence des
exécuteurs. Après ce que j’ai dit des précautions
que l’on prend fur ce fujet, pour ne tomber dans
aucune erreur , je doute que quelqu’un citât un
exemple arrivé depuis trentè ans , où il eût été
plus utile & moins difpendieux de ne pas s’en tenir
à la ligne droite ; & j’avertis que celui-là feroit
imprudent qui s’expoferoit à faire d’un coup d’oeil
cet arbitrage, fur-tout s’il n’étoit pas du métier ;
puifque les plus habiles ingénieurs rifqueroient de
s’y tromper, 6c qu’ils ne peuvent en rendre un
compte exaêl que par des toifés très-difficiles , &
par les calculs les plus épineux : encore eft-il fi
rare qu’ils atteignent à la précifion, du moins pour